De l’autre côté - Edenson Glaude - E-Book

De l’autre côté E-Book

Edenson Glaude

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Beschreibung

Au travers de correspondances entre Noé, François Nahum, Barbara, Moïse, Yslande, Joseph et leurs familles restées en Haïti, une histoire se tisse. Le passé refait surface, dévoilant d’anciennes habitudes enfouies qui ravivent les souvenirs. Le plaisir du partage se mêle aux défis inhérents à la vie des immigrants, suscitant la curiosité et l’attention de tous les acteurs de cette histoire captivante. Ces jeunes immigrés réussiront-ils à surmonter ces obstacles éprouvants ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Développeur web, Edenson Glaude plonge courageusement dans le monde de la littérature quelques mois après avoir posé le pied en Guyane. "De l’autre côté" est bien plus qu’un simple livre, c’est son cri passionné, un reflet de témoignages, d’observations et d’expériences qui révèlent sa vision poignante de la vie des immigrants.

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Couverture

Page de titre

Edenson Glaude

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De l’autre côté

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Edenson Glaude

ISBN : 979-10-422-2076-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

« Ton talent est ta meilleure richesse. Identifie-le, développe-le et fais-le prospérer. »

Dona Maurice Zannou, auteur béninois.

 

Il faut de la détermination, de la volonté et une bonne dose de persévérance pour travailler à découvrir et développer un talent.

 

Ce n’est pas un talent, mais un multipotentiel artistique que le jeune Edenson Glaude explore et partage avec générosité. Âgé d’à peine 23 ans, c’est un musicien accompli, un chanteur plein de ferveur, un talentueux compositeur et auteur.

Il travaille à développer et à faire prospérer l’ensemble de ses talents en dépit des circonstances. Son exil loin de sa terre natale, des conditions de vie difficiles ne le découragent pas, mais renforcent sa capacité à rêver et sa détermination à atteindre ses rêves.

 

Edenson a quitté son pays Haïti ainsi que son noyau familial, comme beaucoup de jeunes, bercés par les paroles illusoires de leurs proches. Il est arrivé en Guyane pour une « vie meilleure ».

 

La vie en Guyane n’est pas ce qu’il imagine, mais il entend tellement d’histoires de jeunes comme lui, greffés à une nouvelle famille, devant s’adapter coûte que coûte à de nouvelles conditions de vie, subissant parfois maltraitances, humiliations et abus.

Il ne peut être pas agir pour aider tous ces jeunes, mais son cœur s’emplit de leurs histoires.

 

C’est ce qui déborde de son cœur qu’Edenson partage avec le lecteur dans cet ouvrage : des lettres échangées nous dévoilent des instants de vie d’hommes et de femmes qui ont quitté Haïti pour un ailleurs censé être meilleur, ils vivent désormais en Guyane, au Brésil, en République dominicaine.

 

Cet ouvrage a un intérêt sociologique, il permet d’entrer et de comprendre des situations de vie tout à fait réalistes, il a un intérêt thérapeutique, car il permettra à certains de s’identifier dans ces instants de vie.

Ces échanges épistolaires sont comme hors de notre temps. Dans un style un peu désuet, mais qui n’est pas sans charme, ces lettres sont denses, mais accessibles et plutôt faciles à lire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lettre 1François Noé, à sa mère Vigilan Sephora

 

 

 

À Aquin, en Haïti

 

Bonjour, chère mère, tant d’évènements arrivent depuis la carence de ta présence dans ma vie durant ces trois dernières années. J’apprends beaucoup de la vie en terre étrangère, et je ne me doutais pas qu’elle serait aussi laborieuse. Cette lettre est la cinquième que je t’ai écrite, mais je n’ai toujours pas de réponse ; cela m’attriste. Mais je n’arrêterai pas de t’écrire jusqu’à ce que tu me répondes ; j’imagine que tu dois être très occupée, ou peut-être que cela a un rapport avec les différents aléas de l’envoi des lettres en Haïti.

 

Je t’avais dit que je ferais la fierté de la famille, que je serais l’enfant que toi et mon défunt père aviez toujours rêvé d’avoir. Seulement, je me retrouve face à des épreuves que je ne connaissais point jadis. Ici, en Guyane, tout paraît compliqué. Je ne sais pas si tu te souviens de la dernière fois que j’avais parlé avec M. Faustin, il m’avait dit que les polices aux frontières de Guyane étaient les plus draconiennes. Je n’avais aucune idée de ce qu’il avançait. Je suis en plein dans la réalité méshui. Récemment, je crois que c’était lundi, premier mai : fête du travail et de l’agriculture, j’ai dû courir me cacher chez un inconnu où les chiens m’ont mordu, car je fuyais les policiers qui ramassaient les immigrants pour les renvoyer chez eux. J’étais seul sur une route où il n’y avait pas beaucoup de gens qui passaient, en train de sortir de l’université, éreinté comme pas possible. C’est une chose qui arrive de manière récurrente cette année, et beaucoup de familles sont séparées à cause de cela. Je tiens à te demander de continuer à croire en tes enfants, et nous ferons le nécessaire pour te sortir de ce pays miséreux une fois que nous aurons eu nos papiers et que nous aurons travaillé pour gagner assez d’argent. Si tu le souhaites, bien sûr.

 

Ma sœur vient de trouver un travail chez une femme guyanaise. Lorsque cette dernière part travailler, elle garde les enfants et elle fait des ménages dans la maison. Je crois qu’elle est payée mensuellement à une somme de 500 € à peu près. Elle m’a chargé de t’en informer, et de te dire qu’elle enverra un peu d’argent pour toi, le mois prochain. Elle n’en a pas à foison, mais je me réjouis du fait qu’elle puisse au moins gagner une somme à la fin du mois. Elle se plaignait tellement avant, et cela me donnait beaucoup de peine.

 

J’espère que cette lettre te parviendra à temps, ou du moins que tu la trouveras afin de me répondre. Je l’ai envoyée par la poste comme les autres, et j’ai conscience de toutes les contraintes qui entrent en ligne de compte quant à l’envoi d’une lettre par voie postale. J’envoie mes salutations à Mme Bofonie, et à son mari ; ma petite sœur n’arrête pas de parler d’elle. Quand nous ressassons le passé, il faut toujours qu’on trouve une petite anecdote qui inclut Mme Bofonie, et de laquelle nous nous marrons. Enfin, dis aux autres voisins que je n’ai jamais oublié ce qu’ils avaient fait pour moi quand j’étais avec eux. Je leur en serai éternellement reconnaissant. J’en fais la promesse. J’attends impatiemment ta réponse, mère. Ce fut ton fils François Noé.

De la Guyane, le 15 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 2François Nahum, à son frère François Fénelon

 

 

 

À Port-au-Prince, en Haïti

 

Déjà trois ans, depuis que je suis au Brésil, et je n’ai toujours pas les nouvelles de mes enfants. À chaque fois que je tente de vous écrire, je n’ai aucune idée de comment vous faire parvenir la lettre. Néanmoins, il y a deux semaines de cela, un ami m’en a informé, et j’en ai profité pour vous écrire celle-ci. J’ai une longue histoire à vous raconter. De ce fait, je souhaiterais avoir le temps de pouvoir discuter avec vous aussi longtemps que possible.

Deux mois, depuis que je m’étais installé chez Mme Bottine à Curitiba ; une grande et somptueuse ville dans le sud du pays où la population haïtienne est relativement dense. Parfois, on croirait être en Haïti à force de ne croiser que des Haïtiens par-ci par-là. Ceux qui travaillent, et ceux qui ne travaillent pas. Les jeunes qui vont à l’école, et ceux qui préfèrent rester à la maison pour aider leurs parents dans des activités pécuniaires. Quant à moi, je n’avais aucune idée de la manière dont j’allais faire pour m’en sortir, puisque je ne parlais pas le portugais, un grandissime obstacle pour les immigrants haïtiens au Brésil. J’en étais arrivé à un moment où je n’avais plus d’espoir. Je voulais retourner dans mon pays parce que je ne me voyais pas vivre chez les gens plus longtemps, alors que j’ai ma propre maison dans mon pays. Mais, par bonheur, Mme Bottine avait fait preuve d’une grande clémence à mon égard. Elle avait mis cartes sur table en me révélant les divers achoppements auxquels j’allais être confronté en tant qu’immigrant. Ma fierté a été mise de côté pour trouver de quoi m’acheter un pain tous les matins. J’aurais tellement voulu pouvoir te raconter tous les détails de mes péripéties en face ! J’aurais voulu pouvoir aligner mes trois enfants et leur raconter comment leur père a dû travailler dur pour pouvoir leur envoyer quelques billets de réal par mois. Non seulement, il faut travailler dur, mais pour trouver du travail déjà, c’est une rudesse plus abrupte encore. Ces trois ans ont été comme une éternité pour moi sans avoir à écouter les cris de Viviana. J’imagine qu’elle a grandi tellement. Ma petite fille chérie !

J’ai fortuitement rencontré Gardy sur l’autoroute, la semaine dernière, pendant que je sortais du travail avec un collègue brésilien qui habite dans le même quartier que moi. La première personne qu’elle m’a demandée, c’était toi. Il faut croire que cette femme ne cessera jamais de t’aimer mon frère. Elle a été fort pétrifiée d’apprendre que mon épouse était décédée à la suite de l’accouchement de Viviana. Elle habite dans une autre ville, mais j’espère la croiser de nouveau. Si tu souhaites venir au Brésil, tu dois absolument épouser cette femme, il n’y en a pas deux comme elle, crois-moi.

Trêve de plaisanterie. Je ne veux pas être long dans la lettre. Mais j’espère de tout mon cœur que tu puisses lire à haute voix ces phrases à mes enfants : « Je ne vous abandonnerai jamais ! Papa vous aime énormément, et il vous fera venir au Brésil dans pas longtemps. Ainsi, nous serons tous réunis, ensemble comme autrefois. »

J’ignore combien de temps la lettre va prendre pour arriver en Haïti, mais j’espère avoir des nouvelles le plus vite que possible. Je te salue mon frère.

Du Brésil, le 7 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 3Marzy Dadou, à son ami François Noé

 

 

 

À Cayenne, en Guyane

 

Je planifie une visite hebdomadaire pour aller chez ta mère à raison de mes activités qui sont quelque peu encombrantes, et à chaque fois, elle ne fait que parler de toi. Depuis que tu es parti, le charme qu’il y avait dans la contrée a considérablement diminué. Noé, je ne regrette rien de notre passé, mais j’aurais préféré pouvoir profiter au maximum de ta présence. Tout cela pour te dire que tu me manques mon ami.

 

J’ai entendu dire que là-bas le soleil est tel un feu ardent en été. J’aimerais que tu m’en parles davantage, car j’aurais juré qu’il n’y avait aucun autre soleil plus torride que celui de notre pays. L’été approche, la chaleur s’accroît plus vite que d’habitude. Les agriculteurs avaient semé des épinards, des arroches et des asperges en mars, malheureusement aucune goutte de pluie n’est tombée pour les plantations. Une grosse perte ! Même mon père a été très touché par cette mauvaise saison. Personne n’avait été capable de prévenir une telle situation.

 

Il y a une chose en particulier dont je tenais à te faire part. Wilbert a envoyé une lettre à mon père la semaine dernière dans laquelle il lui demande de bien vouloir accepter qu’il fasse entrer l’un de ses enfants aux États-Unis pour l’aider avec quelques travaux. Je ne sais pas si tu te souviens de ce fameux Wilbert. C’est le frère duquel mon père n’avait jamais cessé de parler. À chaque fois qu’il voulait prendre un exemple pour me donner un conseil, cela commençait toujours par : « Regarde Wilbert… ». Comme tu sais que je suis l’unique garçon dans la famille, mon père m’a informé de sa proposition, toutefois, je ne sais pas si c’est moi qu’il enverra là-bas. Ce n’est pas une idée qui m’enchante, mais je n’éprouve pas le sentiment inverse non plus. J’ai débuté depuis peu avec une affaire de vente de bétail au marché de Fond des nègres, cela va plutôt bien. Mais je crains d’être obligé d’arrêter à cause de cette histoire de voyage. Mon père a l’air réjoui d’envoyer l’un de ses enfants aux États-Unis, s’il me le demande, je ne veux pas le décevoir. Puisque tu es déjà à l’étranger, tu es sûrement la meilleure personne pour me prodiguer le meilleur conseil sur cette histoire. Sans vouloir être rétrospectif, j’ai encore le souvenir de ton départ, et j’étais la première personne à être au courant. Je ne t’informe pas qu’il est susceptible que je quitte le pays en guise de monnaie d’échange à ton geste passé, mais je te l’ai dit parce que tu es mon plus vieil ami, et j’espère que le temps et l’espace ne suppriment pas notre complicité.

 

Les lettres prennent beaucoup de temps pour arriver au pays à ce que je sache. Je reste tout de même patient. J’attends avec hâte ta réponse mon ami. Passe le bonjour à ta famille pour moi. Rappelle à ta petite sœur que ma demande tient toujours, même si je sais qu’elle est au bout du monde, j’attendrai avec hardiesse son « oui ». Je ne veux pas que tu t’en lasses, je m’arrête donc ici. À très bientôt.

 

D’Haïti, le 7 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 4Mathurin Barbara, à son père Mathurin Moïse

 

 

 

Aux Anglais, en Haïti

 

Je viens tout juste d’arriver à Cayenne. Ma tante me dit qu’il faut que je t’envoie une lettre pour t’informer de mon arrivée, père. J’espérais me reposer quelques semaines avant de t’écrire, mais puisque ma tante envoie des lettres à sa famille en ce jour, je le trouve opportun d’envoyer ma part avec les siennes.

Étant immigrante novice sur le territoire, je ne fais qu’observer des choses que je ne comprends pas encore. Je me suis activée en mode « curieux » depuis que je suis descendue de l’automobile qui m’avait déposée au bord de la route, à un arrêt de bus, à quelques mètres de la maison de Nina. J’ignore si dans quelques jours, ou peut-être dans quelques mois, je pourrai m’adapter, et m’intégrer dans la société guyanaise. Toutefois, j’espère me donner les moyens qu’il faut pour réussir dans ce pays. Parce que, c’est le but.

 

Tout bien considéré, je crois que je dois te raconter en détail comment a été le périple ; les pays que j’ai parcourus avant d’arriver en Guyane. C’est indubitablement une épreuve particulièrement ardue de tenir fort pendant tout le parcours. Du moment où vous m’aviez laissée à l’aéroport de Toussaint Louverture, maman et toi, les péripéties avaient débuté, et jusqu’à mon arrivée. Tu n’imagines pas le nombre de temps que j’ai passé dans les voitures à parcourir des terres étrangères, papa ! Quand je suis montée dans l’avion, je ne savais distinguer le sentiment qui m’avait envahie. Lorsqu’il a commencé à prendre de l’altitude, j’ai demandé au passager qui était assis à côté de moi de changer de siège pour que je puisse jeter un dernier regard au pays. De là-haut, je pouvais tout voir ; tout avait l’air si minuscule, même le grand bâtiment de l’aéroport. Autant que je m’éloigne du pays, la question d’y retourner m’en engloutissait davantage. Il y avait plusieurs voyageurs, mais j’avais l’impression d’être la seule à croire que, depuis le début, les autres étapes du voyage seraient laborieuses. L’avion a atterri au Panama où nous devions nous faire une halte. Il y avait un tumulte assourdissant dans la salle d’attente : des enfants criaient, et des adultes leur demandaient de se taire, mais faisaient davantage de bruit encore. J’avais complètement perdu la notion du temps. Je n’avais plus conscience du décompte des heures. Nous sommes restés à l’intérieur pendant longtemps, impossible d’appréhender le coucher du soleil. Seulement, plusieurs baffles étaient suspendus au plafond de chaque pièce, qui diffusaient des informations sur les vols. Notre prochain vol était fixé pour lendemain, à 9 h 30. La nuit était fastidieuse, toute nourriture avait un goût insipide dans ma bouche.

 

L’inquiétude et l’angoisse m’envahissaient. J’avais peur. Peur de perdre l’argent que j’avais dans la malle, bien qu’il fût bien protégé. De surcroît, j’avais peur d’être violée, ou peur d’avoir à souffrir en vain. Je me suis allongée quelques heures durant, sur les chaises de la salle d’attente où je me suis permis de dormir un peu. Le lendemain, alors que nous allions monter dans l’avion, un homme quelque peu âgé a fait une crise de nerfs, refusant de suivre l’itinéraire qui mène vers la porte de l’avion. Il déambulait dans l’aéroport. On aurait dit qu’il avait perdu quelque chose d’important. Je suis montée dans l’avion, et je crois qu’il a été transporté en Haïti dans un autre vol ultérieurement. Cette fois-ci, je me suis assise à côté d’un jeune homme qui n’a cessé de poser des questions.

 

Nous avons atterri à Georgetown. Des voitures nous attendaient dehors pour nous amener à l’hôtel où nous allions passer encore une nuit. Avant, il y avait des formalités légales qu’il fallait accomplir à l’aéroport de Georgetown. Par la suite, je suis montée dans une voiture accompagnée de deux autres filles dont l’une allait en Guyane aussi. L’autre devait retrouver sa famille dans une autre contrée du Guyana. Je croyais qu’on allait arriver à l’hôtel en une trentaine de minutes, mais les voitures ont roulé pendant des heures. Nous avons passé la moitié de la journée dans la voiture. Parfois, je dors, et d’autres fois, je refuse de dormir malgré le sommeil. J’ai l’impression que la lettre est très longue pour une première, papa, mais je devais te raconter comment ça a été dur de partir de son pays pour venir dans un autre, et surtout illégalement.

Quand nous sommes arrivés à l’hôtel, le jeune homme de l’avion n’a cessé de demander quand nous allions arriver à destination. À chaque fois, on lui répondait qu’il ferait mieux de ne pas poser la question parce qu’il était loin d’arriver en Guyane. Nous avons passé la nuit dans ce fameux hôtel qui n’avait que deux chambres et une salle de bain, déjà insuffisantes pour les passagers. Le lendemain, très tôt, nous sommes partis de nouveau. Nous avons traversé tout le pays en voiture. Nous avons pris des pauses pour nous soulager quelques fois, et d’autres fois nous avons dû tenir. Sur le parcours, nous sommes allés dans une sorte d’institution d’état où nous avons été vaccinés, et nous avons reçu un petit carnet de vaccination qui, selon les vétérans, était très important. Ensuite, nous avons traversé un cours d’eau, et désormais, nous étions au Suriname. Toujours en voiture, le voyage venait de commencer. Nous avons parcouru une grande partie du pays pendant le reste de la journée. Ensuite, à la tombée du jour, nous sommes arrivés chez une dame où nous avons passé la nuit. Le lendemain, à l’aurore, il fallait partir de nouveau. Je ne te raconte pas comment j’ai dépensé l’argent, après la somme que je devais donner au responsable du voyage ! La lettre serait sûrement trop longue à lire. Vers quatre heures du matin à peu près, nous sommes arrivés sur la frontière entre le Suriname et la Guyane : un cours d’eau d’environ trois kilomètres de large. Nous avons traversé avant l’arrivée de la clarté du jour. Nous sommes arrivés dans une ville qu’on appelle « Saint-Laurent ». Il faisait encore obscur. Je ne pouvais rien voir. Nous avons pris un minibus qui nous a conduits ensuite à Cayenne, là où ma tante habite.

 

J’espère que tu ne t’es pas lassé de lire cette histoire. Je voulais sincèrement te raconter tout ça. J’évite de te dire comment je me suis sentie pendant les parcours, mais tu peux déjà deviner à quel point j’étais exténuée. Embrasse maman de ma part. Je me suis bien installée chez ma tante. Je te tiendrai informé du reste des évènements si j’ai le temps. J’attends ta réponse, père.

 

De Guyane, le 8 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 5Bart Yslande, à son mari Joseph Michel

 

 

 

En République dominicaine

 

Comme tu l’avais présagé, mon chéri, vivre dans un pays étranger implique la cessation de certaines pratiques qui nous paraissent importantes, et fondamentales dans notre culture, et notre façon de faire. Toutefois, la loi française est très rigoriste, je l’affirme. J’avais prévu tellement de projets, mais je suis bloquée par une liste de règles auxquelles je dois adhérer. Je n’ai pas le moindre souvenir d’avoir été contrainte d’avoir des enfants pour pouvoir travailler quand j’étais avec toi, en République dominicaine. Mais ici, en Guyane, j’ai entendu dire qu’il faut avoir des enfants sur le territoire pour pouvoir décrocher un titre de séjour, ou pouvoir trouver un travail. Tu te rends compte ? Je ne sais pas si c’est le peuple qui avance ces informations, mais je trouve que c’est ridicule et insensé de demander à une personne d’enfanter, même lorsqu’elle ne se sent pas encore prête.

 

Quoique j’aie fait toutes mes études en Haïti, cela ne me sert plus à rien puisque le diplôme n’est pas valable sur le territoire. De surcroît, il me faut rester un certain temps avant d’être à même de faire une demande de titre de séjour pour pouvoir exercer dans un métier quelconque. Ce que je trouve aberrant dans toute cette histoire, c’est que parfois, les chefs d’entreprises exigent que les salariés aient leur titre de séjour en plus de leurs compétences, mais la préfecture exige cinq ans de présence permanente sur le territoire avant d’avoir ce fameux titre de séjour. Comment vivre sans pouvoir travailler pendant cinq ans ? Les personnes qui sont diplômées ne peuvent pas mettre à profit leurs connaissances ; alors, à quoi leur ont servi ces années d’études ? Je me plie humblement à ces normes, et j’obtempérerai jusqu’à ce que j’aie mes papiers pour pouvoir parler librement de ces mœurs que je trouve consistantes !

 

J’aurais tellement aimé pouvoir débattre de ces sujets avec toi de face, comme au bon vieux temps. Lorsque nous prenions l’habitude d’aller sous le manguier sur la cour de l’église de l’Armée du salut, en Haïti, pour discuter sur les femmes volages et les hommes mariés dans les églises, sur les magouilles des politiciens du pays, sur le développement personnel des enfants, et sur un match de football. Quand j’analyse toutes ces choses que je vis en Guyane, je ne peux pas arrêter de penser à toi. Qu’est-ce qu’on se marrerait à pérorer de tout ça !

 

Enfin, j’espère que la poste fera mieux cette fois-ci, qu’elle ne mettra pas deux mois à te faire parvenir ma lettre. Je t’embrasse fort, mon amour. Nos projets restent fermes et inébranlables. Je ne cesserai pas de croire que nous nous en sortirons de ce labeur. J’ai la conviction que nous serons unis, en temps voulu. Réponds-moi vite. Je sais que le travail te prend du temps, mais je m’accroche énormément à tes écrits. Parfois, je lis à plusieurs reprises nos anciennes lettres. À bientôt mon chéri.

 

De Guyane, le 9 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 6Vigilan Séphora, à son fils François Noé

 

 

 

À Cayenne, en Guyane

 

Mon garçon, je me suis fait un sang d’encre en voyant les cinq lettres arrivées à la maison, d’un seul coup. Je me suis fait une liste d’idées tellement patibulaires que je n’ai même pas voulu ouvrir les enveloppes pour lire les lettres. Après une trentaine de minutes de réflexion, j’ai lu la plus ancienne, selon la date qui y était inscrite. J’ai été vraiment soulagée d’apprendre qu’il n’y avait rien de grave mon fils. Cela m’apaise de savoir que toi et tes sœurs, vous vous portez bien. Je ne juge pas dialectique d’écrire cinq lettres à mon tour pour te répondre, donc je te répondrai par celle-ci seulement.

 

Avant tout, je tenais à t’informer que tu as une ancienne camarade du lycée qui n’a cessé de me demander pour toi. J’en déduis que c’était ta petite amie ! Je n’étais même pas au courant. À moins que je ne me trompe. Elle est tout de même une fille bien, apparemment. Mais là où tu es, je ne pense pas qu’une fille en Haïti puisse avoir des yeux pour toi. Ce serait peine perdue. En revanche, rappelle-toi que tu ne dois pas avoir de secret pour ta mère. J’étais jeune, et je sais que la route est semée d’embûches ; je connais des choses que tu ignores.

 

Étant donné que tu m’expliques comment les choses se passent pour toi chez ta sœur, je tenais à t’encourager à continuer à être sage. Elle est plus grande que toi, et elle avait été en Guyane avant toi. Donc elle sait certainement des choses que tu ne sais pas. Évitez l’échauffourée s’il vous plaît ! Je sais qu’il y aura des moments où la tension voudra prendre le dessus, mais je vous en supplie, je refuse que vous ayez une quelconque altercation entre vous.

 

Quant à la façon dont tu me parles de la police, j’imagine que cela doit être très pénible de vivre avec cette frayeur quotidienne. Néanmoins, je te conseille de t’abstenir de toute baguenauderie. Si tu n’as rien à faire dans la rue, reste chez toi. Je suis sûre que tu y trouveras une chose à faire. Je ne manquerai pas d’en parler à Faustin. Dis à Sofia que je me réjouis pour elle qu’elle ait trouvé du travail. Par contre, dis-lui aussi de ne pas s’en faire pour moi. Même lorsque les choses sont difficiles ici, en Haïti, je m’en sors très bien avec le business. De surcroît, soyez patients, il faut parfois emprunter la voie malaisée pour atteindre l’objectif. Je veux vous voir réussir mes enfants, mais je veux vous voir vivre aussi.

 

J’espère avoir répondu à toutes tes lettres en ces quelques lignes. Je passerai le bonjour aux voisins pour toi comme convenu. Ils ne cessent de me demander des nouvelles. En plus, n’oublie pas que maman est fière de toi. Tout le monde me parle bien à ton sujet. Si ton père était encore en vie, il serait sûrement fier, lui aussi, de celui que tu deviens. Tiens-moi au courant de comment tu évolues là-bas. Je veux que tu brilles, mon gros bébé. Bon allez, si la poste ne garde pas la lettre pour elle pendant des semaines, j’espère que tu pourras la lire le plus vite possible.

 

D’Haïti, le 20 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 7François Noé, à son ami Marzy Dadou

 

 

 

À Aquin, en Haïti

 

Je suis dans un grand égaiement de constater que je valais quelque chose dans la vie des gens du quartier. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je ne pense à vous. Quand j’ai des nouvelles des gens de chez moi, j’estime que c’est normal ; la famille se doit de communiquer pour savoir comment vont les choses. Mais je me réjouis davantage quand c’est un ami qui m’écrit. Je trouve que c’est très complaisant de tenir l’amitié, me tenir informé de ce qui se passe dans ta vie en dépit des coercitions qui peuvent s’avérer incommodes, je l’avoue. Crois-moi, mon ami, à moi aussi, tu me manques.

 

Par rapport à ce que tu me demandais dans ta lettre concernant la Guyane, je crois qu’il me faudrait une certaine capacité de néologisme pour retracer les différents facteurs qui font de la Guyane un département abracadabrant. Franchement, l’idée exotique que je m’étais faite des pays étrangers quand j’étais en Haïti est annihilée en venant ici. Je ne veux pas dire qu’il n’y a rien de surprenant en Guyane, mais la nouveauté est particulièrement rare. C’est mon point de vue, en tout cas. Quand je n’étais que novice, on m’avait dit qu’il y avait deux saisons ici : six mois de pluies, et six mois de soleil. Et crois-moi mon ami, quand il se met à pleuvoir ici, la pluie ne cesse pas de tomber en un quart d’heure. Pareil pour le soleil, il vaut mieux pour quelqu’un de bien se couvrir le corps pour ne pas cramer. Je ne saurais t’en dire davantage sur cet endroit, car moi aussi, je suis en phase de découverte, donc je t’apprendrai ce que j’aurai appris. Au niveau de l’agriculture, je n’ai aucune idée de comment ça fonctionne ici, parce que tout ce dont nous avons besoin, nous l’achetons dans des magasins.

 

En fait, hier, je discutais avec une Dominicaine qui habite dans un appartement en face de celui de ma sœur. Elle me plaît sans doute. Elle est brune, avec des yeux marron. En plus, elle est de petite taille. Une très belle femme. Elle m’a dit qu’elle était en deuxième année de droit à l’université. Apparemment, elle est née ici. Elle parle espagnol simplement parce que ses parents lui parlent dans cette langue depuis l’enfance. C’est ce qu’elle m’a dit, en tout cas. Je voulais te dire ça au cas où j’oublierais de le faire s’il se passe quelque chose entre elle et moi.

 

En ce qui concerne ce que Wilbert a demandé à ton père, d’une part, je trouve que c’est une bonne chose, et d’autre part, je crois qu’il faut réfléchir avant d’agir. Parce que la vie à l’étranger, ce n’est pas une vie facile. Quand tu vas partir, on va te véhiculer une image glamoureuse du pays, mais quand tu seras vraiment là-bas, tu feras face à la réalité qui est parfois très contradictoire à l’idée que tu t’en étais faite. Moi à ta place, je continuerai mes activités, et je tenterais de gagner ma vie du mieux que je peux. Tu m’as dit que tu as une affaire, et qu’elle marche plutôt bien. Ne laisse pas l’histoire de voyager te faire abandonner tes projets mon ami. Je suis bien placé pour te dire une telle chose, crois-moi.

 

J’ai failli oublier de te remercier de rendre visite à ma mère chaque semaine. C’est la preuve que j’avais bien choisi mes amis. Ma petite sœur est tellement concentrée sur ses études ces temps-ci, je ne pense même pas qu’elle a le temps de penser à toi. En tout cas, je ne manquerai pas de lui dire le bonjour de ta part et de faire passer le message. À très bientôt mon ami.

 

De Guyane, 20 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 8Mathurin Moïse, à sa fille Mathurin Barbara

 

 

 

Aux Anglais, en Haïti

 

Alors que je venais de rentrer du chantier où je travaille avec Massenet, j’ai trouvé une enveloppe sur laquelle était écrit mon nom dans la boîte aux lettres. J’ai tout de suite reconnu cette écriture à la fois élégante et infantile, néanmoins pleine du charme de mon enfant. Je ne savais pas que tu allais m’envoyer une lettre aussi vite. Je me faisais déjà à l’idée de passer des mois sans avoir des nouvelles de toi, ma chérie. Toutefois, je suis content d’apprendre que tu es bien arrivée.

 

J’étais stupéfait devant la longueur de la lettre. Mais je voulais tellement savoir ce que tu me racontais, j’ai pris le temps de tout lire sans m’interrompre. C’est avec beaucoup de frissons que j’ai déposé la feuille sur la table après la lecture. J’étais tellement ébahi d’apprendre que le voyage était aussi pénible. J’avais conscience que ce ne serait pas facile, mais j’ignorais que tu avais eu à surmonter toutes ces difficultés. J’ai pris mon stylo pour t’écrire tout de suite après la lecture parce que je ne veux pas oublier ce que je veux te dire maintenant. Je suis rempli d’émotions ; étant à la fois content de ton arrivée et triste en même temps, je ne sais pas ce que je dois te dire pour te donner la force de continuer à te battre, ma fille. De toutes les façons, tu sais à quel point papa t’aime, et qu’il veut que tu réussisses. Ces difficultés sont une projection de la vie qui t’attend quand tu seras plus grande. Non pas que je souhaite que tu souffres, mais ainsi va la vie ; nous ne pouvons pas échapper à ses aléas. Je te souhaite bon courage, et sois forte ma chérie.

 

En ce moment, ta mère est à l’église. Je lui parlerai de ta lettre plus tard. Et je sais qu’elle va certainement la lire plusieurs fois. Je me permets d’écrire ces mots à sa place, cependant, je reste convaincu de ce qu’elle dirait : « Ne fais pas de bêtise. Sois respectueuse avec ta tante, et surtout sois obéissante. J’ai entendu dire que les jeunes en Guyane sont spécialement discourtois. Ne fréquente pas n’importe qui pour ne pas être influencée par leurs mœurs. Tu sais ce qu’on dit ? “Saw frekante se li w ye1”… » Ce serait indubitablement ce que ta mère dirait si elle écrivait. Personnellement, je te conseille d’écouter tout ce qu’elle te dit. Je sais qu’elle a été dure avec toi parfois, mais c’est pour ton bien. Tu es une jeune fille qui a tout ton avenir devant toi. Nina m’avait explicitement dit qu’elle te ferait faire des études. Alors, va à l’école, et prends tes études au sérieux. Tu nous manques déjà à la maison, tu ne sais pas à quel point. Hier, au crépuscule, ta mère avait fini de faire à manger, je l’ai vue retirer un plat pour toi. Ce fut juste après que je lui aie rappelé qu’elle va devoir s’accommoder à ton absence dans la maison.

 

Je crois que je vais devoir m’habituer à cette façon de communiquer avec toi, bien que ta voix me manque énormément. C’est un moment jubilatoire d’imaginer la tête que tu vas faire en lisant cette lettre. Je te souhaite beaucoup de bonheur là-bas. N’oublie jamais d’où tu viens. Même si tu n’es pas revenue dans une décennie, sache que tu as une maison qui t’attend, une famille qui t’aime et qui espère te voir briller. Je vais devoir m’arrêter ici. Je voudrais que nous continuions à nous envoyer des lettres, garder une communication constante ; ce sera une façon de rester soudés, malgré la distance qui nous sépare. Si tu ne vas pas bien, tu dois nous en parler. Car ce n’est pas le nombre de kilomètres qui va enlever notre rôle de parent. Bon allez, j’ignore quand la lettre arrivera, mais j’espère que ce sera très vite. Toutes mes salutations à toute la maison de Nina ; ses enfants et son mari, bien que je ne les connaisse pas. Et surtout, passe le bonjour à Mme Floribon de ma part. Elle est partie depuis avant ta naissance, c’est une femme en or. Elle est la seule que je connaisse qui n’a pas eu peur de déambuler de Guyane à Haïti pendant des années. À très vite, ma fille.

 

D’Haïti, le 20 mai 2011

 

 

 

 

 

Lettre 9Joseph Michel, à sa femme Bart Yslande

 

 

 

À Montsinéry, en Guyane

 

La connaissance et la raison ne peuvent être altérées que par l’ignorance et l’impéritie de celui qui est concerné. En ces temps-ci, quasiment plus rien ne me surprend. Je finis de lire ta lettre, et je n’ai été ni surpris, ni choqué de ce que tu racontes de ce pays. Presque tous les gouvernements ont des politiques inintelligibles quant aux immigrants qui sont sur leur territoire. Ils sont à la fois injustes et ignobles avec les étrangers, surtout quand c’est un Haïtien. Lorsque j’ai reçu ta lettre, je l’ai lue et je suis parti tout de suite effectuer quelques recherches au sujet que tu as évoqué. J’ai pris le temps de lire un article entier. J’ai découvert que la vie que vivent les Haïtiens en Guyane est si méprisante, on dirait qu’ils sont les seuls à être immigrants sur le territoire, quoique j’aie aussi appris qu’ils sont plus nombreux que les autres nations. Ce qui est tout à fait compréhensible ; vu qu’il y avait une grande majorité du peuple qui est partie l’année dernière suite au séisme qui a ravagé le pays et a causé tellement de morts. Ainsi, je comprends qu’il y a beaucoup d’Haïtiens dans les pays étrangers. Or, ce n’est pas seulement en Guyane. Si je me suis bien informé sur le sujet, il y a une grande partie au Brésil, aussi ici en République dominicaine, et au Chili. Cette maltraitance à l’égard des migrants en Guyane est une chose qui je crois est liée à une histoire antédiluvienne.

 

Très honnêtement, nos discussions me manquent énormément. Il nous faudra sûrement des heures pour essayer de comprendre les règlements qui sont mis en place contre les migrants en Guyane. C’est tout de même une situation qui n’a aucune cohérence. Car selon ce que j’ai appris, c’est grâce aux immigrants que le pays fonctionne. J’ai aussi appris que les jeunes Guyanais ne veulent rien faire, qu’ils sont fainéants, qu’ils ne veulent que la vie facile et le plaisir. À la fin de l’article, il a été mentionné que ce sont les Haïtiens qui ont toujours de meilleurs résultats au lycée. Je doute qu’ils soient autant dépourvus de sagacité jusqu’à expatrier une génération qui permettrait au territoire de progresser et d’évoluer. De toutes les manières, je conclus que tout cela n’est dû qu’au fait qu’à la maison les choses ne sont pas confortables. Sinon, nous ne serions pas obligés de partir.

 

À titre informatif, je tenais à te dire que dans le travail où je suis en ce moment, il y a certaines choses qui se passent, et qui ne me plaisent guère. Étant donné qu’il s’agit d’un CDI, partir du cabinet ne va pas être facile. J’ai signalé mes mécontentements auprès du patron la semaine dernière, et lui ai dit qu’il est probable que je parte. Une nouvelle qui ne l’a pas du tout ravi. Je te tiendrai informée de la continuité de cette histoire. Étant distancié de milliers de kilomètres, je sens parfois le besoin d’être près de toi jusqu’à imaginer ta présence quand je rentre du travail. Mon colocataire n’est à la maison que lorsque je n’y suis pas, donc je parle avec très peu de monde si ce n’est au travail où je suis tenu d’avoir une conversation formelle, très souvent. Je ne sais pas combien d’années nous allons passer séparés, mais j’espère que ce ne sera pas trop long. Tu me manques beaucoup ma chérie. Vivre loin de toi est une expérience particulièrement sordide. Si les choses se passent bien, je veux qu’on reste en contact plus souvent que possible comme tu me l’as demandé. Je doute que le travail m’empêche de lire la lettre de la femme avec qui je partage ma vie, ou de t’écrire. Ce serait trop injuste d’être privé de cela.

 

Dans un an, je compte faire un voyage en Haïti. Mais apparemment, la sécurité là-bas est effrayante. Mon père m’avait dit de trouver le moyen de vendre le terrain qu’il m’avait donné dans la mesure où je ne souhaiterais pas retourner vivre là-bas. Toutefois, j’ai une nouvelle idée ; je vais construire sur le terrain et mettre la maison en location. Je te le dis dans le but d’avoir ton avis. J’attends ta réponse au plus vite que possible mon amour. Je pourrais écrire un livre si je devais te dire, d’un seul coup, tout ce que j’ai sur le cœur. Mais bon, nous en discuterons petit à petit. Allez, à très vite, ma douce.

 

De République dominicaine, le 21 mai 2011

 

 

 

 

 

 

Lettre 10François Fénelon, à son frère François Nahum

 

 

 

À Curitiba, au Brésil

 

Il n’y a pas mal de corvées à faire au boulot en ce temps-ci, et je suis très pris depuis l’arrivée du mois d’avril de cette année. Ce qui m’a empêché de te répondre depuis que tu m’as envoyé la lettre. Je suis constamment missionné, et il m’est quasiment impossible de m’accorder du temps pour vaquer à des responsabilités personnelles. Je ne fais que dormir à la maison parfois, et Julna reste avec Viviana à la maison.

 

Vivre sur une terre étrangère n’est jamais une chose aisée. J’imagine les difficultés que tu as dû traverser. Mais je reste tout de même fort, je ne me laisse pas submerger par le chagrin, car je sais que la vie est ainsi. Tes enfants se portent bien. À force de me demander pour toi sans avoir des nouvelles durant ces trois ans, ils ont fini par s’habituer à ton absence. Mais ils ne t’oublient pas. Ils ont simplement compris que tu n’étais plus là, et qu’ils devaient vivre. Personnellement, je suis ému d’avoir de tes nouvelles et d’être au courant de toutes les péripéties que tu connais sur les terres des autres. Bottine a toujours été une noble femme, je suis heureux de savoir qu’elle n’a pas changé. Gardy ne parle pas de moi seulement avec toi, mon frère. Je crois qu’elle communique avec une ancienne amie qu’elle avait depuis des lustres à propos de notre aventure ratée. Elle me dit exactement ce que tu m’as dit dans la lettre. Je ne sais pas si je vais me marier un jour, mais si cela doit être avec elle, qu’il en soit ainsi. Je ne peux pas être contre la nature des choses. Je souhaite que pour toi, les choses s’améliorent chaque jour. Il faut savoir que la réussite se construit à partir des compétences et des expériences ; une idée qui me procure une inébranlable conviction que tu vas certainement réussir, peu importe là où tu te trouves désormais. Crois-moi mon frère, bien que chez nous les choses aient tendance à aller de mal en pis, toutefois, nous essayons de trouver un sens à notre vie, et d’apporter quelques améliorations pour le pays. Il ne peut être aimé que par nous ; sinon les pilleurs viendront le détruire à leur profit.

 

Avec l’entreprise, je suis fréquemment amené à accomplir des missions hors du département. Dernièrement, je suis allé au nord du pays ; ce fut ma toute première fois. J’ai eu l’impression que L’Artibonite dont me parlaient mes oncles n’est plus ce qu’il avait été jadis. Je n’ai pu percevoir l’abondance de la verdure que l’on m’avait si bien décrite, et que je m’imaginais. Il n’y a plus ce grand district flamboyant, verdurisé de riz et de toute autre plantation qui faisait sa vénusté. La sécheresse a ravagé la beauté du département. Je me suis rendu là-bas pour maintenir la relation entre les succursales de l’entreprise ; celui de l’Artibonite voulait prendre sa liberté et se déclarer « société à part entière ». Nous avons le projet de construire des autoroutes dans chaque département où nous nous trouvons dans le pays, pour cela, nous aurons besoin que nos filiales nous soient fidèles, non seulement pour le financement du projet, mais aussi pour réaliser enfin une chose profitable à l’intérêt public, sans pour autant attendre que ce soit fait par l’État haïtien.

J’imagine que tu vas peut-être penser que c’est un projet qui est voué à l’échec, mais je reste vraiment confiant que nous ferons la différence, cette fois-ci. Le peuple se plaint trop de ne pas avoir d’autoroutes pour la circulation des marchandises. Ils ont confiance en des hommes félons, cependant nous allons leur montrer que le développement de certaines choses du pays peut aboutir par la volonté et la capacité du peuple ; surtout pour ceux qui ont la poche pleine.