De la suggestion - Hippolyte Bernheim - E-Book

De la suggestion E-Book

Hippolyte Bernheim

0,0
1,49 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

  • Texte révisé suivi de repères chronologiques. 
Je réponds au désir qui m’a été exprimé d’écrire pour le grand public un petit livre sur l’hypnotisme et la suggestion. Ces mots éveillent encore dans les esprits, même médicaux, l’idée d’une chose extraordinaire, mystérieuse, due à des forces fluidiques inconnues. Occultisme, magnétisme, hypnotisme, ces mots impressionnent encore vivement les imaginations. Beaucoup de médecins mêmes n’osent pas s’aventurer dans ce domaine qu’ils considèrent encore un peu comme extra-scientifique.
C’est pour combattre cette conception erronée, pour dégager la question de son apparence mystique et thaumaturgique, ce qui a été mon objectif constant, que je condense dans ces pages, au risque de me répéter, les faits que j’ai observés et les idées que trente ans d’expérience m’ont permis de mûrir sur cette question.
Avant-Propos.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



De la suggestion

Hippolyte Bernheim

philaubooks

Copyright © 2019 Philaubooks, pour ce livre numérique, à l’exclusion du contenu appartenant au domaine public ou placé sous licence libre.

ISBN : 979-10-372-0070-9

Table des matières

Avant-propos

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Repères chronologiques

couverture

Avant-propos

Je réponds au désir qui m’a été exprimé d’écrire pour le grand public un petit livre sur l’hypnotisme et la suggestion. Ces mots éveillent encore dans les esprits, même médicaux, l’idée d’une chose extraordinaire, mystérieuse, due à des forces fluidiques inconnues. Occultisme, magnétisme, hypnotisme, ces mots impressionnent encore vivement les imaginations. Beaucoup de médecins mêmes n’osent pas s’aventurer dans ce domaine qu’ils considèrent encore un peu comme extra-scientifique.

C’est pour combattre cette conception erronée, pour dégager la question de son apparence mystique et thaumaturgique, ce qui a été mon objectif constant, que je condense dans ces pages, au risque de me répéter, les faits que j’ai observés et les idées que trente ans d’expérience m’ont permis de mûrir sur cette question

1

Considérations historiques. — Magnétisme minéral et animal. — Mesmer Puységur et somnambulisme. — Braid et hypnotisme Liébeault et le sommeil provoqué. — Suggestion à l’état de veille.

1.— MAGNÉTISME

Quelques mots d’historique sont nécessaires pour la compréhension du sujet. L’hypnotisme est né du magnétisme comme la chimie est née de l’alchimie. La suggestion est née de l’hypnotisme.

Qu’est-ce que le magnétisme ou mesmérisme ?

On sait que c’est vers la fin du XVIIIe siècle que le médecin autrichien Mesmer vint à Paris prêcher sa doctrine et exercer sa thérapeutique nouvelle. Cependant sa doctrine n’était pas nouvelle ; elle est contenue tout entière dans la philosophie et la théosophie du XVIe et du XVIIème siècle ; elle est inspirée par les travaux de Paracelse, de Van-Helmont, de Robert Fludd, de Maxwell, du père Kircher et autres.

Jusqu’en 1776, Mesmer se contentait de faire des expériences avec l’aimant artificiel, comme moyen curatif dans les maladies nerveuses. Longtemps avant lui, l’analogie supposée entre le magnétisme minéral et le magnétisme animal avait engagé les médecins à rechercher dans l’aimant naturel et artificiel des propriétés thérapeutiques. Déjà Paracelse avait traité par les aimants beaucoup de maladies, les hémorragies les hystéries, les convulsions. Du temps du père Kircher, au XVIIème siècle, on faisait divers appareils aimantés, anneaux, bracelets, colliers, qui portés sur diverses régions du corps calmaient les douleurs et certaines manifestations nerveuses. Au siècle avant-dernier, le père Hell astronome à Paris, fabriquait des aimants artificiels, qui furent appliqués sous forme d’armatures au traitement des spasmes, des convulsions, des paralysies. L’abbé Lenoble, en 1771, établit à Paris un dépôt d’aimants plus puissants encore et plus efficaces. La Société royale de médecine nomma une commission chargée de vérifier l’exactitude de ses assertions. Le rapport d’Andry et Thouret conclut à l’action réelle et efficace de ces aimants contre les troubles divers du système nerveux.

Mesmer fit quelques expériences avec le père Hell ; mais il quitta bientôt les sentiers battus du magnétisme minéral et porta ses aspirations théoriques et pratiques vers le magnétisme céleste. C’est un fluide universel, moyen d’une influence mutuelle, entre les corps célestes, la terre et les corps animés, susceptible de flux et de reflux. La nature offre dans le magnétisme un moyen infaillible de guérir et de préserver les hommes. Ces élucubrations n’étaient pas nouvelles. Mais avant Mesmer, les magnétiseurs ne savaient diriger l’esprit vital ou le fluide universel mystérieux qu’en préparant des amulettes, des talismans, des sachets, des boîtes magiques. C’était la médecine magnétique du sympathéisme. Mesmer inventa des pratiques bizarres, fascination avec une baguette conique, attouchements, manipulations diverses et surtout les baquets magnétiques. Ces baquets contenaient, rangées d’une façon particulière, des bouteilles remplies d’eau et recouvertes d’eau, reposant sur un mélange de verre pilé et de limaille de fer. Un couvercle percé de trous laissait sortir des tiges de fer plongeant dans le liquide, et dont l’autre extrémité, coudée, mobile, s’appliquait au corps des malades assis en plusieurs rangs autour de la cuve et reliés entre eux par une corde partant de la cuve.

Le courant animal du magnétiseur dirigé par ses manipulations se rencontrant avec celui de la cuve détermine, au bout d’un temps variable, chez les sujets des troubles nerveux divers, sommeil, pandiculations, bâillements, spasmes, pleurs, anesthésie, catalepsie, hallucinations, cris, crises d’hystérie, etc., toutes manifestations que les émotions vives, sans baquets, peuvent produire chez les sujets très impressionnables. Des guérisons pouvaient se produire dans cet état chez les malades venus dans ce but et suggestionnés par cet appareil impressionnant. Mesmer recherchait surtout les crises convulsives comme nécessaires au but thérapeutique ; il fabriquait l’hystérie plutôt que le sommeil magnétique. Un des élèves de Mesmer, le marquis de Puységur en 1789, dégagea parmi les phénomènes dits magnétiques le sommeil ou somnambulisme. Ce n’est plus une crise convulsive qu’il obtient par des passes magnétiques ou le contact d’un arbre magnétisé par ses passes ; c’est un sommeil tranquille, avec exaltation, croyait-il, des facultés intellectuelles, et obéissance passive, sommeil lucide et curateur. Ce n’est plus un fluide universel qui agit ; c’est un fluide nerveux ou autre émanant du corps du magnétiseur et que sa volonté peut projeter au-dehors de lui sur d’autres. C’est la volonté qui magnétise. « Croyez et veuillez », telle était sa formule. Ce n’était plus la théorie nébuleuse et astrale de Mesmer, ce n’était plus non plus son grand appareil. Puységur magnétisait par de simples mouvements exercés à la main, par l’attouchement, par des baguettes de verre, par l’influence d’un arbre magnétisé, dans sa terre de Busancy, autour duquel les malades venaient de plusieurs lieues s’asseoir et dormir pour recouvrer la santé.

Les successeurs de Mesmer et de Puységur continuèrent à magnétiser par de simples passes empiriques que chacun modifiait à sa guise.

Cependant le charlatanisme éhonté de Mesmer jeta un discrédit sur sa méthode ; les manipulations même réduites à de simples passes grossières n’avaient aucun caractère scientifique ; aussi les corps savants condamnèrent, après examen, les doctrines nouvelles. Le magnétisme dédaigné par la science, conserva toujours des adeptes en dehors du monde officiel. La question revint plus tard à l’Académie de médecine, et le rapport lu par Husson en 1831 conclut à la réalité et à l’utilité du magnétisme ; il reconnaît que de simples passes, ou même le simple regard ou la volonté du magnétiseur, produisent le sommeil ou somnambulisme ; si le sommeil est profond, il y a anesthésie et amnésie au réveil.

« Quelques-uns des malades magnétisés n’ont ressenti aucun bien. D’autres ont éprouvé un soulagement plus ou moins marqué ; l’un, la suspension des douleurs habituelles, l’autre le retour des forces, le troisième un retard de plusieurs mois dans l’apparition des accès épileptiformes, et un quatrième la guérison complète d’une paralysie grave et ancienne. » L’Académie n’osa imprimer ce rapport dont elle laissa la responsabilité à son auteur qu’on appelait volontiers le crédule Husson.

2.— BRAID ET HYPNOTISME

Le magnétisme était oublié par le monde scientifique et, perdu dans l’occultisme, n’existait pas comme doctrine, lorsqu’un médecin de Manchester, James Braid, découvrit en a 1841 ce fait, que lorsqu’on fait fixer à un sujet un objet brillant à peu de distance au-dessus du front, l’esprit uniquement attaché à l’idée de cet objet, il tombe dans un état de sommeil spécial. Dans ce sommeil, dit hypnotique ou braidique, on peut observer l’anesthésie, l’hallucinabilité, la suggestibilité, comme nous le décrirons plus loin.

Braid définit l’hypnotisme un sommeil nerveux ; c’est-à-dire un état particulier du système nerveux déterminé par des manœuvres artificielles, état particulier amené par la concentration de l’œil mental et visuel sur un objet. La provocation de l’hypnose serait donc due, d’une part, à une cause physique : fixité des yeux prolongée sur un objet, d’où paralysie par épuisement des muscles releveurs des paupières et destruction de l’équilibre du système nerveux ; d’autre part, à une cause psychique : fixité d’attention dans laquelle l’esprit est absorbé par une pensée unique.

« Alors, dit Braid, le patient tombe dans l’indifférence ; il est fermé, pour ainsi dire, à toute pensée, à toute influence étrangère à l’image que lui retrace son esprit. Dans cet état, son imagination devient si vive que toute idée agréable développée spontanément, ou suggérée par une personne à laquelle il accorde d’une façon toute particulière attention et confiance, prend chez lui toute la force de l’actualité, de la réalité. »

L’expérience amène Braid à attribuer à l’élément psychique une prédominance sur l’élément physique : « Les sujets exercés deviennent susceptibles d’être affectés entièrement par l’imagination. Chez des individus très sensibles, la simple supposition qu’il se fasse quelque chose capable de les endormir suffit pour produire le sommeil. » C’est, on le voit, déjà la doctrine de la suggestion, telle que nous la retrouvons plus franchement formulée par Liébeault.

Braid constate d’ailleurs que l’hypnose obtenue par son procédé n’est pas un état identique chez tous les sujets ; ce n’est pas toujours un sommeil profond : « C’est plutôt une série d’états différents, susceptibles de varier indéfiniment, depuis la rêverie la plus légère avec excitation ou dépression des fonctions jusqu’au coma profond avec absence complète de connaissance et de volonté. » Nous verrons plus loin qu’en réalité ce coma profond avec inconscience n’existe pas.

Déjà Husson, dans son rapport, avait constaté que le sommeil magnétique n’est pas toujours un sommeil complet. « C’est un engourdissement plus ou moins profond, de l’assoupissement, de la somnolence, et dans un petit nombre de cas, ce que les auteurs appellent somnambulisme. » Braid ajoute judicieusement : « A parler rigoureusement le mot hypnotisme devrait être réservé aux sujets seuls qui tombent en effet dans le sommeil et qui oublient au réveil tout ce qui s’est passé dans cet état. Quand celui-ci fait défaut, il n’est question que d’assoupissement ou de rêverie. Il serait donc à propos d’établir une terminologie répondant à ces modifications. En effet, parmi les sujets susceptibles de guérison par l’hypnotisme, à peine un sur dix arrive-t-il jusqu’à la phase du sommeil inconscient. Le mot hypnotisme peut alors les induire en erreur et leur faire croire qu’ils ne tirent aucun profit d’un procédé dont les effets caractéristiques et évidents ne paraissent pas être ceux qu’indique leur qualification. »

Malgré ces considérations, l’auteur propose de donner le nom d’hypnotisme à la production du sommeil artificiel, quand il y a perte de la mémoire, de façon qu’au réveil le patient n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé pendant le sommeil.

Nous verrons que cette amnésie n’est jamais absolue et présente aussi des degrés variables. Quoi qu’il en soit, il résulte de cette conception de Braid, que, suivant lui, l’état qu’il appelle hypnotique n’est pas nécessaire à l’obtention des effets thérapeutiques. Braid applique en effet sa méthode à la thérapeutique, comme Mesmer et ses successeurs y avaient appliqué le magnétisme. Mais il procède encore par manipulations et non par suggestion. Les effets salutaires seraient dus, d’une part, aux modifications de circulation qu’on détermine en réalisant la rigidité cataleptiforme du membre dont on veut activer cette circulation, et la flaccidité des autres ; d’autre part, en augmentant l’activité d’un organe particulier qu’on actionne pour y concentrer l’énergie nerveuse, les autres restant endormis. Braid ne connaissait pas la suggestion thérapeutique.

L’analogie du braidisme avec l’ancien magnétisme ne fut pas soupçonnée.

Les expériences et la doctrine de Braid ne firent pas grand bruit en Angleterre ; en France, elles furent à peine connues. C’est seulement en 1859 qu’une communication du professeur Azam, de Bordeaux, à la Société de chirurgie de Paris, appela l’attention sur l’hypnotisme et lui donna un grand retentissement. On fit, à l’exemple d’Azam, quelques expériences dans les hôpitaux d’hypnotisation par fixation d’un point brillant pour obtenir le sommeil anesthésique. Les chirurgiens cherchèrent surtout dans ce procédé un moyen d’anesthésie chirurgicale pour remplacer le chloroforme. Il y eut des tentatives heureuses ; d’autres échouèrent ; et on dut reconnaître que, si l’analgésie absolue et durable s’obtient parfois, elle est exceptionnelle, surtout chez les sujets impressionnés par l’attente d’une opération.

Le braidisme ne fut qu’un objet de curiosité éphémère ; on n’y vit que l’analgésie, sans soupçonner les autres phénomènes, cependant relatés par Braid ; on ne pensa pas à ses applications thérapeutiques. Le braidisme, paraissant dénué d’intérêt pratique, retomba dans un profond oubli.

3.— LIÉBEAULT ET SOMMEIL PROVOQUÉ

En 1866, le docteur Liébeault, de Nancy, qui depuis nombre d’années poursuivait ses recherches sur l’ancien magnétisme et l’hypnotisme, publia un livre : Du sommeil et des états analogues considérés surtout au point de vue de l’action du moral sur le physique. Le livre resta aussi inconnu que l’auteur jusqu’en 1883, époque à laquelle je fis connaître au monde médical Liébeault, sa doctrine et sa pratique.

À la conception psychophysique de l’hypnotisme, Liébeault substitue celle du sommeil provoqué par suggestion.

Pour produire ce sommeil, les manipulations dites magnétiques de Mesmer et de ses successeurs ne sont pas nécessaires, la fixation d’un point brillant au-dessus des yeux, comme le faisait Braid, n’est pas nécessaire la suggestion est tout. Liébeault, tout en se faisant encore regarder dans les yeux par le sujet, pour fixer son attention, l’invite à dormir, en annonçant les principaux symptômes qui préludent au sommeil, la pesanteur des paupières, la sensation de somnolence, l’obtusion des sens, l’isolement du monde extérieur. Ces symptômes, il les répète plusieurs fois d’une voix douce, quelquefois un peu impérative. Par cette suggestion répétée, l’idée de dormir s’insinue peu à peu dans l’esprit et finit, quelquefois, en peu de secondes, d’autres fois, en peu de minutes, par se réaliser. L’image psychique du sommeil évoque l’acte sommeil.

« La suggestion, dit Liébeault, est la clef du braidisme. » Il n’y a pas de fluide magnétique ; il n’y a pas d’action physique hypnotisante, il n’y a qu’une action psychique : l’idée. C’est la théorie psychique pure substituée à la théorie fluidique de Mesmer, et à la théorie psychophysiologie de Braid.

Les phénomènes constatés par les observateurs dans ces états, anesthésie, catalepsie, suggestibilité, hallucinabilité, etc., tels que nous les étudierons, successivement rapportés à une influence magnétique, à une influence hypnotique, sont, pour Liébeault, fonction du sommeil provoqué.

Ce sommeil d’ailleurs, suivant Liébeault, est identique au sommeil naturel. Il n’en diffère que par ce fait que le sujet endormi par l’opérateur reste en rapport avec lui et peut être influencé par lui. Mais cette différence en réalité n’en est pas une ; car on peut souvent par la parole se mettre en rapport avec un sujet endormi spontanément, en lui parlant doucement sans le réveiller, et alors on peut déterminer chez lui les mêmes phénomènes que ceux du sommeil provoqué. Ces phénomènes sont dus d la suggestibilité normale, exaltée dans la concentration psychique du sommeil.

Liébeault a eu surtout le mérite d’avoir érigé en système et méthode la psychothérapie suggestive pendant le sommeil provoqué.

Nous avons vu que Mesmer et ses successeurs avaient constaté la vertu thérapeutique du magnétisme animal, attribuée â l’influence fluidique. Braid faisait de l’hypnotisme thérapeutique, mais il procédait par des manipulations destinées à produire des modifications de la circulation ou de l’activité des organes, qu’il jugeait utiles dans certaines maladies. Il faisait, sans doute, de la suggestion sans le savoir. Liébeault le premier a recours à la suggestion verbale dans le sommeil provoqué. Il endort par la parole, il guérit par la parole. Il met dans le cerveau l’image psychique du sommeil, il cherche à y mettre l’image psychique de la guérison. Si la suggestion peut, comme nous le verrons, réaliser de la douleur, de l’anesthésie, de la contracture, de la paralysie, si elle crée des troubles fonctionnels, il est rationnel de penser qu’elle peut aussi dissiper des troubles existants. Si elle fait de l’analgésie, neutralisant une douleur réelle provoquée expérimentalement, il est probable aussi qu’elle peut neutraliser une douleur provoquée par une maladie. Cette idée si simple et qui devait, semble-t-il, s’imposer à l’esprit des expérimentateurs, Liébeault l’a le premier systématiquement appliquée à la thérapeutique, exagérant cependant avec sa foi, il faut le dire, la portée pratique de sa doctrine.

Tandis que le modeste médecin de province poursuivait son œuvre à l’insu de tous, même de ses confrères de Nancy, le magnétisme, l’hypnotisme, le somnambulisme provoqué n’avaient pas de place dans la science classique.

Le professeur Charles Richet eut le mérite de reprendre les expériences en 1873 et publia en 1875 dans le Journal de Robin un article sur le somnambulisme provoqué qui fit sensation dans le monde scientifique. Il procédait par des passes, des excitations faibles de toute nature, et par la fixation d’un point brillant. Il constata la réalité des phénomènes dits hypnotiques : anesthésie, catalepsie, hallucinabilité, docilité automatique, état de somnambulisme, etc. C’était pour lui une névrose spéciale avec peu ou point d’applications à la thérapeutique.

Puis vinrent Charcot et l’école de la Salpêtrière qui commencent leurs expériences en 1878. L’hypnotisme, tel qu’il est conçu par elle, apparaît comme une névrose expérimentale, susceptible d’être provoquée seulement chez les hystériques ; elle est assimilable à une crise d’hystérie et la possibilité de la déterminer sur un sujet implique cette diathèse. Cette névrose provoquée étudiée par la Salpêtrière n’est d’ailleurs pour elle qu’un appareil de phénomènes curieux, sans application pratique. Nous verrons plus loin que cette névrose, telle qu’elle est décrite par Charcot, et systématisée par lui, n’est qu’une hypnose de culture, créée artificiellement par l’éducation suggestive des sujets.

Je fis connaître la doctrine de Liébeault en 1889, avec mes recherches personnelles dans un mémoire « De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille » (Revue médicale de l’Est, 1883, et brochure O. Doin, 1884). En 1886, je publiai : un volume : De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique ; et en 1890 un volume : Hypnotisme, Suggestion, Psychothérapie, dont la 3ème édition a paru en 1910.

4. — SUGGESTIBILITÉ NORMALE À L’ÉTAT DE VEILLE

La doctrine de Liébeault a subi, par mon influence, une évolution nouvelle. A la théorie de la suggestibilité par le sommeil provoqué, j’ai cherché à substituer celle de la suggestibilité normale à l’état de veille. A la psychothérapie hypnotique, j’ai ajouté et substitué peu à peu la thérapeutique suggestive à l’état de veille qui est devenue la psychothérapie moderne.

Liébeault avait déjà établi, nous l’avons dit, que le sommeil provoqué par suggestion ne diffère pas en réalité du sommeil naturel ; que les mêmes phénomènes dits hypnotiques peuvent être provoqués dans celui-ci. Cela veut dire en réalité : il n’y a pas d’hypnotisme, il n’y a que de la suggestion ; c’est-à-dire, il n’y a pas un état spécial, artificiel, anormal ou hystérique qu’on peut qualifier d’hypnose ; il n’y a que des phénomènes de suggestion exaltée qu’on peut produire dans le sommeil, naturel ou provoqué.

Cependant, je fus frappé de ce fait déjà constaté par Braid, Liébeault et d’autres, que le sommeil n’est pas nécessaire à la manifestation des phénomènes dits hypnotiques, anesthésie, contracture, hallucinabilité, obéissance passive, etc., que ces phénomènes peuvent être réalisés par suggestion à l’état de veille, sans sommeil. Celui-ci lui-même est un phénomène de suggestion qui peut aboutir ou ne pas aboutir, comme les autres actes suggérés, mais il n’est pas nécessaire préalablement pour obtenir les autres phénomènes. Le cerveau normal, sans être mis en sommeil ou état passif, comme dit Liébeault, peut, par suggestion, réaliser tous ces actes. J’ai constaté invariablement que lorsqu’un sujet très suggestible peut être anesthésié, halluciné, déterminé à divers actes, dans le sommeil provoqué, il est justiciable des mêmes suggestions, à l’état de veille, sans avoir jamais été endormi préalablement.

J’ai donc pu affirmer catégoriquement : Les phénomènes de suggestion ne sont pas fonction d’un état magnétique (Mesmer), ni d’un état hypnotique (Braid), ni d’un sommeil provoqué (Liébeault), ils sont fonction d’une propriété physiologique du cerveau qui peut être actionnée à l’état de veille, la suggestibilité.

2

De la suggestibilité. — Définition. — Idéodynamisme. — Transformation de l’idée en mouvement, sensation émotion, acte organique. — Neutralisation par l’idée. — Causes qui empêchent la suggestion de se réaliser. — États qui favorisent cette réalisation. — Crédivité et contrôle.

1. — DÉFINITION DE LA SUGGESTION

La suggestibilité, c’est l’aptitude du cerveau â recevoir ou évoquer des idées et sa tendance â les réaliser, à les transformer en actes.

Un cerveau comateux n’est pas suggestible parce qu’il n’a pas d’idées. Un cerveau d’idiot est peu suggestible parce qu’il a peu d’idées. Toute idée, qu’elle soit communiquée par la parole, par la lecture, par une impression sensorielle, sensitive, viscérale, émotive, qu’elle soit évoquée par le cerveau, est en réalité une suggestion. La parole est une suggestion par voie auditive, la lecture est une suggestion par voie visuelle, une odeur désagréable qui fait fuir est une suggestion par voie olfactive, un goût répugnant qui fait rejeter un aliment est une suggestion par voie gustative, une émotion agréable qui réjouit l’âme est une suggestion par voie émotive, une caresse significative est une suggestion tactile, une sensation de faim qui donne l’idée de manger, voilà une suggestion d’origine viscérale. Toute impression transférée au centre psychique devient une idée, devient suggestive.

Tout phénomène de conscience est une suggestion. L’autosuggestion n’est pas, comme on le croit, une suggestion qu’on se donne volontairement à soi-même, mais une suggestion née spontanément chez quelqu’un, en dehors de toute influence étrangère appréciable. Telles sont les suggestions que déterminent les sensations internes, une douleur précordiale qui donne l’idée d’un anévrisme, une céphalée qui donne l’idée d’une méningite, une faiblesse de jambes qui donne l’idée de myélite ; la plupart des conceptions hypocondriaques sont de l’autosuggestion greffée sur des sensations réelles.

Chaque cerveau d’ailleurs interprète l’impression à sa façon. Car la suggestion n’est pas un simple fait passif une simple image psychique déposée dans le cerveau. La vue d’un bel objet provoque chez les uns de l’indifférence, chez les autres de l’admiration, chez le troisième le désir de l’acheter, chez tel l’idée de le voler, chez tel l’idée de se l’approprier par des voies détournées, de façon à ne pas se compromettre. En toute circonstance, le cerveau psychique intervient activement, chacun suivant son individualité, pour transformer l’impression en idée, et pour élaborer celle-ci : chaque idée suggère d’autres idées, et ces idées se transforment elles-mêmes en sensations, émotions, images diverses : cette association d’idées, de sensations, d’images aboutit à une synthèse suggestive que chaque individualité réalise à sa façon.

2. — IDÉODYNAMISME

Mais revenons au processus élémentaire. L’impression est devenue idée. La suggestion est faite. C’est le premier acte de la suggestibilité. Alors survient le second : la suggestion doit se réaliser. Toute idée suggérée tend à faire acte. Autrement dit, en langage physiologique, toute cellule nerveuse cérébrale actionnée par une idée actionne les fibres nerveuses qui en émanent, et transmettent l’impression aux organes qui doivent la réaliser. C’est ce que j’ai appelé la loi de l’idéodynamisme. Quelques exemples feront comprendre cette assertion qui n’est que l’énoncé en langage psychologique d’un fait d’observation banale.

L’idée devient mouvement. Je dis à quelqu’un : « Levez-vous. » Le plus souvent, actionné par l’idée, il se lève sans réflexion. Si je répète cette suggestion plusieurs fois, il se défendra contre elle et fera inhibition à sa tendance à se lever. Ma suggestion n’aboutit plus, elle en détermine une autre, en sens contraire.

Une musique dansante fait vibrer notre corps à l’unisson ; et si on se laissait aller, si le contrôle n’intervenait pas pour faire inhibition à un acte instinctif que les conventions mondaines nous ont appris à considérer comme peu convenable, on danserait souvent automatiquement, entraîné par la sensation auditive suggestive. Si on enregistrait par un tracé les mouvements de notre corps pendant l’audition d’une valse entraînante, on trouverait l’ébauche chorégraphique de la danse, à notre insu esquissée, bien qu’inhibée par la volonté. Tels les enfants qui marchent au tambour et au son de la musique, dociles, sans préjugés inhibitoires à l’influence irrésistible de l’acte suggéré. C’est l’image acoustique psychique devenue acte moteur.

« Si je ne me retenais pas, je te battrais », cette phrase exprime bien l’effort contre-suggestif que nous sommes obligés de faire pour empêcher l’action idéodynamique.

L’idée devient sensation. — L’idée du sel évoque l’image gustative du sel, l’idée du vinaigre actionne la muqueuse pituitaire, l’idée d’une cloche réveille l’image auditive de la sonnerie. L’idée qu’on a des puces produit des démangeaisons.

Certains ne peuvent songer au grattage des doigts contre un mur sans éprouver la même sensation tactile et cardiaque que donnerait l’acte lui-même.

Entendez prononcer le nom d’un personnage connu : Napoléon. L’image de Napoléon tend à se dessiner sous vos yeux ; c’est une suggestion visuelle. Je dis à quelqu’un : « Voici un chien ! » L’image d’un chien se présente à l’esprit, plus ou moins nette, ébauchée chez la plupart, chez quelques-uns vivante. Sans doute, le plus souvent, ces images sensorielles que l’idée tend à réveiller et à extérioriser sont vagues et n’aboutissent pas. Chez quelques-uns, ou dans certains états d’âme, comme dans le sommeil, les images évoquées par le cerveau aboutissent et en imposent, comme si elles étaient des réalités.

L’idée devient émotion. — Suivez la physionomie d’un lecteur qui lit un drame passionnant accidenté et vous verrez sa physionomie refléter successivement tous les mouvements d’âme, gaieté, tristesse, frayeur, dégoût, rire que la lecture évoque.

Le rire est contagieux ; la tristesse se gagne. Au théâtre, le peuple enfant pleure au spectacle des misères imaginaires, et nous faisons inhibition pour ne pas pleurer.

L’idée devient acte organique. — Les bâillements sont contagieux ; les enfants prennent les tics par imitation ; la vue de quelqu’un qui urine réveille souvent le besoin d’uriner. La purgation qui réussit chez quelques-uns avec les pilules de mie de pain, c’est l’image psychique sensitive de la contraction intestinale évacuatrice créée par l’idée de purgation qui se réalise. Le sommeil provoqué chez un sujet en lui décrivant les sensations du sommeil, comme le faisait Liébeault, c’est l’image psychique du sommeil qui se réalise.

L’expérience suivante montre bien comment un phénomène organique indirectement suggéré peut, à l’insu même du sujet, se produire. J’enregistre le pouls d’un individu avec un sphygmographe à transmission sur un cardiographe de Marey et j’inscris le temps avec un compteur à secondes. Je compte le pouls à haute voix, sans rien dire au sujet ; puis après un certain temps, je compte plus de pulsations qu’il y en a, par exemple 120 au lieu de 80. Puis après un certain temps encore, je compte moins de pulsations qu’il n’y en a, par exemple 45 au lieu de 80. Si plus tard je repère le tracé, je constate que pendant la numération accélérée, le pouls s’est accéléré en moyenne de 10 pulsations par minute, et pendant la numération ralentie, il s’est ralenti de 6 à 7 pulsations par minute.

La numération accélérée ou ralentie a créé dans le cerveau l’idée du rythme accéléré ou ralenti, et cette image psychique, à l’insu du sujet, sans suggestion directe, a actionné l’innervation du cœur. Toute la conception de la suggestion n’est-elle pas dans cette simple expérience ?

Par ces exemples on voit comment l’idée tend à devenir acte, mouvement, sensation, image, émotion, phénomène organique.

L’idée peut aussi neutraliser un acte, inhiber un mouvement, une sensation, une image, une émotion, une fonction.

Tel sujet greffe sur une certaine faiblesse de jambe réelle que son psychisme exagère une paralysie complète que la psychothérapie guérit ; c’est la locomotion neutralisée par l’esprit. Tel autre transforme un enrouement catarrhal en aphonie complète ; c’est la contraction des cordes vocales inhibée par l’idée.

La sensibilité, tactile et à la douleur, les sensibilités sensorielles, vision, audition, olfaction, gustation, peuvent être, comme nous le verrons, neutralisées facilement chez certains sujets par simple affirmation ou même par autosuggestion. On raconte l’histoire d’un scélérat qui fut appliqué à la torture sans témoigner aucune souffrance. On trouva dans son oreille gauche un petit papier où était la figure des trois rois, avec ces paroles : « Belle étoile, qui as délivré les mages de la persécution d’Hérode, délivre-moi de tout tourment. Ce talisman, suggérant l’idée d’analgésie, a suffi pour neutraliser la douleur 1.

Toute la psychothérapie est basée sur cette propriété qu’a le cerveau de créer des actes organiques normaux ou de neutraliser des actes organiques anormaux.

3. — SUGGESTION NON RÉALISÉE

J’ai établi que toute suggestion tend à se réaliser ; mais elle ne se réalise pas toujours.

Le sujet peut opposer sa volonté à la tendance instinctive à accepter et à réaliser l’idée. Si je dis à quelqu’un : « Regardez-moi », il me regarde. Si je répète l’injonction plusieurs fois, agacé de mon insistance sans but, il ne me regarde plus, il ne veut pas.

Un autre a de la faiblesse dans les jambes. Je lui dis de marcher et j’ajoute qu’il peut le faire. Il essaie et ne peut pas. La suggestion ne réussit pas, parce que le sujet ne peut pas ; l’idée acceptée veut, mais ne peut pas devenir acte. Le cerveau ne peut pas tout ce qu’il veut. Certains peuvent réaliser ce que d’autres également dociles ne peuvent pas. Je suggère du sommeil ou une hallucination : tels peuvent, d’autres ne peuvent pas réaliser l’une ou l’autre de ces suggestions, bien qu’ils acceptent l’idée et ne font aucune résistance. C’est le mécanisme cérébral hypnogène ou hallucinatoire qui ne se déclenche pas.

Le cerveau ne veut pas non plus tout ce qu’il peut. À l’état normal, il y a des facultés de raison, de critique, il y a aussi des volitions instinctives qui peuvent créer des tendances opposées â celle qu’on veut déterminer. D’une part, la crédivité et la docilité qui font accepter l’idée peuvent être contrecarrées par les tendances psychiques contraires ; d’autre part, l’idéodynamisme qui doit faire réaliser l’idée acceptée peut être impuissant pour des raisons physiologiques qui empêchent la transformation de cette idée en acte.

Certaines suggestions échouant devant le contrôle qui les refuse réussissent quand elles sont faites indirectement, sans contrôle, imposées au sujet, à son insu, par une image psychique, et qu’il n’a ni à l’accepter ni à la rejeter. Je dis à quelqu’un : « Vous » allez avoir de la diarrhée. » Le sujet n’est pas influencé, parce qu’il ne me croit pas. Si je lui fais avaler des pilules de mie de pain, sous le nom de pilules purgatives, la purgation peut se réaliser, parce que l’idée imposée par fraude échappe au contrôle et arrive au sensorium, sans être neutralisée par lui.

Je dis à quelqu’un : « Votre pouls va s’accélérer ou se ralentir. » L’action ne se produit pas, le sujet n’est pas suffisamment influencé par mon dire. Si au contraire, comme nous l’avons vu, sans rien dire, je fais à haute voix la numération accélérée ou ralentie du pouls, l’image psychique de ce rythme nouveau peut, à l’insu du sujet, réaliser l’accélération ou le ralentissement du pouls, parce que le contrôle cérébral auquel il n ’est pas fait appel n ’intervient pas pour empêcher la réalisation automatique du phénomène.

Certains, rebelles à la suggestion verbale du sommeil, s’endorment si je leur fais prendre sous la fausse étiquette de sulfonal de l’eau simple avec quelques gouttes de menthe.