De toute attente, choisir la vie - Eric Marchal - E-Book

De toute attente, choisir la vie E-Book

Eric Marchal

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Beschreibung

Avec ce roman initiatique, nous évoluons aux cotés de Clarice Rahm et la suivons dans ses aventures. Il y est question de quête spirituelle, du masque social, de nature sauvage, de forge alchimique, de déité courroucée... et aussi de quotidien, de quête de sens et de maladie. Et si des personnages tel que le vieux Chaman Éclair Cramh, la Sage Femme Maha El-Crirc, le totémique Sunfox... et quelques autres, étaient des alliés indispensables pour mener à bien cette quête ? Alors avec Clarice nous découvrons l'Art du Rêveur pour nous ouvrir à de nouvelles perspectives sur ce que l'on appelle la réalité. Avec elle nous faisons face aux peurs, à l'ombre et vivons l'Initiation du Feu. Nous apprenons à nous relier à Dame Nature, à l'Invisible, à notre propre énergie sexuelle avec l'Initiation de la Terre avant d'être confronté aux esprits, aux ancêtres et à la mort. Après ces épreuves, acquérant un certain Pouvoir, il est temps de recevoir un nom d'initié. Se noyer dans la béatitude de l'Initiation de l'Eau ne manque pas de nous projeter devant l'ultime choix avec l'Initiation de l'Air. Au fil des transformations successives, la possibilité d'une vie réenchantée. Sous une forme romanesque et accessible à chacun, se cache des secrets d'initiations chamaniques et de rites de passages, fruits des trente ans d'expériences de l'auteur, et de sa connaissance du processus d'individuation de C.G.Jung et du monomythe de J.Campbell.

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Seitenzahl: 173

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

LIVRE 1 : DE LA DISLOCATION

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

LIVRE 2 : DE L’ODYSSÉE

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

LIVRE 3 : DU BEABA

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

ÉPILOGUE - 1ER DU NOM

ÉPILOGUE - 2EME DU NOM

LIVRE 1 : DE LA DISLOCATION

« Là d'où je viens...

Mais elle s'était interrompue.

Elle était venue sous forme de graine,

Elle n'avait rien pu connaître des autres mondes. »

- Le petit Prince. A. de Saint-Exupéry -

CHAPITRE 1

« C’est magique ! »

« Tout est parfait ainsi »

« Ne t’inquiète pas »

« Je vais m’en sortir »

Je raccrochai après avoir prononcé ces quelques phrases sur un ton que j’aurais aimé plus rassurant.

J’avais voulu donner le change, mais évidemment, ma voix à peine audible avait dû me trahir.

Je ne croyais pas une seconde à ce que je venais de dire !

Je levai les yeux au ciel, un petit vent nous apportait du crachin.

Je restai là quelques instants, comme suspendue.

Les premières gouttes sur mon visage y dessinèrent des larmes, moi qui ne pouvait plus pleurer.

Bruine montante et nuit tombante, quelques silhouettes fantomatiques, trop pressées, qui s’éloignaient dans la ville. Un chien roux me regardait, comme s’il attendait quelque chose de moi. Je n’osai pas le fixer en retour, de peur qu’il ne se montre peut-être agressif. Le brouhaha des voitures qui allaient alentour augmentait mon vertige. Je me sentis très seule tout-à-coup dans cette ville agitée.

Je restai debout, figée, comme un panneau qui n’indiquerait plus aucune direction, comme interdite, comme un non-sens giratoire. L’intensité du vent et de la pluie allait croissant, je chancelais pour d’autres raisons.

La vue de mon visage triste, leptosome et dégoulinant dans le reflet de la vitrine me sortit de ma torpeur.

Tout me revint en un instant à l’esprit. Après tout ce n’était qu’un diagnostic ! Et après tout, un diagnostic n’est qu’un avis, un nom posé sur des faits préexistants. Pas de quoi s’inquiéter plus qu’avant. J’avais passé cet appel un peu en urgence, sur ce bout de trottoir, parce que je voulais savoir ce qu’il en était réellement de mon état de santé avant de porter mon téléphone en révision. J’étais devant la boutique qui allait bientôt fermer. Plus le temps de tergiverser, mon emploi du temps était trop serré, comme toujours. Ma vie quotidienne me rattrapait...

Machinalement mes doigts trouvèrent la clenche de la porte du magasin. Elle était un peu froide sous ma main tremblante. Je poussai la porte de la boutique, un petit carillon imita assez mal le chant des oiseaux. J’entrai…

… je ne pouvais alors pas imaginer ce qui allait commencer là pour moi.

Tout cela est tellement loin maintenant !

CHAPITRE 2

Une fois dans la boutique, je reconnus aussitôt le jeune apprenti, Charli, derrière le comptoir.

Je l’aimais bien ce Charli. Il devait avoir un peu plus de vingt-cinq ans, pas encore trente, mais il se comportait encore comme un adolescent dont il avait gardé le corps fin, souple et les gestes gauches de celui qui a grandi trop vite. Il me faisait rire, souvent. Le jour où j’avais acheté mon téléphone dans cette boutique, je m’en souviens, il portait alors un magnifique tee-shirt bleu avec le logo en forme de « S » de « Superman ». C’était d’autant plus drôle que lui n’était encore qu’un adulescent, plus tout à fait un adolescent mais pas encore un vrai adulte, et encore moins un « vrai homme », ou un « super-homme ». Il était resté là, comme bloqué entre deux âges. Il était un peu comme le petit frère de la famille. Celui qui est trop doué avec la technologie, mais pas assez avec les gens et la société. Une sorte de « Geek », un petit génie de ce qu’on appelait encore « les nouvelles technologies de l’information et de la communication », qui traînait avec lui une incapacité à créer de véritables relations humaines. C’était encore plus difficile pour lui, pour l’instant, avec les filles de son âge qui étaient bien souvent plus mûres que lui. Il était assez grand et mince, il était toujours prêt à rendre service. Il expliquait les choses trop vite pour moi car c’était trop facile pour lui. Ce que l’on voyait tout de suite chez lui c’était ses yeux bleus profonds, rêveurs, qui contrastaient avec le teint blanc, diaphane, de sa peau. Il vivait dans son monde. J’aimais le taquiner.

Je marchai vers lui. Ou plutôt, je titubai jusqu’à lui, devrais-je dire.

- Bonjour Charli. Tu sais que dehors, IRL (in Real Life – dans la vraie vie) il y a un truc qui s’appelle « le soleil », et qui peut donner des couleurs à ton « visage pâle ». Tu devrais sortir de temps en temps.

- Bonjour Madame Clarice. Je suis content de vous revoir. Vous y allez fort aujourd’hui ! Vous savez que je ne crois pas à l’existence de votre « soleil » et encore moins à son prétendu « super-pouvoir » de me faire changer de couleur de peau, me dit-il en entrant dans mon jeu. C’est une légende urbaine votre « soleil ». Ce n’est pas la réalité, s‘il existait vraiment, ça se saurait et ils en parleraient dans les forums sur internet ! D’ailleurs il est où votre soleil, montrez-le moi !

Je jetai un œil par-delà la vitrine, la pluie redoublait.

- Un point pour toi. Il a disparu depuis peu.

- Vous voyez ! Si vous ne pouvez pas me le montrer, c’est qu’il n’existe pas, alors pourquoi est-ce que j’y croirais ? Ce n’est pas comme ça que vous allez me faire sortir dans votre « monde du dehors »... D’ailleurs votre teint est plus livide que le mien aujourd’hui. Qu’est-ce qu’il vous arrive ?

Je ne relevai même pas sa question. Il poursuivit :

- Excusez-moi, mais sans faire exprès, j’ai entendu les dernières phrases de votre conversation devant la boutique et je n’ai pas cru une seconde à vos « Tout est parfait ainsi. Ne t’inquiète pas. Je vais m’en sortir » .

Lui non plus n’y a pas cru, pensais-je !

En m’approchant, je réussis à lire la phrase de son tee-shirt du jour : « les jeux vidéos ont ruiné ma vie, c’est pas grave il me reste encore deux vies dans ce jeu». Sûrement une blague qui fait rire les Geeks ? ! Moi aussi j’aurais aimé avoir deux nouvelles vies pour recommencer différemment, pour pouvoir être quelqu’un d’autre, pour ne pas être malade, pour ne pas que ce qui m’arrivait en ce moment m’arrive à moi.

Vraiment je l’aimais bien ce Charli. J’avais une grande confiance en lui pour ce qui était de réparer mon smartphone, mais il ne me serait jamais venu à l’esprit d’en faire mon confident et encore moins mon psy ou mon docteur. J’ignorai donc à nouveau ses questions que je trouvais trop personnelles. Je n’avais pas envie de lui raconter ma vie et je me concentrai sur les problèmes liés à mon téléphone pour les lui présenter.

- Quand j’appelle certaines personnes, la communication passe mal, et les voix sont bien souvent parasitées, lointaines et comme métalliques, avec de la friture sur la ligne, donc incompréhensibles. (ça fait surtout cela avec mes parents et mon ex-compagnon, c’est bizarre non , pensais-je ?).

- Et puis il y a un problème avec la vitre. Est-ce l’usure ? Est-ce à force de rayures et de petits coups répétés ? La lumière n’est plus la même et tout ce qui était si clair auparavant est devenu flou et illisible (comme dans mon appartement que je trouvais cosy et lumineux au début, que je trouve sombre maintenant et dans lequel je me sens à l’étroit ?).

- Et tu te souviens, tu m’avais installé des applications pour écouter de la musique et m’enregistrer quand je chante, pour faire mes petits arrangements sonores. Je ne trouve plus cette application (en même temps c’est surtout le temps et la motivation que je ne trouve plus pour écouter de la musique et pour chanter).

Charli avait secoué un peu la tête, comme s’il se souvenait. Il avait aussi saisi son calepin et un crayon, devinant sans doute que ma liste de doléances allait être longue. Comme encouragée, je continuai donc :

- Tu vas te moquer de moi, mais le petit compagnon virtuel, installé soit-disant pour mon fils, c’est moi qui joue avec, le nourrit chaque jour, le promène et qui en prends soin. Mais le plus dingue, c’est que je me surprends à lui parler parfois (lui, au moins, il m’écoute. Faudrait peut-être que je pense à prendre un chien. Comme le chien roux devant la boutique ?).

- Et si tu pouvais aussi désinstaller l’application de réseau social. Je sais désormais que je n’y ai pas de vrais amis (qui sont donc mes vrais amis aujourd’hui ?).

J’étais lancée maintenant. J’avais envie de changer et d’améliorer beaucoup d’autres choses sur ce téléphone.

- Et puis, depuis que je suis séparée de Pierre, sur les conseils d’une amie, je me suis inscrite sur une application de « dating ». Ne te moque pas de moi, tu devrais plutôt essayer toi aussi, ça te ferait du bien de rencontrer quelqu’un. Mais peux-tu voir s’il y a moyen de désactiver les notifications ininterrompues de cette application. Elle est devenue comme folle, elle me signale la présence gourmande de tous les mâles des alentours. Ça vibre de partout tout le temps. (même s’il ne se passe jamais rien d’excitant et de vivifiant en vrai dans ma vie sur ce plan).

- Et pour mon fils, si tu pouvais installer un contrôle parental efficace. Je ne veux pas qu’il aille voir n’importe quoi sur mon téléphone. Tu crois que l’on peut protéger l’enfance par un simple mot de passe ?

Charli avait ouvert la bouche pour me répondre. Je ne lui en laissai pas le temps. J’avais d’autres problèmes à lui relater pour qu’ils les résolvent tous... Comme par magie !

- Profite-en s’il te plaît pour enlever ces jeux chronophages que j’avais installé ici et là. Marre de ces échappatoires qui me permettent d’oublier mes soucis quelques instants, mais jamais de les résoudre. (suis-je dopée à la dopamine – l’hormone du plaisir - à chaque coup réussi, à chaque niveau passé, à chaque score dépassé ? Rien de mieux à me mettre sous la dent que cet ersatz de satisfaction ?).

- Et puis cette coque de protection est trop lourde, trop encombrante. Elle est censée me protéger, elle m’encombre, m’empêche d’utiliser le téléphone comme je voudrais (m’empêche de me sentir libre ? je me sens toute engoncée de partout !).

- En plus, il n’y a plus de place pour rien ajouter. Cela déborde de souvenirs, de photos, d’applications inutiles, de messages... cela dévore ma mémoire et mes ressources, tu peux y faire le ménage ? (même si certains souvenirs sont encore trop récents et sensibles pour passer à la suite).

- Et le plus important pour finir , installe un bon antivirus s’il te plaît. C’est important un bon antivirus ! (même si aucun vaccin ou aucun antivirus n’avait su préserver ma santé ! J’en faisais le constat amer aujourd’hui).

- Je me demande même s’il n’est pas arrivé en fin de vie ce téléphone, s’il ne vaudrait pas mieux tout changer ? Tu en penses quoi ?

Levant les yeux vers lui, je découvris la tête éberluée de Charli qui avait pris des notes tant bien que mal. J’avais essayé de rester uniquement dans le registre de la technique, mais était-il possible que Charli ait cependant deviné des pans entiers de ma vie privée, juste en posant un simple diagnostic sur mon téléphone ? Je m’excusai de ma liste trop longue. Pour détourner l’attention, je m’enquis auprès de lui de savoir si mon maquillage n’avait pas trop coulé à cause des gouttelettes de pluies de tout à l’heure. Je remis de l’ordre dans ma chevelure.

Que pouvait-il penser de moi ?

Il devait sûrement me trouver charmante (comme beaucoup). Je n’étais ni trop grande ni trop petite, ni trop vieille, ni trop jeune, ni trop sûre de moi, mais assez cependant pour l’impressionner un peu, du moins, je l’espérais. J’étais plutôt une bonne fille, une bonne mère, une bonne professionnelle, j’avais été une bonne compagne. Charli avait sûrement cru tout cela de moi sans que j’eusse à faire le moindre effort. Qu’il me crut sincèrement et presque spontanément de la sorte m’avait tout de suite rassurée, dès notre première rencontre, et mise en confiance avec lui. Il faut croire que l’opinion d’un jeune vendeur dans une boutique quelconque avait encore de l’importance pour moi à l’époque. Il faut croire que je me souciais encore beaucoup de ce que tout un chacun pensait de moi ! Peut- être l’appréciais-je aussi instantanément car il se comportait comme s’il n’avait pas remarqué la tâche rouge d’irritation couvrant chaque jour un peu plus une partie de mon visage.

Il ne connaissait pas mon nom de famille, que je ne livrais pas au premier venu et s’évertuait à m’appeler « Madame Clarice ».

En fait, peu de personnes savaient que mon nom complet était « Clarice Rahm Barka ». Je n’aimais pas tellement mon nom. Il trahissait trop mon origine et avait trop souvent été source de moqueries. Mon père m’avait bien expliqué qu’en Arabe la Baraka ça voulait dire la chance, mais lui et moi étions toujours passés à côté. A l’école primaire et au collège déjà j’étais surnommée « la rameuse ». Chaque année il y avait toujours un petit malin qui se croyait intelligent et unique en réinventant continuellement la même raillerie: « Clarice Rahm, Clarice rame !», « Clarice Rahm Barka, Clarice rame dans sa barque ! »... pfff, la galère !

- Heu... je vais voir ce que je peux faire Madame Clarice. Laissez-moi votre téléphone ce soir et venez le chercher demain à la même heure, avant la fermeture. Il est trop tard ce soir, le patron va arriver et nous allons fermer la boutique. Tout sera prêt demain soir je vous le promets.

- Mais comment vais-je faire sans téléphone pendant vingt-quatre heures moi ? J’en ai besoin !

Il ouvrit le tiroir du comptoir et en extirpa un modèle de téléphone antédiluvien.

- Tenez ! Je vous laisse un téléphone de dépannage. J’ai juste à mettre votre puce dans celui-ci et vous pourrez le prendre.

Il s’exécuta promptement, avec dextérité et avec l’envie d’en finir rapidement pour fermer la boutique, comme s’il avait eu une vie trépidante qui l’attendait en dehors du magasin. On entendait au loin les grommellements du « Patron » dans l’arrière-boutique.

Je pris le téléphone de substitution. Je jetai un regard désinvolte sur l’objet obsolète et me dit, qu’au moins, il m’indiquerait l’heure.

J’insistai un peu et le remerciai de faire au mieux et le plus rapidement possible. Puis je m’excusai encore de m’être quelque peu épanchée. Il fit comme si de rien n’était et m’escorta précautionneusement vers la sortie.

Je fus rapidement dehors devant la boutique et j’entendis la lourde grille métallique se refermer derrière moi.

C’est à cet instant précis, dans la rue, devant la boutique, que je reçus mon premier message :

Expéditeur inconnu :

« Est-ce que c’est bien toi ?

Peux-tu me dire où tu es ?

Réponds S.V.P »

CHAPITRE 3

Je ne comprenais rien au fonctionnement de ce vieux téléphone, l’expéditeur était inconnu et il me demandait de lui répondre, alors que je n’avais aucun moyen de le faire ni même de savoir qui il était. Je ne savais même pas si le message m’était adressé ou s'il y avait une erreur de destinataire ? J’étais là, intriguée et impuissante à répondre et à découvrir l’auteur du message.

Sans possibilité de donner suite, j’oubliai progressivement ces quelques mots sur le chemin du retour. Une fois rentrée chez moi je mis le restant de mon énergie à chercher de la complicité avec mon fils dans ses jeux d’enfants. Kilian avait failli s’appeler Khalil, comme Khalil Gibran, le poète. J’adorais tout particulièrement cette citation du poète « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même, ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas ». C’est pour ce passage que j’avais voulu appeler mon fils Khalil. Mais c’est mon père (son grand-père), qui toute sa vie avait enduré certaines formes de racisme à cause de son origine et de son nom, qui m’avait gentiment fait comprendre, qu’en d’autres temps, d’autres lieux, d’autres mœurs, ce serait plus simple d’occidentaliser son prénom. Pierre, son père, (mon ex) avait proposé Kilian, pour je ne sais plus quelle raison (sûrement une mauvaise raison !). Mais moi j’aimais bien qu'il s’appelle Kilian maintenant. Je trouvais que cela lui allait bien. Plus que son prénom, j’aimais surtout mon fils. Je faisais de gros efforts pour essayer de le suivre quand il escaladait les montagnes, volait à tire d’ailes, terrassant dragons et sauvant princesses. Parfois c’était l’inverse ; à son âge les princesses n’étaient que des « filles », alors que les dragons le faisaient rêver ! On entendait tout ce qu’il y avait d’altérité dédaigneuse dans sa bouche quand il parlait des « filles », ce continent inconnu. Je le suivais de mon mieux dans ses jeux avec le peu de connexion qu’il me restait avec l’imagination et les mondes enchantés de l’enfance.

- Tu viens me sauver Kilian ?

- Maman, je t’ai dit de m’appeler «le chevalier d'or»

- Oh courageux chevalier d’or, venez me délivrer des griffes du dragon

- Maman tu n’es pas une princesse, tu es une reine. Moi j’aime mieux monter sur le dos du dragon et voler avec lui dans le ciel.

Il en fut ainsi ce soir-là jusqu’à ce que nous nous écroulions de fatigue tous les deux.

Ce n’est qu’au moment de me coucher que je songeai à nouveau au message de l’expéditeur inconnu.

Avec ces deux petites questions, ce message me tournait dans la tête. Je ne savais pas qui il était, mais lui non plus n’avait pas l’air de savoir qui j’étais et où j’en étais. Dans le demi-sommeil de l’endormissement, les questions de nos identités respectives prirent un caractère quasi obsessionnel. Le sommeil me gagna définitivement empêtrée dans ces questions sans réponse …

… et le réveil me trouva tout autant circonspecte.

Ce matin-là il faisait encore gris dehors. La journée s’annonçait maussade. Elle serait en grande partie utilisée à mon boulot pour établir le montage administratif et technique de certains contrats d’assurances récalcitrants.

Je traînai encore un peu au lit. Retardant au maximum le moment où ma journée, de maman et de professionnelle, allait s’emballer. Je pris mon téléphone machinalement, fis la moue en reconnaissant l’objet vétuste de remplacement.

Un nouveau message m’attendait :

Expéditeur inconnu :

« Le temps est venu

appelant au changement

feuilles & masques tombent »

Cela m’agaça dès le bon matin. Je n’avais toujours aucun moyen de savoir ce que tout cela signifiait et qui m’écrivait de la sorte. La journée promettait d’être longue, douze heures qui me paraîtraient sûrement interminables me séparant encore du moment où je pourrais retrouver mon véritable téléphone fétiche et demander des explications à Charli.

La journée fut effectivement longue, très longue. Les douze heures devinrent plus de 700 minutes où se succédèrent, moues, cris, ironies, ennui, colères et soupirs désabusés.

Ce matin- là encore, c’est mon fils qui donna le ton.

- NOOONN !!! Maman je ne veux pas aller à l’école aujourd’hui !!!!

- Et tu crois que moi j’ai envie d’aller au travail ? Allez dépêche-toi.

- Ben, t’es bête, on n'a qu’à pas y aller… viens on reste tous les deux là…

- connard … t’es mignon mon petit ange...

Pas le temps d’argumenter, d’ailleurs je ne savais pas quoi répondre, il avait tellement raison !

Puis ce furent les autres chauffeurs sur la route de l’école et du travail qui me harcelèrent par leur simple présence, par les bouchons qu’ils créèrent, par le retard qu’ils provoquaient dans mon emploi du temps tendu. J’avais glissé le CD de Nora Jones dans l’auto radio pour m’évader et me calmer un peu. Je choisissais toujours une voix de femme dans ce cas. Une femme qui chantait avec son âme, sa voix « saoul », ça me faisait immanquablement du bien. Je chantonnais un peu avec elle. A ce moment, alors que je me rabattais promptement, un chauffard me présenta son majeur dans un geste rageur, et je crus lire sur ses lèvres

- « C’est bien une femme au volant ça ! »…

- Connard !

Puis on eut dit que mon petit chef, mes collègues et mes clients s’étaient passé le mot pour me pourrir la journée.

- Clarice vous savez que j’attends votre dossier pour le recouvrement de la Famille Boilot

- C’est que les clients n’arrêtent pas d’appeler ce matin...

- Hé bien décrochez bon sang ! (tu vas voir ce que je vais te décrocher… connard!)