Des hommes, des cimes et des mots - Jean-Marie Choffat - E-Book

Des hommes, des cimes et des mots E-Book

Jean-Marie Choffat

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Beschreibung

Un recueil de chroniques publiées pendant plus de vingt ans dans les principales revues d'alpinisme.

Des hommes, des cimes et des mots… reprend les écrits de Jean-Marie Choffat publiés entre 1993 et 2015 dans les revues du Groupe de Haute Montagne, du Club Alpin Français et de la Fédération Française de la montagne. Portraits, critiques, chroniques, entretiens, récits… emmènent le lecteur sur tous les horizons alpins possibles et imaginables : du Piolet d’Or à l’Annapurna, de l’histoire de l’alpinisme à la littérature alpine…
Tourné vers les autres, attentif aux talents discrets et aux hommes remarquables, Jean-Marie Choffat met en lumière des personnages hors du commun. Il nous livre des portraits admirables qu’il a su peindre avec des mots et une sensibilité qui lui sont propre.
Des hommes, des cimes et des mots réveille les consciences et suscite les débats…
Par leur diversité, les textes de Jean-Marie Choffat insufflent un peu de vie à une communauté alpine qui, aujourd’hui, en a bien besoin.

Laissez-vous emporter par ces chroniques de haute montagne par l'un des plus grands alpinistes français. Personnages hors du communs, nature et montagnes sont au coeur de ces récits inspirants.

EXTRAIT DE Simon Yates : "Le Dénouement" (ou la valse des sentiments!)

« Tout me paraissait soudain très confus. Pendant des mois, l’ascension de la Tour centrale du Paine avait monopolisé mes pensées. Maintenant ce projet était en suspens, provisoirement abandonné. Ne pas faire une nouvelle tentative, c’était vider de leur sens tous ces mois d’efforts que j’y avais consacrés. Si j’étais prêt à renoncer aujourd’hui, n’était-ce pas la preuve que je ne m’étais jamais engagé à fond ? Plus j’y réfléchissais, plus je me sentais déprimé et moins j’y voyais clair. »
Cet extrait du livre de Simond Yates en donne parfaitement le ton : l’auteur est en guerre avec son autre moi, où si vous préférez, avec ses propres sentiments. Vous me direz que c’est chose courante en montagne ? Sans doute. Mais généralement ce sentiment confus, le montagnard préfère le cacher au plus profond de lui, le dissimuler en fait, car il est révélateur de faiblesses et générateur d’échecs. L’action de ce récit se déroule donc en Patagonie, dans cette région du Paine où l’on sait que les vents et le froid ont déjà, par le passé, roulé plus d’un alpiniste — et pas des moindres — dans la farine (pardon, la poudreuse).
Parti avec trois compagnons tenter une voie nouvelle sur la Tour centrale du Paine, Simon Yates se retrouve très rapidement dans des conditions — Patagonie oblige — épouvantables : tempêtes, vent, froid, dévissages des uns et des autres, cordes cisaillées... Et pourtant l’équipe progresse « presque » normalement. D’ailleurs l’auteur nous restitue cette ascension avec un tel pouvoir narratif, que l’on a souvent l’impression d’être de la cordée et de faire corps avec la gigantesque paroi.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1956 à Belfort, Jean-Marie Choffat découvre la montagne et l’alpinisme à l’âge de 14 ans. En 45 années de montagne, il a réalisé plus de 1200 ascensions et de nombreuses premières, tant en France qu’à l’étranger. Ancien secrétaire et vice-président du G.H.M, membre de l’Alpine Club, il est l’auteur d’une douzaine de livres dont beaucoup ont été primés.

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Table des matières

Résumé

Préface par Yves Peysson

Avant-propos

Première partie Deux préfaces et une postface

Préface au livre d’Albert Tobey

Pascal Ottmann, un homme, une vie, un livre

Deuxième partie Chroniques et critiques

Bloc-notes

LA TRÈS HAUTE ALTITUDE

IMAGINATION

Une Légende tenace...

Berhault — Bibolet, retour au (vrai) Grand Alpinisme

L’Annapurna en question

Jeux de cirque et grandes dérives

DÉSENGAGEMENT

Nouveauté : le prix GHM du livre de montagne à Passy

L’histoire de l’alpinisme ne fait que commencer

Dans la chaleur de Passy...

Bernard Domenech, immensément…

UN OBSERVATOIRE POUR LA MONTAGNE ? UNE RICHE IDÉE !

Passy 99 : dans les coulisses du Salon

Les 4 et 5 juin à Chamonix, l’Annapurna a eu 50 ans !

Récompenses

Troisième partie Des hommes et des mots

Vie de guide par Albert Tobey

L’autre Annapurna

Confessions d’un homme de ce siècle

GREG CHILD un excellent grimpeur, qui écrit... excellemment !

YVES BALLU : AUTOPSIE D’UN NAUFRAGE

ANNE SAUVY : immersion profonde... pour cause de chef-d’œuvre accompli.

Sir Edmund Hillary, Le regard depuis le sommet

Simon Yates : "Le Dénouement" (ou la valse des sentiments !)

Escalade en haut lieu (Loue/Lison)

Le septième sommet, poèmes pour Chantal Mauduit

Daniel Grevoz. Par la force des montagnes

Jean-Louis Hourcadette : La montagne et ses dangers

Jean-Louis Étienne —Le pôle intérieur, autobiographie

Mont-Blanc, album de photographies

Guide de haute montagne, Une passion, un métier

Nanga Parbat

Quatrième Partie Hommages

Hommage à Bernard Pierre

Histoire de cordée, histoire d’amitié

L’ENVOLEE D’UN ANGE…

Pierre Allain  une « pure lumière » s’éteint

Albert Tobey — un grand guide disparaît...

Hommage à Yannick Seigneur

Hommage à Eric Jacquet-Lagrèze

Cinquième partie Portraits et entretiens

LA MONTAGNE AUTREMENT

Cinquantenaire de l’Annapurna

Entretien avec Maurice Herzog

Itinéraires d’un alpiniste engagé : Alain Le Ray

Entre Fitz Roy et Dru

Michel Béal

Serge, raconte-nous ta montagne...

Jean-Claude Droyer : une vie à grimper !

Jean-Marie Choffat, un homme (toujours) debout.

Sixième partie Des récits et une nouvelle

Djado, des citadelles dans le désert

Etrange bivouac

Face Ouest de l’Aiguille du Plan

Auyuittuq : le voyage Arctique

Vingt-cinq années d’aventures littéraires à Passy

Crédit photos

Remerciements

Résumé

Des hommes, des cimes et des mots… reprend les écrits de Jean-Marie Choffat publiés entre 1993 et 2015 dans les revues du Groupe de Haute Montagne, du Club Alpin Français et de la Fédération Française de la montagne. Portraits, critiques, chroniques, entretiens, récits… emmènent le lecteur sur tous les horizons alpins possibles et imaginables : du Piolet d’Or à l’Annapurna, de l’histoire de l’alpinisme à la littérature alpine…

Tourné vers les autres, attentif aux talents discrets et aux hommes remarquables, Jean-Marie Choffat met en lumière des personnages hors du commun. Il nous livre des portraits admirables qu’il a su peindre avec des mots et une sensibilité qui lui sont propre.

Des hommes, des cimes et des mots… réveille les consciences et suscite les débats…

Par leur diversité, les textes de Jean-Marie Choffat insufflent un peu de vie à une communauté alpine qui, aujourd’hui, en a bien besoin.

Né en 1956 à Belfort, Jean-Marie Choffat découvre la montagne et l’alpinisme à l’âge de 14 ans. En 45 années de montagne, il a réalisé plus de 1200 ascensions et de nombreuses premières, tant en France qu’à l’étranger. Ancien secrétaire et vice-président du G.H.M, membre de l’Alpine Club, il est l’auteur d’une douzaine de livres dont beaucoup ont été primés.

Jean-Marie Choffat

Des Hommes, des cimes et des mots

Chroniques

ISBN : 978-2-37873-484-8

Collection Grands espaces

ISSN : 2610-3176

Dépôt légal octobre 2018

© couverture Ex Aequo

© 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

Éditions Ex Aequo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières les bains

www.editions-exaequo.com

Du même auteur

Les Brodequins du Soleil (récit) éditions Trèfle 1983 (épuisé) ; éditions Alzieu 1997, (épuisé), édition Tensing 2013 (épuisé) Nouvelle édition Ex Aequo 2018.

À la verticale du désert (album, récit) éditions Coprur, 1990

Un homme debout (entretiens avec C.Guimet) éditions Alzieu, 1996 et 2002, (épuisé), édition augmentée Tensing 2014 (épuisé) ; nouvelle édition Ex Aequo 2017.

Dans le grand vent des cimes (roman jeunesse), éditions Monnin-Montbéliard, 1998.

Grand alpinisme (anthologie avec Y.Peysson et R.Guinot) éditions Guérin, 1ère édition cartonnée et numérotée, 1999 ; 2ème édition reliée luxe, 2000 (épuisé)

Une nuit, l’éternité (entretiens avec Michel Devaux), éditions Alzieu 2000 

Aventures sahariennes, la montagne au désert (récit), éditions Alzieu, 2002 et 2003 (Prix des Pays du Mont-Blanc, Passy 2003) (épuisé), édition Tensing 2014 (épuisé)  nouvelle édition Ex Aequo 2018.

La vie à pleines mains, au-delà du cancer (entretiens avec A. Bollengier) éditions du Belvédère, 2006. Nouvelle édition 2013 (Prix des villages du livre Suisse, St Pierre de Clages 2007 ; Prix Passio’Mots de la meilleure autobiographie Besançon 2011) Troisième édition prévue en 2018.

Julien et l’Aiguille Tordue (Roman jeunesse) éditions de l’Astronome. 2009

Entre montagnes et déserts, 40 années d’aventures. Editions  Le Verger/La Maison de Papier 2010. (Grand Prix des Ecrins René Desmaison 2011)

Nouvelles exquises, 20 plumes pour vous séduire. Collectif. 2012. Editions A.C.A.I. 20 rue des Vignes 25115 Pouilley-les- Vignes

Les grandes heures de l’alpinisme, anthologie avec Yves Peysson, éditions du Belvédère 2014

25 ans, salon international de montagne de Passy. Collectif, hors collection, éditions Guérin 2015 

Des hommes, des cimes et des mots… Chroniques, éditions Tensing. 2016 (épuisé)  Nouvelle édition en 2018 aux éditions Ex Aequo.

Préfaces

Souvenirs de là-haut, vie de guide, par Albert Tobey, éditions Alzieu 1997 et 2007

Escalades en terrain d’aventures, par Sylvain – Conche, éditions Amphora 2004 (épuisé)

Vent Frivolant, nouvelles, par Claudie Guimet. Editions de la Noue Gavigné. 2010 (épuisé)

L’homme au lapin, nouvelles policières, par Claude Gillot, éditions Edifi 2014

Postface

Pascal Ottmann, mon fils disparu au Mont-Blanc, par Pierre Ottmann, publié à compte d’auteur (Navenne, Vesoul) 2000

À mes amis disparus…

Préfacepar Yves Peysson

Des hommes, des cimes et des mots… !

Ce titre à lui seul résume la richesse de mon ami Jean-Marie Choffat, avec qui je suis lié d’amitié depuis presque vingt ans. Alpiniste chevronné, écrivain prolixe et reconnu, ancien vice-président du Groupe de Haute Montagne, Jean-Marie a su lier les deux mondes avec un talent inimitable qui fait de lui un acteur incontournable de la sphère montagnarde française.

Volontiers provocateur, parfois pour mieux souligner les incohérences ou les dangers de certaines évolutions des pratiques de la montagne, mais toujours bienveillant dans le fond, il regarde sans complaisance cet univers si particulier, où les sommets sont un domaine de pureté pour tous, tandis que dans les vallées, la nature humaine reprend ses droits et les hommes n’hésitent pas à se lancer dans des joutes oratoires passionnées, mais aussi passionnantes. Des hommes, des cimes et des mots… ! c’est tout cela, une synthèse des écrits de Jean-Marie dans les revues du Groupe de Haute Montagne et du Club Alpin Français notamment, qui emmènera le lecteur sur tous les horizons alpins possibles et imaginables : du Piolet d’Or à l’Annapurna, de la grande histoire de l’alpinisme que certains voient déjà terminée (ils se trompent…) à la littérature alpine ! Car le spectre des compétences de Jean-Marie est large et c’est tant mieux, car il réveille les consciences, suscite les débats, bref, insuffle de la vie dans une communauté qui en a bien besoin. Jamais l’alpinisme n’a en effet été si controversé dans ses fondements, pour de multiples raisons, tant juridiques que techniques ou sociales.

Mais Jean-Marie, c’est aussi et avant tout un homme sensible, tourné vers les autres, attentif aux talents discrets et aux hommes remarquables. Ses interviews sont des références pour mettre en lumière ces personnes et révéler des êtres hors du commun. Admirables portraits qu’il a su peindre avec des mots, à l’image de son immense sensibilité, qui fait de lui une personne rare. Mais cette sensibilité est doublée d’une incroyable force de caractère, alors que la maladie n’a cessé de le harceler depuis plus de 25 ans, sans jamais qu’il ne lâche prise ! Un vrai alpiniste, qui sait se cramponner à la vie comme à chaque millimètre de roche, ouvrant ainsi la voie pour lui-même, mais aussi pour les autres. L’anniversaire des 25 ans de sa maladie, célébré récemment avec un humour dévastateur sur Facebook, a montré comment Jean-Marie créait de l’espoir à ceux dont l’existence est malmenée. Cette qualité exceptionnelle a été mise en mots par les interviews qu’il a menées, en choisissant de belles personnes qui surent marquer leur époque. Pour ceux qui étaient montés plus haut que les cimes, les hommages que Jean-Marie rédigea furent à la même image. Un régal littéraire et humain.

Car sans les Hommes, sans les Mots, y aurait-il des Cimes admirables ? C’est la littérature qui nourrit le rêve, qui donne l’envie de transgresser un quotidien banal pour aller chercher loin et haut des valeurs et des accomplissements qui forment un Être complet, un Être en pleine possession de ses moyens physiques, psychiques et intellectuels. Un Être en toute conscience. L’alpinisme, c’est un peu de tout cela, une synthèse absolue, que Jean-Marie résume avec talent à travers ses écrits sensibles, mais sans concession. Des écrits pleins d’humanité !

Alors, lecteur, régalez-vous, savourez chaque texte qui apporte un éclairage original sur le monde et les hommes. Faites durer le livre pour en déguster la richesse. C’est comme boire un vin d’exception qui vous délivre toute son histoire par ses arômes.

Yves Peysson, mai 2016

Ancien Pdt du GHM et

du Comité Scientifique du Club Alpin Français

Avant-propos

Les textes que vous allez découvrir — ou redécouvrir — ont été écrits à partir de 1993, date de ma nomination au poste de secrétaire du Groupe de Haute Montagne (GHM).

Dès mon admission en 1992, Jean-Claude Marmier, alors président, connaissant mon goût pour l’écriture, me confia les pages GHM de la revue La Montagne & Alpinisme du Club Alpin Français.

Le GHM — partenaire fondateur de la revue — avait pour mission d’écrire une ou deux pages à chaque parution trimestrielle.

Dans un numéro de la revue, Jean-Claude informa les lecteurs : « J’ai relu voici quelque temps les éditoriaux parus sous ma plume et sous celle de quelques autres dans les numéros de La Montagne & Alpinisme de ces dernières années. À part quelques contradictions, je me suis aperçu que, mois après mois, nous répétions le même discours et que, si nos lecteurs avaient probablement bien reçu notre message, nous risquions fort à la longue de les lasser. Bref, il était temps de se remettre en question et d’innover…

Toujours prêt à aller de l’avant, notre secrétaire, Jean-Marie Choffat, s’est proposé de rédiger des notes collant plus à la vie du GHM et aux préoccupations de ses membres. Relations de faits, remarques judicieuses et parfois impertinentes, ce nouveau “bloc-notes” ambitionne d’être un trait d’union entre tous les membres du GHM. Puisse-t-il donner l’idée à d’autres d’apporter leur pierre à l’édifice ! »

En clair : j’avais carte blanche pour animer ces pages. Je le fis de mon mieux et, chaque trimestre, ce furent chroniques, critiques, entretiens, critiques de livres — uniquement ceux que j’aimais, les autres, plutôt que d’en dire du mal, je préférais les ignorer – soit une bonne partie des textes qui figurent dans le présent ouvrage.

Certains de ces articles ont fait couler un peu d’encre et pousser quelques cris ! Pour mémoire je citerais trois d’entre eux !

Le premier intitulé « Jeux de cirque et grandes dérives » — que le président Marmier souhaita cosigner pour, me dit-il, lui donner encore plus de poids — mettait le doigt sur l’équipement en haute montagne.

Une entreprise privée s’était proposé d’embaucher quelques grimpeurs de renom — notamment Michel Piola — afin d’équiper à demeure quelques voies classiques dans le massif du mont-blanc. Plusieurs membres du GHM y ont vu une véritable dérive de l’alpinisme : désormais, n’importe quelle entreprise pouvait sponsoriser n’importe quel grimpeur pour équiper n’importe quoi. Il faut bien admettre que beaucoup d’alpinistes n’avaient pas, hélas, le professionnalisme et la rigueur de l’équipement d’un Michel Piola.

Cet article occasionna quelques remous et provoqua les « assises de l’alpinisme » qui eurent lieu à l’ENSA de Chamonix. La « responsabilité des équipeurs professionnels mandatés par une entreprise privée » fut très largement évoquée. En effet, en cas d’accident qui, aux yeux des assurances, devenait responsable ? Les équipeurs ? L’entreprise qui avait mandaté les équipeurs ? La mairie de Chamonix qui soutenait l’opération ? Vaste débat où la question eut le mérite d’être posée, comme elle le fut, en son temps, pour l’équipement des falaises.

Se sentant injustement accusé et montré du doigt, Michel Piola demanda un droit de réponse dans la revue. Il lui fut bien entendu accordé. Puis il démissionna du GHM, ce que pour ma part, j’ai beaucoup regretté, car le but avoué n’était pas une attaque personnelle contre lui.

L’idée était simplement de faire prendre conscience aux alpinistes-équipeurs qu’à partir du moment où ils étaient mandatés et payés pour effectuer un travail, en cas d’accident un transfert des responsabilités allait s’opérer très probablement à leur encontre comme à leurs dépens. L’alpinisme était en pleine mutation concernant les responsabilités. Déjà, des guides victimes d’accidents avec leurs clients en avaient fait les frais ; leurs responsabilités avaient été clairement engagées et — chose inimaginable il y a 20 ans encore — certains s’étaient même retrouvés devant les tribunaux…

Les assises mirent à jour une évidence : l’époque « conquête des montagnes » était bel et bien terminée. Comme pour l’escalade, nous entrions à présent dans l’ère d’un alpinisme de consommation. Activité encore marginale hier, l’escalade — indispensable préparation à l’alpinisme — était devenue un sport comme un autre ; des hommes et des femmes grimpaient en falaise sans nécessairement évoluer vers l’alpinisme, et ceux qui choisissaient d’aller vers les parois d’altitude, souhaitaient y retrouver l’équipement sécurisé des falaises.

Le second article qui fit polémique fut celui intitulé « Désengagement ». Il mettait simplement en évidence l’emploi abusif du téléphone portable en montagne. Comme toujours, il y eut ceux partageant à fond mon point de vue, et les autres, qui n’hésitaient pas à me traiter de rétrograde, de bonhomme vivant hors de son époque.

Pourtant, pour moi les choses étaient claires : parti en altitude pour oublier ses soucis du bas, l’alpiniste se les reprenait en pleine tête au sommet du mont-blanc, grâce à son téléphone portable. Mais il y avait plus grave : à présent, certains n’hésitaient pas à déranger les gendarmes-secouristes du PGHM pour de simples broutilles…

Une femme, dont j’ignore toujours le nom m’appela un jour pour m’insulter et me traiter d’irresponsable !

 Son mari, me dit-elle, avait eu la vie sauve grâce à son téléphone portable, et à ses yeux, je n’étais qu’un simple gratte-papier qui ne connaissait ni la montagne, et encore moins ses dangers (sic !)

Pratiquant la randonnée solitaire en pleine forêt vosgienne son époux s’était brutalement tordu la cheville gauche sur une racine. Il avait dû ramper, jusqu’à ce qu’il puisse enfin obtenir la connexion au réseau. Il était arrivé, me dit-elle, à environ 400 mètres des premières maisons d’un village, en lisière de forêt. Heureusement, grâce à son téléphone portable, les secours étaient arrivés à temps, lui épargnant une nuit en pleine nature où il serait, toujours selon elle, très certainement mort de froid ; voire pire, ajouta-t-elle, car vu l’extrême état de faiblesse dans lequel se trouvait son mari, il aurait très bien pu se faire dévorer par des bêtes. (Je n’ai pas osé lui demander si elle pensait à la célèbre bête des Vosges…)

Le troisième article est certainement celui qui fit le plus de bruit, mettant tout le monde très mal à l’aise, moi y compris. Son titre : « l’histoire de l’alpinisme… ne fait que commencer ! »

En voici l’origine. L’hiver précédent, deux amis russes avaient fait le pari d’ouvrir une nouvelle voie dans l’éboulement de la face Ouest des Drus. Défi audacieux et très incertain pour lequel ils demandèrent une aide matérielle à plusieurs fabricants et le soutien moral du GHM.

Étant chez Jean-Claude Marmier à Chamonix à ce moment-là, j’avais suivi de près cette ascension très risquée dans la face éboulée. De son côté, Jean-Claude renseignait la presse et les journalistes qui posaient beaucoup de questions sur l’intérêt réel d’un tel défi. Cette voie nouvelle en hiver sur le Dru fut un succès et considérée par la suite comme un exploit.

Seulement voilà, plusieurs voix s’élevèrent pour dénoncer le manque d’intérêt total d’une telle ascension, ainsi que le battage médiatique qui l’avait entourée. Parmi ces voix, une que l’on n’attendait pas : celle d’Eric Escoffier. Ce dernier n’y était pas allé tendrement dans la revue Vertical. Pour Éric, cette ascension n’avait été — je cite de mémoire — « qu’un grand cirque médiatique sans intérêt, orchestré par le GHM et son ancien président Jean-Claude Marmier.»

J’avais fait la connaissance d’Éric Escoffier quelques années plus tôt chez Yannick Seigneur. Les deux hommes, accompagnés de quelques autres, s’apprêtaient à partir pour la face Nord de l’Everest. J’aimais beaucoup Eric Escoffier et je crois que c’était réciproque, mais là, il était allé un peu loin…

Secrétaire du GHM, présent sur les lieux et ayant pu suivre le déroulement de l’aventure des deux Russes, je ne pouvais pas laisser passer une telle critique visant deux alpinistes intègres et un ancien président du groupe (de même que plus tard, je n’ai pas pu laisser passer les attaques contre Maurice Herzog, ancien président et membre d’honneur du GHM, concernant la remise en cause de l’ascension de l’Annapurna.)

J’écrivis donc un article assez cinglant en direction d’Eric Escoffier — réponse du berger à la bergère en somme — et j’en profitais aussi pour égratigner quelque peu l’ami Yves Ballu, qui, dans son livre LesAlpinistes et suite aux performances de Christophe Profit, n’hésitait pas à prophétiser la fin de l’alpinisme dans les Alpes. Qui aime bien châtie bien.

Histoire de ne pas prendre Éric par surprise, je lui fis parvenir mon article. Il me téléphona en riant et me dit qu’il avait trouvé mon papier très bien… surtout le passage concernant Yves Ballu : « par quelle magie un historien peut-il devenir prophète ? » me dit-il.

Pour le reste du texte le concernant, il le trouvait « pertinent et bien torché ». Évidemment, il demanderait un droit de réponse dans les pages GHM de la revue, dès son retour d’Himalaya. Bien entendu, nous lui aurions accordé. Il était évident que toute personne mise en cause devait pouvoir se défendre et livrer ses arguments. En raccrochant le téléphone ce jour-là, nous étions Éric Escoffier et moi, toujours bons amis et c’était le principal.

Les choses auraient pu en rester là, mais voilà, le destin en décida autrement. Début août 1998 en arrivant au Salon du livre de Passy, j’apprends la disparition d’Eric Escoffier sur les pentes du Broad Peak. Présent au salon, Yannick Seigneur qui connaît bien cette montagne, me dit que l’espoir de revoir Éric est très mince…

Je file sur le stand du Club Alpin trouver Jean-Paul Zuanon, directeur de la revue La Montagne & Alpinisme. Compte tenu de la disparition d’Éric lui dis-je, il n’y a plus d’intérêt à publier mon article. J’avais d’autres sujets en tête et je pouvais lui écrire un autre papier au pied levé pour combler les deux pages…

Hélas, trop tard !

L’ensemble des écrits de la revue était déjà au marbre et nous ne pouvions plus rien bouger.

La suite est facile à imaginer. L’article parut début septembre au moment même où la disparition d’Éric devenait définitive. Une avalanche de courrier arriva à la rédaction : lettres d’injures à mon égard, menaces de désabonnements… Mon adresse figurant dans les Annales du GHM, je reçus moi aussi de nombreuses lettres incendiaires et même quelques menaces de mort… Comment était-il permis de « cracher aussi facilement sur un mort qui ne pouvait plus se défendre… »

Certains amis d’Éric, qui souvent étaient aussi les miens, m’en ont également voulu… avant de comprendre finalement les aléas et les impératifs du bouclage de la revue. En fait, le seul à avoir beaucoup ri à la lecture de cet article fut Eric Escoffier lui-même. Hélas, il n’était plus là pour le dire et surtout pour répondre.

Au GHM, à partir de 1997 beaucoup de choses changèrent. Jean-Claude Marmier laissa la place de président à un jeune alpiniste lyonnais : Yves Peysson. Ce dernier accepta la présidence en posant quelques conditions. L’une d’elles était que je reste à mon poste de secrétaire pour l’aider au maximum. Yves était volontaire, mais aussi très pris par son métier de physicien au CEA. J’acceptai d’autant plus volontiers, car j’avais quelques projets dans mes cartons et je sentais Yves très motivé et très ouvert aux idées nouvelles.

Par exemple, pourquoi ne pas créer un prix du livre GHM ? Pourquoi, à l’image de ce qui était fait à l’Alpine Club, ne pas réaliser un vrai livre plutôt qu’une simple revue annuelle appelée Annales ?

J’avais déjà fait ces propositions à l’équipe précédente, mais mes idées étaient restées sans écho. Non seulement Yves Peysson appuya ces projets, mais il en apporta lui-même d’excellents.

Ainsi, il créa le site Internet du groupe ; fut à l’initiative du livre Grand Alpinisme pour les 80 ans du GHM — livre auquel il me demanda de participer, ainsi qu’à Robert Guinot — et combien d’autres choses encore…

Dès 1998, la revue Les Annales laissa la place à un livre annuel appelé Cimes. Le nom du rédacteur en chef s’imposa naturellement : Pierre Chapoutot. Pouvait-il y avoir choix plus judicieux que le « Chap’s » pour diriger et coordonner la rédaction de ce livre ? Je ne le crois pas.

Alors que nos deux fédérations n’étaient pas au mieux dans leurs relations, je crois avoir été l’un des seuls — de par ma fonction de secrétaire, puis de vice-président du GHM — à écrire simultanément dans les deux revues fédérales : La Montagne & Alpinisme, revue du Club Alpin et du GHM et Direct’Cimes, revue de la FFME.

Les cinq années passées au côté d’Yves Peysson à œuvrer pour l’intérêt général du groupe, à défendre les valeurs du Grand Alpinisme, nos valeurs, sont sans aucun doute les plus constructives que j’ai passées au GHM.

Mais toutes les belles choses ont une fin. En l’an 2000, Yves, de plus en plus pris par son travail ne souhaita pas se représenter. De mon côté, très malade — je venais de subir une greffe totale de foie — j’éprouvais le besoin de prendre un peu de recul et de repos.

Un nouveau président fut élu. Il désigna lui-même son nouveau bureau. Je n’en faisais pas partie, mais il est vrai que je n’avais formulé aucune demande dans ce sens. Plus tard, comme par besoin de se justifier, le président me dira : « tu comprends, il fallait une équipe nouvelle, plus jeune, plus dynamique ! »

Dont acte !

En 2001, je fus élu secrétaire du Comité de l’Himalaya et des expéditions lointaines au sein de la FFME. Je retrouvai Jean-Claude Marmier qui en était le président, ainsi que Bernard Domenech, Robert Paragot, Cédric Larcher et quelques autres. L’ambiance était bonne et je fus amené à écrire quelques articles pour la revue Direct’Cimes. Jean-Claude Marmier me fit même la proposition d’en prendre les commandes, mais je refusai.

En 2005, de plus en plus déçu par la vie associative, où je sentais l’individuel « souci du paraître » prendre de plus en plus le pas sur l’intérêt général, je décidai de «poser mes valises ». Je n’écrivis plus que quelques articles ou portraits pour la revue Cimes du GHM.

Le Groupe de Haute montagne d’après 2001 ne fut plus le même. Le prix du livre GHM fut abandonné, plus aucune ligne ne fut écrite dans les pages GHM de la revue La Montagne & Alpinisme ; même le Piolet d’or créé par Marmier et Chaumereuil faillit disparaître. Quant à la revue Cimes, il semble bien que, faute d’idées et de cohésion, l’année 2015 a donné naissance au dernier numéro.

Cependant, à la veille de fêter son centenaire et pour une poignée d’irréductibles « l’esprit GHM » n’est pas mort. En 2014, avec Yves Peysson nous avons publié un ouvrage « Les grandes heures de l’alpinisme{1} ». C’est un livre important, puisqu’il reprend quelques-uns des grands textes écrits par les membres du groupe dans ses différentes revues. Tous les droits de ce livre iront dans les caisses du GHM. Quant au Piolet d’or, organisé pour la première fois en 2016 à La Grave, il fut paraît-il, un succès…

Aujourd’hui, en plus de quelques merveilleux souvenirs, il me reste ces textes publiés pour l’essentiel dans quatre revues : Direct’Cimes, les Annales du GHM, Cimes et La Montagne & Alpinisme ; j’y ai ajouté quelques préfaces de livres rédigées à la même époque.

Certains d’entre eux vous sembleront peut-être un peu vieillots ou en décalage avec les pratiques et les enjeux actuels, mais qu’importe au fond. Ils reflètent une pensée et un idéal qui, pour moi, après plus de 45 années de montagne n’ont pas changé. Il fut un temps, pas si lointain, où cet idéal correspondait aussi à celui d’une majorité des membres du GHM.

Jean-Marie Choffat

Le 10 mai 2016

PRÉFACE au livre de Sylvain Conche

Escalade en terrain d’aventure, s’initier et progresser{2}

En 1492, il y a donc un peu plus de cinq cents ans — année même où Christophe Colomb découvrit l’Amérique —, le seigneur Antoine de Ville sur les ordres du Roi de France, Charles VIII, parvenait à gravir le Mt-Aiguille dans le Vercors. Sans s’en douter, il venait pourtant de donner vie à une activité qui allait énormément compter pour nombre d’êtres humains, dont je fais partie...

Pour gravir le « Mont-Inaccessible », Antoine de Ville et ses compagnons eurent parfois recours à un type d’escalade artificielle un peu particulier. Grâce à leurs « eschelles », certes, mais aussi employant le « système D », technique n’ayant de place aujourd’hui dans aucun manuel technique...

Mais c’est au siècle dernier — et notamment lors de ces cinquante dernières années — que l’escalade va connaître son plein essor et devenir une activité ludique.

D’abord adoptée par une marginale minorité, l’escalade à cette époque constituait LE tremplin pour accéder à la haute montagne. L’escalade était alors toujours pratiquée dans un esprit de réussite des parois. Si parfois la difficulté était grande, elle était cependant toujours limitée par un matériel restreint : pas de coinceurs (ou très peu de variété) ; choix restreint de pitons ; l’emploi des pitons à expansion était considéré comme une atteinte à l’éthique qui pouvait parfois conduire à des excès très mal perçus dans le milieu de la montagne.

Syvain Conche

à l'envers des Aiguilles de chamonix

Cependant, au début des années 1980 tout va changer. Après l’escalade de conquête traditionnelle, et grâce au développement constant de nouveaux matériels, mais aussi à l’appui de quelques reportages. Chacun se souvient — et pour ne citer qu’eux — des films sur et avec Patrick Edlinger. L’escalade —comme le tennis bien des années plus tôt — va se démocratiser et ouvrir ses portes au plus grand nombre. Les structures d’accueil et de formation (CAF et FFME) vont se charger de transformer une activité marginale en sport véritable. L’équipement des parois d’école — et pas seulement celles-ci d’ailleurs — avec des scellements à demeure vont complètement bouleverser, non seulement l’approche de l’escalade, mais aussi la façon même de grimper. En effet, là ou hier la chute était interdite, le matériel employé aujourd’hui non seulement la permet, mais elle devient même nécessaire pour une libre progression dans l’échelle de valeurs des difficultés extrêmes en escalade dite sportive.

Il faut admettre que si cette pratique permet de gravir des parois comportant des passages libres d’une difficulté extrême, ceci ne fût rendu possible que grâce à l’équipement « inarrachable » mis en place de façon constante — et parfois anarchique — dans des falaises qui parfois n’en demandaient pas tant. Et c’est peut-être là que se trouve le grand dilemme de l’escalade aujourd’hui. En effet, si l’escalade sportive a solutionné des difficultés très importantes sur le plan physique et gestuelle, quand est-il sur le plan mental ?

De mon point de vue, le bilan n’est, sur ce point, pas fameux !

Ainsi il n’est pas rare de constater qu’un grimpeur passant régulièrement du 7ème et même du 8 ème degrés en paroi aseptisée, ne soit pas très rassuré dans un passage de 5 c, quelques mètres au-dessus d’un piton classique. Si en escalade sportive la chute est un facteur obligatoire de progression, en terrain dit d’aventure, elle est totalement proscrite. Il faut bien reconnaître que beaucoup de choses se passent dans la tête et que pour certains, ce type d’escalade revient un peu au même que de faire du trapèze sans filet, ce qui est tout à fait absurde, puisque là, nous rejoignons en fait la naissance même de notre pratique. Il en va de même pour l’escalade dite artificielle. Certains pensent que ce n’est pas de la véritable escalade et que celle-ci n’intervient que lorsque toutes les possibilités en libre ont été employés. C’est en partie vrai, sauf que l’escalade artificielle — qui revient à la mode en ce moment — fût une pratique obligatoire hier, dans certaines parois des Dolomites, et qu’elle est aujourd’hui poussée à l’extrême, dans les gorges du Verdon notamment. D’ailleurs, si l’on y regarde de plus près, elle à finalement toujours été indispensable pour gravir certaines parois (voir ce qui est dit sur Antoine de Ville au début de ce texte.)

 Il faut également préciser que si beaucoup de falaises gravies hier en artificielle ont pu l’être en libre aujourd’hui, ce n’est que grâce à l’équipement laissé en place par les ouvreurs, puis rééquipés par les suivants bien souvent à l’aide de broches scellées et en utilisant le vieux matériel en place. Bref, je dirais que si l’escalade à présent a gagné en difficulté pure, elle a énormément perdu — du fait des suréquipements progressifs — sur le plan psychologique. Mais cet avis n’engage que moi.

Il faut enfin souligner qu’aujourd’hui de nombreux jeunes pratiquent l’escalade sportive tout en possédant au fond d’eux-mêmes un vif désir de sortir des sentiers battus. Ils ont conscience que seuls le terrain et l’escalade d’aventure peuvent répondre à leurs désirs et constituer pour eux un vrai tremplin vers une plus grande autonomie, un élargissement de leur culture alpine, ainsi qu’un accès possible vers la haute montagne.

C’est ici qu’intervient l’ouvrage de Sylvain Conche. Grâce à lui, nombre de questions que serait à même de se poser les aspirants au terrain d’aventure sont, non seulement abordées, mais aussi, et surtout solutionnées. C’est un livre indispensable à tous ceux qui veulent retrouver dans la pratique de l’escalade autre chose qu’un exercice gymnique entre deux scellements ; bref, un avant-goût et une préparation à ce qui sera demain leur escalade d’aventure qu’ils pratiqueront et vivrons eux-mêmes.

Préface au livre d’Albert Tobey

Souvenirs de là-haut (repris sous le titre Vie de guide{3})

Il y a des jours où l’on est en droit de se demander si — outre les inévitables factures —, le facteur est capable de nous apporter un rayon de soleil ?

Ce matin la réponse est oui.

Au-dessus de la pile de prospectus habituels trône une grande enveloppe grise. En raison de réécriture un peu tremblée, reconnaissable entre mille, je crois deviner ce qu’elle contient : la deuxième partie de la «Vie de guide» de mon mil Albert Tobey. Depuis plusieurs jours, je l’attendais. Vite, je m’installe dans un spacieux fauteuil et commence à parcourir, avec une joie inégalée, les premières pages du précieux manuscrit. Déjà un premier volume de ses «mémoires» Albert nous avait offert un large aperçu de sa vie en bien des points exemplaire.

Né le 15 juin 1915 à St Martin D’Hères, ce guide émérite a commencé à grimper... sur des peupliers en se rendant à l’école ! Il avait six ans.

À quatorze ans, il découvre celle qui, peu à peu, allait devenir l’une des grandes passions de sa vie : la montagne.

Comme Lionel Terray, il fera ses premières armes sur les parois calcaires qui entourent Grenoble. Mais par la suite, c’est dans le massif de l’Oisans — son «jardin féerique» —, qu’il passera le plus clair de son temps.

En 1944, Albert décide de passer son diplôme de guide de haute montagne qu’il obtint sans problème. Pour l’occasion, le grand Armand Charlet a fait le déplacement depuis Chamonix.

Albert Tobey aurait pu se contenter d’être un «bon guide». Mais il est devenu un «grand guide ». Ses merveilleuses réalisations l’attestent : premières des faces nord de la Meije, du pic Gaspard, du Pavé... Sans oublier le pilier qui aujourd’hui porte son nom, sur la paroi de Chamechaude en Chartreuse. La liste, bien sûr, n’est pas exhaustive !

Sa dernière première, il l’effectuera en Corse à la Tour des Italiens, dans le massif de la Paglia Orba en 1979, à l’âge de 64 ans, en compagnie de son ami Noël Félici.

Pour devenir un grand guide, les qualités techniques bien souvent sont insuffisantes. Il faut y ajouter l’amour du métier, doublé d’une forte dose d’amitié, plus un zeste d’indulgence envers les personnes emmenées. Partout où cela lui fut possible, Albert a conduit des clients, tous devenus des amis au fil du temps. Cet homme, au cœur plus grand que l’Himalaya, sut sa vie entière transmettre sa passion et le meilleur de lui-même à des jeunes et des moins jeunes.

Ses livres ? Certes, ce sont d’abord des récits de courses. Mais ces dernières se déroulent à une époque où faire de l’alpinisme dans les Alpes restait une grande aventure, remplie d’incertitudes. Car pour apprécier les ouvrages d’Albert Tobey, pour les savourer à leur juste valeur, à la manière d’une friandise, il est indispensable de se replacer dans le contexte de l’époque : chaussures à clous, matériel sommaire et peu fiable, cordes en chanvre n’offrant aucune résistance à une chute importante, pas de baudrier et encore moins d’hélicoptère qui vous tourne autour pour une peccadille...

Nous ne pouvons que recommander la lecture des ouvrages d’Albert Tobey aux jeunes générations. En effet, ils reflètent bien une époque ou l’homme ne désespérait pas encore de lui-même et où l’alpinisme se résumait d’abord — y compris dans l’exploit —, à une grande histoire d’amitié. Grâce et surtout à cause de cela, Albert Tobey s’impose un peu comme un historien de la montagne. Force est d’admettre que, dans nos temps actuels, nous avons tous besoin d’un grand souffle d’air pur. Cet oxygène tant espéré, le dernier ouvrage d’Albert nous en donne une bouffée à chaque page. Celles et ceux qui ont eu la chance de connaître la montagne dans ces années difficiles, rendues plus incertaines encore par la guerre, retrouveront beaucoup, j’en suis sûr, ce qu’ils ont eux-mêmes vécu là-haut, dans les grands vents de l’altitude.

Pour la majorité des autres — dont je fais partie —, c’est une montagne qu’ils ne connaissent pas et ne retrouveront sans doute jamais. Le moment est donc venu — car il est toujours temps et utile de s’instruire — de faire la connaissance, par l’intermédiaire de ses livres, de l’homme attachant qu’est Albert Tobey. De la même façon que moi je pense, à la lecture de ses écrits, vous aurez l’impression de l’entendre vous raconter SA montagne, celle d’avant les piolets à lames banane et autres gadgets qui aujourd’hui nous semblent indispensables.

Avec des mots simples et qui semblent couler telle une source, Albert Tobey sait nous atteindre là où il faut : en plein cœur. Sa narration des faits ne suit aucun schéma classique, elle s’envole comme portée par le vent des souvenirs, à la recherche de ce bonheur simple et communicatif vécu sur les cimes. À l’aide de courts chapitres, parfois émouvants — un peu comme de petites nouvelles, une petite musique —, cet ouvrage nous relate avant tout la vie d’un homme à travers son amour pour la montagne. Un amour tellement grand, qu’il rendrait jalouse n’importe quelle épouse. Pas la sienne pourtant. Elle a su l’épauler pendant toutes ces années consacrées à sa vie de guide.

Octobre 1996 restera gravé dans beaucoup de mémoires et dans la mienne, peut-être plus profondément encore. Entré au G.H.M en 1948, Albert Tobey n’avait pas assisté à une réunion depuis longtemps. Au cours de l’été, il me fit la promesse de venir à la prochaine. Lors de notre assemblée générale du 28 octobre 1996 à Chamonix, alors que nous étions en train de nous installer, j’aperçus Aline. Discrètement, elle vint me prévenir qu’Albert avait tenu parole. Il était là, très ému et pour tout dire, un peu inquiet. Il attendait derrière la porte.

— Pourquoi n’entre-t-il pas, demandai-je à Aline ?

— C’est que... vois-tu... il est un peu intimidé de tous vous retrouver. Et puis... il est dans son fauteuil... alors tu comprends ?

Je comprenais. À présent handicapé, Albert avait peur d’être exclu de la grande famille montagnarde. Il redoutait par-dessus tout le regard de ces jeunes grimpeurs parvenus au fait d’une gloire qui, hier encore, était la sienne. Je suis allé chercher Tobey pour l’installer au rang qui était le sien depuis toujours : le premier. Jamais je n’oublierai l’accueil qui lui fut réservé, quand notre président le présenta aux membres dont, pour la plupart, il aurait pu être le père voire même pour certains, le grand-père. Tous, se levèrent pour saluer et applaudir le montagnard et l’homme d’exception. Son émotion était grande. La nôtre également.

Personne n’avait oublié celui qui avait si joliment «survolé» la face nord de la Meije en 1947, un peu à la manière d’un papillon allant à une étoile. Pas un de nous ne l’oubliera.

D’ailleurs, ses deux livres resteront telles des balises, pour dire aux alpinistes de demain que déjà, à cette époque, d’autres hommes courageux...

C’est l’un des grands privilèges de la littérature. Peut-être le seul.

Je me souviens qu’au dos de son premier livre, parlant de la montagne, Albert s’interrogeait : « comment décrire un spectacle aussi beau, aussi sublime, avec une plume, sans l’abîmer? »

Je serais tenté de lui répondre que c’est sans doute parce qu’il a su mettre son cœur à la place de la plume, et cela n’étonnera sans doute pas ceux — et ils sont nombreux — qui ont la chance immense d’être au nombre de ses amis.

Cher Albert, avant que tes nouveaux lecteurs ne tournent les pages de cette modeste préface pour commencer à te lire, je voudrais juste ajouter ces deux mots : je t’embrasse.

Pascal Ottmann, un homme,une vie, un livre

Cette postface au livre de Pierre Ottmann a également été publiée dans la revue La Montagne & Alpinisme n° 2/2001

Beaucoup se souviennent encore de Pascal Ottmann, l’homme qui, en 1976, réussissait la première ascension de la face sud du Huandoy au Pérou, avec René Desmaison. Les montagnards n’ont pas oublié ce jeune et brillant guide de haute montagne, professeur à l’ENSA, parti sans retour à l’aube de l’année 1984, pour tenter la première solitaire hivernale de l’arête intégrale de Peuterey au mont Blanc.

À l’occasion de la troisième édition du livre que Pierre Ottmann a consacré à son fils : Pascal Ottmann mon fils disparu au Mont-Blanc{4}, plusieurs membres du GHM, notamment René Desmaison, Christophe Profit, Ph. Jeannel de Thiersant, Carlos Vallès... ont pris la plume afin d’apporter leur témoignage.

Parmi ces textes, le mien qui servira de postface au livre de Pierre Ottmann. Dans les lignes qui suivent, j’ai tenté de brosser le portrait d’un alpiniste d’exception qui aurait eu sa place au GHM.

Si seulement, là-haut, le mont Blanc lui en avait laissé le temps...

***

L’homme devenu montagne

De sa passion, la montagne, Pascal Ottmann avait fait son métier. À vingt-neuf ans, il était devenu l’un des plus brillants alpinistes français : guide de haute montagne (major de sa promotion) et professeur à l’École nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix. Cela demande de très grandes qualités, physiques, techniques, psychologiques et pédagogiques. J’ai fait sa connaissance au printemps 1975. Cette année-là — celle de mon service militaire —, le Groupe alpin d’Audincourt, association à laquelle j’appartenais, préparait activement, sous l’impulsion de son président Jean-Pierre Étienne, une expédition au Pérou pour 1976.

Pour mener à bien ce projet, Jean-Pierre avait réuni des grimpeurs de premier plan, parmi lesquels Pascal Ottmann et René Desmaison. Ce dernier, membre d’honneur du club audincourtois depuis plusieurs années, fut invité à diriger l’expédition. Comme test ultime et dernier entraînement, l’équipe avait choisi de tracer un itinéraire nouveau de haute difficulté sur la très surplombante paroi des Voûtes en Dévoluy.

Après le succès de cette ascension, les dés furent jetés et l’objectif péruvien — tenu secret jusque-là — révélé. C’est sur la formidable face sud du Névado Huandoy que s’arrêta le choix des grimpeurs. Culminant à 6167 m d’altitude, haute de près de mille mètres, cette austère paroi de la cordillère des Andes avait repoussé, au cours des années précédentes, les tentatives de quinze expéditions internationales. Dame la chance fut de la partie et la réussite de l’expédition fit grand bruit dans les milieux alpins du monde entier. Au côté de René Desmaison, c’est le nom du franc-comtois Pascal Ottmann qui était le plus souvent cité.

Pascal... Desmaison... Ottmann... René...

Les noms de ces deux montagnards immenses sont à jamais inscrits en lettres d’or dans l’histoire de l’alpinisme : ils sont indissociables de la conquête de la face sud du Huandoy. Tous deux en ont été les véritables maîtres d’œuvre, surmontant le plus souvent en cordée réversible, des difficultés inouïes et jusqu’alors inédites sur une paroi rocheuse de la cordillère Blanche. Pour s’en convaincre, il suffit de relire le livre de René Desmaison, Les Andes Vertigineuses. La complicité, la symbiose parfaite tant amicale que technique qui régnèrent entre les deux hommes, s’en trouvent gravées dans la pierre et dans toutes les mémoires.

Que de chemin parcouru par l’enfant de Vesoul en si peu d’années. Des petits rochers de sa Franche-Comté natale, en passant par la plus difficile paroi des Andes et jusqu’à sa dernière course solitaire hivernale, l’intégrale de Peuterey au mont Blanc, Pascal a su cultiver sa passion pour la montagne avec un panache énorme, doublé d’une modestie rare. À une époque, où les exploits — pseudo ou véritables, en montagne et ailleurs — sont parfois noyés dans un flot médiatique pas toujours justifié, la démarche de Pascal Ottmann a valeur d’exemple pour les générations futures. Pascal seul sur ses montagnes... Par défi et pour cette inégalable part de bonheur que procure une grande course en solo... Joie sauvage, qui sans doute paraîtra égoïste aux profanes ne connaissant rien au grand jeu de l’alpinisme. Car comment leur faire comprendre — et admettre — que de se sentir à sa place, maître de ses gestes et donc de sa propre existence sur une grande montagne, procure une sorte de béatitude, une forme d’ivresse ? Oui, tout cela leur paraîtra étrange, et pourtant... Seul pour gravir les plus difficiles parois des Alpes...

Pascal Ottmann en a gravi des dizaines dans une discrétion absolue, frôlant l’anonymat. Mais il ne se souciait pas forcément de briller aux yeux des autres. Seul le regard qu’il portait sur lui-même, sur ses réalisations, lui importait.

Exemple d’exploit solitaire parmi beaucoup d’autres : la voie Couzy-Desmaison à L’Olan ; une paroi haute de 1100 mètres, parfois au-delà de la verticale et se déroulant sur un rocher souvent délicat. Voilà qui situe, sans contestation possible, la classe et la maîtrise d’un alpiniste d’exception, arrivé au sommet de son art. J’ai eu la chance de le rencontrer trois fois, avant et après l’expédition au Huandoy.

Montagnard complet, athlète véritable, il dégageait une grande impression de force, une présence mêlée à un charisme tel, que comme tous ceux qui l’ont un jour approché, j’en suis resté très fortement impressionné. Les hasards de la vie ont fait qu’à partir de 1981 j’ai effectué bon nombre de courses et d’expéditions avec Pascal Laheurte, compagnon de cordée de ses premières escalades, disparu lui aussi en Iran, en juillet 1999. Très souvent ensemble, nous parlions des ascensions de Pascal Ottmann, des exigences qui étaient les siennes, de son style très pur et dépouillé à l’extrême : pas de radio ou d’hélicoptère, pas de dépôt de matériel préalable...

Ottmann l’avait compris : le grand alpinisme passe d’abord par la recherche de pureté quant aux moyens employés. C’est dans cet état d’esprit qu’il est parti tenter la première solitaire hivernale de l’intégrale de Peuterey en janvier 1984, un état d’esprit très proche de celui des pionniers.

 À l’époque, seule une poignée d’alpinistes dans le monde était capable d’envisager et de mener à bien, seul et en hiver, une course aussi exceptionnelle.

Aujourd’hui, grâce aux différents témoignages — notamment celui de l’alpiniste espagnol Carlos Vallès — nous savons que Pascal est monté très vite sur l’arête sud de l’aiguille Noire de Peuterey ; nous savons aussi qu’il a laissé un message au petit bivouac Craveri et que les secours ont retrouvé sa corde de rappel au col de Peuterey. Il avait donc réussi le plus difficile, car pour un alpiniste possédant le bagage technique de Pascal, la partie terminale de la grande arête n’était qu’ultime formalité.

Reste l’imprévisible, la part de malchance ou bien encore ce que l’on nomme plus simplement destin. Ce peut être la plaque de neige qui cède, la perte d’un crampon qui provoque le déséquilibre et l’interminable glissade, ou encore l’effondrement d’une fragile corniche neigeuse, trop travaillée par les vents d’altitude... Et, pourquoi pas, La chute au fond d’une crevasse lors de la descente du mont-Blanc, le sommet une fois atteint ? Tout est possible. La montagne préserve son secret, puisqu’elle a gardé Pascal.

Un jour, demain ou après demain, dans ce siècle ou dans un autre, le mont — Blanc lèvera le voile et confiera aux hommes du futur son lourd secret. IL fera connaître sa vérité. Aujourd’hui, comme balise au souvenir de Pascal, l’homme du Huandoy et de tant de courses superbes, il nous reste un merveilleux témoignage : ce livre écrit par Pierre, son père.

Ouvrage unique, fait des joies d’hier et des espérances de demain ; cri d’amour poignant et émouvant, sincère et courageux, d’un père à son fils ; livre qui nous empoigne le cœur dès les premières lignes ; œuvre singulière en somme, puisqu’elle retrace l’enfance, l’adolescence et donc la vie d’un homme, alpiniste renommé et montagnard véritable. Ces pages ne sont aucunement une fin, mais un prolongement de l’être aimé : livre anti-néant, anti-oubli.

En refermant l’ouvrage, il faut imaginer le mont Blanc se parant doucement de ses belles couleurs orangées...

Là-haut, Pascal Ottmann, l’homme devenu montagne, nous adresse son plus beau sourire.

Pascal forever...

Et si l’on (re) parlait du piolet d’or ?

La Montagne & Alpinisme, n° 3/1995

La conversation rapportée ci-après se déroule entre deux « spectateurs-alpinistes », dans le hall d’accueil du centre Maeva, juste avant la remise du Piolet d’Or 1994. Côté cour : la très sympathique station d’Autrans, côté salon : le Festival international du film neige et glace, aventure, évasion. Affalé dans un spacieux fauteuil, fumant une cigarette (je sais, c’est promis, demain

j’arrête...), voici ce que j’entends :

— Alors, qui va avoir le Piolet d’Or cette année ?

Avant de répondre, l’autre compère donne un coup d’œil circulaire. Par les temps qui courent, il est préférable d’éviter les oreilles indiscrètes. Rassuré, il répond sur le ton de la confidence :

— Écoute, je ne vais pas te citer un nom, mais moi je verrais bien « l’homme à la valise »... Soutien aux SDF il a appelé sa voie. Entre nous, qu’est-ce qu’ils en ont à foutre les pauvres SDF... C’est une fois de plus de la récupération pour faire un coup de pub, pour lui et ses sponsors.

— Tu vois moi, si j’avais à parier ma chemise, je la mettrais sur « les amoureux du Cervin », tu sais on en a beaucoup parlé avec cet article dans Paris-Match.

— Oui, maintenant, les gens sont prêts un peu à tout pourvu que l’on parle d’eux dans les revues à grand tirage. C’est toujours pareil, il faut aller à la pêche au sensationnel !

— De toute façon, le Piolet d’Or, c’est forcément un coup arrangé avec les fabricants pour mettre en avant leurs « poulains ». Il ne faut pas rêver, tout marche comme ça maintenant, l’alpinisme comme le reste...

Certains diront que l’on a la réputation que l’on mérite, en alpinisme comme ailleurs. Que nos deux compères voient d’un œil critique l’environnement médiatique des exploits de Marc Batard et de Catherine Destivelle associée à son compagnon Eric Decamp ne diminue pas la valeur de leurs performances.

Bien sûr, chacun est libre de pratiquer l’alpinisme comme il l’entend à condition de respecter la liberté de l’autre et de ne pas mettre en danger l’équilibre toujours fragile du milieu. Que la montagne soit devenue pour certains un lieu de prédilection pour tenter de faire rimer performance sportive avec monnaie sonnante et trébuchante, nul ne peut plus en douter aujourd’hui ; par contre, laisser entendre que le Piolet d’Or obéit purement et simplement à une logique commerciale relève de la fantaisie et il est difficile d’accepter le colportage de tels bruits.

Pour ma part, je passe (presque) inaperçu — ma photo n’a jamais eu et n’aura probablement jamais les honneurs de Paris-Match — aussi, comment nos deux gaillards, si sûrs de leurs pronostics pouvaient-ils se douter que le « pépère-fumaillon », assis à une portée de fumée d’eux, les oreilles dressées, mais affichant un air dégagé, n’était autre que votre serviteur, secrétaire général du GHM, membre du jury du quatrième Piolet d’Or dont l’attribution allait avoir lieu quelques minutes plus tard ?

Ah ! Les inconscients, les farfadets, les boutefeux !

En attendant la cuvée 1995, à leur intention et à celle de tous ceux que le doute risque d’assaillir, faisons un rappel, juste pour rafraîchir les mémoires, chasser les idées fausses et éviter les dérives futures.

Naissance et développement d’une idée.

Le Piolet d’Or est né en 1991 d’une volonté partagée entre deux hommes : Guy Chaumereuil, alors rédacteur en chef de Montagnes Magazine et Jean-Claude Marmier, président du GHM.

L’idée d’associer un mensuel dont la mission est de coller à l’actualité, au GHM regroupant l’élite de l’alpinisme toutes générations confondues, allait se montrer fructueuse. En allant à la recherche des performances les plus significatives et les plus belles de l’année, le Piolet d’Or entendait explorer les chemins inconnus sur tous les sommets du monde en s’attachant plus particulièrement au « comment ». Son ambition n’était pas de faire un classement et de donner un ordre de valeur, mais de mettre en avant des ascensions répondant à des critères au nombre desquels se retrouvent : la difficulté, l’engagement, l’économie des moyens, la nouveauté et un certain esprit d’amateurisme excluant les notions de lucre et d’exploitation médiatique excessive.

Voilà qui est net et sans bavures : il n’y a pas de place dans le Piolet d’Or pour la course à l’exploit coûte que coûte. Le jury, composé de membres du GHM associés à Jean-Marc Porte, rédacteur en chef de Montagnes Magazine, n’est pas sous influence et s’attache avec le maximum de sérieux, vérifiant tous les renseignements, à sélectionner les réalisations de premier ordre, effectuées sur tous les continents. Un choix qui n’est pas toujours simple tant l’information est diffuse.

 En final, une certitude : le grand alpinisme n’est pas mort, le palmarès depuis 1991 est là pour en témoigner :

- 1991. Andrej Stremfelj, Marko Prezelj, première ascension du pilier sud du Kangchenjunga sud (8476 m), soit trois mille mètres parcourus en cordée alpine sur un plus de huit mille.

- 1992. Michel Piola, Vincent Sprungli, première ascension de Dans l’œil du cyclone, dans la face est de la Tour sud du Paine, neuf cents mètres de verticalité en Patagonie.

- 1993. L’équipe « jeunes haut niveau » du Club alpin français pour l’ensemble des ascensions réalisées sur les sommets granitiques de la vallée de Karavshin dans le Pamir-Alaï.

- 1994. François Marsigny, Andy Parkin, premier parcours de la face sud-ouest du col de l’Espérance au Cerro Torre, une ascension très exposée, de difficulté extrême, combinée avec un retour à la civilisation « à la limite ».

Certes, il sera toujours possible de critiquer ces choix et de dire « il aurait fallu »... En tout cas, la valeur technique des réalisations sélectionnées ne peut pas être mise en cause, encore moins les motivations des différents protagonistes. Gageons qu’en 1995, le Piolet d’Or continuera son tour du monde et que son jury saura récompenser la « réalisation vraie et exemplaire », celle qui sait prendre ses distances avec le toujours dévorant « souci du paraître ».

Bloc-notes

La Montagne & Alpinisme n° 2/1996

La FFME saute...

... sur le Majestic de Chamonix le 10 février dernier, à l’occasion de la remise des « Cristals » 1995. Cette belle soirée était présidée par un Georges Livanos en grande forme et plus « Grec » que jamais — nous n’avons pas échappé à ses phrases célèbres du genre : « un piton de plus vaut mieux qu’une vie en moins... surtout si cette vie c’est la mienne ! » —, et aussi quelque peu nostalgique, lorsqu’il a notamment déclaré : « les jeunes grimpeurs sont tous des tarés et des imbéciles... mais j’aimerais beaucoup en faire partie ». Après un hommage mérité au grand Frison-Roche qui fêtait ses 90 ans, Bernard Giraudeau commenta avec brio une rétrospective des expéditions nationales. J’ose préciser que le GHM était particulièrement à l’honneur, car la plupart des participants à ces expéditions sont —ou étaient — également membres du groupe. Un pot et un buffet ont mis fin à cette sympathique soirée. Quant à la remise des cristaux —pardon des cristals —, j’y arrive...

Les membres du groupe récompensés...

... Au Piolet d’or d’Autrans, le 9 décembre 1995, le jury — composé de membres de la rédaction de Montagnes Magazine et du GHM — a décerné ce 5e Piolet d’or à l’alpiniste autrichien Andreas Orgler. Andreas est le second alpiniste autrichien — après Herman Buhl — à rejoindre le GHM. Cette récompense couronne une série impressionnante de voies nouvelles en Alaska. La dernière en date — et qui lui vaut le Piolet —, n’est autre que la première ascension du pilier sud du Mont Bradley (1200 m). Cotations VI, 5.11, A3... sans spit. Une course réalisée en grande partie dans le mauvais temps, sans échappée possible et sans tamponnoir. Que les grimpeurs qui, aujourd’hui, ne conçoivent l’alpinisme qu’avec une perceuse, en prennent de la graine et qu’ils n’hésitent pas à aller chercher conseil — c’est gratuit et l’alpinisme traditionnel pourrait y gagner en intérêt !

... Au Cristal FFME, le 10 février 1996, où le « jury des sages » composé de hautes personnalités de la montagne— tous membres du GHM a décerné le « Cristal expédition » à Lionel Daudet pour son tour du monde en solitaire. Le « Cristal Alpes » a été attribué à François Marsigny et Arnaud Boudet pour leur enchaînement dans la journée, du dièdre Philipp-Flamm à la Civetta et de la voie Carlesso à la Torre Trieste. Quand on connaît le niveau technique de ces voies, on ne peut que leur dire : « chapeau bas, Messieurs ! »

... Au Huit d’or du CAF, le 27 novembre 1995, où trois membres du GHM se sont brillamment illustrés. Vincent Sprungli pour un record d’Europe de distance à but fixé en parapente, Lionel Daudet, à nouveau, et Luc Jourjon pour la première ascension française de l’arête nord de l’Everest.

Performances :

Christophe apporte de l’eau... à son moulin.

En 1992 déjà, Christophe Moulin avait surpris tout le monde par un enchaînement hivernal de la face nord de la Meije avec celle de l’Ailefroide. Cette fois, Christophe a mis la barre très haut et avec des moyens volontairement limités — pas de radio, pas de photos, pas de film, pas d’effet d’annonce, pas d’hélicoptère—, bref du grand art, pour une réalisation solitaire remarquable. Départ le 4 mars et bivouac au pied de la face nord du Râteau. Les 5 et 6 mars, ouverture d’une voie nouvelle et directe, bivouac au milieu de la face, puis le sommet une fois atteint, descente par l’arête est et nuit au refuge du Promontoire. Le 7 mars repos. Le 8 mars face nord de la Meije par la voie du Z, traversée des arêtes et nuit au refuge de l’Aigle. Le 9 mars, montée à la Meije orientale, traversée jusqu’au Pavé, puis descente en rappel sur le glacier du Lautaret (bivouac). Le 10 mars, Christophe termine son « voyage solitaire » par l’ouverture d’un itinéraire à gauche de la « classique », dans la face nord du pic Gaspard. Après un dernier bivouac près du sommet, il redescend le 11 mars par le versant Sud. Au départ, il pensait mettre dix jours. Il ne lui en a fallu que sept... Il a, par ailleurs, déclaré à un journaliste : « revendiquer une éthique rigoureuse et un mental réactionnaire par rapport au show-biz de l’alpinisme ». Au GHM nous ne pouvons que magnifier ce genre de performances qui vont dans le sens du « grand alpinisme traditionnel ». D’après Christophe, dès 1950 Serge Coupé aurait écrit que la réalisation de cet enchaînement serait une réussite d’envergure. Le vénérable ancien avait de la suite dans les idées, n’est-ce pas... ?

- Superbe réussite de Christophe Profit qui trace un nouvel itinéraire de très haute difficulté dans la face nord du Kwande (Népal).

- Belles réussites en Patagonie pour François Marsigny avec les répétitions d’Exocet et Tomahawk au Cerro Stanhardt, pour Pierre Vidailhet et Luc Jourjon, avec la voie franco-argentine au Chalten (Fitz Roy).

- Bravo pour le génie imaginatif de François Damilano et Godefroy Perroux qui ouvrent une voie nouvelle dans le versant Charpoua de la Verte !

- Des consolations hivernales pour Valery Babanov, toujours solitaire, en échec à la voie Desmaison de la face nord des Grandes Jorasses et à la face nord-ouest de l’Aksu (vallée de Laïlak au Kirghistan).

LA TRÈS HAUTE ALTITUDE

La Montagne & Alpinisme n° 3/1996

Encore et toujours l’Everest. Notre sérieux journal Le Monde