Des lapins et des hommes - Philippe Viaud - E-Book

Des lapins et des hommes E-Book

Philippe Viaud

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Beschreibung

"Des lapins et des hommes" – Autobiographie dans une filière agricole en crise retrace la vie de Philippe Viaud, qui a évolué au cœur du monde des lapins, observant leur transformation, des clapiers de son enfance aux grands élevages modernes. À travers ce récit intime et professionnel, il livre un témoignage des bouleversements d’une petite filière agricole, confrontée aux changements sociétaux et aux dérives d’une certaine écologie. Une lecture qui explore en profondeur les défis d’un réseau en mutation et invite à réfléchir sur l’avenir de notre relation avec la nature.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pour Philippe Viaud, vivre entouré de lapins et de sa famille représentait le but ultime de sa vie. C’était une manière de guérir les blessures d’une enfance difficile, loin de la folie des hommes, en cherchant réconfort dans d’autres mots… et dans la présence apaisante de ses lapins.

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Seitenzahl: 142

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Philippe Viaud

Des lapins et des hommes

Autobiographie

dans une filière agricole en crise

© Lys Bleu Éditions – Philippe Viaud

ISBN : 979-10-422-7163-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le souvenir d’un bonheur irréparable est un chagrin, mais un chagrin qui n’est pas sans douceur.

Charles Dickens

Introduction

Comme Lenny je rêvais d’une petite ferme avec mes lapins. J’étais moins fort que le géant idiot de Steinbeck, dans son livre, « Des souris et des hommes ». Mais je me croyais plus malin. Après beaucoup d’efforts et quelques hypothèques, je possédais enfin ma ferme entourée de grands murs pour protéger ma famille. J’avais mon élevage de lapins. Trois enfants pour les caresser.

Mais comme il est écrit dans l’extrait du poème qui a inspiré le titre de l’œuvre de Steinbeck : « les plans les mieux conçus des (lapins) souris et des hommes tournent souvent mal, et ne nous laissent que chagrin et douleur pour la joie promise. » Les lapins ont longtemps servi leurs projets aux hommes pourtant. Depuis le Moyen Âge, dans les garennes des seigneurs. Puis par les moines qui les ont installés à l’abri des prédateurs dans les clapiers. Le monde paysan et ouvrier a pris la relève pour se nourrir et en tirer un petit revenu.

Son élevage a ensuite suivi l’évolution de l’agriculture moderne jusqu’à aujourd’hui…

Monsieur Chabriais

D’aussi loin que je me souvienne, dans ma famille, il y a toujours eu des histoires de lapins. Pourtant nous n’étions pas du tout des paysans et nous vivions en ville. En ville, oui, mais à la toute fin de la ville. À Saint-Cyr-sur-Loire, avant qu’elle ne devienne la banlieue chic de Tours. Nous habitions une grande maison avec un très grand jardin. Nous étions huit enfants et une seule mère pour nous élever. Elle n’avait pas eu de chance en se mariant avec un homme dérangé et pervers qui la battait, elle et ses enfants avec. Elle a mis vingt ans à comprendre qu’il fallait le quitter. Ce n’était pas facile dans ces années soixante où une femme ne pouvait même pas ouvrir un compte bancaire sans l’accord de son mari. Elle l’a fait pourtant.

Mon père était un être dangereux. Il avait plusieurs fois été interné en hôpital psychiatrique après que les voisins avaient eu appelé la police en entendant les cris de ma mère sous les coups. Il aurait dû rester à l’asile, c’était sa place, mais ma mère n’a jamais pu s’y résoudre. Faut dire que c’était ce qu’on appelait un bel homme et qu’il savait être charmant et gentil. Mais la plupart du temps il était brutal et méchant. Je crois simplement que même si elle a souvent dû avoir envie de le quitter, ce que sa mère et son oncle lui conseillaient souvent, elle l’avait dans la peau, cet homme et elle a accepté d’être maltraitée, elle et ses enfants pendant vingt ans.

Moi je suis le plus jeune des cinq garçons. J’ai deux petites sœurs et une grande sœur, très proche de notre frère aîné Alain. Nous, les petits, on a moins souffert. En 1967, au moment du divorce, j’avais huit ans. C’est ma grand-mère qui disait ça : « Alain, Michel, Françoise et Patrick, pour eux c’était dur ! Vous c’est pas pareil ! » Elle disait ça quand on l’embêtait trop, c’était pas méchant. C’est vrai que les grands allaient se réfugier chez elle dans le vieux Tours dans l’appartement de ses parents, sans toilettes ni salle de bain, un paradis quand même, quand c’était trop dur à la maison. C’était quand même difficile pour nous les petits. Différemment sans doute, mais on a vécu dans la peur, qui est le sentiment que je garde de ma petite enfance.

Mais un jour tout a changé ! Ma mère nous a envoyés, nous les petits vivre dans une famille pour nous mettre à l’abri de notre géniteur dérangé. Le temps de démarrer la procédure de divorce, d’obtenir l’éloignement du conjoint. Ensuite, on est rentrés à la maison. Les grands étaient déjà plus ou moins partis.

C’était le début d’un grand changement. Un vent de liberté s’est mis à souffler sur la rue de la Chanterie où nous vivions. On avait un voisin, monsieur Chabriais. Ma mère ne l’aimait pas beaucoup, elle disait qu’il était lunatique. C’est vrai que parfois il déboulait à fond dans l’allée avec sa quatre L sans lui dire bonjour. Faut dire qu’il voyait ce qu’il se passait à la maison avec mon père. Alors après notre « libération », il a laissé aller avec nous son originalité sympathique. Il y avait chez lui un petit chien qui venait de la SPA, des cochons d’Inde, des poules qui avaient le droit d’entrer dans leur maison, et surtout des lapins ! De beaux lapins roux dans des clapiers. Avec son fils Jean-Pierre, on avait le droit d’aller les voir, on était ébahis. On aurait pu rester des heures comme ça rien qu’à les regarder manger l’herbe, les restes de légumes et les quignons de pain. Monsieur Chabriais aimait les animaux. Sa femme aussi. Enfin, je veux dire que sa femme aimait aussi les animaux. Mais nous on préférait monsieur Chabriais, parce que tout lunatique qu’il était selon ma mère, il a toujours été gentil avec nous et croyez-moi ce n’était pas facile de le rester avec toute la tribu que nous étions. Surtout un peu plus tard, à l’adolescence avec les mobylettes, la musique et tout le tintamarre que nous pouvions lui faire. Mais pour le moment nous découvrions l’amour des animaux, nous qui n’avions jamais eu ni d’animaux ni d’amour de la part d’un père. Il s’énervait parfois, assez souvent en fait, peut-être un peu parce qu’il devait dormir dans la journée, il travaillait souvent la nuit en tant que chauffeur de train à la SNCF et avec nous comme voisin, son sommeil a souvent dû tourner au cauchemar. Dans ces moments-là, il nous faisait grimper à l’arrière de sa vieille 4L bleue et on partait à toute vitesse vers un champ voisin, les Douets, ça s’appelait, pour ramasser de l’herbe pour les lapins. Mais d’abord il rentrait en voiture dans le champ qui je pense n’appartenait à personne et on s’amusait à faire des dérapages. On apprenait à rire avec un homme. Et puis on coupait l’herbe avec une serpette et on en remplissait de vieux sacs postaux que l’on chargeait à l’arrière. Il n’était pas ordinaire, monsieur Chabriais. Il ne demandait pas l’autorisation à ma mère pour faire tout ça bien sûr. Il mettait aussi de l’opéra, très fort sur sa chaîne stéréo. Tout le voisinage pouvait entendre. C’était étrange pour un petit garçon qui n’avait jamais entendu que la radio de sa grand-mère. Mais j’aimais bien, comme une voix venant d’une autre planète. Il paraît qu’il était communiste. C’est possible. Je ne sais pas. Plus tard quand on est devenus grands, il aimait discuter avec nous. Un jour il nous a raconté en pleurant avoir largué du napalm pendant la guerre d’Indochine. Ça venait peut-être de là son communisme. Dans la chambre de leur fils Jean Pierre, il n’y avait pas de tapisserie ou de peinture, on pouvait écrire sur le plâtre, on y amenait les cochons d’Inde pour jouer. Les poules aussi pouvaient entrer dans leur maison. C’était un genre d’écologiste, mais pas à la mode d’aujourd’hui. Les lapins, ils les mangeaient aussi. Il n’aimait pas les tuer, mais il fallait bien. On a appris avec lui à tuer un lapin sans le faire souffrir. Enlever la peau sans l’abîmer, la tendre avec une baguette de bois et la faire sécher dans le garage, pour la vendre au marchand de lapins comme on l’appelait qui passait dans la rue de temps en temps en criant « peaux de lapin ! »

Plus tard on a eu nos propres clapiers, avec nos lapins. C’est le nouveau copain de ma mère, DUDU qui nous les avait donnés. Mais ça ne l’intéressait pas trop les lapins au Dudu. C’était pas monsieur Chabriais qui, lui, passait régulièrement par-dessus la clôture en grillage pour voir comment on s’en sortait avec notre petit élevage. Il nous prodiguait des conseils. Il fallait quand même bien travailler à l’école. Un jour, Jean Pierre est parti pour la pension à cause de ses mauvaises notes. Ma mère a dit que c’était parce que madame Chabriais n’aimait pas les enfants. Qu’elle était dépressive. Moi je pense qu’il y a plusieurs façons d’aimer ses enfants. Ma mère a élevé les siens au milieu de la violence, en a souffert aussi et a pris des antidépresseurs jusqu’à la fin de sa vie pour oublier tout ça. Mais elle, elle aimait les enfants…

Je n’ai jamais remercié monsieur Chabriais pour ce qu’il a fait pour nous. Sa patience et sa douce originalité. Il est mort maintenant, c’est trop tard. Leur fils Jean Pierre est mort aussi. Très jeune, d’une tumeur cérébrale en laissant un petit bébé. Ils ont été très mal remerciés de leur gentillesse par la vie. Je ne dis pas par le Bon Dieu si quelquefois c’était vrai qu’il était communiste monsieur Chabriais…

Les lapins dans notre famille c’est d’abord grâce à monsieur Chabriais. Paix à son âme qui n’existe pas.

La fugue

Le nouveau copain de ma mère, le Dudu, c’était un gars de la Creuse. C’est une région qui a fourni beaucoup de maçons à Paris notamment. Lui, il n’a pas suivi cette voie, il travaillait dans une usine de mécanique de précision. Mais ses gènes creusois étaient là. Il a monté des murs pour nous séparer du champ voisin en friche. Il a creusé pour assainir la cour, les allées, remblayé avec des pierres. Il pouvait être drôle et raconter des histoires. Toujours les mêmes et se faire rire lui-même. C’est peut-être ce qui a plu à ma mère. Son côté placide, mais quand même déterminé à faire ce dont il a envie. De toute façon, c’était toujours mieux qu’avec mon père. Lui, il ne s’est pas fait oublier facilement. Un soir on a sonné à la porte. On avait toujours un peu peur dans ce cas-là. « C’est Dudu ! » on a entendu à travers la porte. Ma mère a ouvert. Dudu était plein de sang. Mon père l’avait poignardé, mais avec un petit canif sans doute. Parce que le Dudu il raconte : « j’ai bien senti qu’il me tapait la cuisse, je lui ai dit tape toujours ! J’avais pas vu le petit couteau. »

Il n’a pas porté plainte. Placide, je vous dis, mais déterminé !

Avec mon frère Dominique, nous faisions un petit jardin au milieu du grand, pour nos lapins. Des tunnels aussi, des vrais, ils allaient jusqu’au champ voisin. Dudu, ça ne lui plaisait pas du tout. Le jardin pour un Creusois comme lui, c’est quelque chose de sérieux. Un jour il est arrivé avec un gros motoculteur et a retourné tout le jardin sans plus de manières pour nos plantations et autres constructions non réglementaires. On a testé sa placidité en le traitant de nom d’oiseaux. Elle a bien résisté. On était révoltés, il n’en avait rien à faire de nos légumes, sans doute même qu’emporté par son élan, il n’avait pas vu notre carré de carottes. Ce n’était pas de la méchanceté. Il ne voyait que des gamins qui faisaient n’importe quoi. Pour lui un jardin ça devait être bien réglé, bien ordonné, les légumes par rangées, bien droites, sans un brin d’herbe. On a essayé d’en parler à notre mère. Elle avait bien d’autres chats à fouetter. Trouver un travail à 40 ans passés sans aucune formation, sans permis, sans voiture. Elle en avait trouvé un, pousse-balais à l’hôpital comme elle disait. Pousse-balais, c’est au-dessous d’aide-soignante. Elle a pris des cours du soir en plus de tout le reste, c’est à dire assurer le loyer, la nourriture et l’habillement de toute la marmaille. Elle est devenue aide-soignante. C’était un peu mieux payé. Alors ce que nous avait fait le Dudu, c’était un petit détail sans importance. Mais pour nous, ce n’en était pas un. On a décidé mon frère et moi de s’enfuir de la maison. C’est difficile à comprendre aujourd’hui, ce qui peut décider des gamins de 10, 12 ans à fuguer. C’est l’indifférence de Dudu à notre égard et aussi toute notre petite enfance. Pour savoir ce qu’il y avait dans nos têtes, il aurait fallu essayer d’y entrer et ma mère n’avait pas le temps pour ça. Notre résolution était prise, on allait partir et trouver du travail dans une ferme. On s’occuperait des animaux. Il y avait dans le garage une remorque. Bien aménagée, avec des cloisons, un toit, on pourrait installer nos lapins, les nourrir d’herbes ramassées aux bords des routes. Peut-être une poule aussi pour les œufs. On a tout bien préparé pour notre fuite. Un soir, voilà que la remorque est prête, déjà attachée au vélo de mon frère. Il m’a dit : « on part demain ». Bien déterminé à faire selon notre plan. Mais voilà, on n’a pas beaucoup de différence d’âge avec Dominique, 18 mois, c’est pas grand-chose. Mais à ce moment-là, c’était beaucoup. J’étais plus fragile, physiquement et surtout mentalement. À l’école communale, c’était lui qui me défendait. En sixième au collège Bergson, c’était encore le cas. Je lui ai répondu : « t’es sûr ? Peut-être on pourrait attendre un peu. Non, tout est prêt, j’ai déjà installé les lapins, on part demain ! » Le lendemain matin, il m’a dit : « on part ».

« Je sais pas, c’est peut-être mieux ce soir ? » Il n’a pas répondu, il est monté sur son vélo avec la remorque, les lapins et la poule. Moi je suis parti aussi sur mon vélo, mais vers le collège avec un sentiment de culpabilité et de lâcheté. Quand je suis rentré le soir, ma mère était là. Elle m’a vu rentrer tout seul. Elle m’a questionné. « Bah, il est où ton frère ? » Je m’étais bien promis de n’en parler à personne, mais à la première question de ma mère j’ai répondu en pleurant : « Il est parti avec les lapins ! »

« Mais qu’est-ce que tu racontes ! Il est parti où ? »

« Je sais pas. »

« Comment, tu sais pas ! Tu vas me le dire ou je te colle une baigne ! »

« Je sais pas, on voulait partir parce que Dudu a bousillé notre jardin et notre tunnel ! » Enfin j’ai tout raconté, la remorque, les lapins, la poule et notre envie de travailler dans une ferme, puisqu’ici, on peut pas faire ce qu’on veut. Elle a arrêté de crier. J’ai vu l’inquiétude dans ses yeux.

« On va aller voir le voisin d’en face au Grand Colombier, il a des chiens policiers, on va le retrouver ». On n’a rien retrouvé du tout. Il nous a dit que l’on ferait mieux d’appeler la police, il allait bientôt faire nuit. La police est venue avec le panier à salade, j’ai tout cafté. Ils m’ont embarqué avec ma mère pour le commissariat central de Tours. Il a fallu que je réponde à beaucoup de questions. Pourquoi vous vouliez fuguer ? Pour faire quoi ? Pour aller où…