Des mots - Marielle Tremellat - E-Book

Des mots E-Book

Marielle Tremellat

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Beschreibung

À travers ses lectures et les échanges avec les auteurs qu’elle édite, une éditrice, marquée par les vicissitudes de la vie, commence son propre voyage intérieur. Elle partage avec nous les textes qui l’émotionnent, les projets qui l’animent, ceux qui lui apportent des réponses, la conduisant progressivement à affronter ses blessures. Ainsi, elle explore le pouvoir Des mots et de la poésie, une force qui vient bouleverser puis panser son cœur.

À PROPOS DE L'AUTRICE


Marielle Tremellat, praticienne en médecine traditionnelle chinoise depuis près de 20 ans, a une passion pour les livres et les mots depuis son enfance. Elle écrit par plaisir et comme un moyen de développement personnel, encourageant ses patients à en faire de même.

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Marielle Tremellat

Des mots

© Lys Bleu Éditions – Marielle Tremellat

ISBN : 979-10-422-1238-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À celui qui me pousse un peu plus tous les jours

dans mes retranchements, notamment

dans le domaine artistique, qui m’oblige à repousser

mes limites, à affronter mes peurs, qui n’est pas toujours tendre et qui cependant illumine ma vie.

À mes deux autres soleils, mes filles, qui ne connaissent pas encore cet aspect de moi car trop timide

et en manque de confiance pour oser leur dévoiler.

Je leur souhaite de ne pas attendre aussi longtemps

que moi pour être elles-mêmes et explorer

ce qui les fait vibrer au plus profond.

J’ouvre la porte de mon bureau. Il est 9 h. J’aime ce moment où je pénètre dans cette pièce et où je commence ma journée. J’y ai instauré une sorte de rituel : d’abord je m’assois, je pose mes mains sur le bureau en bois, patiné par les ans. Je lève les yeux vers la fenêtre qui donne directement sur la forêt. Je me laisse happer par les arbres qui me ramènent à la nature, qui me ramènent à moi et au final à mon travail. Sur les étagères et sur le bureau sont disposés toutes sortes de manuscrits et de lettres, des notes, des ébauches. Ils sont là en attente de lecture, de relecture, de réponse et peut-être d’une impression.

J’ai monté toute seule ma petite maison d’édition. Je choisis soigneusement les textes que je publie, j’établis toujours un échange, un partage avec les auteurs. Je me demande parfois si je dirige une entreprise ou si je tiens un cabinet de thérapie…, aussi bien pour eux que pour moi d’ailleurs…

Aussi loin que je me souvienne, dès l’instant où j’ai été capable de lire, j’ai toujours eu un livre entre les mains, une histoire dans laquelle me plonger. Enfant et adolescente timide, j’ai longtemps vécu à travers les récits des autres, leurs passions, leurs aventures. Je pouvais passer des heures n’importe où, dans n’importe quelle position, pourvu que je puisse avoir assez de lumière pour lire ! Même sous la couette, même à n’importe quelle heure de la nuit.

Je me suis demandé souvent ce que j’allais faire de ma vie, quel était mon chemin. Il n’a pas été clair tout de suite. Avais-je seulement une passion face à tous ces baroudeurs, ces hypersensibles, ces poètes dont je partageais les écrits ? La réponse s’est imposée un jour comme une évidence. Bien sûr que j’avais une passion. C’était eux ma passion, ou plutôt leurs ouvrages, leurs mots ! J’étais accro aux émotions qu’ils pouvaient me procurer, à la joie ou aux larmes qu’ils pouvaient me tirer. J’ai décidé alors que l’écriture et surtout le partage de cette écriture devait être un droit pour tous ceux qui s’engageaient dans cette direction. J’avais envie de donner une chance à tous ceux pour qui écrire donnait un sens à leur vie.

Il ne m’est cependant pas possible d’éditer tout ce que je reçois. Comment décider à qui donner sa chance ? Comment faire les choix ? Il m’a fallu du temps pour établir mes critères, pour trouver l’équilibre entre la subjectivité pure, très liée à l’émotion que le texte va générer, la qualité de l’écriture en termes de syntaxe, de rythme, l’intérêt du sujet…

Forcément, les premières années n’ont pas été rentables, et j’en profite pour remercier chaleureusement ma grand-mère qui avait commencé à me soutenir de son vivant dans ma démarche et qui m’a légué, à sa mort, une petite somme qui m’a permis de poursuivre mon projet et de le mener à bien sereinement.

Aujourd’hui, les affaires, comme on dit dans le milieu, vont bien. J’ai la chance de travailler chez moi, dans mon chalet, en pleine nature, grâce à la technologie qui nous permet de communiquer de presque partout dans le monde, dans quasi toutes les langues. Je ne me déplace sur Paris ou d’autres grandes villes que quand cela est nécessaire, pour des rencontres, des salons. Et puis il ne faut pas croire, tous les auteurs que je côtoie ne vivent pas en ville, peut-être encore moins ceux que je côtoie.

Ma journée de travail consiste donc à assouvir ma passion : lire, lire et imaginer comment mettre en valeur tel ou tel texte, proposer des projets, parfois dire non aussi, cela arrive. Devant moi, il y a un grand cahier, écrit à la main, à l’ancienne, et une clé USB. J’imprimerai les textes, je déteste lire sur un écran d’ordinateur. Voilà pour mes devoirs du jour. Je sais que je vais commencer par le cahier, il me nargue depuis quelques jours et l’aura de son propriétaire me poursuit depuis qu’il m’a confié le document. Comment ne pas être flattée d’avoir en main le journal, en tout cas une partie du journal, de Gaétan Eilat ? Vous ne le connaissez pas ? Mais si voyons, sans doute le grand reporter le plus connu de notre époque. Pour être honnête, je ne le connaissais pas personnellement avant la semaine dernière. Je me suis rendue pour le week-end dans un petit salon du livre en Bretagne, les maisons d’édition y sont aussi parfois présentes pour promouvoir des ouvrages, pour rencontrer des auteurs.

Un homme déambulait dans l’allée où se trouvait mon stand, il semblait flâner, sans chercher quelque chose en particulier. Il s’est rapproché, il a feuilleté quelques livres et il s’est assis à ma table, sans me demander mon avis. Il m’a posé quelques questions sur ma maison d’édition, il m’a surtout demandé pourquoi je faisais ce métier. Était-ce son regard ? Sa manière très naturelle d’orienter la conversation ? Je me suis retrouvée à raconter à cet inconnu une partie de mon chemin, moi qui parle plus à mon chat qu’à mon voisin. Après une heure passée à discuter comme si je le connaissais depuis toujours, il m’a annoncé qu’il devait partir et a déposé un cahier devant moi. Il m’a simplement demandé de le rappeler si j’en avais envie, il avait juste besoin de partager. Je me suis retrouvée toute seule sur mon stand, un peu désorientée. J’ai ouvert le cahier pour cueillir au hasard quelques mots, quelques phrases. C’est comme cela que je choisis mes livres. Si les phrases piochées me parlent, alors le livre rejoint ma bibliothèque. J’ai donc ouvert le cahier pour m’imprégner des premiers paragraphes et c’est là que j’ai découvert son nom : Gaétan Eilat ! Je venais de passer un bon moment avec, sans le savoir, une des personnes dont j’avais lu pas mal de reportages et que j’admirais. J’étais doublement désorientée. J’ai reporté mon attention sur son écriture. Grande, déliée, souple, elle caressait le papier. Elle était tellement plus vivante qu’un texte imprimé. Je crois que si je n’avais pas eu à répondre aux questions des visiteurs, j’aurais poursuivi la lecture sur le champ.

Une autre rencontre devait marquer mon dimanche, déjà riche en émotions. Quelques heures plus tard, c’est une jeune fille qui a demandé à s’asseoir à ma table. Elle était blanche, essoufflée, et la douleur se lisait sur son visage, une douleur physique puissante, presque fulgurante. Après lui avoir proposé à boire et lui avoir offert mon regard, elle m’a donné quelques explications sur son malaise, puis sur sa présence dans ce salon. Elle n’avait imprimé qu’un seul texte. Elle était tellement jeune et si peu sûre d’elle à proposer son œuvre, mais apparemment tellement courageuse, qu’avant qu’elle ne parte, c’est moi qui lui ai demandé de me laisser ses coordonnées ainsi que sa clé USB.

Malgré l’attrait que j’ai pour mon bureau, je m’empare du cahier de Gaétan et je décide d’aller m’installer au coin de la cheminée. En décembre, les journées sont froides et je suis une grande frileuse. J’aime lire au chaud, enveloppée par la chaleur du feu. Je peux alors oublier tout ce qui m’entoure.

Gaétan

2 novembre

Je suis enfin installé dans le TGV, tout contre la fenêtre. Je laisse libre cours à mon flot intérieur qui se superpose au paysage gris-vert. J’écris à l’encre gris-bleu dans le dernier cahier que j’ai acheté. Nous avons, le train et moi, quitté Paris sous une pluie fine et triste. Depuis quelques minutes, le vent d’ouest livre un combat orageux contre les nuages et des lambeaux de ciel bleu se dévoilent peu à peu. Les arbustes qui plient le long de la voie ferrée témoignent de la force des rafales. Encore deux heures jusqu’à Quiberon, avec un changement de train à Vannes puis un bus depuis Auray.

Ce matin, le monde laissait déborder ses larmes. Les gouttes de pluie venaient s’écraser sur le velux puis se bousculaient bruyamment dans la gouttière.

Le réveil avait sonné, encore une fois, un matin de plus dans la routine et la grisaille. J’avais laissé vagabonder mes pensées, grises elles aussi, dans cet appartement vide et froid, qui attend toujours un peu de chaleur humaine. Mon regard errait dans la chambre : aucune décoration et des cartons non ouverts ou pas encore vidés, depuis tout ce temps, c’est dire si je me sens chez moi.

Se lever, se raser, éviter ce regard dans la glace, qui hurle, qui accuse et que je n’ai pas le courage d’entendre.

Refermer les poings sur les draps, les couvertures, fermer les portes de l’esprit, se raccrocher aux images de ce film d’hier soir, de cette nuit, laisser le rêve colorier les ombres et les recoins de mon âme. Vivre au travers des mots de ces livres qui jonchent le sol de la pièce. Dehors, j’ai entendu les bruits de la rue qui s’éveillait. Là, c’était monsieur André qui avait laissé la porte se refermer, il venait d’acheter son pain et allait regagner son appartement en dessous du mien, comme tous les matins. Ensuite, c’était Yannis qui remontait le rideau de fer de sa petite épicerie orientale, de l’autre côté de la rue. Sonorités étranges et douces, noyées par l’eau qui coulait, dégringolait, goutte… à goutte. C’était ça, j’avais besoin d’une perfusion de joie de vivre, d’une pause, d’un arrêt sur image. Je ne voulais pas de cette journée qui s’annonçait sans âme. Métro, boulot, dodo ! Où sont passés mes envies, mes objectifs, mon enthousiasme ? Peut-être devrais-je arrêter d’éviter le regard dans la glace ? Peut-être est-il la seule trace vivante de Gaétan Eilat, 42 ans, reporter de renom, naufragé au large de sa vie ?

Je me suis levé, ma décision était prise. J’ai jeté mes jeans usés, mes pulls trop grands et mes bottes dans un sac, sans oublier mon ordinateur et mon téléphone portable.

Un taxi.

Un train.

Je lève les yeux, j’observe le paysage mouillé et j’imagine déjà la couleur de l’océan et sa force. À son souvenir, je me revois dans un autre train, un bloc-notes sur les genoux, à l’affût du moindre regard, du moindre échange. Avide d’écriture et ivre de curiosité, je remplissais des pages d’impression de voyages. Aujourd’hui, je suis presque seul dans le wagon et ce sont mes propres impressions que je couche sur le papier.

Autant rêver, prendre le temps du voyage.

Quiberon, une flèche de terre qui part à la conquête de l’océan. Une palette de couleurs qui va du mauve des fleurs au printemps au noir des falaises, en passant par les dégradés du sable de ses immenses plages. Les jours de tempête, il ne reste de ces terres balayées par les vents plus qu’une route au milieu des flots, une digue et des rochers, un trait d’union entre les terres et la mer, la mer et les îles.

Le bateau sera déjà à quai, le Vindilis, un des plus anciens ferries qui fait la traversée vers Le Palais depuis 20 ans. C’est sous ce nom que Belle-Île-en-Mer a été identifiée pour la première fois sur une carte géographique, vers l’an mille av. J.-C. Le rafiot aurait bien besoin d’une couche de peinture. Quoique, en fait, trop clinquant, je crois qu’il dénoterait dans ces tons bleus et gris de novembre. Je l’aime comme ça, avec ses couleurs délavées et ses algues qui s’accrochent çà et là.

Après toutes ces années, je sentirai encore une fois l’impatience monter en moi, l’air frais, presque froid, le sel des embruns sur ma peau, cette joie profonde que je n’ai jamais su retrouver ailleurs. Peut-être aurai-je envie de rire pour la première fois depuis des mois. Les minutes me sembleront des heures, la traversée une éternité, alors qu’elle ne dure que 45 minutes. J’imagine déjà la caresse du sable sous mes pieds, je me projette dans l’allégresse que va me procurer la vision des remparts de Belle-Île, dans la lumière pâle de la fin d’après-midi.

3 novembre

30 minutes de marche depuis le hameau de Port Puce où se trouve ma maison, dans la commune de Sauzon, pour atteindre la pointe des Poulains, en passant par le musée, anciennement le fort Sarah Bernhardt. Ça m’a réchauffé, mais quand on écrit en plein air en novembre, on a tout de même froid aux doigts.

Les pierres sont seules et grises face à l’océan. Les touristes sont loin, seuls les goélands prennent leur bain matinal. La marée est basse, je me suis assis dans l’herbe, face aux vagues, tout à la pointe des rochers. La lumière changeante joue avec les nuages et accroche des reflets d’argent dans l’écume, en bas de la falaise. Quelques cormorans se sont installés non loin de là et sèchent leurs ailes étalées. À l’horizon, le ciel et l’eau se rejoignent, rivalisent de gris, de vagues, de turbulences et d’éclats de soleil. Aucun voilier ne vient interrompre cette étendue sauvage. Sarah Bernhardt venait-elle, elle aussi, plonger au cœur de l’univers, de cette magie lumineuse ?