Dette et extractivisme - Nicolas Sersiron - E-Book

Dette et extractivisme E-Book

Nicolas Sersiron

0,0

Beschreibung

L'auteur démontre la continuité d'un système d'asservissement injuste et propose des pistes pour le dépasser.

L’extractivisme, ce pillage des ressources naturelles de la planète par la force, a donné à l’Europe puis aux USA les moyens de dominer le monde.
Depuis la disparition des colonies, la dette illégitime, nouvelle violence imposée aux pays dits «en développement», a permis d’assurer la continuité du pillage. Cette dette a amplifié le système extractiviste, initialement appliqué aux produits fossiles et agricoles, en l’étendant aux ressources financières du Sud puis aujourd’hui du Nord. Elle impose le remboursement par les populations de dettes dont elles ne sont pas responsables mais victimes.
Dette et extractivisme, intimement liés, sont facteurs d’injustice, de corruption, et de violences sociales et environnementales. Ce «duo destructeur» est aussi à l’origine du dérèglement climatique.
Des alternatives pour créer une société post-extractiviste soucieuse des peuples et du climat existent. L’audit et l’annulation des dettes illégitimes, la réduction des inégalités, la fin du pillage extractiviste sont quelques-uns des combats citoyens essentiels proposés dans ce livre.

Un livre fort pour dénoncer le pillage des pays du Sud par les pays du Nord à travers le remboursement imposé de dettes illégitimes.

EXTRAIT

L’analyse du système-dette, de l’extractivisme et de leur interdépendance nous semble essentielle pour comprendre le fonctionnement de la « Mégamachine2 ». L’extractivisme est une course au trésor dans laquelle les plus forts ne reculent devant aucune violence pour s’accaparer les communs que sont les ressources naturelles de la planète. Il y a quelques siècles, quand il n’y avait que la force humaine pour creuser des puits de mines, se saisir de l’or ou faire pousser le coton, la canne à sucre ou le tabac, les armateurs et les colons utilisaient des esclaves soumis par le fouet et les armes à feu. En 2013, ce sont des « esclaves énergétiques » pétrolivores qui sont utilisés pour extraire des métaux, du pétrole ou du charbon, tandis que d’autres transforment les forêts en déserts verts de soja ou de palmiers à huile.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nicolas Sersiron, est président du CADTM France, Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde. Fondé en 1990, le CADTM est un réseau international présent en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Son travail principal est l’élaboration d’alternatives radicales visant la satisfaction universelle des besoins, des libertés et des droits humains fondamentaux.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 263

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



À Noémie et Lily, enfants du siècle

Cet essai a été fortement amélioré par les suggestions, aides et critiques amicales de Sylvie Beltrami et Jean Paul Couillaud, Nicole Chapelier, Robin Delobel, Renaud Duterme, Pauline Imbach, Cécile Lamarque, Étienne Lecomte, Max et Madeleine, Damien Millet, Myriam Michel et Claude Quémar. Il n’aurait pu exister sans les livres et analyses d’Éric Toussaint, Damien Millet, des autres militants des Comités pour l’annulation de la dette du tiers monde ainsi que de tous les auteurs cités et d’autres encore.

Illustration Anne Maurange.

« L’idée de propriété privée, qui semble si naturelle aux bourgeois, a été lente à se glisser dans la tête humaine. Quand les hommes ont commencé à réfléchir, ils ont, au contraire, pensé que tout devait être à tous. Les Indiens, dit Heckewelder, croient que le Grand Esprit a créé le monde et tout ce qu’il contient pour le bien commun des hommes : quand il peupla la terre et remplit de gibier les bois, ce n’était pas pour l’avantage de quelques-uns, mais de tous. Toute chose est donnée en commun à tous les enfants des hommes. Tout ce qui respire sur terre et pousse dans les champs ; tout ce qui vit dans les rivières et dans les eaux est conjointement à tous, et chacun a droit à sa part. L’hospitalité n’est pas chez eux une vertu, mais un devoir impérieux. Ils se coucheraient sans manger plutôt que d’être accusés d’avoir négligé leurs devoirs en ne satisfaisant pas les besoins de l’étranger, du malade ou du nécessiteux, parce qu’ils ont un droit commun d’être secourus aux dépens du fonds commun ; parce que le gibier dont on les a nourris, s’il a été pris dans la forêt, était la propriété de tous, avant que le chasseur ne l’eût capturé ; parce que les légumes et le maïs qu’on lui a offerts ont poussé sur la terre commune, non par la puissance de l’homme, mais par celle du Grand Esprit. »

Paul Lafargue1

1. Paul Lafargue, La propriété : origine et évolution, 1895, chapitre 2, « Communisme primitif ».

Méline, la sage-femme, balaie rapidement les milliers de crottes de chauve-souris qui tapissent la table d’accouchement. La jeune mère s’installe et dénoue son lamba sans manière. Elle a marché plus de quatre heures pour venir au centre de santé de Befotaka, au nord de Madagascar. La naissance de son bébé était trop risquée dans son village de brousse avec la matrone pour seule aide. Elle accepte que je photographie son accouchement. Après quelques heures d’effort les mains expertes de Méline, paysanne aux pieds nus, ont fait merveille, la petite Violette naît en bonne santé. La sage-femme peut enfin couper le cordon ombilical avec la vielle paire de ciseaux rouillés du centre de santé. Honoré, le médecin, m’expliquera plus tard le drame des enfants qui naissent avec les os brisés ! Des femmes enceintes arrivent en urgence la nuit après des marches de plusieurs heures. Elles sont aussitôt renvoyées par l’infirmier à la boutique de la ville, distante de quelques centaines de mètres, pour y acheter une bougie et une compresse. Alors, parfois, le bébé naît au cours de cette ultime marche et se fracture les os en tombant du ventre de sa mère dans la poussière du chemin ! Ce témoignage a dix ans. En 2014, la vie est toujours aussi injuste pour quelques milliards de nos frères et sœurs humains qui vivent avec moins de deux euros par jour.

Préface

Nicolas Sersiron compte au rang des passeurs d’idées entre les Suds et le Nord occidental mais aussi entre des réseaux qui, à partir de points de vue différents, agissent pour un monde plus libre, plus égalitaire et plus fraternel. Ces réseaux sont souvent aveugles les uns aux autres et l’un des grands mérites de ce livre est justement de croiser les problématiques écologiques, sociales, économiques, politiques et même anthropologiques. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut espérer devenir chaque jour davantage un peu plus voyant tant la force du système consiste à séparer ce qui n’a de sens qu’unifié. Il fallait, pour réussir ce pari, que les idées développées dans ce livre émanent non seulement d’une longue réflexion personnelle de Nicolas Sersiron mais qu’elles résultent aussi de son engagement au sein du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-monde (CADTM) qui combat depuis 1990 l’ignominie du système-dette. C’est donc avec joie que j’ai accepté d’écrire cette préface, puisque dès mon engagement à la même époque au sein du CETIM (Centre Europe-Tiers-Monde), ONG tiermondiste dont la devise est « Il n’y a pas un monde développé et un monde sous développé mais un seul monde mal développé », j’ai pu constater à quel point nos cheminements étaient voisins sinon convergents. C’est donc avec gourmandise que nous avons sollicité Nicolas Sersiron pour signer plusieurs papiers dans feu Le Sarkophage puis désormais dans le nouveau mensuel les Z’indigné(e)s, c’est aussi avec plaisir que nous l’avons convié à participer au Forum mondial de la pauvreté coorganisé en juillet 2012 avec le Village Emmaüs de Lescar-Pau, puis au Deuxième Forum national de la désobéissance organisé avec la ville de Grigny. Nous sommes donc nombreux à avoir pu apprécier non seulement la gentillesse et la générosité de Nicolas mais aussi sa grande capacité à entendre les suggestions, à faire vivre sa pensée au gré des rencontres et des débats. À la lecture de ce livre, je suis convaincu que nous avons eu raison, depuis des années, de croiser les réflexions qui émanent des militant-e-s du CADTM et celles des Objecteurs de croissance amoureux du Bien vivre. Les lecteurs de Nicolas Sersiron seront à même de juger de l’intérêt intellectuel mais aussi politique des passerelles que nous avons établies entre les différentes formes de la dette, dette financière, dette écologique, dette historique liée à l’esclavage et au (néo)colonialisme, comme autant de symptômes d’un système-dette qui assure la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète. J’ai envie de dire que la première chose qui m’a séduit à la lecture du tapuscrit de Nicolas Sersiron, c’est son refus têtu de hiérarchiser tous ces combats (ce qui aboutirait inévitablement à les opposer les uns aux autres) mais aussi son désir de trouver ce qui fait lien entre eux. La deuxième chose qui m’a comblé chez Nicolas Sersiron c’est son écriture, totalement exempte de cette tonalité apocalyptique qui fait tant de tort au combat écologiste. Nicolas sait comme nous tous que nous allons dans le mur, mais il ne se complaît jamais à anticiper le pire. Cette posture est tout autant intellectuelle que sensitive, elle est aussi politique car Nicolas appartient à cette petite cohorte qui sait qu’on ne réussit rien sans espérance. Cette foi n’est d’ailleurs pas celle du charbonnier mais celle du voyant, celle de celui qui sait regarder et comprendre les mille et une alternatives qui s’inventent. Nicolas ne se force pas à être malgré tout optimiste. Il constate un « déjà là » qu’il nous suffirait d’étendre. Je fais donc le pari avec Nicolas Sersiron que les principaux concepts pour penser la transition vers un monde de justice sociale et écologique appartiennent notamment aux peuples que l’on regarde habituellement de haut, ceux que l’on traite toujours avec mépris ou condescendance, parce qu’ils seraient, nous dit-on, « en retard », « sous-développés », « en développement », « émergents », etc. Le vocabulaire change certes au fil des décennies mais le même aveuglement demeure. Je fais donc le pari avec Nicolas Sersiron que ces peuples-là ont beaucoup à nous apporter, non pas parce que la misère nourrirait mieux l’intelligence que l’abondance de biens matériels, mais parce que ces peuples possèdent toujours le mode d’emploi d’autres façons de vivre, d’autres manières de penser, de rêver, d’exister, parce qu’ils partagent encore des formes de cultures populaires, rurales ou urbaines, qui, au moins partiellement, restent pré ou post capitalistes, pré ou post-pétrolières. Ce n’est donc que si nous acceptons de décentrer notre regard, comme nous y invite Nicolas Sersiron, que nous prendrons conscience de la colonisation de notre imaginaire par les puissances ténébreuses de l’argent. Nous acceptons trop comme allant de soi la définition de la « vie bonne » (eudémonia) qu’imposent les riches. Nous acceptons trop comme allant de soi de définir les gens ordinaires uniquement en termes de manque : en économie, le manque de pouvoir d’achat ; en éducation, le manque de culture ; en politique, le manque de participation. Nous acceptons trop de parler de pays pauvres ou d’individus pauvres, alors que nous devrions toujours parler de pays ou d’individus appauvris tant l’appauvrissement du plus grand nombre n’est que la conséquence de l’enrichissement de quelques-uns, contrairement à ce que voudrait nous faire croire la fable économique, aujourd’hui dominante, du ruissellement ! Non, enrichir le sommet de la pyramide sociale ne permettra jamais de nourrir physiquement les pauvres ni de donner un sens à leur existence. Nous savons désormais que ce modèle de développement conduit droit dans le mur mais ce constat ne nous donne nullement les clefs pour ouvrir des chemins de transition. Nicolas Sersiron nous prend ici par la main pour nous conduire d’abord à la redécouverte des méfaits du système capitaliste, productiviste, développementaliste. Ce voyage au cœur de « tout ce qui ne va pas » n’est cependant pas le prétexte à reproduire une énième fois le même réquisitoire implacable contre l’ignominie du système-dette, mais l’occasion de le reprendre à nouveaux frais. Face à ceux dont la critique de la crise systémique se borne à dénoncer l’hybris (sans même se souvenir que l’humanité n’a jamais inventé depuis la Grèce antique que deux façons d’échapper aux méfaits de la démesure, la soumission aux ordres ou un surcroît de démocratie), Nicolas Sersiron choisit, lui, de porter le fer au cœur même des mécanismes fondamentaux de la destruction. Sa grande intuition c’est que la notion d’extractivisme, prise dans son sens large, permet d’expliquer à la fois la croissance des inégalités et la destruction de la planète. Ce chemin est certes plus ardu que celui fréquenté par les éternels donneurs de leçons dont les récriminations contre la civilisation « matérialiste », dans laquelle se vautrerait le petit peuple, ne sont qu’une façon de répéter la même haine de ce qu’ils nomment depuis toujours la « décadence ». Merci donc à Nicolas Sersiron d’avoir frayé d’autres pistes même si certaines sont encore en chantier. Emporté « tout naturellement » par la fécondité même des rapprochements qu’il opère par-delà les siècles et les secteurs d’activité, il pousse, pas à pas, sa dénonciation des diverses formes de l’extractivisme, jusqu’au moment où la possibilité d’un espoir renaît à travers les multiples figures d’un anti-extractivisme. J’ai envie de dire que de la même façon que nous devons nous mettre à l’écoute de tous ces nouveaux gros mots qui émergent pour dire les nouveaux chemins de l’émancipation, avec le « Buen vivir » sud-américain, le « plus vivre » de la philosophie négro-africaine de l’existence et la « vie pleine » en Inde, nous devons aussi être sensibles aux divers visages de l’anti-extractivisme. Du refus africain des mégaprojets « occidentaux » (qualifiés dès la décolonisation d’« éléphants blancs ») aux luttes sud-américaines contre les monocultures industrielles et agricoles, sans oublier les mobilisations contre les gaspillages de l’industrie sportive au Brésil et ailleurs, en passant par la condamnation en Europe des « Grands Projets Inutiles Imposés », partout un nouveau langage commun émerge pour dire que nous nous opposons à l’extractivisme au nom d’un autre projet, que nous combattons la barbarie au nom de l’éco-socialisme (c’est ainsi que personnellement je choisis de qualifier ce projet, d’autres dénominations sont tout aussi plausibles).

Le lecteur fera lui-même son marché (nécessairement bio) entre les diverses solutions que propose Nicolas : autonomie alimentaire, relocalisation, ralentissement, Dotation inconditionnelle d’autonomie, etc. Le livre de Nicolas Sersiron se lit comme une révélation car ce dont nous manquons aujourd’hui ce n’est pas tant d’informations que d’intelligence collective, c’est-à-dire de cette capacité à donner du sens à l’histoire globale. Ce livre est donc une pierre de taille dans l’édifice à construire pour concilier justice sociale, écologique et politique planétaire.

PAUL ARIÉS

Politologue. Directeur de la rédaction du mensuel Les Z’indigné(e)s.

Introduction

« La dette est, selon David Graeber, l’un des nœuds des rapports de pouvoir et de classes contemporains – de cette lutte qui oppose les 99 % aux autres, ces 1 %, “dont il est clair qu’il s’agit des créditeurs”, explique-t-il, ceux-là qui sont en mesure de transformer leur richesse en influence politique, puis, en retour, de faire de leur influence politique la source de leur richesse1. »

L’analyse du système-dette, de l’extractivisme et de leur interdépendance nous semble essentielle pour comprendre le fonctionnement de la « Mégamachine2 ». L’extractivisme est une course au trésor dans laquelle les plus forts ne reculent devant aucune violence pour s’accaparer les communs que sont les ressources naturelles de la planète. Il y a quelques siècles, quand il n’y avait que la force humaine pour creuser des puits de mines, se saisir de l’or ou faire pousser le coton, la canne à sucre ou le tabac, les armateurs et les colons utilisaient des esclaves soumis par le fouet et les armes à feu. En 2013, ce sont des « esclaves énergétiques » pétrolivores qui sont utilisés pour extraire des métaux, du pétrole ou du charbon, tandis que d’autres transforment les forêts en déserts verts de soja ou de palmiers à huile. Alors que les armées coloniales d’occupation ont disparu depuis plus de cinquante ans, sauf exception (Palestine, Tibet…), la dépossession des ressources au profit des plus puissants s’est pourtant amplifiée. La dette illégitime n’est-elle pas la nouvelle violence qui a permis d’imposer l’asservissement néocolonial actuel ?

Le pillage des ressources minières, fossiles et agricoles est à l’origine du capitalisme, de la richesse de l’Europe et de son oligarchie, ce que Fernand Braudel nomme « l’économie-monde » : un centre dominant et des périphéries asservies. Notre idée est d’observer si la notion d’extractivisme, prise dans un sens large, recouvrant le pillage des ressources naturelles, humaines et financières, permet d’expliquer aussi bien la croissance des inégalités sociales que la destruction de l’environnement. Depuis plusieurs siècles, l’extractivisme a presque toujours été une violente dépossession des « communs ». Pourquoi l’or, le pétrole, la terre et bien d’autres ressources naturelles seraient-ils la propriété de quelques actionnaires ? La nature n’est-elle pas notre bien le plus précieux, aujourd’hui comme demain ? Cette appropriation-dépossession n’est-elle pas une rupture avec le donner-recevoir-rendre, coutume fondatrice des sociétés humaines, mise en exergue par Marcel Mauss ? Le pilleur ne la respecte pas. Il ne reçoit pas, il prend par la force ou/et la corruption. En ne donnant pas et en ne rendant jamais, il provoque inégalités et pauvreté, tout en détruisant les lois sociales ancestrales fondées sur l’échange et le partage.

Imaginez que des individus bien organisés réussissent à voler l’argent de tous les distributeurs de billets de banque de la terre le vendredi, la veille du week-end. Acceptons ensuite l’idée qu’il aura fallu un siècle aux extractivistes pour épuiser pétrole et métaux ayant nécessité 500 millions d’années pour se créer. À l’échelle du temps géologique, les deux jours du week-end après lesquels il sera possible de retrouver quelques billets dans les distributeurs dureront 273 siècles. Sans doute la terre aura-t-elle pu se refroidir, les grandes forêts repousser et les poissons repeupler les océans si quelques humains ont survécu à ce gigantesque hold-up pour le voir. Mais il aura manqué à la nature quelques millions de siècles pour accumuler l’énergie du soleil par les végétaux et reconstituer les énergies fossiles. Les pays nantis ne sont-ils pas les détrousseurs de la Terre ? Il est donc indispensable de comprendre qui prend à qui, comment, et surtout, pourquoi.

En dépassant la capacité des écosystèmes à se renouveler, ou en épuisant les ressources non renouvelables, les entreprises extractivistes ne sont pas dans l’échange avec la nature, ou la pacha mama, la terre mère des Indiens d’Amérique du sud. En plus de violer l’humanité entière à qui elles prennent sans jamais rendre, elles violent aussi les droits de la nature. Les eaux douces sont de plus en plus polluées, les ressources fossiles et minérales atteignent leur pic de production, les nappes phréatiques s’assèchent, les glaciers fondent, les forêts disparaissent, le climat se dégrade, les températures montent, les réserves halieutiques s’épuisent, la biodiversité animale et végétale est en chute libre, les océans s’acidifient. Alors pourquoi les extractivistes accélèrent-ils encore le rythme de leurs prédations ? Veulent-ils en finir avec les derniers gisements d’énergie fossile pour être les maîtres du bouquet final, climatique et social ? Sinon que cherchent-ils ? Le profit, leur drogue ! Sans se soucier d’autre chose. Quand un pays est bien doté géologiquement, comme la République Démocratique du Congo, la RDC, aujourd’hui si pauvre et meurtrie, on parle de « malédiction des richesses naturelles ». Comment est-ce possible ?

Quant au système dette, il est pour nous inséparable de l’extractivisme. Comprendre comment la dette financière illégitime est le premier levier du pillage ainsi qu’une forme en elle-même de pillage nous semble essentiel. Quant à la dette écologique, si elle n’est jamais compensée ni réparée, n’est-elle pas justement la conséquence cachée de l’extractivisme, élément essentiel du pouvoir et de l’enrichissement de l’oligarchie régnante ?

La dette illégitime a été imposée aux nouveaux décideurs, après les indépendances des pays colonisés par les Européens, pour remplacer la contrainte exercée par les armées d’occupation. Dissimulée au regard des peuples occidentaux, elle est pourtant d’une violence extrême. Son but n’a-t-il pas été d’assurer la continuité des pillages indispensables au déploiement de la société de consommation pour les seuls occidentaux, et surtout pour les profits de quelques-uns ? Les politiques d’austérité et de régression sociale en Europe ou aux États-Unis, comme celles appliquées dans les PED, ne sont-elles pas justifiées par le remboursement de dettes publiques très discutables ? L’illégitimité n’est-elle pas fondée sur le fait que la population n’a ni emprunté, ni consenti formellement et encore moins profité des emprunts faits par les États après la crise ? Alors, doit-elle les rembourser et en payer les intérêts ? Les dizaines de milliers de milliards de dollars de dettes issues du crash bancaire de 2008, ou les effets de la récession qui a suivi, peuvent-ils être mis à la charge des citoyens ? L’illégitimité n’est-elle pas fondée sur l’absence d’échange inscrit dans la coutume ancestrale du donner-recevoir-rendre, principe qui impose aussi bien sur le plan social que moral de rendre un jour ce que l’on a reçu ou emprunté ? Doit-on rendre ce que l’on n’a pas reçu ? « Celui qui ne doit rien, ne paie rien », « don’t owe, don’t pay » clament les altermondialistes.

Nous examinerons d’abord les nombreuses formes d’extractivisme : extractions fossiles et minières, biodiversité, environnement, agriculture, climat, travail. Ensuite nous regarderons l’origine des dettes réclamées aux pays dominés : l’extractivisme financier. Bien qu’elles soient souvent odieuses, illégitimes voire illégales, c’est pourtant au nom de leurs remboursements que le FMI (Fond Monétaire International), la BM (Banque Mondiale) et les pays de la Triade3 ont imposé aux pays en développement, les PED, le libre-échange, la destruction des budgets de l’éducation, de la santé et un extractivisme brutal par exportation de leurs ressources naturelles. Le remboursement d’une dette publique illégitime menant à l’austérité n’est-il pas lui aussi infligé aux pays du Nord avec le même schéma ? Ne conduit-il pas à une véritable extraction par les détenteurs de capitaux d’une part toujours plus grande de la plus-value produite par les travailleurs ?

Cette fameuse dette écologique, que les décideurs refusent de reconnaître, a plusieurs formes résultant directement des pillages : la dette historique (esclavage, colonisation), la dette environnementale (pollutions, forêts brûlées, effondrement de la biodiversité), la dette climatique et la dette sociale (inégalités, faim, destruction des habitats). Et si la croissance de la dette écologique correspond à l’absence de réparation, pourquoi acceptons-nous qu’elle continue encore à augmenter de nos jours ? Comment peut-on l’évaluer et en quoi sa réparation-compensation est-elle un combat essentiel ?

Le productivisme agricole vu sous l’angle de l’extractivisme, avec ses conséquences sur la vie des humains comme sur les grandes questions environnementales, n’est-il pas un des plus grands pillages des ressources de la planète : terres agricoles, territoires de vie, forêts, eaux douces et biodiversité ? N’est-il pas aussi responsable de la disparition de la matière organique des sols, la MOS, et d’une grosse part du stock des gaz à effet de serre, les GES, et de la pollution : eaux, air, terres ?

La malbouffe au Nord et le développement des ALD, affections de longue durée, ne sont-ils pas les conséquences directes de la « révolution verte » : industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation ? Ce modèle agricole, plutôt que de nourrir le monde, comme il le prétend, n’a-t-il pas au contraire cassé les systèmes de sécurité et d’autonomie alimentaires, provoquant faim et carence pour des milliards de personnes ? Le dernier rapport de la FAO (Food and Agriculture Organisation – Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), montre qu’au-delà des 840 millions d’humains souffrant de malnutrition aiguë, ce sont plus de deux milliards qui n’absorbent pas assez de nutriments pour mener une vie active.

L’audit citoyen et l’annulation des dettes illégitimes sont possibles, l’Équateur l’a prouvé en 2008. L’Islande a emprisonné ses banquiers voyous en 2013 et n’a pas mis à la charge de son peuple les pertes financières de ses banques privées. Les aides publiques au développement du Sud ne sont-elles pas un moyen pour maintenir les échanges inégaux entre les pays industrialisés et les PED ? Le contrôle des capitaux et les prélèvements variables aux frontières sur les importations de denrées alimentaires subventionnées ne seraient-ils pas, pour ces pays à faibles revenus, des moyens assez simples pour lutter contre la faim et la pauvreté ? Quelles formes pourraient prendre les réparations qui permettraient de stopper la croissance de la dette écologique au détriment des populations et de la nature ? Enfin, quelles alternatives individuelles, collectives ou/et politiques permettraient de construire une société post-extractiviste, post-consumériste, indispensable pour construire un avenir plus égalitaire et vivable pour toutes et tous ?

1. http://cqfd-journal.org/You-re-not-a-loan (NDLE : l’ensemble des liens internet de cet ouvrage ont été vérifiés le 28/08/14).

2. Titre d’un livre de Serge Latouche, la Mégamachine désigne l’emprise de la rationalité technoscientifique et économique planétaire (Serge Latouche, La Mégamachine, 1994, La Découverte).

3. Japon, États-Unis, Europe.

1.Les différentes formes d’extractivisme

« Il y a assez de ressources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous1, mais il n’y en aura jamais assez pour satisfaire les désirs de possession de quelques-uns. »

Gandhi

Au « Sommet mondial sur le développement durable » de Johannesburg en 2002, il avait été dit : « chaque année, près de 100 tonnes de ressources non renouvelables, auxquelles s’ajoutent plus de 500 tonnes d’eau douce, sont consommées en moyenne par personne pour maintenir l’actuel style de vie des pays industrialisés, c’est-à-dire trente à cinquante fois plus que ce qui est disponible dans les pays les plus pauvres ». Une décennie plus tard, les classes moyennes des pays émergents accèdent à ce niveau de consommation. Alors que les habitants des pays occidentaux ne baissent pas leurs prélèvements sur les ressources naturelles, bien au contraire, la fin de certaines ressources ne peut que se rapprocher de plus en plus vite.

Le développement : pourquoi et pour qui ?

Si un enfant se développe jusqu’à atteindre l’âge adulte, les PED peuvent-ils eux aussi croître jusqu’à atteindre le niveau de vie matériel des pays développés ? Le rattrapage est-il possible ? Ce développement pour tous n’est-il pas un mythe voire un énorme mensonge destiné à masquer l’origine du développement des pays du Nord : le pillage des PED ? Le niveau de vie des populations n’était-il pas très proche au Nord et au Sud au moment des colonisations ? Aujourd’hui, si près de trois milliards d’humains survivent dans les PED avec quelques dollars, n’est-ce pas la conséquence d’un impérialisme armé datant de plusieurs siècles, prolongé aujourd’hui par le système dette et le libre-échange imposé au nom du développement ?

La logique du développement, dont la BM et le FMI font la promotion depuis des décennies, est extractiviste, capitaliste et contraire à l’amélioration de la vie des populations. Comme le dit l’historien burkinabé Ki-Zerbo « on ne développe pas, on se développe. »

Ce développement durable, ardemment soutenu depuis quelques années par les pays industrialisés, est-il possible ? Traduction : une croissance économique continue voire infinie est-elle réalisable alors qu’elle est basée sur le cycle extractivisme / productivisme / consumérisme / profits / déchets / pollutions ? Sur une planète finie, il faut « être un fou ou un économiste pour le croire ». Si les arbres se développent et grandissent, ils ne montent pourtant pas jusqu’au ciel.

Alors le « développement » est-il autre chose qu’une déclinaison du mot « conquête » pour masquer la croissance des plus forts au détriment des plus faibles et de la nature ? Pourquoi croissance du PIB (ne comptant que la production des marchandises et services) et compétitivité sont-ils omniprésents dans les médias et la bouche des politiciens, alors qu’ils entraînent inégalités sociales et désastres environnementaux croissants ?

Le PNUD (programme des Nations Unies pour le développement) a créé en 1990 l’indice de développement humain, l’IDH, s’appuyant sur le degré d’éducation, de santé et le niveau de vie. Il ne prend toutefois pas en compte la soutenabilité écologique ni le degré de liberté politique. Certains pays défendent d’autres concepts reposant sur le vivre ensemble et le respect de la nature, comme le bien-vivre (Buen Vivir), le bonheur national brut et d’autres encore. Ce développement est-il autre chose qu’un « avoir plus » ? Est-il compatible avec un mieux-être pour tous, en harmonie avec la nature ? Nous ne le pensons pas.

Ressources naturelles et écosystèmes

« Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible2. »

Jomo Kenyatta

Les sols

▪ Les ressources du sous-sol pillées et exportées

L’exemple historique le plus criant est l’exploitation des mines d’argent et d’or de Potosi, en Bolivie. Elle a débuté au XVIe siècle et se poursuit encore aujourd’hui. Les historiens s’accordent sur le fait que six millions de travailleurs indiens et africains y sont morts tandis que des dizaines de milliers de tonnes d’argent et d’or ont été extraites au profit des Espagnols jusqu’à l’indépendance de la Bolivie en 1825. Quand les travailleurs descendaient dans la mine, ils n’avaient pas le droit de ressortir avant six mois et y vivaient – quand ils ne mouraient pas – dans des conditions de misère inimaginable : faim, chaleur étouffante, manque d’oxygène, travail harassant. L’argent de Potosi a irrigué une partie de la planète pendant quelques siècles.

« Dès le règne de Philippe II (1556-1598), l’économie espagnole devient une économie de rente marquée par une désindustrialisation rapide. Contrôlé par des négociants étrangers, le commerce extérieur nourrit le gigantesque gaspillage de l’aristocratie. Ainsi commençait le mal ibérique qui devait ronger le pays des siècles durant et lui faire prendre un retard considérable sur le reste de l’Europe. L’Espagne payait très cher l’argent de Potosi3. »

Plus que jamais, les mines d’Amérique du Sud attisent les convoitises étrangères et leurs mises en exploitation provoquent émeutes et résistances. Ainsi, dans la province de Catamarca en Argentine, une lutte dramatique se poursuit entre la population et la transnationale Glencore.

« Pour extraire du cuivre, de l’or et d’autres métaux rares qui font de ce gisement l’un des plus rentables de la planète, l’exploitant consomme 5 millions de litres d’eau par heure, puisés dans les nappes de la région, l’équivalent des besoins énergétiques d’une ville comme Marseille. Chargés d’arsenic, de strontium et de bore, les résidus d’extraction sont rejetés dans un canal d’irrigation 120 kilomètres plus loin. […] En juin 2008, les autorités judiciaires du pays ont été saisies au pénal d’une plainte pour pollution contre Julian Rooney, vice-président de Xstrata, actionnaire principal du consortium UTE (Union Transitoria de Empresas). Une deuxième plainte a suivi en 2010, pour contrebande de minerais vers la Chine et évasion fiscale – évaluée à 8,26 milliards de dollars4. »

Glencore-Xstrata, basée à Zoug, super paradis fiscal en Suisse, est la quatrième entreprise mondiale pour les mines et la première pour le négoce des matières premières (chiffre d’affaires 240 milliards de dollars). La société KCC, une filiale extrayant le cuivre au Katanga « en présentant depuis 5 ans de faux bilans déficitaires, ferait perdre au trésor public congolais 153,7 millions de dollars »5.

Au Pérou, à Cajamarca, dans la même cordillère des Andes, les Indiens livrent un combat désespéré contre la société Newmont qui veut exploiter l’or dans une mine à ciel ouvert, entraînant la disparition de grands réservoirs naturels d’eau. La société extractive Yanacocha a déjà gravement pollué l’eau de cette même région avec une mine proche6. Il faut concasser une tonne de roche pour obtenir entre un et cinq grammes d’or. Mais la séparation ne peut se faire que par lixiviation, un lessivage par produits chimiques mélangés à l’eau (cyanure, mercure, acides) qui seront ensuite stockés dans d’immenses réservoirs à ciel ouvert et/ou rejetés dans la nature, volontairement ou par accident fréquent.

Un autre exemple criant est l’exploitation par Shell du pétrole dans le delta du Niger. Le peuple Ogoni a perdu une majeure partie de son territoire de vie qui était d’une grande richesse : agriculture et biodiversité. Certains disent que les fuites de pétrole y sont équivalentes, chaque année, à celle de la plateforme Deep water de BP dans le golfe du Mexique en 2010. Les rejets du torchage (l’action de brûler le gaz méthane qui sort à l’air libre en même temps que le pétrole) empoisonnent les habitants, polluent et réchauffent de vastes étendues devenues inhabitables. Le torchage est pourtant interdit en Europe. Quel scandale éclaterait aux Pays-Bas si des torchères de la multinationale hollandaise Shell salissaient les belles façades multicolores, empoisonnaient enfants et adultes, et abîmaient les célèbres tulipes ?

Personne n’imaginait il y a cinquante ans, hors des esprits éclairés tels que Jacques Ellul, André Gorz, Bernard Charbonneau et bien d’autres, dont les rédacteurs du rapport Meadows de 1972 sur les limites à la croissance7, que le progrès matériel créerait en même temps le risque d’effondrement des sociétés occidentales. C’est pourtant la disparition rapide des ressources sur lesquelles il s’est bâti et la destruction de l’environnement qui ont permis à 20 % des habitants de la planète de disposer d’un confort matériel aussi incroyable que non soutenable, au détriment de la majorité des autres. Le pétrole est un concentré d’énergie solaire fabriqué à travers la photosynthèse végétale au cours de centaines de millions d’années. Cet incroyable capital énergétique naturel sera dilapidé en à peine plus d’un siècle. Que ce soit pour chauffer ou refroidir des maisons passoires à calories ou frigories, pour transporter des aliments que l’on peut produire localement sur des milliers de kilomètres, se déplacer seul dans une boîte à quatre roues de plus d’une tonne pour aller travailler loin de chez soi, prendre l’avion pour nouer des affaires ou bien profiter du sable et des cocotiers à des milliers de kilomètres, il y a une inconscience ou une volonté de ne pas savoir : pourtant un crime pour les jeunes générations d’aujourd’hui et de demain.

Non seulement elles ne disposeront plus de cette énergie aussi extraordinaire qu’irremplaçable mais elles devront survivre sur une planète réchauffée au climat chaotique. Ce ne sont pas les gaz de schistes ou les pétroles bitumineux qui leur apporteront des solutions. Dans l’Alberta au Canada, il faut environ un demi-baril de pétrole énergie plus trois à cinq barils d’eau pour extraire un baril de pétrole des sables, le plus sale au monde. Ainsi dans l’Alberta, l’EROEI8 est égale à deux. Au début du pétrole, il suffisait d’investir un baril de pétrole pour en obtenir 100, l’EROEI était de 100. Quand le rapport sera égal à un, le gain énergétique sera de 0. Ce qui est déjà le cas pour les agrocarburants, qui selon Yves Cochet n’existent que par les subventions. On s’en rapproche avec les extractions en eau profonde ou les sables bitumineux. Le photovoltaïque est à 2,5 pour 1.