Dictionnaire des écrivains algériens de langue française de 1990 à 2010 - Amina Azza Bekkat - E-Book

Dictionnaire des écrivains algériens de langue française de 1990 à 2010 E-Book

Amina Azza Bekkat

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Beschreibung

Entre dictionnaire et encyclopédie, cet ouvrage traite de plus de soixante auteurs algériens ayant choisi le français comme langue d’écriture. Les notices, rédigées par des spécialistes, guident le lecteur dans le dédale des œuvres en lui offrant un parcours balisé. Nul doute que ces quelques pages de présentation, organisées par ordre alphabétique, seront utiles à ceux qui désirent s’informer sur un texte ou découvrir un auteur. Mais un étudiant plus directement concerné par la rédaction d’un mémoire ou d’une thèse, y trouvera des informations précieuses ainsi qu’une bibliographie aussi complète que possible. Des écrivains qui ne sont plus à présenter tant leur notoriété est grande, comme Mohammed Dib ou Tahar Djaout, voisinent avec des débutants ou ceux que la critique a oubliés. C’est un panorama qui se veut divers et qui témoigne de l’extraordinaire vitalité de la production romanesque algérienne de langue française de 1990 à 2010, années décisives qui n’ont cependant pas tari la créativité et l’ont même conduite à se renouveler.
En consultant ce dictionnaire par notice ou bien en le lisant de bout en bout, on se lance à la découverte d’une littérature pleine de promesses.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Cet ouvrage a été rédigé sous la direction de Amina Azza Bekkat. Elle est née à Toulouse (France). Professeur à L’université de Blida en Algérie, écrivaine spécialisée en littératures africaines, elle enseigne la littérature comparée et les littératures d’Afrique.

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ICIETMAINTENANTDIXPENSEURSAFRICAINSPAREUX-MÊMES

seloua luste boulbina

ICI ET MAINTENANT DIX PENSEURS AFRICAINS PAR EUX-MÊMES

Chihab editions

Du même auteur

– L’Afrique et ses fantômes, Ecrire l’après, Paris,Présence Africaine, 2015.

– Les Arabes peuvent-ils parler ? Paris, Blackjack, 2011 (réedition Payot, Poche, 2014).

– Le singe de Kafka et autres propos sur la colonie, Sens publics, 2008.

– Grands travaux à Paris, Paris, La Dispute, 2007.

– Tocqueville, sur l’esclavage, Paris/Alger, Actes Sud/Barzakh, 2008.

– Tocqueville, sur l’Algérie, Paris, Garnier/Flammarion, 2003.

© Chihab Editions, 2016.

ISBN : 978-9947-39-209-6

Dépôt légal : 1er semestre 2016.

Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

www.chihab.com

E-mail : [email protected]

« Lalibertédelaconversationseperd. Alorsqu’autrefoisilallaitdesoides’intéresseràsoninterlocuteur, denosjours, laquestionduprixdeseschaussuresoudesonparapluieaprisledessus. »

Walter Benjamin, Sens Unique (1928)

Introduction

« Allonscamarades, lejeueuropéenestdéfinitivementterminé, ilfauttrouverautrechose. Nouspouvonstoutfaireaujourd’huiàconditiondenepassingerl’Europe, àconditiondenepasêtreobsédésparledésirderattraperl’Europe. »

FrantzFanon, LesDamnésdelaterre (1961).

Danslesquestionnementscontemporains, ladécolonisationdessavoirsestunequestionquimérited’êtrepleinementetsérieusementtraitée. Ladécolonisation, eneffet, neconcernepasseulementlapolitiquemaisaussilaculture. Elleneconcernepasseulementl’imaginairemais, également, larationalité. Elleneconcernepasseulementl’artetlalittératuremaisaussilessciencessocialesetlaphilosophie. Lepropos, ici, estdetracerlesélémentsd’unebibliographiealternativequiparted’auteursetdepenseursqui, parmilespremiers, sesontefforcésdepenserautrement, c’est-à-direaussidansunautrelangage, celuidel’indépendance, lesréalitéscolonialesetpostcoloniales. Leprésentouvrageoffreuneintroductionàdesdémarches, desparcours, destravauxsinguliersqui, chacunàsamanière, opèrentunemodificationdesfaçonsdepenseretderéfléchiretontmontréencelaleurfécondité. Carleconstatformuléen1983parAlassaneNdaw, ilyaprèsdetrenteans, doitaujourd’huiêtrenuancé. « L’examendelasituationafricaine, disait-il1, montrel’absencetotaled’implicationsphilosophiquesdansl’intérêtporté, enOccident, àlapenséeenAfrique. » C’est, enunsens, unmanifesteantieuro-philosophique.

Touslespenseursqui « comptent » nesontpasicireprésentéscarleurnombreexcèdeleslimitesd’unlivrequineprétendpasàl’exhaustivité. Ilconvientplutôtdelelirecommeuneouvertureauprésentdelaphilosophieetdelaréflexiondansuncontinentquiaétéentièrementmarquéparl’empreinteimpérialedel’Europe, uncontinent « inventé », selonl’expressiondeMudimbe, etquis’est, parsesluttesetsescombats, détachéduPremierMondepourexisterentouteindépendance. Globalement, deuxgénérationsdetravail – plusquedepersonnes – sontsollicitées. Pourautant, leproposn’estpasd’établirunehistoiredelaphilosophie, ou, plusgénéralement, delapenséeenAfrique. J’aichoisideprésenterdespenséesdutempsprésent, sansconsidérationshistoriographiquesougénéalogiques. Parcequecesauteurssontégalementdes « voisins », ilm’asembléimportantdelesréunirdansunmêmevolume. Unchoixadoncprésidé – ilfautledire– àuneentreprisedénuéedetoutcaractèreencyclopédiqueou, pouremployerunautreterme, panoramique. Carlepanoramaesttoujoursimpérial.

Pourautant, quiditpenseursafricainsneditpas « penséeafricaine ». Iln’yapasd’homogénéitéintellectuelledansuncontinentauxlangues, auxcultures, auxsociétéssidifférentes. Dunord – souventfaussementdétachéducontinent– ausud, etdel’estàl’ouest, l’espacedelaréflexionestlargeetdonnelieuàdesproductionsvariées. Pourtant, onretrouvedespréoccupationscommunes, desrefusdel’hégémonieintellectuellede « l’Occident », dessolidaritésquiparticipentdecequiaéténomméprovincialisationde ­l’Europe. Cesintellectuelssesituentdanslesentre-mondes. Eneffet, ilssontaucroisementdeplusieurstraditionsetdeplusieurspays. Cesontgénéralementdesmigrants, quelquefoisintercontinentaux, cequicontribueàdéplacerleurpointdevue. Ilsviennentdecequ’onnomme « Afriquedel’Ouest » etsontmajoritairementfrancophones. IlsontsouventétudiéenEuropeetont « assimilé » lapenséephilosophiqueeuropéenne, danssadiversité. Pourdenouveauxusages. Icietmaintenantentendcontribuer, encesens, àunemigrationdesidées.

Lesentretienssontunemédiationvraimentintéressanteentrelepublicd’unepart, lesthéoriciensetlesphilosophesd’autrepart. Ilssontuneformeparticulièred’échangeetunmodesingulierdetransmission. Certainsdecesentretienssontrestésdesmorceauxd’anthologieetsontfinalementdevenusdesréférencesmajeurespourleslecteurs. Ilsouvrentdesportesetpermettentl’accèsàdesréflexionsquinécessitent, d’unemanièreoud’uneautre, uneintroduction. Onrelèveraladissymétriedespositionsentrehommesetfemmes. J’auraisaiméqu’ellesfigurentenbonneplace, ducôtédel’auteuretdel’autorité, maisforceestdeconstaterquelecontinent, etlerestedumonde, valoriseplusleshommesquelesfemmes. Ilsjouissentdeplusdenotoriété, deplusd’autorité, deplusdesuccès. Telleest – dumoinspourl’instant – la « loidugenre ». Enrevanche, jetiensàremerciericimesamies, messœurs, qui, généralementphilosophes, ontgénéreusementacceptédecontribuer, commelectricesetcommeauditrices, àcetouvrageetonttravailléànepaslaisserseperdrelalibertédelaconversation. Lalibertédeparole, ladiversitédespréoccupationsdechacun, ladifférencedesviséesfontdecetensembled’entretiensl’espacemêmeduplaisirdepenser – depenseravecd’autres, depenserencommun.

J’aichoisid’ouvrirlevolumeparunentretienavecValentinYvesMudimbe. Attention, eneffet, àcequ’ilnomme « l’odeurdupère » : « Pourl’Afrique, dit-ildanscelivreautitredélicieux2, échapperréellementàl’Occidentsupposed’apprécierexactementcequ’ilencoûtedesedétacherdelui ; celasupposedesavoirjusqu’où ­l’Occident, insidieusementpeut-être, s’estapprochédenous ; celasupposedesavoir, danscequinouspermetdepensercontrel’Occident, cequiestencoreoccidental ; etdemesurerenquoinotrerecourscontreluiestpeut-êtreencoreunerusequ’ilnousopposeetautermedelaquelleilnousattend, immobileetailleurs. » Cepassagemontre, defaçonparadigmatique, ladimensioncritiqueetanalytiquedutravaildeMudimbeainsiquedetouslesauteursiciprésents. Carsedécolonisern’estpasuneminceaffaireetnesauraitconsisteràrevenirouàretourneràune « identité » originelleouprimitivecartoutcecis’esthistoriquementtransformé. Danslemêmetemps, ilimporte, travaildifficile, presquetravaildedeuil, denepasdemeureraliénépardesreprésentationserronées. OnnecomprendpasautrementlaCritiquedelaraisonnègred’AchilleMbembe. Carils’agiticid’uneAfriqueconçuecomme « noire », c’est-à-direhautement (enthéorie) etbassement (enpratique) racialisée.

Lesconstructionssocialesserventoudesserventlesindividus, lesgroupes, lespeuplesprisdanscesconstructions. Lacolonieestuneconstructionsocialeparticulièrequidesserttoujourslespopulationsconcernéesenlessubalternisant. Celas’effectueàlafoismatériellementetintellectuellement. Celasedéconstruitégalementsurlesdeuxplans. Différenceabsolue, l’Afriqueaétéinventéecommeleterritoireduparticuliersousl’empiredel’universel. Laquestiondel’universel (etdoncaussiduparticulier) est, parconséquent, centraleetenpeutmanquerd’êtrediscutée. SouleymaneBachirDiagneproposedeconcevoirununiversellatéral, opposéàl’universeldesurplombquialongtempsprévalu, passantparlatraduction. Iln’yapas, eneffet, unAfricainquinesoitconfronté, d’unemanièreoud’uneautre, àlatraduction. Ils’agitpresquelàdecequel’anthropologueMarcelMaussnommait « faitsocialtotal ». D’unautrecôté, FabienEboussiBoulaga, quirevientsurl’ethniecommecatégoriecoloniale (traductiondelaparticularitélogiqueenclasseanthropologique), considèrequ’ilfautplutôtpartirduparticulieretconsidérerl’universelentermesdecompatibilitéetdereconnaissancedesparticularités, comme, sil’onpeutdire, ununiverseldiffracté. Etpourtant, commeilledit, « onneselibèrepasdel’ethniecommed’unechemisequ’onenlèveetqu’ondépose ». CesontdesréponsesàcequefaitobserverMudimbe : l’universalismeeuropéen – ouoccidental – estunracisme. Lesenjeuxdecesréflexionssontnotoirescarquiparle, comment, etpourquoi ?

J’aipourmaparttoujoursconsidéréquelatripledéfinitiondel’hommeparAristoteétaitl’unedesplusfécondesquisoit. Quedit-ileneffet ? Quel’hommeestunanimalrationnel– ilparle – ; qu’ilestparvoiedeconséquenceunanimalpolitique ; qu’ilestenfinpourtoutcela, unanimalimitateur. Laphilosophie – oulapenséeengénéral –, lapolitiqueetl’artontétéaccaparés, dansuntraitementdescapacitésquiressembleàs’yméprendreàceluidesmatièrespremières, pardesEuropéens, pluslargementdesOccidentaux, quienontfaitleurscapacitéspropresetdoncleursobjetsdepropriétéparexcellence. Ilestbiensûrnécessairedes’extrairedecettemythologiequifaitdesEuropéensdesdieuxdel’Olympe. Celasefaitparlaprisedeparole – etl’écriture – ; parlaluttepolitique – souventdifficile ; parledéveloppementdetouslesarts. SouleymaneBachirDiagneabiencompriscetenjeu, luiquiétudieL’ArtafricaincommephilosophieenrelisantlestextesdeSenghor. Quandlarationalité, lapolitique, l’artontétédéniéspendantdesgénérationsetdesgénérations, lespeuples, lesindividussontencrise. « Lapiredeschosesencestempsagités, c’estladémissiondelapenséecritique, lerenoncementàlaradicalitéduquestionnementnonseulementsursoi-même, surlescausesetlesensdelacriseentantquephénomènehistoriqueetlareprésentationquenousnousenfaisons, maisaussisurlaraisondel’inefficacitédesdiagnosticsetthérapeutiquesproposés. » CeslignesdeKaserekaKavwahirehi3, quinefigurepasicimaisdontleslivresnesauraientêtreoubliés, sontéclairantescartouslespenseursiciréunissontàlafoisdespenseurscritiquesetdespenseursdelacrise.

Cesontdespenseurscritiquesqui, pourcommencer, nerêventpasd’un « étatdenature » origineloud’unretourexanteàune « africanité » sansmélange. PaulinHoutondjiamaintesfoisremisencausel’idéemêmed’uneethno-philosophiepostcolonialequiseraitlependantl’ethno-anthropologiecoloniale. La « philosophieafricaine » relèved’uneillusionsil’onvoitdans « africain », pouremployerunvocabulairemétaphysique, unesubstanceplusqu’unaccident. Quantàl’histoiredelaphilosophie, extrêmementethnocentrée, elleignorelaphilosophieenAfrique, soitqu’elleseréduiseàunehistoiredelapenséeeuropéenneouoccidentale, soitqu’ellesecentresurl’histoiredelapenséearabeenoubliantquelapenséemusulmanedébordelargementlemondedit « arabe » etqu’ilfaut, parexemple, inclureSouleymaneBachirDiagnedanslespenseurscontemporainsdel’islam. L’ouvertureauxmondesn’estpastoujoursaurendez-vousdudonneretdurecevoir. L’idéologienationalistecaractéristiquedesindépendancesapuavoirdeseffetsdélétèressurl’intelligence. Uneanthropologiecritiqueestaufondindispensable, commelesoutientIssiakaProsperLaléyê. Celasignifiequ’unerévolutioncoperniciennes’esteffectuéeenAfrique, sansqu’onenmesureencorebienlaportée.

Laquestionreligieusen’estpasabsentedespréoccupations, qu’elleconstitueunobjetderechercheoulemilieud’uneformation. L’islametlechristianismeontlargementirriguélesmanièresdepenseretdeconcevoirleschosesdesauteursiciréunis. Christianismesansfétiche, deFabienEboussiBoulaga4enestunexemplemajeur. Quefaired’un « christianismed’extérioritéetdesurimposition » ? Enécho, Jean-MarcElaparledu « tempsdeshéritiers » etde « voiesnouvelles »5etsouligneladifférence, enAfrique, entrecatholicisme (« LesCatholiques, c’estleBlanc ») etprotestantisme (« LesProtestants, c’estleNoir »). Cependant, lareligion, engageantl’hommedevantlamort, possèdeégalement, commelesouligneFabienEboussiBoulaga, unedimensionpolitique. Cefaisant, ilmontrequelareligion, sireligionilya, nesauraitsepasserdephilosophie. C’estpourquoiSouleymaneBachirDiagnedistingue, dansCommentPhilosopherenIslam ?6 , « philosophieislamique » et « philosopherenislam ». L’activitéphilosophiquemêmeestouverteetdynamique, elleestpresque « voyagenocturne », isra.

L’explorationdesrationalitésnesauraits’enteniràlaraisonécrite. « Àquellesconditionsetselonquellesprocéduresspécifiquesunecivilisationnedisposantpasd’unsupportobjectifetindépendantdelaprésencephysiquedulocuteur, commel’écriture, ­arrive-t-elleàproduire, àexprimeretàarchiversonpatrimoineculturel ? » L’interrogationdeMamousséDiagne, danssaCritiquedelaRaisonorale, esttransversalecarlaquestiondesoralités – plusquedel’oralitétantlesformesensontvariées – aconstituél’unedespierresdetouchedelarationalité. Dureste, l’oralité, quandelleirriguelalittérature, devientoraliture. Cecinevautpasqu’enAfrique. Al’inverse, l’écritureestaujourd’huilachosedumondelamieuxpartagée. L’explorationdesrationalitésnesauraitnonplusselimiterauxjuridictionsdecertainesrégionsdumondeenexcluantlapalabre, dontJean-GodefroyBidimaafaitune « juridictiondelaparole7 » :

« Ceuxquionttropmagnifiéledroit, écrit-il, enreviennentàlamédiationinformelle, tandisqueceuxquilapratiquaientspontanémentdansleurpropretraditionveulenttoutcodifierparundroitrigided’importation. » Cetteréflexionsurlamédiationetl’arbitragen’estpasune « défenseetillustration » d’une « tradition » (semi-) perdue. Elleestuneanalysedeladélibération, delapublicité, duconsensus, deladiscussioncontradictoirequin’ignoreriendesthéoriesélaboréesdanslespaysdudroitrigide. C’estainsiqueJean-GodefroyBidimarevientici, largement, surleparcoursintellectuelquiluipermetdesetrouverdanscetentre-deuxdelapensée.

Aveccesauteurs, denouvellesperspectives – onledevine – ontététracéesouesquissées, ycomprissurdesnotionsclassiquestellesquel’honneur. Ungrandpenseurducosmopolitisme, AnthonyKwameAppiahenareprisl’étude, sousunanglenouveau8. Ilsepencheeneffetsurl’abandonduduelenEurope, despiedsbandésenChine, delatraitenégrièreatlantique. Cenesontpas, pourAppiah, lesargumentsmorauxquil’ontemportécarilsétaientdéjàlà. Lepointdebasculeestdûpourluiàl’honneur, quellequesoitlaformequ’ilprend. C’estunrenouvellementdelaréflexionéthiqueet ­politiquesurlequelils’explique. Lastbutnotleast, queseraitunlivred’entretiensavecdesauteursafricainssansl’undesesreprésentantspolitiquementsansdouteleplusconnuaujourd’hui, AchilleMbembe ? Portéparuncertainlyrismestylistique, ilacommencépardesétudesempiriquesassezcirconscrites (leSudCameroun) pourélargirprogressivementsaréflexionàla « raisonnègre » àlaquelleilaconsacrérécemmentunecritique9, dontlecaractèrespéculatifestplusmarqué. Sil’onpeutdiredecelivred’entretiensqu’ilestconsacréauxphilosophesrois – c’est-à-direàceuxquisontentrésprogressivement, peuouprou, dansl’empiricité – ilfautajouterqu’AchilleMbembeestplutôt, parcequ’ilaeffectuélechemininverse, roiphilosophe. C’est, biensûr, unefaçondeparlercarlaphilosophien’estpasvéritablement, àproprementparler, une « discipline » quiposséderaitsesobjetsspécifiquesetsesméthodespropres. Elleestplutôtmanièred’aborderleschoses, élaborationdeconcepts, etsurtoutlibertédepenser. Ilfautvoir, dansledernierentretiendecetouvrage, cequivautpourletout : uneapologiedelalibertédepenserdontl’intégralitédesrésultatsdépassecequiaétéembrassédanscetteintroduction.

« L’Afrique demeure la différence absolue »10

Entretien de Mai Palmberg avec Valentin Yves Mudimbe (traduction Seloua Luste Boulbina)

ValentinYves (VumbiYoka) Mudimbe, néen1941àJadotville (Likasi) auCongobelge (RépubliquedémocratiqueduCongo). IlfaitsesétudesauCongopuis, en1960, devientbénédictinets’installeauRwanda. DeretourauCongoen1962etayantabandonnél’ordrechrétien, ilpoursuitdesétudessupérieuresàKinshasaetsoutientundoctoratdelinguistiquefrançaiseàl’UniversitédeLouvain (Belgique). C’estpourdesraisonspolitiquesqu’ildoits’exilerauxEtats-Unis, en1980, oùilaenseignédansplusieursuniversités. IlestactuellementenposteàDukeUniversity. Ilaécritplusieurstexteslittérairesetapubliédenombreuxessais. CitonsL’Autrefaceduroyaume (1973) ; L’Odeurdupère (1982) ; TheInventionofAfrica (1988) ; TheIdeaofAfrica (1994).

MaiPalmbergestchercheuseindépendante. ElleacoordonnéleprogrammederecherchesurlesimagesculturellesduNordicAfricaInstituted’Uppsala (Finlande) de1995à2010.

ValentinYvesMudimbe : PourcomprendreL’Inventiondel’Afrique, onpeutfaireusagedenombred’entréesoudeniveauxd’interprétationélaboréspardessavants, desjournalistesoudesanthropologuesafindedéfinirlaspécificitédel’Afrique. Ondisposed’élémentsd’interprétationetdecompréhensiondel’histoiredel’Occident : saviequotidienne, sespratiques, son ­ethno-philosophie, lapratiquededisciplinestellesquel’histoire, lasociologie, lathéologieet, pourfinir, laphilosophie, danslesdeuxdimensionsquiluisontpropres.

Jedistingueeneffetladimensionsémiologiquedeladimensionherméneutique. Lapremièredésigne, danslessciencessociales, l’ensembledescompétencesetdesconnaissancesquipermettentàquelqu’undedécrirecequ’ilvoit. Laseconderenvoieàl’ensembledescompétencesetdesconnaissancesnécessairespoursaisirdessignifications.

Telleestlapremièreentrée, quiconcernelesniveauxd’interprétationdecequisepassedansunesociétédonnée, selonlesquelsonpourraitqualifierl’Afriqued’anormale. Nouspouvonsainsiconstaterquel’anormalitéouladifférenceseréfèreàunparadigme, celuidumodedeproduction. CatherineCoquery-Vidrovitch, ClaudeMeillassouxetEmmanuelTerrayconçoiventparexemplelemodedeproductionlignagercommeunefaçondedéterminerlaspécificitédel’Afriqueauregarddel’héritagemarxisteetduconceptde « modedeproduction ». Cettedifférencespécifiquefaitl’objetdeclassementsetaétédécritedansdesétudescomparativessystématiques. Surceplan, économique, onopposelesrapportsexistantentrelesprocèsdeproductionetlesrelationssocialesdeproductionenOccident. Auniveaudelasuperstructure, cespenseursconçoiventdeuxespacesopposés : unespacepolitiquedanslequelilexistedesrelationsdialectiquesentrel’organisationdelaproduction, quiestend’autrestermesl’organisationdupouvoir, etlediscourspolitiqueoccidentalvis-à-visdel’Afrique.

Endéfinitive, nousavonsuneconfigurationintellectuelleetunprocessusspéculatifconcret. Enoutre, cettecomparaison, effectuéedanslesannéescinquanteetsoixantepardesgenstrèshautementmotivéspolitiquement, etquioeuvraientpourlesindépendancesafricaines, faisaientdel’Afriqueladifférenceabsolue, l’absoluopposédelasociétéeuropéenneelle-même.

Cependant, lemodèleauqueljemeréfère, pourciterMichelFoucault, estunmodèleeuropéendanslequelilfautdistinguerlesprocéduresinternesetexternesd’intégrationetd’exclusion. Endéfinitive, nouspouvonsidentifierlesprocéduresétablissantlacapacitéàparlercommeunecompétencerelevantdelasociétéelle-même.

S’agissantdesprocéduresinternes, jemefocaliseraisurladifférenceentreraisonetraison, entreraisonetfolie, entrenormalitéetanormalité. Cesontlesdistinctionsauxquellesnouspouvonsnousréférerpourcomprendrel’intégralitédel’entreprisedecaractérisationdesculturesetdessociétés.

Noussommesaujourd’huipluscritiquesàl’égarddecesdistinctionsetdanslessciencessociales, etdanslaphilosophie. Indépendammentdecelles-ci, l’Afriquedemeureladifférenceabsolue, quel’onregardelesarticles, lesinformationsoulesenscommunenEurope. Etlorsqu’onlitdeslivresrécentsconsacrésàl’Afrique, onpeutyretrouverdesprésuppositionsidentiquesàcellesquel’ontrouvaitdanslesrécitsdevoyagesdesXVIIIeouXIXe siècle.

Mai Palmberg : Dans une certaine littérature populaire, dans certains journaux populaires, tout se passe comme s’il y avait, à l’inverse, une régression ; si l’on peut dire, comme si l’on voyait plus d’images primitives qu’on n’en a vu durant les vingt dernières années. Partagez-vous cette impression ?

VYM : J’ailamauvaisehabitudedenejamaisliredejournauxnid’articles, etdenepasallernonplusaucinéma. Hier, jesuisallévoirundocumentairesurFrantzFanon. C’étaitlepremierfilmquejevoyaisdepuisaoût1970. EtjeneregardepaslatélévisionauxEtats-Unis. Decefait, jevisdansunmondedanslequellesperceptionsdel’altéritén’existentpas. Lafaçondontj’appréhendeetcomprendscequisepassevientdemeslecturesdelivres. Monimpressionesteffectivementqu’ilyacommeunretourauprimitifenraisondescatastropheséconomiquesetpolitiquesqu’onpeutconstateractuellementenAfrique.

Personnellement, jeconsidèrequeleretourauximagesnégativesduXIXesiècle, imagesquijustifientlacolonisationcommeunevoiedel’assimilation, unefaçondeconvertirlespeuplesàlacivilisationetauchristianisme, peutêtrerapportéàcequej’appelle « lepéchéoriginel ». Voiciunsujet, quelqu’unquis’appréhendelui-mêmecommeunsujet, appréhendantunobjetdeconnaissanceoudedomination. Etcequ’ontrouve, dansceprocessus, c’estquel’objetenquestionestenréalitéunêtrehumain. Etcetêtrehumainestquantàluiréduitàsadifférenceentantqu’objet. C’estcelaquej’appelle, dansmonproprelangage, le « péchéoriginel ».

Dansce « péchéoriginel », lesujettendàoublierquepercevoir, c’estêtreperçu. L’Européenquifaitdel’Africainunobjetfondamentalementdifférentoubliequ’ilestégalementperçu, àrebours, parcetAfricain ; etluiaussicompris, redéfini, etréduitàunobjetreprésentéetparsoncorpsetparsoncomportement.

Dans toutes ces rencontres, on peut parler – de façon figurée – de regard par la fenêtre ou de reflet dans un miroir. Ce qui signifie que chacun voit au fond réellement l’autre ou ne voit que soi, ou se construit à travers l’image de l’autre. Peut-on parvenir entièrement à atteindre l’autre ? Quels en sont les obstacles et les perspectives ?

J’aidéjàréponduàcettequestionenparlantde « péchéoriginel ». Jepréfèretoutefoislamétaphoredumiroirparcequecequiestconçucommel’Autreestperçucommecorps. Etc’estseulementàtraverslaperceptiondecettemédiation, représentéeparlecorps, quejepeuxconclurequ’ilyaquelquechosecommeuneconscienceetuneintelligencedansl’Autre.

Danscetteperception, danscettecompréhension, dansceteffortd’empathiepourcomprendrecequeressentl’Autre, jeprojettemonpropremoi. Peut-êtrepouvons-nousdirequeleprincipalproblèmedel’anthropologie, infinedel’anthropologieafricaine, aétépourl’Occidentunerecherchedelui-même, desoriginesetdelasaisiedel’absolucommencement.

Votre livre, sur lequel porte cet entretien, repose peut-être sur une généralisation abusive des nous en Europe, des eux en Afrique (ce qui veut dire plutôt elles les choses d’Afrique). Si l’on veut interroger cette généralisation, on peut se demander s’il y a d’autres groupes importants de nous et d’eux dont on peut parler.

L’oppositionentrenouseteuxreproduitl’oppositionentreleJeetl’Autre. EtcequevousfaitesenpassantduJeaunousestunesociologisationduCogitocartésien. Nouspouvonslesmettreenrelation, danslaformed’uncarré : Je, nous, l’Autre, eux. Danscecarré, l’Autreeteuxconstituentl’oppositionradicaleauJeetaunous. OnpeutcommenterlerapportconcretquiexisteentreleJeetlenousd’unepart, l’Autreeteuxd’autrepart, commeunrapportd’opposition, d’antagonisme, deréductiondessignifications.

Onpeutpasseraussidecerapportviolentàquelquechosed’autre, quiestarrivééconomiquementaujourd’hui, etquiesteffrayant. Ils’agitdelaglobalisationdanslaquellenousvivonsaujourd’hui : unmodedeproductionplanétaire, quin’estpasseulementlacaractéristiqued’unenationmaisdesmultinationalesquiorganisentdésormaisnotreplanète, quinousréduisenttous, AfricainsetEuropéens, àdesobjetsproduisantàlademandedesmultinationales. Etalors, jepensequelesièclequiarrive, seratotalementdifférentduprécédentàcausedecesystèmeglobalisant.

Dans une conférence récente que vous avez donnée à propos des postulats du droit de domination, vous avez dit qu’ils furent formulés par le Pape dès les années 1400. Cela signifie-t-il aussi que le racisme a commencé dès ce moment-là ?

Jenelesaispasvraiment. Voyez-vous, ilestpossible, parexemple, dereveniràl’Empireromain. Romeestunebonneillustrationpuisquedespeuplesd’originesdifférentesyvivaient ; dunorddel’Allemagneparexemple, dusuddel’Afrique, etc. L’esclavagen’yreposaitpassurlacouleurdelapeau. ComparercetypedesociétéàlasociétéeuropéennedesXIVeetXVesiècles, ouàlasociétéd’aujourd’huiesttrèsdélicatcarnousavonsaffaireàdessociétésradicalementdifférentes. Aulieudemeservirdel’histoire, jeveuxsavoirdequoiparleleracismeetqueluniversalismeilengage.

Aréfléchirauxtermesdelarecherchequej’aieffectuéeetdesséminairesquej’aidonnés (j’aidonné, tantàBerlinqu’àStanford, desséminairessurl’inégalitéetlesthéoriesdeladifférence), jevoudraissoulignerunparadoxe. Nouspouvonsconsidérer ­l’universalismecommeunracisme. L’universalismevientdequelquepart, d’uncertainlieu, d’unetradition, d’unlangage, d’unephilosophie, ets’affichecommelanormalitéauregarddesautrescultures, desautressociétés, desautresindividualités. Cefaisant, c’estlepouvoirquiestpromu, l’impérialismed’uneexpériencelocaledonnée. Jenel’inventepas, jemeréfèreautravailcollectifréaliséenFranceparEtienneBalibaretauxEtats-UnisparImmanuelWallerstein.

Mais, d’unautrecôté, leracismeestl’appréhensiondesoi-mêmecommenorme. Plusexactement, ilconsisteàsevoirsoi-mêmecommeunealtéritéparticulièreetincarnée. Cetteincarnationséparéeetnégativetendducoupàêtreuniverselle. Leparticularismeestdonc, danssaproprelimitation, uneprétentionàl’universalité.

Je voudrais à ce propos me référer à une discussion qui fut menée dans le cadre d’une foire du livre à Gothenburg, ici, en Suède, il y a deux ou trois ans. Une table ronde était consacrée aux droits humains et tous ceux qui y participaient était universalistes, à l’exception d’un seul, qui défendait les droits culturels. Je fis une brève intervention et je dis que si les Droits de l’homme avaient été inventés lors de la Révolution française, et bien nous devrions juste être reconnaissants à l’égard des Français.

Mais il y eut de nombreuses oppositions à ma remarque : un avocat espagnol affirma qu’il n’était pas du tout vrai qu’il se soit agi d’un concept occidental. Lorsque la Déclaration des droits de l’homme fut promulguée ou adoptée par les Nations unies, aussi bien les Chinois que les Indiens que d’autres représentants encore arguèrent qu’elle émanait d’une certaine idéologie et d’une certaine philosophie. Un homme politique suédois me gronda en disant que s’il y avait bien une chose occidentale dans les droits humains, c’était la prétention qu’ils soient occidentaux ! Est-il vrai que l’idée des droits humains vienne de diverses parties du monde ?

Ilesteffectivementpossibledetrouverleconceptdedroitshumainsdansdifférentestraditions. Ilestvraiqu’enChineouenAmériqueontrouveunephilosophiequicontientlanotiondedroitshumains. Cependant, cesconceptionssont – c’estlepremierpoint – totalementdifférentesdecellesdesLumières. LesLumières, quantàelles – c’estlesecondpoint – ontréussiàimposerl’idéed’unegratitudeàl’égarddelaRévolutionfrançaise. Leconceptd’égalitéetdefraternité, parexemple, s’imposedelui-même, nonseulementphilosophiquementmaispolitiquement, etnousendépendons. Maiscelanedoitpasnousconduireàenoublierlesdéfauts. C’estlecaslorsquenouslisonslesécritsdequelqu’uncommeCondorcet, quiétaitsincère, quiétaitunrévolutionnaire, quiétaitfavorableauxdroitsdesesclavescommedesfemmes : quelquefois, noustombonssurdespassagesstupéfiantsdanslesquelsilditexplicitementquecertainspeuplessont « pluségaux » qued’autres ! Ilfautêtrecritiqueetcomprendrequenotreconceptionprésentedesdroitshumainsestinscritedansunehistoire, àlafoispolitiqueetphilosophique, etadmettrelefaitquelareconnaissancedel’héritagedelaRévolutionfrançaiseaétéinstitutionnalisée.

Y a-t-il un concept d’Afrique qui ne soit pas défini de façon externe ?

Ya-t-ilunconceptd’Europequinesoitpasdéfinidefaçonexterne ? Sil’Europesedéfinitelle-même, elleestaussidéfinieàpartird’unpointdevuechinois, japonaisouafricain. Nousnousdéfinissonstousnous-mêmes, nousdéterminonsnotreidentitéenassumantetenacceptantquenoussommesetcequenoussommespourd’autres. Cequiestvraipourunindividuestaussivraipouruneculture. Noushabitonsnotreculture, nostraditions, ausensoùnoushabitonsnotrecorps. Noussommesperçusetdoncaussidéfinisparlesautres.

Au Ghana, j’ai été horrifiée par la façon dont les gens disaient « ceci est africain et ceci ne l’est pas ». Je me demande comment la conception ou le concept d’« africain » est un reflet ou le reflet du concept occidental d’Afrique.

Jecroisque, danstouteslessociétés, onpeuttrouverunedéfinitiondesoi-même, laquelledoitêtrecomprisecommeunedéfinitioncomparative. Onsedéfinittoujourssoi-mêmevis-à-visdequelqu’und’autre, quecesoitindividuellementouculturellement. QuantauxAfricains, commentdirais-je ? Leconceptd’Afriqueestuneinvention. OnpeutreveniràlafinduXVesiècleetàlarencontreavecl’Europe, lorsquelecontinentfutqualifié. Sescaractéristiquesfurentdonnéesdansdeslivresetdansdestextestoutcommesil’Afriqueétaitunifiée. Or, toutcelaengendral’effondrementdesculturesafricaines, quiétaientdifférenteslesunesdesautres. Endépitdecesdifférences, decestraditionsdiverses, deceslanguesvariées, cesculturesontétérassembléesvoireconfondues. C’estpourquoijedisqu’ils’agitd’uneinvention. C’estuneperception. EtauXIXesiècle, cecontinentaétécoloniséparl’Europe, unifiéparl’Europe, partagéparl’Europe.

Cetteinventionacrééquelquechosedenouveauquin’existaitpasauparavant. Malgrécettenouveauté, unenouvelleconscienced’appartenanceaucontinentfutindirectementcréée – etpeut-êtredevrais-jediredirectementproduite. C’estainsiqu’auGhanaouauSénégalvouspouvezrencontrerdesgensquivousdisent « noussommesafricains » etquisedéfinissentcommeafricains. C’estintéressantcarildevraitêtrepossiblededemander : qu’est-cequec’estexactement ? Aquelleinventionseréfèrent-ils ? Aquelletradition, àquellecultureappartiennent-ils ? Quelleestdonccettetraditionqualifiéed’africaine ? Parquil’a-t-elleétéetdepuisquand ? Ouseréfèrent-ilsàuneAfriqueinventéeetorganiséeparlescolonisateurs ? Cen’estpasimpossible.

« L’universel au risque de la philosophie »11

Entretien de Seloua Luste Boulbina avec Souleymane Bachir Diagne

SouleymaneBachirDiagneestnéen1955àSaint-Louis (Sénégal). AprèsunescolaritéauSénégal, ilentreàl’Ecolenormalesupérieuredelarued’UlmàParisen1977etobtientl’agrégationdephilosophiel’annéesuivante. RevenuauSénégalen1982pourenseigneràl’universitéCheikhAntaDiopdeDakar, ilsoutientsathèse, àlaSorbonne, surl’algèbredelalogiqueetlapenséedeGeorgeBoole. AprèsavoirconseilléleprésidentAbdouDioufde1993à1999, c’esten2002qu’ilquitteleSénégalpourlesEtats-UnisoùilestactuellementenposteàColumbiaUniversity. Parmisesouvrages, onpeutciterBoole, l’oiseaudenuitenpleinjour (1989) ; Islametsociétéouverte : lafidélitéetlemouvementdanslaphilosophied’Iqbal (2001) ; LéopoldSedarSenghor : l’artcommephilosophie (2007) ; CommentphilosopherenIslam ? (2008) ouencoreL’encredessavants (2013).

SelouaLusteBoulbinaestagrégéedephilosophieetdocteurensciencespolitiques. Elleestdirectriceduprogramme « Ladécolonisationdessavoirs » auCollègeInternationaldePhilosophieetchercheuseassociée (HDR) auLaboratoiredechangementsocialetpolitiquedel’UniversitéDenisDiderotParis7. ElletravaillesurlesquestionscolonialesetpostcolonialesdansleursdimensionspolitiquesetculturellesetanotammentpubliéGrandsTravauxàParis (2007) ; LeSingedeKafkaetautrespropossurlacolonie (2008) ; LesArabespeuvent-ilsparler ? (2011) etL’Afriqueetsesfantômes, Ecrirel’après (2015).

Seloua Luste Boulbina : Tu es un penseur de l’universel. Ton travail sur la logique et les mathématiques est à cet égard emblématique de cette prise de position. Et jamais, tu ne t’es départi de cette option fondamentale. Comment conçois-tu aujourd’hui l’universalité ?

SouleymaneBachirDiagne : Tuesbienplacéepoursavoirquedansnotremonde, postcolonial, l’universelestenquestion. Jediraimême : estenfinunevraiequestion. DecemondepostcolonialLevinasaditqu’ilétait « désoccidentalisé » maisaussi, etenconséquence, « désorienté ». Parcequepourluilelieupropredel’universelquioriented’enhaut, lalanguequel’universelparletoutnaturellement – lieuquiestl’Occident, languequiestoccidentale – sontdevenus, dansla « sarabandedecultures » quiseveulenttouteséquivalentes, unlieuparmid’autres, unelangueparmitouteslesautres. Cequesignifielepostcolonialc’estsimplementquecet « Occident », inventéparunecertainehistoiredelaphilosophiecommeunlieufermésursoi, etnenaissantquedesonmouvementproprequinedoitrienqu’àsoi-même, n’aaucuntitreàceprivilègeexorbitantd’êtreunhorslieuquipeutcomprendretousleslieuxetlesorienter.

Faut-ilalorsrenonceràl’universel ? Partirduplurieldeslangues (chacunen’étantqu’uneparmid’autres) et  yséjourner ? Tenirfermeun « relativismecohérent » commeditBarbaraCassin ? OuexplorercequeMerleau-Pontyaappeléun « universellatéral » quisesubstitueraità « l’universeldesurplomb » ? C’estdanscetteexplorationquejechercheàcomprendreununiverseldetraduction, ununiverselcommetraduction, quisepense « entrelangues ».

A-t-onassezfaitattentionaufaitquelepremiertextedelaphilosophiesenghorienneestceluid’uneconférencequ’ildonnaen1937etdanslaquelleilconclut (citantlephilosopheAlainLocke, figuredelaHarlemRenaissance) surunappelà « l’hommenouveau » àvenirquiseraitun « bilingue » ouunplurilingue, quelqu’unquipenserait « entrelangues » ? LeproposquiavaitdéroutésesinterlocuteursjustifiequeImmanuelWallersteinaitvuenluiuneindicationdecequepourraitêtrecequecetauteur