Djeneba la malienne - Aïcha Yatabary - E-Book

Djeneba la malienne E-Book

Aïcha Yatabary

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Beschreibung

Djeneba est une parisienne d'origine malienne bien intégrée, active et nourrissant des projets de mariage. La pression familiale est forte. Elle rencontre bientôt Ismaël, de la même culture qu'elle, mais qui cultive un mystère autour de sa relation avec son ex-femme restée au pays... Fatoumata, mariée de force à Ismaël par la famille de ce dernier, aura t-elle Djeneba pour co-épouse? Deux cultures, mais aussi deux générations s'affrontent.

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Seitenzahl: 183

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Cela fait longtemps que la mère de Djeneba l'interpelle sur le fait qu'elle doit se marier. En effet, chaque fois que sa génitrice, résidant à Bamako, l'appelle pour prendre de ses nouvelles, elle lui demande :

-N'as-tu toujours pas trouvé de chaussure à ton pied dans une ville si grande que Paris ?

Djeneba se contente de rire, ou alors de partager avec sa mère ses contraintes de jeune femme parisienne issue de la diversité: travailler deux fois plus pour obtenir la même reconnaissance que les natifs de son pays d'accueil et d'adoption, faire face aux préjugés et au manque de confiance, quant à ses compétences intellectuelles, subir certaines propositions déplacées de la part de certains hommes qui voient en une jeune femme africaine de la chair fraîche et bon marché, jongler seule entre démarches administratives, courses et travail pour assurer son quotidien. Quel temps trouverait-elle pour sortir et rencontrer de nouvelles personnes, alors que le week-end elle doit encore travailler de chez elle pour que tous ses dossiers soient au point le lundi ? Où pourrait-elle rencontrer ce mari éventuel alors qu'elle passe ses soirées à lire des ouvrages qui vont lui permettre de parfaire ses connaissances, afin de ne jamais faire les frais des préjugés de son responsable hiérarchique, sur la supposée incompétence des blacks et des femmes ? Car elle Djeneba, n'aime pas les petites réflexions, être prise à défaut concernant la qualité de son travail et elle met tout en oeuvre afin de ne jamais donner cette occasion à Alain, de la rabaisser.

La condescendance de ce dernier n'est-elle pas dissimulée derrière les petites phrases, les comparaisons et les généralités dans lesquelles il se complaît à réduire les êtres humains, en fonction de leur couleur de peau ?

Concernant sa situation amoureuse, qui n’est guère reluisante, une copine de Djeneba lui a recommandé de s'inscrire sur un site de rencontres, comme elle n'a pas le temps de sortir. Notre Working girl a fait part à cette dernière de ses appréhensions, à propos des sites de rencontres. Sait-on jamais sur qui on peut tomber ? Quelle garantie a-t-on de la bonne moralité, de la fiabilité et du sérieux des personnes que l'on y rencontre, dans l'optique d'un mariage ?

- Il y a des sites de rencontres pour musulmans, lui a répondu son amie.

Ce qu'elle ne sait pas, c'est que Djeneba n'aime pas le communautarisme. S'enfermer dans une case. N'est-ce pas la même démarche qu'adoptent les personnes que ceux issus de la diversité, accusent de racisme ? Faire des généralités, enfermer des personnes ayant une génétique différente, n'ayant pas reçu la même éducation, ni grandi dans des milieux similaires, n’ayant pas un niveau de culture comparable, dans la même catégorie. De plus, que signifie « sites de rencontres pour musulmans » ? Que l'on va y trouver des personnes qui portent un prénom arabisant ? Qui prient une ou cinq fois par jour ? Qui sont fiables en amour ? Se prétendre musulman est-il un gage de bonne moralité ? Elle, Djeneba, a connu des Mamadou au coeur dur comme la pierre et incapables d'assumer un minimum de responsabilités face à une femme, et des Jacques profondément humains. Un musulman devrait se reconnaître à son empathie et son comportement correct, pas à son nom.

Pour en revenir aux sites de rencontres, la mère de Djeneba a tellement insisté sur le fait qu'elle devait être mariée au plus vite, lors de leur dernière conversation, prétextant qu'elle aura bientôt trente-huit ans et que toutes ses soeurs et cousines vivaient déjà chez leurs époux, que celle-ci a fini par céder à la pression maternelle en suivant le conseil de son amie.

La voici donc qui effectue des recherches, sur un moteur en ligne, afin de sélectionner le site de rencontres le plus sérieux que l’on puisse trouver. Ne lui a-t-on pas appris qu'il fallait choisir les sites payants, gages de rencontres de qualité ? Elle, Djeneba, désire passer son temps si précieux avec une personne qui en vaut la peine, filtrer au mieux les conversations sur la base de certains critères : la courtoisie, le niveau d'indépendance financière, l'ouverture d'esprit, la culture. Alors, pour attirer à elle le genre d'hommes qu'elle veut dans sa vie, elle a choisi une photo qui la décrit bien : assise derrière son bureau, elle apparaît sans maquillage et vêtue d'une robe blanche en soie qui laisse deviner ses courbes gracieuses et sa féminité. Ses ongles sont propres et manucurés. On peut nettement le voir car elle tient un dossier, sur la photo et sourit avec beaucoup de simplicité.

Aussitôt son profil créé et sa photo publiée, elle est assaillie de demandes de connexion afin d'entamer la conversation.

Parmi cette foule de sollicitations, une retient son attention.

Il s'appelle Ismaël. De teint chocolat, on devine sa haute taille, malgré sa position assise. Posé sur ses genoux, un ordinateur. Il est installé sur une terrasse ensoleillée et vêtu d'une chemise blanche en lin. Il sourit aussi.

Ismaël est beau. Sa barbe abondante et bien taillée contraste avec ses cheveux coupés courts qui lui donnent une allure virile. Élancé, son corps est ferme et musclé. Il dégage un « natural presence », beaucoup de classe et un magnétisme fort.

Contrairement aux autres interlocuteurs de notre Working girl sur le site de rencontres, qui s’empressent de lui annoncer, après deux phrases, qu’ils cherchent une femme à marier, Ismaël se contente de lui écrire :

-Tu as un sourire lumineux.

Elle trouve son approche simple plus sincère. Beaucoup d’hommes ne font-ils pas rêver les femmes, sur les sites de rencontres en leur proposant d’emblée le mariage, juste pour jouir de leur corps et ensuite prendre la poudre d’escampette ? En vérité, les femmes africaines, même celles vivant en France et issues de la diaspora, sont prêtes à tout pour se voir passer la bague autour du doigt, et elle Djeneba, ne se reconnaît pas dans cette idéologie qui consiste à vouloir être mariée à tout prix.

Se marier juste pour obtenir un statut, celui de "Sanfen" - entendez par là une femme supérieure aux autres du fait qu’elle est mariée- n'est pas une option envisageable pour Djeneba.

Du temps où elle vivait encore à Bamako, elle a eu l'occasion à l'envi, en observant les jeunes femmes de son entourage qui s'étaient unies à des hommes uniquement pour se soumettre aux injonctions de leurs géniteurs et à la pression de la société en général, de constater que cellesci cachaient leur quotidien de femmes malheureuses derrière de larges sourires affichés.

Beaucoup de ces épouses évoluaient dans un mariage qui n'existait que pour satisfaire les apparences, dans une société marquée par une rivalité extrême, ou pour avoir la garantie d'un statut qui leur offrait une certaine sécurité matérielle.

Pour survivre dans ces ménages fragiles, elles développaient plusieurs stratégies : de l'affiliation à des tontines entre cousines et amies afin de jouir le plus souvent possible d'un peu de liberté hors de ces foyers, synonymes la plupart du temps de pression psychologique, à la fréquentation assidue de charlatans dont elles espéraient des miracles pour renforcer l’ascendant qu’elles avaient sur leurs maris.

Beaucoup de ces jeunes femmes que Djeneba fréquentait et qui avaient entretenu des relations pré-maritales gratifiantes se trouvaient confrontées à la tentation de l'adultère une fois dans leur mariage. Si l'homme avec lequel elles avaient contracté une alliance n'était pas aussi généreux que leurs anciens prétendants, elles pouvaient se retrouver à nouveau face à des situations de relations gratifiantes, tout en restant au sein de leurs foyers, ce afin de répondre à de nombreuses exigences matérielles : mariages, tontines, sollicitations familiales et celles du marabout, désir de paraître en société, en arborant des boubous en tissu Bazin de premier choix à chaque cérémonie.

Fort heureusement, toutes les amies mariées de Djeneba ne se trouvaient pas dans ce cas de figure. Certaines étaient heureuses dans leurs foyers, établis sur des bases saines et Djeneba avait pour ambition d'être de celles-là.

Pour toutes ces raisons et depuis son plus jeune âge, elle avait décidé de ne jamais céder à ces pressions psychologiques qui poussent les jeunes femmes à s'embarquer dans des aventures ambiguës.

Et puis, épouser un homme demande de lui consacrer du temps, de l’énergie, de l’affection, de l’amour et il vaut mieux que celui-ci mérite tout cet investissement, c'est-àdire qu’il nous le rende. Sinon, on s’épuise moralement, physiquement et financièrement, et on devient vite frustrée, aigrie, pense Djeneba. Aussi, elle préfère pour l’instant son célibat dans la sérénité à un mariage destiné à sauver les apparences et à servir de jauge entre copines pour déterminer laquelle a réussi sa vie.

Djeneba chasse vite toutes ces pensées de son esprit et recentre son attention sur sa conversation avec Ismaël. Elle se surprend à dire à celui-ci qu’elle aussi trouve qu’il a un beau sourire.

- Merci, lui répond-il avec beaucoup de simplicité. J’habite à Rouen, c’est à une heure et demie de Paris en voiture, et je me rends souvent dans la ville-lumière car j’y ai de la famille et des amis.

Il se présente comme un consultant dans le domaine de l’économie, installé à son propre compte. D’origine malienne, comme elle, il passe six mois de l’année à Bamako et six mois en France. Elle lui demande pourquoi il passe autant de temps à Bamako.

- Je te le dirai plus tard.

C’est tout ce qu’elle obtient de lui comme explication.

- Es-tu célibataire ? Se croit-elle obligée de lui demander.

- Je suis en instance de divorce et séparé depuis deux ans, précise-t-il.

Ils découvrent, au fil de la conversation, qu’Ismaël est de l’ethnie Soninké, tout comme elle.

- Quel heureux hasard ! Lance Djeneba.

Elle lui explique qu’elle vit en France depuis vingt ans, étant arrivée dans ce pays à l’âge de dix-huit ans pour poursuivre ses études supérieures après l’obtention du baccalauréat dans son pays. D’ailleurs, toute sa famille nucléaire vit au Mali et elle s’y rend chaque année, pour un mois de vacances.

Ils discutent longtemps et ne s'aperçoivent pas du temps qui s'égrène, seconde après seconde. Il lui parle de sa famille à Bamako, une famille nombreuse de commerçants. Son père qui n'a pas eu l'heur de bénéficier d'une instruction avancée, tout comme ses trois femmes, a tenu tout de même à ce que ses enfants, et surtout lui, Ismaël, son fils aîné, poursuivent des études supérieures. C'est ainsi qu'il s'est retrouvé en France pour ses études universitaires après l'obtention de son baccalauréat, à la suite d’une bourse d'études qu'il a réussi à décrocher. Ensuite, après son Master en finance internationale, il a travaillé pour une banque de la place, avant de s'installer comme consultant, il y a cinq ans, à l'âge de quarante-trois ans.

Puis, trois ans après, Ismaël a créé une représentation de son cabinet de conseil à Bamako. C'est ainsi qu'il passe la moitié de l'année en France et l'autre moitié dans son pays natal.

- Où vit ta femme, lui demande Djeneba, je veux dire celle avec laquelle tu es présentement en instance de divorce ?

- À Bamako. C'est une cousine que mon père m'a « donnée » en mariage, suite au lancement de mes activités professionnelles à Bamako.

Elle a envie d'en savoir plus. Pourquoi n'était-il pas marié jusqu'à l'âge de quarante-six ans, avant que son père ne lui "donne" sa cousine en mariage ?

- J'ai vécu en couple avec une Française pendant dix ans, mais nous avons fini par nous séparer.

Djeneba partage également avec Ismaël une partie de son parcours de jeune immigrée malienne, à présent parfaitement intégrée dans la société française. Comment, des banlieues où elle a vécu pendant dix ans, après la fac, elle s'est retrouvée dans ce trois pièces à la Défense, où elle vit depuis cinq ans. Les préjugés, qu'il a fallu affronter, en tant que cadre issue des quartiers défavorisés. Elle lui raconte sa forte volonté d’atteindre ses objectifs professionnels et qu'elle veut représenter cette Afrique qui réussit, rendre fier son pays d'origine, le Mali et tout son continent. Elle lui parle de ses parents, qui ont aussi étudié en France, pour leurs études supérieures, puis sont rentrés dans leur pays natal à la fin de celles-ci. Mais de leur temps, les réalités de la France n'étaient pas aussi dures. On pouvait trouver facilement du travail et l'immigration n'était pas aussi problématique qu'aujourd'hui.

Elle lui parle de son quotidien, rythmé par ses dossiers à étudier et les appels fréquents de ses parents. Du peu de distractions qu'elle s'autorise et de la rareté de ses moments passés avec des amis. Bref, de la solitude.

- Est-ce pour cela que tu es toujours célibataire à trente-huit ans ? S’autorise à lui demander Ismaël.

- Pour cela et pour d'autres raisons aussi. Je t'expliquerai.

Doit-elle lui expliquer la déception amoureuse qu'elle a connue il y a une dizaine d'années et qui l'a rendue imperméable au charme de la gent masculine ? Elle a vécu une histoire d'amour intense avec un autre Malien du nom de Cheick, pendant sept années. Djeneba était convaincue que celui-ci serait son mari, dès que leurs situations professionnelles respectives leur permet-traient d'envisager de s'installer ensemble et d'avoir des projets de famille, des projets à long terme. Seulement, quand Djeneba a décroché un poste en CDI dans une société de la place comme juriste et que Cheick à son tour a pu obtenir son premier emploi non précaire, elle a été choquée de l'entendre dire qu'il ne pouvait pas l'épouser. En effet, son père souhaitait, ou plutôt l'obligeait à épouser l'une de ses cousines, installée elle aussi en France. Pour le géniteur de Cheick, qui n'avait jamais quitté son Mali natal, il était hors de question que celui-ci épouse en premières noces une femme qui n'était pas de leur ethnie.

Djeneba avait alors vingt-six ans, et elle s'est plongée dans le travail pour oublier ce « coup de poignard dans le dos ».

Résultat ? Aujourd'hui, elle a une bonne situation financière, une stabilité professionnelle, mais sa vie de femme est marquée par la solitude. Elle éprouve des difficultés à accorder sa confiance à un homme, après l'expérience qu'elle a vécue avec Cheick, même si elle a vécu une ou deux aventures sans lendemain depuis cette déception.

Djeneba et Ismaël échangent leurs numéros de téléphone à la fin de la conversation sur le site de rencontres.

Désormais, leurs journées sont marquées par les appels téléphoniques et les conversations vidéo le soir, après le travail.

Quand Ismaël l'appelle le soir, ils parlent de leurs journées respectives, et échangent des nouvelles de leurs proches. Au fil du temps, Djeneba a fait la connaissance de ceux d’Ismaël et vice-versa. Elle sait maintenant qui sont les amis de celui-ci qui connaît aussi son amie Sarah, celle qui lui avait conseillé de s'inscrire sur le site de rencontres. Il lui parle souvent de son père, de sa mère, de ses frères et soeurs restés au Mali et elle en fait autant. Sarah, qui a hâte de voir cette histoire entre son amie et Ismaël se conclure par un mariage, a recommandé à celle-ci de donner le numéro de téléphone de sa mère à Ismaël, afin qu'il l'appelle de temps en temps pour lui présenter ses civilités, mais Djeneba trouve que c'est trop tôt. Cela fait seulement un mois qu'ils se sont rencontrés.

En attendant, le "feeling" est au rendez-vous. Au début, leurs conversations à propos d'eux se focalisaient sur leurs visions respectives du couple. Ismaël, qui est franchement possessif, est heureux que Djeneba ne soit pas encline à faire la fête tous les week-ends. Djeneba, qui n'a pas oublié les déboires de son expérience précédente avec Cheick, est heureuse qu’Ismaël et elle soient de l'ethnie Soninké. Ainsi, elle n'aura pas à affronter des obstacles d'ordre culturel ou ethnique, qu'elle trouve vraiment d'un autre âge, si leur relation devait aboutir à un mariage.

Ismaël est un homme sensuel. Il ne s'embarrasse pas de fausse pudeur, réminiscences de sa vie passée avec une occidentale. Aussi, après quelques semaines de conversations téléphoniques a-t-il commencé à lui faire part de son désir :

- Je veux voir dans quelle tenue tu es allongée dans ton lit, pour dormir.

Au début, elle hésitait à le laisser pénétrer ainsi dans son intimité. Puis, elle s'est dit que ce n'était pas à trente-huit ans qu'elle allait commencer à jouer aux vierges effarouchées, d'autant plus qu'elle déteste l'hypocrisie. Ne désire-t-elle pas aussi Ismaël ?

Ainsi, à présent, elle n'hésite pas à se montrer vêtue de nuisettes, lors de leurs conversations vidéo, lorsqu'elle s'apprête à s'endormir.

- Montre-moi tes seins, lui a un jour demandé Ismaël.

Elle a hésité, puis refusé. Ismaël devait venir le week-end suivant à Paris. Elle souhaitait qu'il élise domicile chez sa tante, à l'occasion de son séjour de quelques jours dans la capitale française, plutôt que chez elle. Ismaël ne lui avaitil pas confié qu'il avait de la famille à Paris, dont la soeur de sa mère ? Djeneba préférait que celle-ci soit son hôte à l’occasion de cette visite, n'étant pas prête à le laisser entrer de si près dans son intimité. Or, lui révéler ainsi son corps, tel qu'il le désirait, ne laissait-il pas entendre qu'ils avaient franchi un seuil d'intimité ? Aussi, Djeneba s'entendit répondre à Ismaël :

- Attends un peu.

Que signifiait ce « un peu » ? Une semaine, un mois, une année, se demandait Ismaël ? Il n’obtint pas de réponse de la part de Djeneba.

La femme tient le bon rôle dans le jeu de pouvoir au sein d'un couple, pendant la période où l'homme est dans la phase de conquête. Car, une fois le désir de l'homme assouvi et la femme considérée comme acquise, il faut des trésors d'inventivité à celle-ci pour faire penser à l'homme qu'il n'a pas déjà tout vu d'elle. L'instinct de chasseur de celui-ci ne le pousse-t-il pas alors à vouloir conquérir d'autres territoires ? Le désir se nourrit d'attente, et l'homme, contrairement à la femme, connaît d'abord la phase de désir avant celle de l'amour.

Répondre trop tôt à la demande d’Ismaël d'assouvir son désir ne peut que le pousser vers la porte de sortie, car il n'aura alors pas eu le temps de tomber amoureux, pense Djeneba. Cela n'empêche pas notre Working-girl d'être coquette, agréable, désirable, chaque fois qu'elle entretient une conversation vidéo avec lui.

Le weekend arrive enfin. Ismaël est là. Il est 14 heures quand il sonne à sa porte. Vêtue d'un catsuit, combinaison en mousseline de soie avec un col bateau, elle a simplement recouvert ses lèvres d'un lipgloss rose et noué sa longue chevelure dans un chignon en arrière. Dans son sillage, des effluves de Flower bomb, son parfum.

- Wow ! Tu es encore plus belle en réalité qu’à travers la barrière de la caméra d’un téléphone portable.

Ismaël ne peut réprimer son plaisir de découvrir cette femme qui s'est faite belle pour lui, avec soin et naturel.

Elle l'invite à entrer en sa demeure. Aussitôt assis sur son canapé en cuir blanc, elle lui propose du jus d'hibiscus sauvage, qu'elle agrémente de citron. À peine a-t-il posé son verre, après avoir goûté le savoureux jus rouge, qu'il pose ses lèvres sur les siennes.

- J'en mourais d'envie, souffle Ismaël à son oreille alors qu’ils sont toujours confortablement installés sur le canapé.

Elle aussi. Mais avant que tout cela ne devienne le précédent d’un épisode sur lequel elle n’aurait aucune prise, elle lui rappelle que sa tante les attend. En effet, Ismaël a décidé de présenter Djeneba à la soeur de sa mère. Ils prennent donc place dans la voiture de celui-ci, en direction du dix-huitième arrondissement de Paris.

La tante d’Ismaël vit avec son mari, un Malien de quarantesept ans. Arrivé en France depuis plusieurs décennies, il a ensuite permis à sa femme de le rejoindre dès qu'il a trouvé un emploi de vigile qu'il a aujourd'hui quitté pour exercer comme boucher. Ils ont quatre enfants, le plus grand ayant dix-huit ans et le plus petit quatre. Ils occupent un quatre pièces spacieux, où Ismaël est reçu dans la chambre de l'aîné, qui vit à présent à la fac, chaque fois qu'il rend visite à sa tante.

Celle-ci reçoit Djeneba avec toute la courtoisie et la chaleur qui caractérise l'art de vivre à la malienne. Elle lui pose, l'air de rien, des questions sur sa famille, le quartier où vivent ses parents et ses fréquentations dans le milieu malien à Paris. N'est-elle pas chargée par la mère d’Ismaël, d'effectuer une enquête discrète sur Djeneba, quand la génitrice de celui-ci se chargerait de l'enquête sur la famille de sa probable future belle-fille à Bamako ? Dans la culture de Djeneba, on n'épouse pas qu’un individu, mais toute sa famille, son clan. Ainsi donc, on mène une enquête minutieuse sur les ascendants d’une femme avant de l’épouser.

La tante d’Ismaël et son oncle se montrent charmants à l'égard de Djeneba tout au long du repas, un Tchep, riz cuit dans son jus de tomates et de légumes, accompagné de viande ou de poisson. Celle-ci en retour se montre agréable et discrète.

Les Soninkés pensent que les femmes issues de leur ethnie sont les plus belles au monde et ils n'ont pas tout à fait tort.

La femme Soninké est en général grande, fine, gazelle aux attaches célestes, comme la décrirait le président-poète Senghor. Les traits de son visage sont fins et autrefois, elle rehaussait l'harmonie de celui-ci par des tatouages sous forme de traits noirs. Les hommes de l’ethnie de Djeneba pensent que toutes les femmes Soninkés sont belles et que les moins belles brillent par leur grâce. L'homme Soninké, quant à lui, est caractérisé par sa bravoure, son attachement à ses traditions et sa religiosité.

La tante d’Ismaël est conquise par la beauté de Djeneba. Elle pense qu'elle est digne d'être l'épouse de son neveu. N'est-il pas celui qui brille le plus au sein de sa famille, par son courage et son attitude exemplaire ? Cette fille l'a conquise par sa grâce et sa simplicité, pense-t-elle. Djeneba, en entendant ces propos élogieux, a envie de lui répondre qu'un homme peut très bien être attiré par le courage d'une femme et une femme par la beauté d'un homme. Qu'une qualité comme la beauté n'est pas l'apanage des femmes, tout comme le courage n'est pas celui des hommes. Mais elle préfère se taire. Pour rien au monde, elle ne briserait le charme de ce moment en se faisant classer dans la catégorie "féministe", par la tante d’Ismaël qui ne doit pas beaucoup aimer ce genre de femme subversive.