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Eborn, planète inhospitalière recouverte de glace et sur laquelle tente de vivre un semblant d’humanité. Le Cristal est l’instrument de la survie des Hommes, mais également la source du malheur de celui qui l'extrait. Aden Kells voit sa vie changer quand, disparu aux yeux des siens, il est sauvé par un Echo. Au contact de ce peuple inconnu et ayant un étrange lien avec la planète, il va entrevoir un avenir nouveau pour les siens. Encore faut-il qu'il les retrouve !... Les Echos l'ont averti : qu'il se hâte, car les fantômes du passé se rapprochent...
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bryan Spreutel est né en Belgique en 1987. Amateur de jeux de rôles, de SF et de Fantastique, il décide de se lancer dans l'écriture en 2019, d'Eborn, le Monde glacé. Avec ce premier roman, il participera à un concours littéraire, où il terminera sur le podium.
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Bryan SPREUTEL
Roman
Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les
Éditions La Grande Vague
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
Site : www.editions-lagrandevague.fr
ISBN numérique : 978-2-38460-057-1
Dépôt légal : Novembre 2022
Les Éditions La Grande Vague, 2022
Pour Augustin,
Source inépuisable de joie et d’inspiration.
Toujours.
"... et tout comme nos ancêtres en d'autres temps, nous maitriserons cet environnement. Le sang vermeil de nos enfants ne sera pas versé en vain sur la surface glacée de ce monde. Nos efforts, nos sacrifices et nos technologies prendront l'ascendant sur n'importe quel obstacle que cette planète hostile nous opposera. Par nos capacités, nous la façonnerons. À nos désirs, nous la plierons. Car nous sommes des Technocrates..."
(Discours du Troisième Technocrate face à la plèbe,
Archive Audio, 407-i.)
Prologue
Lijer Swartz ricana doucement quand il vit une nouvelle fois le nouveau s'emmêler les pieds dans ses raquettes et dévaler la pente sur une trentaine de mètres puis s'immobiliser. Le voyant se relever sans peine, il prit le temps de réajuster son masque avant de descendre à son tour d'une démarche assurée, que seul pouvait posséder un homme d'expérience. Rejoignant son binôme, il l'aida à se relever et à retirer la neige qui s’était collée sur sa combinaison.
Swartz éclata d’un rire sonore et puissant malgré le masque, avant de reprendre :
Le vieil homme désigna à son compagnon un objet métallique dont la couleur tranchait avec la neige du sol, à deux pas de l'endroit où était tombé Kells.
Et Swartz, fier de son humour, reparti dans un rire qui se changea rapidement en quinte de toux.
Aden Kells ramassa son marteau, l'accrocha à sa ceinture en s'assurant qu'il y reste cette fois-ci. Puis, il se tourna vers son acolyte, dont la toux s'était calmée.
Kells se tourna pour attraper les trois perches métalliques servant d'antennes pour la triangulation. Toujours hilare, Swartz activa le compteur Hertzman ; non sans avoir donné auparavant quelques tours à la dynamo de l'appareil, plus par habitude que par nécessité.
L'aiguille oscillait déjà entre le quatre et le cinq et il put rapidement diriger son acolyte vers un premier endroit où enfoncer sa perche.
Swartz tapota le cadran du compteur, avant de soupirer et de décrocher une petite antenne sur le côté de l’appareil bourdonnant. Tel un sourcier avec une baguette, il pointa la tige de métal vers plusieurs directions, avant de soupirer à nouveau. Rien n'y changeait, ça fluctuait toujours autant.
Cela pouvait arriver qu'un compteur soit défectueux, mais Swartz faisait partie de la vieille école, de ceux et celles qui vérifiaient plutôt deux fois qu'une leur équipement. L'aiguille passa du sept au treize avant de redescendre rapidement sur le deux, puis de remonter subitement.
Il n'y comprenait rien.
Du coin de l’œil, il vit Kells ajuster et serrer un peu plus les filtres de son masque. Veiller à cela était un des impératifs pour ne pas crever en extérieur. Ici, l'air était si froid et nocif qu'il brûlait les poumons du pauvre fou qui se permettait de respirer sans rien.
Foutu monde, pensa Swartz, à croire que tout ici a été créé pour rendre impossible la vie des humains.
Si ce n'était pas l'air qui se chargeait de vous tuer, c'était une bestiole de la surface qui faisait le boulot. Il regarda Kells lui faire un signe du pouce après avoir fini sa manipulation.
Bien, il apprend quand même. Je finirai par en faire quelque chose, de ce citadin.
Le gros homme lui fit signe à son tour, avant de reporter son attention sur le compteur. Il cria en direction de Kells :
Il entendit Kells lui répondre, la voix étouffée par son masque et par le vent glacial qui commençait à balayer les deux hommes.
Kells venait de s'arrêter, et Swartz sentit son cœur manquer un battement. Lui aussi avait entendu le craquement caractéristique d'une fissure.
Ils écoutaient tous les deux, à l'affut du moindre bruit annonciateur d'un nouveau mouvement de glace...
Après de longues minutes silencieuses, Kells poussa un soupir de soulagement et commença à revenir vers Swartz, tout en parlant :
Pour la seconde fois, le jeune homme ne put finir sa phrase.
Dans un craquement aussi soudain que rapide, Swartz, horrifié, le vit s'enfoncer dans la blancheur immaculée du sol. Sans avoir le temps de pousser un cri, Aden Kells sombra et disparut, emporté par un courant de glace.
Merde, pensa Swartz, t'étais finalement pas aussi chanceux que ça...
Première Partie
1
"Ressource et pouvoir ont souvent navigué de concert. Celui qui possède l'une finira par acquérir l'autre. Ce qui était vrai pour nos ancêtres (voir annexe II : Eau et énergies dites "fossiles") est devenu une réalité encore plus présente aujourd'hui.
Nous devons la survie de l’Humanité sur Eborn grâce à l'unique présence de cette ressource qu'est le Cristal. De par son importance capitale, il pose à lui seul les bases de notre organisation économique, politique et sociétale.
Le Premier Technocrate avait compris, bien avant tout le monde, que celui qui avait la main mise sur cette précieuse ressource posséderait le contrôle absolu sur l'ensemble des acteurs gérant notre société.
Il est bon de rappeler qu'un régime à la tête duquel un seul homme possède l'ensemble des clés du pouvoir et pouvant ainsi, par son unique décision, inciter tout un peuple à s'orienter vers une direction voulue est généralement désigné par ces deux mots : dictature éclairée."
(Essais sur l'autorité et l'influence,
par Pierre Lang, NP, 781,-i.)
*
Le conseiller Munta se déplaçait dans le corridor en cristacier poli d'un pas léger, ne laissant en rien présager sa silhouette adipeuse. La luminosité des brilleurs l'éclairait suffisamment pour qu'il puisse relire les notes posées sur le vélin qu'il tenait en main. Seule l'habitude du chemin emprunté lui signala la présence à intervalles réguliers des Lames.
Nommés ainsi en raison de l'arme sertie sur chacun de leur gantelet, ces hommes et femmes triés sur le volet formaient l'élite de la garde du Onzième Technocrate. Souvent, leur seule présence auprès de la populace inhibait toute forme de contestation.
Deux cents ans après, tout le monde avait encore en mémoire le massacre de 789 et la répression qui s'en était suivie.
Même familier de leurs visions, Munta ne put réprimer un frisson, sensible à l'aura de menace latente qui émanait de leur fausse immobilité. Aucun ne le salua, mais il pouvait sentir leurs regards le suivre au fur et à mesure de ses pas.
À l’approche du bureau d'études du Onzième, le conseiller devina qu'il serait bien disposé à son égard. La musique harmonieuse qui s'échappait par la porte ouverte de la pièce était indicatrice de la bonne humeur du dirigeant.
Munta s’arrêta juste avant l’entrée et observa en silence, attendant le bon vouloir du Onzième pour commencer son rapport.
Figure patricienne figée devant la grande baie vitrée qui dominait la ville, le Onzième paraissait contempler l'agitation semblable à une fourmilière, en contrebas. Le gramophone à trois disques, posé sur le lourd bureau en bois, dont l'essence était aussi disparue que le style, finit par s'arrêter. Le silence remplaça la musique, et le Onzième sortit de sa contemplation. Tel un pantin soudainement animé, il se dirigea vers son bureau et commença à ranger les disques ainsi que son appareil. Ce fut une fois qu'il eut terminé ce rituel et s'être confortablement installé dans son fauteuil patiné par le temps, qu'il adressa enfin un regard à son conseiller. D'un signe de la main, il l'invita à prendre place devant lui.
Il marqua un temps d’arrêt, pensif, avant de reprendre :
Le conseiller s'inclina devant le bureau et se mit à parler d'une voix forte et claire :
Le gros homme jeta un rapide coup d'œil à ses notes avant de reprendre : à l'aller, trois morts lors d'une tempête, deux à la suite d’une bagarre d'ivrognes, un homme porté disparu. Au retour, vingt et un morts et autant de mutilés lors d'une attaque d'araignées-givre. La procédure a été suivie, nous avons gardé et envoyé en couveuse les spécimens immatures et nous avons abattu et recyclé les autres. Il n'y a pas eu d'attaques de Natifs cette fois-ci. Peut-être se sont-ils déplacés sur une autre zone de pillages.
Concernant l'éboulement qui a eu lieu dans le sud des Bas-Faubourg, tout s'est déroulé comme vous l'aviez prévu. Les pertes sont minimes et la population a fait justice elle-même en se trouvant un coupable. L'homme à l'initiative de ce tunnel clandestin a été retrouvé mort ce matin. Il ne posera plus de soucis.
Munta marqua un temps d'arrêt, puis continua suite au hochement de tête du Onzième.
Toujours immobile derrière son bureau, le Onzième poussa un soupir. Il reprit la parole presque à contrecœur :
Le conseiller retourna à nouveau dans ses notes, avant de hocher la tête.
Munta inclina plusieurs fois son corps obèse puis sortit rapidement. Il n'avait pas fait dix pas dans le couloir qu'à nouveau une musique se fit entendre dans le bureau du Onzième.
2
1 Cristal : n.m, inv. Ressource de taille et de forme géométrique variable naturellement présente sur Eborn. Brute, son exposition prolongée provoque le décès. (Voir : Mal du Cristal) Raffiné, devient un puisant combustible.
2 Cristal (pl Cristaux) : n.m. Monnaie officielle de NP. Se présente sous la forme d'une fine plaquette de métal, percée à son extrémité et frappée du symbole technocrate. Il est d'usage d'en assembler dix sur une boucle tissée afin de les compter et de les transporter facilement.
(Voir aussi unité monétaire.)
*
Lijer Swartz ne ricanait plus trop à présent. Lui, l'homme de terrain qui avait tant de fois regardé la mort en face – surtout celle des autres – lui qui pouvait se vanter s'il le voulait d'avoir chié dans les bottes du Onzième et d'être toujours vivant, voilà qu'il baissait les armes face à la créature qui se tenait à genoux devant lui.
Vexé plus qu'en colère, Swartz se leva du lit et commença à se rhabiller. Bien sûr, il mentait. La pièce dans laquelle il se trouvait était tout sauf sale, même les draps. Surtout les draps, d'ailleurs. Y travaillant depuis des années, Reb avait décoré cet endroit avec soin. Elle se savait peu gâtée par la nature et avait développé un sens de l'esthétisme et de l'écoute qui faisaient la joie de ses visiteurs.
Swartz la regarda se lever à son tour et s'installer, nue, devant la coiffeuse sur laquelle était disposé tout un assortiment d'huiles et d'onguents. Il se racla la gorge et cracha dans le pot de chambre un reste du repas de la veille, teinté de rouge. Il soupira pour ensuite reprendre :
Il rajouta d'un ton presque doux :
Reb lui tournait le dos et prit tout son temps pour lui répondre. Cela le faisait se sentir vulnérable et il détestait cela, elle le savait.
La putain marqua une pause tandis qu'elle changeait de position face au miroir. Assise jambes relevées et écartées, elle prit le flacon d'huile de Luhr et en disposa quelques gouttes sur l'intérieur des cuisses, ainsi que sur les poignets. Une odeur légère de musc envahit la pièce.
Elle se retourna pour le regarder et soupira avant de clôturer :
Ayant dit cela, elle se remit devant le miroir et ignora le bruit de la porte quand elle claqua.
Adorable salaud, fit-elle à son reflet, tandis que le contour de ses yeux commençait à couler.
*
L'immense voûte artificielle baignait les activités de la ville d'une lumière douce qui annonçait la fin du jour. Swartz s'était toujours demandé comment les premières générations avaient fait pour construire une telle merveille. Difficile de croire, en regardant en l'air, qu'au-dessus de ce mince plafond se tenaient des tonnes de roches gelées et de glaces mélangées.
Il abandonna cette question dans un coin de son esprit et se remit à déambuler dans l'une des artères principales de la ville, d'où partait tout un ensemble de galeries, certaines creusées à même la glace et consolidées par un traitement chimique à base de feu-gel.
Tel n'avait pas été le cas de celle dans laquelle s'était installé Swartz, la veille de son départ pour la dernière expédition.
L'effondrement de ce tunnel l’emmerdait au plus haut point. Non pas parce qu'il pleurait la perte de ses possessions matérielles – il en avait très peu – mais plutôt parce que pour une fois, il avait réellement eu envie de retrouver un "chez lui" à son retour de la surface. Il se sentait fatigué, seul et sa propre réaction le foutait en rogne.
Comme le lui avait si bien rappelé Reb ce matin avant qu’il ne prenne la porte, il avait toujours mis un point d'honneur à vivre sans attaches, vivant au rythme des expéditions pour aller extraire le Cristal, de plus en plus loin. Et jusqu'à présent, cette vie minable lui convenait. Il ne devait rien à personne. Il était libre.
Alors pourquoi ?
Pourquoi cette fois-ci il ne fêtait pas ce retour dignement, à grand coup d'alcools et de putains, à dépenser jusqu'à sa dernière Boucle dans des paris clandestins, à jouer toute la nuit au hasard, gagnant parfois de grosses sommes qu'il s'empresserait de perdre le lendemain ?
Pourquoi ?
Swartz s'arrêta de marcher, stoppé par l'évidence de la réponse.
Voilà pourquoi.
Cet enfoiré, qui lui parlait tout le temps de sa famille, de ses rêves et de ses envies, lui avait balancé en pleine gueule le vide de sa propre existence. Malgré lui, Swartz s'était attaché au jeune homme, échangeant ses conseils d'Extracteur expérimenté contre de petites anecdotes sur l'ancienne vie rangée de son nouveau partenaire. Kells qui, tout heureux d'être ainsi remarqué par un des "anciens", s'en donnait à cœur joie. Il passait des heures à lui dire à quel point sa femme, Eliane, était formidable. À avouer son inquiétude pour son fils de cinq ans qui comme bon nombre d’enfants de son âge, avait été choisi pour travailler dans une couveuse, et que lui, son père, n’était même pas là pour le protéger en cas de problème. Kells racontait bien, n’était pas avare de détails et Swartz se surprenait par moment à être envieux autant qu’heureux d’être ainsi inclus dans la vie de son partenaire de galère.
Peu importait la réponse, au final. Kells était mort, et plus jamais il ne parlerait de sa femme et de son fils.
Sa femme.
Sans comprendre réellement la raison de cette décision, il fit demi-tour et s'engagea dans une large galerie qui menait, il le savait, au quartier des Tisseuses. Si Kells n'avait pas menti, Swartz savait désormais où trouver un endroit où passer les prochaines nuits...
3
La mince feuille de papier-cristal trembla à nouveau entre les mains d'Eliane quand elle relut le texte qui y était écrit. Officiel, le document portait l'en-tête et la signature du Onzième Technocrate et avait été joliment calligraphié à l'aide d'un stylo à incandescence. Elle s'attarda sur les quelques mots qui avaient soudainement ancrés dans la réalité une angoisse qui l'étreignait depuis le départ de son homme.
Porté disparu lors de la dernière sortie d'extraction.
Pour qui connait les affres des longues séparations et les joies des retrouvailles qui s'en suivent, ces quelques mots avaient la même signification qu'une condamnation à mort. À la surface, les chances de survie d'un homme seul étaient nulles.
Si ce n'était pas l'air glacial qui se chargeait de tuer le malheureux quand les filtres de son masque finissaient par s'user, c'était bien souvent la faune ou l'environnement même d'Eborn qui l'emportait. Combien d'hommes et de femmes n'avaient pas perdu la vie ainsi, tués par une quelconque créature, en se perdant dans un épais frimas ou à la suite d’une chute dans une profonde crevasse ? Et que dire de ces pauvres malchanceux qui se faisaient aspirer dans un courant de glace ? Ce monde était hostile et le prouvait à chaque instant.
Eliane avait conscience de tout cela. Mais malgré le chagrin qu'elle ressentait quant à la mort d'Aden, c'était surtout la colère qui faisait briller ses yeux et non les larmes. La colère de ne pas savoir ce qui était arrivé à son mari, mais également contre elle-même. Ne pas réussir à le faire changer d'avis quand il lui avait annoncé vouloir devenir extracteur, après la perte une nouvelle fois de son travail lui laissait un amer goût d'échec dans la bouche.
Elle plia rageusement la lettre entre ses mains avant de porter son regard sur un cadre de métal posé sur un des rares meubles que comportait son logement. Même à la faible lueur des lampes, elle pouvait voir le joli ferrotype qu'il contenait. Le couple qu'ils formaient, Aden et elle, tenait dans ses bras leur fils, Augie, et tous les trois souriaient à l'objectif. Aden avait été fou de dépenser une fortune pour offrir un tel cadeau, mais il y tenait tellement.
Eliane s'apprêtait à se lever pour prendre le cadre tout en se demandant comment elle allait pouvoir annoncer à Augie la disparition de son père, quand trois coups donnés lourdement à la porte la stoppèrent dans son élan. Comme elle n’attendait personne, elle alla regarder par l'œilleton et ce qu'elle vit au travers la figea.
Un homme d'âge mûr, dont visiblement l'hygiène était aussi douteuse que son apparence, se tenait là. Il venait d'extraire quelque chose d'une de ses énormes narines, contemplait sa trouvaille et semblait se demander quoi en faire. Puis, il dut prendre une décision, car Eliane le vit se tourner vers la porte et approcher dangereusement son doigt crotté du judas, pourtant à peine visible. Remarquant le petit orifice de verre, il essuya soudainement ses mains contre son pantalon et colla son visage au plus près.
Avant que l'inconnu ne pose totalement son nez contre la porte, Eliane eut le temps de reconnaitre ce visage. Elle avait déjà vu cet homme quelque part.
Le jour du départ d'Aden, alors qu'elle lui parlait une nouvelle fois de ses inquiétudes, il lui avait montré du doigt un type en train de charger du matériel, à une trentaine de pas et lui avait dit qu'il ne craignait rien car il faisait équipe avec un homme d'expérience et réputé fiable chez les Extracteurs.
Et cet homme se tenait là, à l’entrée de son logement !
Comme si c'était un signal attendu, la colère qu'elle contenait depuis la lecture de la lettre explosa et Eliane ouvrit brusquement la porte.
*
Lijer Swartz fit la connaissance avec le poing de la femme de Kells avant d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche. Elle avait surgi comme une furie au moment où il avait remarqué le reflet caractéristique d'un œil de verre dans la porte. Le coup porté au visage l'avait fait vaciller et il avait reculé de quelques pas, ses grosses mains levées devant lui en signe d'apaisement autant que de défense.
Les yeux verts d'Eliane étaient fixés sur Swartz, et tout dans son attitude montrait que la moindre parole maladroite lui revaudrait un coup dans les gencives.
Non pas que ça m'effraie, se dit Swartz, et le fait que ça soit une gonzesse ne m'empêchera pas de cogner si besoin, mais j'espère ne pas en arriver là. Allez, mon petit Lijer, sors ta carte joker et joue-lui ton numéro de charme !
Il lui offrit son plus beau sourire, dévoilant une dentition aussi belle que le fond d'un seau d'aisance ce qui, à défaut de séduire instantanément Eliane, eut le mérite de la faire reculer.
Swartz cria mentalement victoire quand il vit les épaules de la jeune femme s’affaisser et ses yeux se remplir de larmes qui traçaient silencieusement des sillons le long de ses joues. Elle se pinça les lèvres pour ne pas éclater en sanglot et renifla de manière légère, avant de s'adresser à lui d'une voix dénuée de toute trace de colère.
*
Eliane n'avait pas écouté la voix intérieure qui lui avait chuchoté de ne pas laisser entrer cet inconnu chez elle et elle n'eut pas à regretter sa décision. Une fois passé le choc de sa venue et habituée à son odeur peu engageante, Swartz s'était révélé être un invité des plus amusant, en dépit des circonstances. Il avait passé la soirée et une bonne partie de la nuit à lui raconter mille et une anecdotes sur sa vie, la plupart se terminant par une bagarre ou par une soirée à la fin de laquelle il finissait ivre mort.
Bien entendu, les plus importantes aux yeux d'Eliane étaient celles où intervenait Kells. Entendre Swartz lui vanter les mérites de son mari la rendait fière et atténuait quelque peu son chagrin. Peu avant son départ, elle lui soutenait encore qu’il n’était pas taillé pour la surface.
Ivre, il s'était étalé sur le canapé, et elle l'avait laissé là.
Ce fut seulement quand elle entendit les ronflements sonores dans la pièce d'à côté qu'elle s'autorisa à lâcher l'aiguille qu’elle avait serrée dans sa main en prévision et à s'endormir enfin.
4
"Mais non, ça n'est absolument pas dangereux !"
(Dernière parole de l'explorateur Chester Shatterbi en tentant d'attraper à mains nues un polycat.)
*
L'homme qui s'appelait Aden Kells était allongé à même le sol. Son corps immobile et recouvert de fines pellicules de givre lui donnait l'apparence d'un cadavre.
Pourtant, Aden Kells n'était pas mort.
L'étrange humanoïde qui se tenait assis près de lui le savait. Elle avait ressenti que le mû de l'homme était toujours là, replié au plus profond de son être en un ultime instinct de conservation.
Plusieurs fois, elle avait crû que l'humain plongerait dans le Long Sommeil, mais visiblement, il était plus solide qu'il n'en avait l'air.
Le’inah, ainsi s’appelait-elle, regarda à nouveau les drôles de possessions de l’inconnu.
Elle avait compris assez rapidement que l’étrange masque qu’il portait sur la bouche devait avoir la même fonction que son sirlek : à savoir principalement permettre un échange entre son organisme et l’air d’Eborn. Mais c’était stupéfiant, car en l’observant de plus près, elle s’était rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un symbiote mais d’un objet fabriqué ! Elle avait également vu que l’humain portait une sorte de seconde peau faite de fourrure et de tissus assemblés et qu’il possédait un genre de couteau fixé bizarrement sur un manche.
Ce qu’elle avait du mal à comprendre, par contre, c’était la présence de l’homme dans les Cheveux d’Eborn. Et surtout, elle n’arrivait pas à se comprendre elle-même. Pourquoi l’avoir sauvé ?
Le’inah s’arrêta de méditer sentant le mû de l’humain sortir peu à peu de sa coquille protectrice. Tel un geyser devenant de plus en plus puissant, l’homme se réappropriait son corps. Il se réveillerait bientôt.
Elle leva sa longue silhouette imberbe et grise et toucha du bout de ses doigts fins l’excroissance qu’elle portait sur la partie inférieure de son visage qui sembla s'animer sous cette caresse. Elle se tourna ensuite vers le fond de la grotte dans laquelle elle se trouvait. S’ouvrant au Monde en même temps qu’elle plongeait ses jambes dans l’eau glacée devant elle, elle regarda une dernière fois vers l’humain, avant de s’immerger totalement dans l’eau et de se laisser emporter par les Cheveux d’Eborn.
*
Par un jeu de transparence et de réverbération aussi habile que naturel, Aden Kells ouvrit les yeux dans un environnement bleu et cristallin. Il vit qu’il se trouvait dans une grotte, à peine assez grande pour contenir trois ou quatre hommes adultes. Dans le fond, une ouverture à même la glace semblait donner sur de l’eau agitée de manières sporadiques par des remous et d’où émanait une faible lueur.