Écoute la Terre qui murmure - Françoise Fabre Rodes - E-Book

Écoute la Terre qui murmure E-Book

Françoise Fabre Rodes

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Beschreibung

Écoute la Terre qui murmure évoque la pandémie actuelle, la COVID-19, suffisamment surprenante pour qu’on en parle. Toutefois, ici, le virus n’est qu’un point de départ pour nous amener à réfléchir sur notre façon de vivre et à prendre conscience de nos dérives afin d’y remédier. À partir d’un état des lieux de la société actuelle, l’auteure nous propose d'envisager de nouveaux modes de vie, sans impact dommageable sur la nature et dans le respect de toutes les créatures vivantes. Cet ouvrage est à la fois un hymne à la beauté du monde, un cri de souffrance et un chant d’amour.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Professeure de français à la retraite, Françoise Fabre Rodes est l’auteure de deux précédents ouvrages : Partitions pyrénéennes, publié en 2017, récits de ses randonnées en montagne, et Chaque matin, le jour se lève, paru en 2019, recueil de quatorze nouvelles. Par le biais de Écoute la Terre qui murmure, elle vise à démontrer qu’il est temps de vivre autrement, de réexaminer nos rapports à la nature et de comprendre que la vie la meilleure n’est pas celle qui détruit mais plutôt celle qui préserve.

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Françoise Fabre Rodes

Écoute la Terre qui murmure

Essai

© Lys Bleu Éditions – Françoise Fabre Rodes

ISBN :979-10-377-5111-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes petits-enfants, mes amours, en leur souhaitant, tout au long de leur vie, une Terre somptueuse, préservée à jamais de nos inconséquences et capable de leur offrir de magnifiques rencontres avec le monde sauvage telles que leur grand-mère a eu la chance de les vivre.

Je remercie Alain, mon mari, premier lecteur et critique exigeant et respectueux, et mon amie Joëlle qui traque, avec un zèle inlassable, les différents oublis, répétitions, maladresses, qui jalonnent les premières versions de ce texte. J’apprécie, à sa juste valeur, l’aide qu’ils m’ont apportée.

Préface

J’ai lu le récit de Françoise Fabre Rodes tout à la fois, comme un retour aux sources, une ode poétique à la nature et une réflexion sur notre fragilité liée à la démesure de nos sociétés.

Bien avant que François Fabre Rodes quitte sa Provence pour s’installer sur les coteaux de Jurançon, je sillonnais le Béarn et le Pays basque avec mes amis écologistes. Comme elle aujourd’hui, nous aimions ressentir cette force tellurique que dégagent les vallées d’Aspe et d’Ossau, puis monter et monter encore pour profiter de la paix des plateaux que nous vivions comme une récompense : le bruit du vent, le vol des vautours, quelques moutons en estive, un ciel à l’infini, des sommets aux « neiges éternelles »… Nous étions prêts à beaucoup de sacrifices pour profiter d’un tel décor… Et à combattre pour protéger ce monde vivant, mais si fragile, des appétits du tourisme de masse et des fausses promesses de l’élevage « intégré » qui menaçaient l’agriculture de moyenne montagne. C’est ainsi que, dans les années 1970, avec la SEPANSO, nous avons réussi à empêcher la construction d’une station de ski dans la vallée du Sousseou – la dernière où l’on pouvait encore entendre l’écho des bergers siffleurs – avec le support d’un film militant, « Montagnes à vendre ». Nous avions installé notre camp de base sur le plateau du Benou, là où nichaient les gypaètes barbus, menacés de disparition à l’époque. Et nous avons vécu des moments intenses d’échange avec les paysans du plateau qui voyaient arriver les gros nuages du « progrès » avec inquiétude. Puis ce fut la défense et le sauvetage de la forêt des Arbailles, le compagnonnage avec Jean Pitrau, ce berger souletin qui consacra sa vie à la défense de la montagne et de ses amis paysans, sans doute l’une des plus belles personnes qui m’a été donné de rencontrer dans ma vie. Pitrau pensait « comme une montagne », pour reprendre cette expression d’Aldo Leopold, le grand écologiste américain, devenue culte et d’une actualité confondante.

Françoise Fabre Rodes « pense comme une montagne ». Il suffit de lire le compte-rendu de ses longues balades, de partager son « sentiment de la nature » au sens de Bernard Charbonneau, qui parcourut lui aussi la montagne béarnaise et basque, de savourer ses observations du monde vivant, d’ausculter sa fascination pour le monde sauvage, pour se convaincre qu’elle et la montagne ne font qu’un. Elle exprime à la fois sa « fusion » avec la montagne et les vivants, tous les vivants, qui l’habitent et les limites qui sont les nôtres pour percer ses mystères. Il arrive un moment où la montagne nous échappe, où nous savons que nous devons rester à notre place et faire preuve d’humilité devant une force qui nous dépasse et qui n’est plus à l’échelle des humains. Car le récit de Françoise Fabre Rodes est aussi celui de notre fragilité, révélée avec tant de violence par la pandémie. Nous nous pensions invulnérables. Il aura suffi de quelques semaines de morts, de solitude imposée, de dépression, de colère, de peur, de crainte de l’effondrement, pour que nous prenions conscience de la réalité de notre condition humaine et de sa dépendance aux « autres qu’humains ». En quelque sorte, la pandémie nous a remis les pieds sur terre. Nous découvrons que notre modèle a trouvé ses limites, nous avons en main toutes les informations qui le prouvent, nous connaissons les chemins qu’il faudrait prendre pour éviter le chaos… Mais sommes-nous prêts à bifurquer ? C’est aussi la question que Françoise Fabre Rodes pose dans ce récit pétri d’humanité et de bienveillance.

Noël Mamère

Ce n’est pas ce livre que vous devriez être en train de lire, mais un tout autre, vraisemblablement intitulé « Françoise, cette grand-mère inconnue ». À partir d’un fait précis, brutal déclencheur d’un intérêt passionné, j’y travaillais depuis des mois, j’avais entrepris d’importantes recherches, fébriles, profondes, perturbantes. Alors que je ne m’étais jamais intéressée à ma grand-mère par le passé il m’était soudain devenu urgent de découvrir qui était cette femme, morte avant ma naissance, que la cellule familiale avait comme effacée. Intriguée par mes premières découvertes, soupçonnant une mort mystérieuse, j’avais besoin de savoir, de tout apprendre, de découvrir ce que l’on m’avait sciemment caché, pour des raisons à découvrir également. Du jour au lendemain je m’étais mise à enquêter dans la hâte, dans l’émotion et dans une certaine souffrance, me demandant ce qui m’attendait au bout de ma quête et quels étaient les secrets de cette grand-mère que l’on n’avait jamais évoquée devant moi et dont pourtant je portais le prénom, comme un hommage.

Je savais que j’approchais du but. J’allais enfin savoir. Prise jour et nuit par cette recherche muée peu à peu en obsession, je mangeais mal, dormais mal, transcrivais au jour le jour mes découvertes, le livre se gonflait. Car cela se terminerait par un livre, je n’en doutais pas. Il retracerait la vie de mon aïeule, de sa naissance jusqu’à sa mort, vraisemblablement tragique, que j’étais proche d’élucider. Ma famille pourrait enfin parler d’elle en toute liberté, j’aurais mis fin au tabou. Confusément, il me semblait qu’il y avait eu une injustice, ou pire, à son égard. À mon envie de connaître les faits s’ajoutait le désir obscur de lui faire réparation de ce long silence, de la réhabiliter en quelque sorte.

Lorsque j’appris enfin la vérité, je fus soulagée, le drame était moindre que ce que j’avais imaginé, ses épreuves plus supportables. Je respirais mieux d’avoir enfin découvert ce qui s’était réellement passé, lorsque, par un triste jour d’octobre 1940, elle était morte, aux environs de la cinquantaine, dans ce qu’on nommait à l’époque « un asile de fous ». Malgré le soulagement éprouvé à la sortie de l’établissement où j’avais pris connaissance des révélations tant attendues, je me trouvais épuisée moralement par ces mois de recherches difficiles. Les dernières heures trop chargées en émotion, qui m’avaient vue entrer dans le bâtiment où elle avait trouvé la mort et tenir en main son dossier personnel relatant tous les détails de ses journées d’internement, avaient fini d’ébranler ma résistance nerveuse. De retour chez moi, il m’a paru soudain impossible de poursuivre sur ce sujet, d’écrire la moindre ligne sur cette femme devenue si proche. Je tombai même malade et il me sembla alors comme évident que ma guérison ne pouvait advenir que par l’abandon de mon projet. Je rassemblai les centaines de notes, de pages, de documents accumulés pendant de longs mois et jetai le tout au feu. Ce n’est qu’en regardant les flammes dévorer le travail d’une année, que je commençai à me sentir mieux…

Mais dans un état de fatigue générale inquiétant, l’esprit vidé par cette quête, je sentais que de longs jours de repos me seraient nécessaires avant d’entreprendre l’écriture d’un nouvel ouvrage.

L’actualité en décida autrement. C’est ainsi que vous tenez entre les mains un livre qui n’a rien de commun avec celui que je viens d’évoquer, mais dont le sujet, également perturbant, m’a été imposé, avec une violence semblable au précédent, en ce début de printemps 2020.

C’est un printemps radieux. Léger. Éblouissant. Les arbres et les fleurs ont pris de l’avance sur le calendrier. Les bourgeons ont éclos et les feuilles métamorphosent mon jardin, juché sur les coteaux de Jurançon, et que cent nuances de verts illuminent. Leur gamme s’étend du vert cru des bouleaux à celui plus tendre des noisetiers, du vert sombre des hêtres aux nuances rosées des grands chênes, jusqu’au mordoré des noyers… Le jasmin, blotti à l’angle d’un mur plein sud, épand dans l’air un parfum de mois de mai, alors que nous ne sommes que fin mars. Au cœur de sages massifs, les fleurs cultivées exhibent leurs vives aquarelles. Éparses, indisciplinées, violettes et primevères, de plus modeste apparence, parsèment la pelouse de nappes multicolores. Derrière la maison, à l’ombre, les pervenches sont fanées et de fines crosses enroulées annoncent les élégantes fougères, véritable énigme pour des visiteurs qui ne les connaîtraient pas à ce stade de leur croissance. Les oiseaux, en d’incessants pépiements, célèbrent la naissance des jours. L’azur, tel un saule, se penche jusqu’au sol.

De ma fenêtre je détaille le paysage, je le sens, le respire. Au premier plan donc, le jardin. Protecteurs, les vieux chênes, quoiqu’abîmés par les années, sont encore solides et impriment au ciel leur feuillage nouveau. Plus loin, les consternants fils électriques qui bordent ma rue tracent leur clé de fa sur fond de coteaux ensoleillés. Ma vue tolère ces lourdes lignes barrant le ciel pour l’écureuil familier qui vient y faire chaque matin de cocasses acrobaties ! En contrebas, je ne peux encore apercevoir la vallée où rampe, comme chaque matin, un épais voile de brume. Il s’étire de Jurançon à Gan dérobant à ma vue les abords de la nationale qui ne tarderont pas à émerger. Effectivement, le soleil qui inonde déjà mon jardin, réchauffe peu à peu l’atmosphère et libère le brouillard emprisonné au ras du sol. Sous ses rayons, la couche cotonneuse frissonne, tremble, se déploie, s’élève puis se désagrège soudain. Des fragments d’étoupe s’envolent en douceur, m’enveloppent un bref instant me cachant le ciel ; puis la lumière doucement envahit l’espace et dévoile chaque détail que le brouillard me dérobait jusque-là. Le paysage, coteaux et vallée enfin réunis, retrouve sa cohérence. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas.

Je suis consciente du privilège qui m’est fait de vivre en un tel lieu. La vie y semble plus facile, en harmonie avec une nature davantage préservée que dans la plaine. Quelques petits bois à demi sauvages jouent encore aux forêts de jadis alors qu’amenuisés, cernés au plus près de lotissements récents, ils ne sont plus qu’une pâle caricature de leur splendeur passée, lorsqu’Henri IV venait s’y promener à cheval, en quête d’une partie de chasse ou d’un rendez-vous galant…

Les traversent de petits sentiers qui tentent de nous faire croire que l’on pourrait s’y perdre. Ils sont fréquentés par quelques chevreuils. C’est bien ce qui les rend d’autant plus attrayants à mes yeux. Ces derniers mois j’ai pris l’habitude d’emprunter leurs chemins en quête d’une possible rencontre. Moment d’émerveillement indicible lorsque le miracle a lieu… Je me fige, soudain émue, à la vue de la fine silhouette au long cou tendu vers une touffe d’herbe, le mufle noir, les flancs fauves. À la faveur de leur fuite, j’aperçois un instant l’auréole blafarde de leur arrière-train, petite lune blanche comme échappée des cieux. C’est elle qui me valut, dans une aube d’épais brouillard, un spectacle extraordinaire quoique déconcertant. Alors que j’avançais vers la lisière du bois, je vis soudain deux petits ballons blancs se mettre à rebondir dans les airs sans le moindre bruit, deux taches claires semblant monter et descendre, lancées par une main invisible, tableau irréel au sein de la brume opaque… Déroutée, incapable d’interpréter ce que je voyais, c’est seulement quelques instants plus tard que je compris, après leur disparition, la signification de cette scène surréaliste. Deux chevreuils, comme désincarnés, alertés par ma venue, venaient de s’éloigner en quelques bonds affolés…

Si je m’attarde sur les joies offertes par mon jardin et ses alentours, si je semble prendre tant de contentement à décrire le plaisir que j’attache à ces promenades au cœur du printemps béarnais, qui peuvent sembler banales, c’est qu’en fait ce printemps que je vis en ce moment n’a lui rien de banal. Certes le temps est radieux, la vue des Pyrénées au lointain, superbe, les petits bois sont charmants mais mon cœur pris dans un étau est d’humeur sombre.

Car ce printemps, si différent des autres, porte en lui une terrible menace. « La Terre est en guerre », comme est venu solennellement l’annoncer à la télévision le Président de la République, ou, plus exactement d’après moi, les peuples font la guerre ensemble contre un ennemi invisible et redoutable. Tous sont en train de sombrer sous les assauts d’un virus inconnu qui, pour l’instant, les a mis à bas. Pour échapper à ce qui aurait pu être une monstrueuse hécatombe, chaque pays s’est d’abord coupé des autres, par peur de la contagion, puis les habitants ont été contraints de s’enfermer chez eux. Seules ont été autorisées quelques sorties rapides et indispensables. Les miennes se bornent à déambuler, en temps limité, au cœur de ces bois qui jouxtent ma maison. Des millions d’êtres humains ont été privés du spectacle de ce magnifique printemps, contrairement à moi qui ai donc la chance d’être assignée à résidence à la campagne. Au cœur des villes et des gros bourgs, retirés dans des appartements parfois exigus, regardant sans y croire par les fenêtres-témoins les rues vides, les boutiques fermées, les rondes de la police, des habitants perturbés vivent un printemps de cauchemar. Certains ont même oublié que c’était le printemps. D’autres réagissent, maîtrisent leurs peurs, modifient l’ordonnance de leurs priorités, réapprennent à regarder la nature. Et nombre d’entre eux, lors de courtes promenades réglementées, découvrent malgré tout, la joie au cœur, la feuille nouvelle aux arbres du parking, le vol rapide des martinets au-dessus des toits, la petite fleur pointant hors du bitume.

Au cœur de mon jardin, je veux voir moi aussi une espérance dans ces signes du renouveau et puise dans la beauté environnante les forces dont j’ai plus que jamais besoin… et le jasmin consolateur n’en finit pas d’ouvrir ses étoiles blanches et parfume mon confinement, mes peurs, mes tristesses.

La pandémie s’est emparée du monde et plus rien n’est comme avant.

Cette « crise sanitaire sans précédent », leitmotiv récurrent, a brutalement effacé les jours anciens, nos habitudes. Et les journaux télévisés rivalisent de nouvelles alarmantes avec un soupçon d’excitation…

Me voilà devenue prisonnière d’un de ces films de science-fiction que je rechignais à regarder « avant », tant ils m’impressionnaient. J’acceptais cependant d’en voir un de temps à autre, le cœur serré, et me rappelle le soupir d’allègre soulagement que je poussais lorsque, à la dernière image, je retrouvais la réalité d’un monde rassurant. Chaque chose reprenait sa place, la vie pouvait se poursuivre loin de l’oppressant sentiment qui m’avait étreinte pendant toute la durée du film. Hélas, rien n’est plus pareil ! La vie réelle n’est plus que menaces, inquiétudes, bouleversements, que je tente d’oublier le temps d’un film qu’il me faut drôle, léger. Mais quand s’éteint l’écran, je retrouve un présent effrayant terriblement réel. Si je me hasarde à « descendre » au bourg depuis mon coteau, c’est pour découvrir un Jurançon méconnaissable, inquiétant, aux rues désertes, traversées de quelques rares passants habités d’une fausse urgence qui se hâtent, fantômes apeurés, vers la sécurité de leur foyer. Stupeur ! Quel est ce monde ? Quelle est cette banlieue de Pau autrefois familière, aujourd’hui inconnue ?

Comment échapper à ce climat anxiogène ? Comment réagir face à cette menace terrible, consternante, sournoise, omniprésente ? Quel moyen trouver pour échapper à ce virus dont il faut se méfier sans le connaître, se défendre sans trop savoir où il se trouve, supporter sans savoir pendant combien de temps ?

La réponse a fini par me sembler évidente et c’est ainsi qu’ayant abandonné le livre précédent, je me sentis confrontée à un nouvel impératif. Puisque nous étions « confinés » – mot déplaisant, sans grâce, mais devenu incontournable – puisque nous avions du temps, tellement de temps, il me fallait écrire sur ce changement brutal qui semblait vouloir tirer un trait sur les jours passés. Malgré l’impossibilité apparente d’aligner trois mots, d’organiser mes idées, j’étais cependant convaincue que c’était la seule échappatoire à cette menace, à cette ankylose de l’esprit générée par ce virus. Je me forçai donc à m’installer devant les pages blanches gisant sur mon bureau et qui semblaient m’attendre. Je me devais de tenter de les remplir malgré la morosité du sujet. Mais les pages demeuraient vierges, leur blancheur s’étendait à mon cerveau, le paralysant et me plongeant dans une torpeur douloureuse. Debout derrière ma fenêtre, engourdie, je tentais de réagir. Mes yeux alors aperçurent le pic d’Ossau et s’y accrochèrent comme un homme en train de se noyer agrippe une branche salvatrice. Cette vue rassurante m’aida à reconstituer mes idées en lambeaux. Imaginant sous mes pieds le sentier familier, la roche solide, je sentis se détendre mes muscles et se délier mes doigts sur le stylo. L’envie d’écrire était là de nouveau, mais pas d’écrire sur le coronavirus. Écrire sur les Pyrénées bien sûr. Ne pas détourner mon regard, ni surtout mon esprit, du pic mythique aux deux célèbres crocs.

Sa cime est encore blanche mais, sur ses flancs, les alpages reverdis ont chassé l’hiver. Hélas ! J’ai beau le fixer, le réconfort qu’il m’a apporté un bref instant s’estompe soudain. Une fêlure en moi se fait sensible. Je réalise brusquement que la montagne est hors de ma portée. Interdite. Le confinement empêche les rendez-vous, les escapades impulsives. Voilà que ce virus obsédant, dangereux, porteur de mort, est pour moi chargé d’une double peine. Me voilà exclue de mon domaine, exilée hors des grands espaces, des paysages grandioses, des rencontres possibles avec l’isard, la marmotte, le renard, et pourquoi pas, avec le mythique plantigrade objet de tant de rêves, l’ours, le seigneur, le « pédescaus » ?