En suivant les traces ! - Pierre Perié - E-Book

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Pierre Perié

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Beschreibung

La chasse populaire, profondément ancrée dans les racines de Pierre Perié, symbolisait pour lui le visage ludique d’une existence marquée par la dureté et les épreuves. Elle incarnait l’un des rares plaisirs d’hommes et de femmes qui, malgré la rigueur de leur vie, ont su transmettre cet héritage précieux. Aujourd’hui, cette passion, devenue pour lui un art de vivre, dépasse le simple loisir : elle s’impose comme un repère essentiel, un lien indestructible avec ses origines. Le lecteur découvrira, à travers ce récit, que cette quête n’est pas seulement une chasse au gibier, mais une quête de sens, un retour à l’essentiel.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né au cœur de la campagne lotoise, Pierre Perié a grandi dans un univers façonné par la ruralité, où ses parents et grands-parents lui ont transmis l’amour des plaisirs simples de la vie. Parmi ces traditions, la chasse occupe une place centrale. Elle a non seulement marqué son parcours personnel, mais aussi influencé sa vie professionnelle, au point de l’inciter à écrire pour en partager l’essence. À travers ses anecdotes cynégétiques, il raconte et immortalise cette passion qui l’accompagne depuis toujours.

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Seitenzahl: 276

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Pierre Perié

En suivant les traces !

© Lys Bleu Éditions – Pierre Perié

ISBN : 979-10-422-5915-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

J’ai en partage avec Pierre Perié cette ruralité de l’enfance, lui dans le Lot, sur l’Aubrac pour ma part, où, dans ces années anté-télé, les loisirs étaient bucoliques. La notion du beau n’émanait pas de visites urbaines de musées, mais ne s’inspirait que des paysages et de cette nature à la fois rude par ses hivers ou le dur travail qu’elle nécessitait, mais aussi généreuse par ses champignons, poissons ou gibiers. Pour ces paysans, la chasse était alors une des rares activités permettant d’échapper au quotidien de labeur. L’idée du tableau de chasse leur aurait paru absurde. Leur vision et leur pratique étaient totalement éloignées du paraître et de toute compétition. On était bien trop modeste pour se mesurer. Il s’agissait plutôt de se fondre dans ces éléments et vivre à sa mesure empreinte de respect et de frugalité. Même si depuis le néolithique les hommes ne sont plus des chasseurs-cueilleurs, mais des éleveurs-cultivateurs, les habitants démunis de mon village se devaient d’améliorer l’ordinaire de leur famille par quelque animal à poils ou à plumes prélevés sur une nature prolixe et respectée comme source de vie. Je ne sais de la chasse que mes souvenirs d’enfance dans les années cinquante et dans cet Aubrac où, fils de la directrice d’école, je côtoyais ce monde rural encore très archaïque et privé de nombreuses ressources et où les loisirs étaient réduits à leur plus simple expression. La chasse était d’ailleurs un des rares pour ces paysans au dur labeur et aux journées sans fin. La petite escapade précrépusculaire accompagnée du chien bâtard, mais au flair aiguisé consistait à débusquer un garenne ou un couple de perdreaux à la recherche de leur abri pour la nuit. Ma seule participation à cet univers était purement littéraire. Il y avait dans la maigre bibliothèque de la petite école, les livres : Raboliot et La boîte à pêche de Maurice Genevois. Ce furent des lectures merveilleuses où l’écriture était en résonance avec l’expérience intime. Cette position de fils d’institutrice ne me valait donc que cette pratique réduite à la lecture. Pour la chasse il fallait aller chez les voisins. Je me souviens d’Ernest, dans la ferme proche, les jours de pluie intense où rien n’était possible en extérieur, saisir sur le rebord de sa cheminée sa caissette en bois contenant tout le nécessaire pour fabriquer ses cartouches.

À cette époque, dans ce pays pauvre, on n’achetait que le minimum. Les cartouches, une fois tirées, étaient récupérées et rechargées. Il suffisait pour cela d’en changer l’amorce, rajouter la dose de poudre conservée dans un étui fabriqué à partir d’une pointe de corne de vache, couvrir d’une bourre (je trouvais ce mot magique) et choisir ensuite ses plombs, allant du plus fin pour les petits oiseaux aux chevrotines pour les sangliers. Bien maigres souvenirs ! Pierre Perié en a bien plus. Mais nous avions un avantage. La toujours même position de maître d’école, terme employé respectueusement à l’époque, nous valait l’attribution, après la chasse, si la récolte avait été fructueuse, de notre part du butin. La proximité de l’école et du presbytère nous permettait de voir que le curé bénéficiait de la même faveur, ce qui, du coup, relativisait aux yeux de ma mère le cadeau… Il y en avait donc pour tout le monde ! Le terme de sauvagine me faisait rêver… C’était sauvage en plus poétique. Il y avait alors à la préfecture, à l’automne, la foire à la sauvagine, où les chasseurs, certainement plus nécessiteux que passionnés, venaient vendre les peaux chassées et séchées. Je ne sais plus qu’elles avaient été les victimes ; on parlait évidemment de renards, mais aussi de loutres et de martres…

Bien pauvres souvenirs à vous offrir que tout cela pour présenter le texte si riche de Pierre Perié. Ma seule excuse en est l’amitié et la certitude que vous partagerez mon plaisir à la rencontre de tous ses personnages pleins d’humanité.

Daniel Segala

Introduction

J’ai eu la chance de vivre une enfance heureuse au milieu des réalités de la nature, en contact permanent avec la chasse et les chasseurs, par mon grand-père, mon père, les amis de mon père, les voisins agriculteurs, tous ces gens qui m’ont éveillé aux subtilités de la vie des bois et des champs. Je mesure pleinement maintenant, à plus de soixante-dix printemps, que cela a été un réel bonheur de pouvoir disposer de la faculté d’aller sans contrainte au gré de mon envie, dans les bois, les champs, les chemins, le jour, la nuit, pour petit à petit découvrir cette nature, l’aimer un peu plus chaque jour, y côtoyer les animaux domestiques et sauvages.

J’ai eu durant cette période un rapport privilégié avec le monde de la chasse qui épousait parfaitement les contours de celui de la ruralité. Cette chasse populaire d’où émergent mes racines était le côté ludique d’une vie difficile, exigeante, avec ses peines et ses souffrances. La chasse représentait l’essentiel des plaisirs d’individus qui n’en avaient pas beaucoup, mais dont le mérite important aura été de le transmettre, de faire aimer ce plaisir devenu un art de vivre pour moi, sans lequel il n’y aurait plus de repères.

Au travers de ceci, le sanglier représente bien sûr pour moi tout un monde de passion, de bonheur, de mystère parfois aussi, qui se perpétue à l’épreuve du temps qui passe. J’ai souvent la nostalgie de ceux qui nous ont quittés, rejoignant le paradis des chasseurs de sangliers, que j’ai écoutés religieusement, à qui je pense souvent ; ceux-là mêmes qui m’ont appris un peu des mystères de l’espèce, de sa chasse.

Je pense aussi à tous les autres, vivants toujours, blanchis sous le harnais, qui sont la mémoire de cette chasse passionnelle, pour lesquels mon respect est important.

J’ai aussi les souvenirs émus de mes premières rencontres avec le chevreuil, le lièvre, le lapin, la bécasse, la palombe, la grive ou la caille, qui outre la passion de leur recherche, procuraient passés entre les mains expertes de ma grand-mère et de ma maman, des mets succulents dont les senteurs chatouillent encore mes papilles et qui ont généré chez moi un goût immodéré pour cette venaison de gibier toujours partagée avec mes amis. Le partage est la qualité primordiale du chasseur, me disaient en chœur mon grand-père et mon papa.

Plus de cinquante ans après, les Combes résonnent toujours dans ma mémoire entre CRAS, FAGES et NADILLAC et ailleurs, à l’écho des menées de TANGO, RONFLO, VAINQUEUR, et des autres courants.

Ces quelques histoires d’ici et d’ailleurs, de mon QUERCY natal, des CORBIÈRES et d’ailleurs, sont toutes réelles. Elles ont parfois été un peu enluminées, les personnages qui y figurent ne sont pas le fruit d’un imaginaire débordant, ils m’ont côtoyé ou me côtoient encore. C’est aussi un peu pour tous ces gens que je me suis décidé à les faire connaître.

Çà et là, elles représentent, pêle-mêle des souvenirs émus, une émotion encore palpable, une solidarité entre générations pour communier avec ferveur au rite païen de la chasse au SANGLIER et des autres chasses qui sont restées un des moteurs de ma vie.

Ce sanglier, parfois encore si mystérieux, a généré en moi et génère toujours une réelle passion, d’abord pour le chasser dignement et ensuite pour respecter ce gibier qui m’a procuré et me procure encore tant d’émotions, total respect à la « bête noire », pas si bête que cela ! Comme j’ai un total respect de tous les gibiers et modes de chasse pourvu qu’ils soient éthiques et respectueux. Ces histoires reflètent ma vie de coureur des bois et d’amoureux de la vie sauvage et naturelle. Je vous les livre.

Le premier vu ou entrevu

C’était à la fin des années cinquante, il y avait un bout de temps déjà que les campagnes se vidaient au profit de villes. Il n’y avait plus une école dans chaque village. Je me rendais donc pendant l’année scolaire tous les jours au bourg voisin distant de quatre kilomètres à pied.

Mon père ne possédait pas encore d’automobile, ma grand-mère, femme de devoir admirable m’accompagnait souvent à l’aller et parfois le soir me retrouvait à mi-chemin, toujours avec une friandise ou un gâteau pour mon goûter. Je dois dire que pour aller à l’école, j’empruntais des chemins tous entourés de belles choses, mais aussi de mystères, que je n’arrivais pas toujours à éclaircir : les champignons à l’automne, mes premiers cèpes cueillis sur les conseils avisés de Mémé Léa, dans la châtaigneraie serpentée, par le chemin de traverse. C’est là aussi que de temps en temps j’apercevais au détour d’un virage, la queue blanche d’un lapin de garenne surpris et filant prestement à ma vue, ou l’oreillard broutant tranquillement le sainfoin de Louise.

Au printemps, sous les frondaisons, c’était un concert de merles moqueurs, de fauvettes enjouées ou de coucous taquins se répondant d’un arbre à l’autre. Je m’éveillais à la vie de la nature, cette vie qui a bercé mon enfance, qui continue aussi d’être le moteur de mon existence. Le trajet durait environ une heure, parfois un peu plus, parfois un peu moins au gré des rencontres ou des observations répétées de la nature environnante. En tout cas, c’étaient des moments inoubliables, qui soixante-cinq années après me font toujours chaud au cœur et sont enfouis dans ma mémoire pour l’éternité. À l’époque, on n’était pas très riches, mais la qualité de vie à la campagne atténuait bien des situations difficiles. Le labeur quotidien des êtres humains était considérable, mais l’amour et la générosité des relations les uns envers les autres effaçaient souvent les souffrances pourtant réelles. La vie était dure à la campagne, mais c’était la seule, il n’y avait pas d’autre choix.

Un jour, Jules, grand buveur devant l’éternel, le meilleur pour les cèpes, dans tous les bois, par tous les temps, redoutable maraudeur, grand chasseur, meilleur braconnier encore, m’avait dit : « Attention, petit Pierre, parfois tu sais, au bout de la “carretal” de la Lande, le sanglier passe… » Quels mots magiques, ainsi prononcés, lourds de conséquences. En effet, combien de récits à la veillée autour du feu au « cantou », racontés par Jules, un peu piqueur sur ces fameux sangliers, un jour-là, le lendemain ailleurs, rarement trouvés, car très rusés, tous plus impressionnants les uns que les autres, et qui étaient vénérés par les chasseurs du coin, car ils apportaient un surcroît de très bonne nourriture, quand par hasard l’équipe cantonale en faisait passer un de vie à trépas.

Donc, la révélation de Jules, que j’admirais beaucoup de par ses connaissances innombrables sur la nature, m’avait d’un côté perturbé, car j’avais sept ans et je n’en menais pas large, mais d’un autre côté, ressortait tout l’atavisme familial. Chez Perié on était chasseur de père en fils, donc le courage allait de pair avec une résolution de bon aloi. Même à sept ans, il était bon de montrer son courage. Ce n’était pas le sanglier de Jules qui allait me faire peur.

Donc je me préparais à cet événement qui allait marquer toute ma vie, avec impatience, mais aussi un brin de crainte, que je m’efforçais vaille que vaille de contenir. En effet, devant les copines et les copains d’école, je ne pouvais laisser transparaître le moindre doute ou tourment, fût-il intérieur. Le printemps passa, pas de sanglier en vue. Les grandes vacances arrivèrent, avec les foins, la moisson, les interminables ballades avec mes camarades de jeu, en un mot le bonheur partagé. Les vacances, tout à une fin, se terminèrent au mois de septembre et il fallait revenir à l’école. Au début de l’automne, les jours étaient beaux, encore longs. Les premières palombes aperçues ainsi que les premières « tcha-tcha » annonçaient le retour de la mauvaise saison et des frimas. Il y avait maintenant longtemps que les vendanges étaient faites et les hommes ne pensaient plus qu’à la chasse. Les récits au coin de la cheminée reprenaient avec des lièvres qui grossissaient chaque jour un peu plus, des lapins par carniers entiers et des compagnies de perdreaux innombrables, mais toujours pas de sanglier.

J’avais parfois un peu peur au détour d’un chemin ou au bout du champ de genévriers qui descendait à la fontaine, d’un voir apparaître un, le soir tombant. Je l’espérais en moi-même, mais il ne venait jamais, tellement qu’un jour, en apercevant Jules affairé à réparer un vieux collet, je l’interpellai en lui disant que ses sangliers n’étaient que des balivernes et que de toute façon cela ne m’impressionnait pas beaucoup…

Nous étions après Toussaint, les jours raccourcissaient beaucoup. J’arrivais à la maison le soir, il faisait presque nuit. Ma grand-mère venait chaque fois qu’elle pouvait à ma rencontre, mais c’était l’époque du gavage des canards, tâche oh combien importante pour assurer l’existence de la famille pendant les longs mois d’hiver. Donc il m’arrivait souvent de faire tout seul le chemin du retour à nuit tombée, mais j’avais l’impression que rien ne pouvait m’arrêter.

Un soir vers dix-neuf heures, nous nous apprêtions à souper, tout était installé sur la grande table familiale, lorsqu’on frappa à la porte. Aussitôt frappé, aussitôt rentré. C’était Jules, visiblement très excité, le nez plus cramoisi que d’habitude, faisant de grands gestes et criant à tue-tête à mon père : « L’ay vit, es bel comu un aze ». Je l’ai vu, il est grand comme un âne. Tout le monde se tût, grands et petits, les yeux s’écarquillèrent et tout le monde écouta Jules raconter. C’était presque nuit, il venait de la fontaine avec un seau d’eau dans chaque main pour les besoins familiers, lorsqu’à moins de trente pas de lui, au bout des genévriers, il était apparu, énorme sanglier, redoutablement armé, les poils gris, trottinant, nullement impressionné par l’homme et avait disparu au bout du champ. Jules l’avait regardé passer sans bouger, admiratif de la stature du solitaire. Après avoir avalé un nouveau verre de vin, l’homme raconta à nouveau, et les esprits s’échauffèrent. Il ne fallait pas laisser passer cette occasion. Une stratégie savante fut mise sur pied de suite, une battue fut organisée pour le lendemain. Selon Jules qui s’y connaissait, il serait sûrement remisé dans le « Pech de Miers ». Tout fût préparé après le repas, chevrotines, fusil, casse-croûte léger, le sanglier n’avait qu’à bien se tenir. Je ne dormis pas de la nuit, serré contre ma grand-mère, il me harcelait sans cesse… La battue se déroula. À la nuit, les hommes rentrèrent fourbus, pas de sanglier, il s’était volatilisé, mais il marquait les esprits.

Début décembre, quelques flocons se mirent à voltiger de ci, de là, bientôt suivis de pluie et de brouillard épais, on n’y voyait pas à plus de cinquante pas. C’était un mardi soir, je partis de l’école ravi, car je venais d’obtenir huit sur dix à une rédaction sur les vendanges. Je me dépêchais donc de rentrer pour annoncer la bonne nouvelle dans l’espoir d’une récompense.

Un crachin lancinant tombait sur les arbres que l’on devinait au loin tellement le brouillard était épais. Je devais traverser les châtaigneraies sur environ un kilomètre avant de déboucher près de la route qui me semblait plus hospitalière. Le soir tombait maintenant, il étendait lentement l’obscurité sur les arbres, les buissons alentour. Je n’y voyais pas à plus de vingt mètres et j’allongeais le pas pour sortir au plus tôt de cette forêt qui me semblait inhospitalière.

Tout d’un coup, sur ma droite, à courte distance, j’entendis un bruit et un animal trottiner que je ne voyais pas encore… Je restais cloué sur place, incapable de bouger, mon cœur avait bondi dans la poitrine, j’étais statufié sur place. Il était là, imposant, en train de vermiller, cherchant les dernières châtaignes. Le fameux solitaire de Jules était revenu. L’espace d’une seconde, après m’avoir senti, il poussa un « wouf » sans doute de mépris, mais que je pris pour de la colère et disparu dans la brume comme par enchantement, mais dans un grand fracas de branches cassées sur son passage. Je pris mes jambes à mon cou, le dernier kilomètre me séparant de la maison familiale fut effectué en un temps proche du record. Je me jetais dans les bras de mémé Léa qui m’attendait sur le pas de la porte. Je lui racontai mon aventure, elle me serra encore plus fort. J’avais eu une belle frousse, mais au fond de moi-même la fierté commençait à revenir. Moi aussi comme Jules, je l’avais vu d’aussi près que lui. Tout d’un coup, je venais moi aussi de grandir, de côtoyer ceux qui pouvaient chasser. J’avais sept ans, je venais de rencontrer l’animal qui allait passionner toute ma vie.

Pour l’anecdote, ce fabuleux animal fut aperçu encore une paire de fois à l’improviste, puis disparu sans que les chasseurs ne puissent l’approcher. Il hanta longtemps les souvenirs des uns et des autres qui parlaient de lui avec respect, ce respect que dégageaient sa prestance et sa force. Cela fait plus de soixante-cinq ans, je m’en souviens encore comme si c’était hier, le Sanglier venait de me marquer au fer rouge, cela n’a pas encore cicatrisé.

Le cérémonial de l’élaboration des cartouches !

Environ une quinzaine de jours avant le jour de l’ouverture de la chasse, un cérémonial particulier se déroulait au sein de notre foyer, qui touchait presque au sacré et à la technicité, c’était l’élaboration des cartouches pour la saison de chasse à venir. Depuis plusieurs jours déjà, le sujet était évoqué, mais la date n’avait pas encore été fixée. Cette cérémonie réunissait invariablement chez nous plusieurs chasseurs : mon papy, mon papa, les voisins, Léon, Raymond, Maurice, puis parfois aussi le grand « Julou ».

Ce rituel se déroulait souvent un samedi soir après le repas, en observant et en obéissant à des règles immuables. J’étais de temps à autre autorisé à participer du regard à cet évènement. J’avais à cette époque-là sept ou huit ans, mais j’étais déjà très curieux d’observer le déroulé de l’opération. Donc sur le coup de vingt heures après le repas, les participants étaient arrivés l’un après l’autre, mais il fallait attendre que mémé Léa ait débarrassé la table de la cuisine de tous les ustensiles. Les hommes en profitaient pour boire une tasse de café, arrosée de la « goutte » traditionnelle, se roulaient une cigarette sur le genou, l’allumaient et devisaient tranquillement en parlant de l’ouverture prochaine et du gibier qui était abondant. Pendant ce temps, ma maman couchait ma sœur et mon frère cadet, plus jeunes et non conviés à cette fête païenne. Lorsque la table de la cuisine était propre, le cérémonial se mettait en place, bien ordonné. Papy Paul attrapait une longue boîte en fer blanc qui était posée sur le vaisselier, la déposait sur la table, puis l’essuyait toujours avec le même chiffon. Pendant ce temps, mon père était allé dans sa chambre chercher une autre boîte en carton rectangulaire, c’étaient les douilles vides réamorcées qu’il avait commandées par courrier à Manufrance et que Cyprien le facteur lui avait livrées la semaine dernière. La commande était conséquente, car il fallait des cartouches pour plusieurs personnes. Tous les chasseurs étaient équipés avec du calibre seize, mon grand-père et « Julou » avaient chacun un fusil Le Faucheux avec des cartouches à broches, les autres soit un Hammerless, soit un Robust.

Lorsque tout le monde était installé autour de la table, Papy Paul ouvrait la fameuse boîte magique, d’où il sortait d’abord le sertisseur, puis plusieurs boîtes numérotées : celle qui contenait la poudre noire était cylindrique en métal avec un bouchon qui se vissait, celle qui contenait les bourres, celle qui contenait les cartons fermant la cartouche avant le sertissage et les outils de mesure pour doser les quantités, un pour la poudre et un autre pour le plomb. Une autre boîte était sortie précautionneusement du placard, elle contenait quatre autres petites boîtes qui étaient pleines de plomb, du n° 4 pour le lièvre et le renard, du n° 6 pour le lapin, du n° 8 pour la grive ou le merle et une autre spécifique qui renfermait les chevrotines neuf grains pour les sangliers de passage. Les plombs avaient été achetés chez l’armurier Cadurcien que mon père fréquentait et qui venait parfois chez nous faire une partie de chasse aux lapins. Une petite balance était aussi sortie d’un placard, très précise pour les quantités de poudre et de plombs, il ne fallait pas se tromper. Lorsque tout le matériel était prêt sur la table, le travail de précision débutait, Léon prenait les étuis vides, vérifiait la qualité de l’amorçage, puis les tendait à Raymond dont la spécialité était le dosage de la poudre noire, au gramme près, car l’excès pouvait jouer des mauvais tours. Ceci fait, « Julou » avec maintes précautions et à l’aide d’un poussoir insérait la bourre dans l’étui jusqu’à comprimer la poudre. Il passait ensuite la cartouche à mon père qui pesait le plomb et l’insérait dans la cartouche à l’aide de la mesurette. Cette opération devait être très précise, trente-deux grammes pour le plomb huit, trente-quatre grammes pour le six et trente-six grammes pour le quatre, elle requerrait une grande minutie. Ceci fait, mon père passait la cartouche à Maurice qui mettait le carton numéroté correspondant au numéro de plomb, opération précise également, vous comprenez aisément pourquoi.

L’opération finale de sertissage de la cartouche qui finalisait l’ouvrage était réalisée par le doyen de l’assemblée, mon grand-père à qui revenait le soin de parachever la cartouche. Cette belle harmonie durait une partie de la nuit avec quelques poses où une cigarette était roulée puis fumée. Je ne perdais pas une miette de cette opération magique, un monde imaginaire presque irréel se déroulait devant mes yeux de gosse, j’étais admis parmi le monde des adultes.

Mais le clou du spectacle, car c’en était un, résidait dans la réalisation des cartouches de chevrotines neuf grains pour les fameux sangliers de passage. D’abord parcimonieuses, au maximum, quatre par chasseur, puis les plombs de chevrotines étaient fixés trois par trois parce que « Julou » avait décrété qu’elles seraient plus efficaces ainsi. Alors, le cérémonial se corsait, « Julou » s’était procuré une lampe à souder et du fil de laiton qu’il faisait fondre et fixait ainsi entre-elles les chevrotines trois par trois sur trois rangées, sous les yeux ébahis de tous. Et selon son avis autorisé, jusqu’à vingt-cinq pas, pas un ragot n’en réchapperait, ce qui fit rire sous cape l’armurier ami lorsque mon père lui raconta cette trouvaille. Sur le coup de dix heures, ma mère jugeait qu’il était temps d’aller se coucher pour moi. J’abandonnais donc les protagonistes à leur travail, qui se prolongeait souvent fort tard ou fort tôt, une partie de manille finissait cette soirée mémorable et la bouteille d’eau-de-vie de prune en faisait souvent les frais. Puis quelques jours après, les protagonistes procédaient à des essais pour vérifier le groupement et la précision des charges de plomb, une cible était positionnée à une trentaine de pas et les tirs analysés. Cette opération se terminait invariablement par un bon repas amical généreusement arrosé, mais tout était prêt pour l’ouverture prochaine. Maintenant, nous commandons les cartouches sur internet ou allons chez Décathlon ou chez notre armurier, la précision balistique y a sûrement gagné, la poésie et la faconde de ces moments ont disparu, quel dommage !

Le collet était bien placé !

Cette histoire m’a été souvent racontée par mon père et par le grand « Julou », ami de mon père et celui qui m’a formé aux subtilités de la nature et de ses diverses composantes. Cela s’est passé dans la campagne lotoise, sur le causse, dans mon hameau de Fages, au début des années 1950. Je n’étais pas encore de ce monde, elle ne manque pas de saveur et j’aurais sans doute aussi pu y participer moi aussi.

Après la Seconde Guerre mondiale, les campagnes regorgeaient de gibier, car il était peu ou mal chassé pendant le conflit armé. Les restrictions alimentaires à la campagne avaient été aux dires des uns et des autres moins difficiles qu’en ville. En effet, même si on ne pouvait pas chasser, certains moyens peu ou pas licites permettaient d’attraper : lapins, lièvres ou perdrix afin de subvenir aux besoins familiaux. Les collets de différentes tailles, les cages-pièges pour les oiseaux étaient les moyens silencieux les plus adaptés pour se procurer à bon compte et toute l’année une venaison de qualité. Notre voisin, « Julou » s’était fait une spécialité dans l’art de réaliser ces pièges, dans la manière de les préparer trempés dans une mixture qu’il fabriquait pour atténuer l’odeur du métal. Il était aussi très adroit dans la manière de les placer sur les coulées du gibier, tant et si bien qu’il avait des résultats importants et des prises de qualité. Il y consacrait beaucoup de temps d’ailleurs, au grand dam et parfois à l’emportement de sa sœur Louise, qui aurait préféré le voir s’occuper un peu plus de la propriété familiale. Mais Louise ne rechignait pas à cuisiner, d’ailleurs superbement, paraît-il, lapins, lièvres et perdrix que son frère lui apportait. Alors c’est vrai, « Julou » avait un peu de retard souvent dans les travaux domestiques. Mais l’entraide des voisins rattrapait la plupart du temps ces inconvénients et « Julou » n’oubliait jamais en retour de donner une pièce de gibier pour remercier les « coups de main » de ses voisins.

À la sortie de la guerre, les sangliers étaient un peu plus nombreux dans la campagne Lotoise, « Julou » disait qu’ils étaient venus à cause de la guerre et arrivaient en droite ligne de la lointaine Pologne ou même de Russie, chacun laissant à « Julou » la paternité de ses propos, compliqués à vérifier. À l’époque, il n’y avait pas encore de battues organisées, les rares chiens de chasse menaient les lapins ou les lièvres, mais pas les sangliers qu’ils ne connaissaient pas. Donc il arrivait souvent que les « bêtes noires » venaient croquer quelques épis de maïs ou saccager quelques céréales, ce qui avait le don d’agacer « Julou ».

Depuis quelque temps déjà, il avait remarqué une coulée différente par sa taille, qui traversait une haie de buissons noirs, pour déboucher dans la prairie qui rejoignait l’unique parcelle de maïs que faisait notre ami pour nourrir les volailles de la basse-cour toute l’année. Donc « Julou » surveilla cette coulée qui était empruntée régulièrement et un beau jour vit l’empreinte marquant dans la boue d’un ragot qui selon lui devait bien faire les quatre-vingts livres. Il fallait donc agir rapidement et en réfléchissant, il lui vint une idée qu’il lui fallait partager avec quelqu’un. Donc un soir, il vint rencontrer mon père pour lui raconter la situation. On était hors période de chasse, mais le maïs était en lait, donc très appètent pour le sanglier. Pas question de faire l’affût et de le « trucider » d’un coup de chevrotines, car cela aurait mis le hameau en éveil. Il fallait donc procéder d’une autre manière, par exemple avec un collet, mon père trouva l’idée lumineuse. Mais il fallait se procurer un câble d’acier solide, car un sanglier c’est plus costaud qu’un lapin ou un lièvre. Le grand « Julou » n’en avait pas, mon père se mit à réfléchir et se souvint qu’un jour, il s’en était procuré un chez le ferrailleur voisin. Maintenant, il fallait le retrouver, sans doute était-il au grenier dans la grande malle, effectivement, il y était. Il était de belle taille, suffisant pour maintenir immobilisé un sanglier. Mon père le donna à « Julou » pour que ce dernier le fasse tremper dans la mixture miracle. Le câble y resta deux jours et deux nuits et n’ayant plus d’odeur, il fallait maintenant se rendre à la coulée pour trouver un arbre assez solide pour l’arrimer.

Les deux compères se rendirent sur les lieux, regardèrent dans la haie. Il y avait un prunier sauvage qui leur parut suffisamment solide. Ils fixèrent solidement le câble à l’arbre en question, puis « Julou » confectionna le nœud coulant, ni trop grand, ni trop petit, juste à la taille de la hure d’un sanglier. Il le plaça tellement bien, qu’en passant à côté, mon père disait qu’on ne le voyait absolument pas. Le piège était installé, maintenant, il fallait attendre. Ce que firent à tour de rôle les deux complices. Ils y passaient tous les jours, des fois qu’un chien du voisinage ne s’y prenne ! Pendant une dizaine de jours, rien ne se passa, les sangliers paraissaient avoir déserté le hameau. Un samedi matin, après avoir soigné de bonne heure ses bœufs et le cheval, « Julou » se rendit auprès de la haie, non sans avoir au passage relevé les collets ordinaires lui permettant de mettre deux lapins dans sa musette. Arrivé près de la coulée, quelle ne fut pas sa surprise d’entendre des grognements furieux et des froissements de buissons. Il hâta le pas, effectivement un sanglier était pris au collet et se débattait furieusement pour essayer de se libérer, en pure perte, car le prunier avait résisté, mais les buissons de la haie étaient foulés au pied. « Julou » réfléchit rapidement, tout seul, il ne pourrait maîtriser la situation, car l’animal était très énervé, donc il fallait de l’aide et une aide solide. Il s’en fut le plus rapidement chercher son ami Roger, mon futur père. Au passage, chez lui, il prit sa baïonnette pour saigner l’animal. De retour sur les lieux, les deux amis analysèrent la situation et décidèrent de saisir le suidé par les pattes arrière, de l’immobiliser pour le saigner. Plus facile à dire qu’à faire, car le ragot voulait vendre chèrement sa « couenne ». Roger réussit une première fois à saisir une patte arrière, mais une ruade du sanglier le fit « valdinguer ». Prenant leur courage à deux mains, ils plongèrent et saisirent enfin les deux pattes du ragot et purent l’immobiliser. « Julou » d’un coup de baïonnette, au niveau de la patte avant transperça le cœur du sanglier qui après quelques soubresauts s’immobilisa mortellement atteint. Heureusement, car le prunier où était attaché le câble était à la limite de la rupture, le câble avait aussi souffert des assauts furieux de la bête. Les deux hommes en nage et revenus de leurs émotions le dissimulèrent dans le buisson et s’en retournèrent chez eux. Le soir à la tombée de la nuit « Julou » attela Pompon le cheval au charreton et ni vu, ni connu, alla récupérer le ragot. Le lendemain, il fut prestement éviscéré, partagé et termina à parts égales dans les saloirs respectifs de chaque protagoniste et améliora leur ordinaire pendant un bon moment. Le silence fut respecté sur cette prise atypique qui ne se renouvela pas selon eux ! Mais doit-on les croire ?

Il y a prescription

La chasse à la campagne, il y a plus d’une soixantaine d’années, était partie intégrante de notre vie, de nos racines, en un mot, elle faisait partie de notre existence. On naissait chasseur, on grandissait chasseur et l’on mourrait chasseur. L’acte de chasse était aussi un moyen d’améliorer l’ordinaire sur le plan culinaire. Les grand-mères et les mères étant chargées, tâches oh combien importantes, dont elles s’acquittaient avec talent et amour, de préparer de succulents mets à partir du gibier abattu. Il n’y avait pas encore la sensiblerie de mise à l’heure actuelle, les populations étaient importantes, les notions de gestion absentes. On prélevait pour se nourrir et pour se distraire.

Ainsi, selon les saisons, en se gardant du garde champêtre ou de la maréchaussée, la dîme était retenue sur les grives par les « tendils » ce dont souffraient beaucoup les fonds de culotte des apprentis chasseurs et que quelques coups d’aiguille avaient tôt fait d’arranger, suivis parfois d’une bonne « torgnolle ». Cela faisait partie de l’initiation, même mieux du rituel initiatique qui était en quelque sorte l’examen de passage vers ce qui était attendu comme l’événement majeur, le précieux sésame, à seize ans : le permis de chasser.