En ta parole, marchons et chantons - Jean-Gabriel Gelineau - E-Book

En ta parole, marchons et chantons E-Book

Jean-Gabriel Gelineau

0,0

Beschreibung

Après les homélies de Noël, il est logique de publier celles de Pâques. Les deux fêtes sont liées dans le plan divin du salut. Le mystère de Noël actualise déjà la grâce de la rédemption pascale.
Le Carême, durant quarante jours, prépare à communier au mystère central de notre foi. Le temps pascal se prolonge durant cinquante jours, qui forment comme une unique fête.
Ressuscité, le Christ nous fait monter avec lui au ciel, d’où il envoie l’Esprit, à la Pentecôte. La divine miséricorde amène à glorifier la Sainte Trinité.
Et la fête du Corps et du Sang du Christ complète le parcours liturgique pour « que tous les fidèles soient amenés à une participation pleine, consciente et active aux célébrations de la liturgie »(Constitution sur la sainte Liturgie, n. 14).

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 323

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Dom Jean-Gabriel Gelineau osbDom Laurent de Trogoff osb

En ta Parole,marchons et chantons

Homélies de Carême

et du temps de Pâques

Préface

Dom Jean-Vincent Giraud

Abbé de Saint-Anne de Kergonan

Préface

Il y a fort à parier qu’au moment où vous ouvrirez ce livre, l’Église sera engagée dans le cheminement du carême (ou du moins sur le point d’y entrer). Cette période de quarante jours, qui nous prépare à célébrer la fête de Pâques, est traditionnellement marquée par la pratique du jeûne. À la suite de Jésus qui a éprouvé la tentation dans le désert, les chrétiens sont invités à expérimenter que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4).

En ce sens, saint Benoît prévoit que pendant le carême les moines bénéficieront chaque jour d’une heure de lecture supplémentaire afin de méditer la parole de Dieu. La privation de nourriture corporelle éveille le désir de notre âme et nous rend disponibles pour recevoir une nourriture spirituelle plus abondante. Alors que notre estomac nous rappelle chaque jour son besoin d’être nourri, notre vie spirituelle peut se faire plus discrète. Et si nous n’y prenons pas garde, nous risquons de négliger l’alimentation de notre esprit. Le carême est un temps favorable pour y remédier et sustenter quelque peu notre âme affamée.

« Voici venir des jours – oracle du Seigneur Dieu –, où j’enverrai la famine sur la terre ; ce ne sera pas une faim de pain ni une soif d’eau, mais la faim et la soif d’entendre les paroles du Seigneur » (Am 8, 11). Dans ses Homélies sur Ézéchiel, saint Grégoire le Grand s’appuie sur ce verset du prophète Amos pour expliquer que la parole de Dieu est en mesure de combler notre faim comme notre soif. Elle est à la fois breuvage et aliment. « Dans ses pages obscures, inintelligibles sans explications, déclare-t-il, l’Écriture sainte est aliment, car tout ce qui doit être expliqué pour être compris doit être comme mâché pour être dégluti. Dans ses pages claires, elle est breuvage1. » C’est la raison pour laquelle, au début de sa mission auprès des fils d’Israël, Ézéchiel est invité à manger le livre qui lui est tendu par l’ange. Il doit l’assimiler pour pouvoir transmettre à ses contemporains le message que Dieu veut leur délivrer. La parole que Dieu nous adresse n’est pas toujours très limpide pour notre esprit enténébré. Et nous avons besoin d’être guidés pour mieux la comprendre.

Fréquentant assidûment les Écritures et les Pères de l’Église depuis plus d’un demi-siècle, le père Jean-Gabriel sait dénicher les perles précieuses que recèle l’évangile pour les mettre à notre disposition dans ses homélies très appréciées à l’abbaye. Avec le père Laurent, qui a eu l’occasion de retravailler pendant plusieurs années les textes que la liturgie nous offre à l’occasion des jours saints, il saura nous guider dans notre lectio divina quadragésimale et pascale. Car le banquet de la parole de Dieu ne s’achève pas avec la semaine sainte. La résurrection, au contraire, ouvre notre esprit à l’intelligence des Écritures. Alors, n’attendons plus ! Répondons vite à l’invitation de celui qui nous appelle : « Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez » (Is 55, 2-3).

+ fr. Jean-Vincent Giraud

Dom Jean-Vincent Giraud est né le 20 mai 1987 au Mans, il fait ses études à Poitiers. Il entre à l’abbaye Sainte-Anne de Kergonan en 2011 et fait profession le 1er janvier 2013. Il est ordonné diacre le 21 octobre 2021, prêtre le 29 juillet 2023. Élu abbé le 22 août, il est béni le 28 octobre 2023.

1S. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel, X, 3.

Introduction

La liturgie de l’Église vit du mystère pascal. Aussi, après les homélies de Noël, il est logique de publier celles de Pâques. « La Bonne Nouvelle, Dieu l’a accomplie pour nous, en ressuscitant Jésus, comme il est écrit au psaume deux : “Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré”. » Cette parole est dite à Noël comme à Pâques ; à sa naissance, comme à sa résurrection, Jésus est le Fils bien-aimé du Père. Les deux fêtes sont liées dans le plan divin du salut, que les anciens appelaient l’économie. À la crèche, les iconographes représentaient Jésus emmailloté comme dans un linceul, couché dans une auge ressemblant à un tombeau, ce qui évoque le Saint-Sépulcre et la résurrection, l’Anastasis. Saint Augustin pensait d’abord que Noël était seulement le souvenir d’un fait passé, la mémoire de la naissance de Jésus il y a deux mille ans ; ensuite, il a parlé du mystère de Noël comme d’un sacrement, actualisant déjà la grâce de la rédemption pascale.

La fête de Pâques est précédée par les 40 jours du carême : la sainte quarantaine nous prépare à communier au mystère central de notre foi, celui par lequel nous sommes sauvés, ce salut auquel nous participons par le baptême. Aussi, le carême est par excellence le temps de préparation au baptême. L’effort de purification commence au mercredi des cendres. Pour entraîner les fidèles au combat spirituel et affronter les difficultés de la vie, l’Église propose trois moyens pour vivre en fils de Dieu : le jeûne, pour vérifier que nos besoins n’étouffent pas le désir de notre âme par un excès de consommation non maîtrisé, et nous procurer une liberté intérieure source de paix ; l’aumône, le partage pour nous tourner vers nos frères dans l’amour vrai, exempt d’égoïsme, au lieu de se laisser griser de réussite personnelle même au détriment d’autrui ; la prière pour nous centrer, comme Jésus, sur le Père, et vivre selon son bon plaisir, en dépendance de sa volonté en fils bien-aimés.

Le temps pascal, après les quarante jours du carême, se prolonge durant cinquante jours, qui forment comme une unique fête. Le 50e jour est la solennité de la Pentecôte, où l’Esprit est répandu sur les apôtres en langues de feu pour annoncer au monde le Christ mort et ressuscité pour nous. Dès qu’un homme rencontre le Christ, il devient un avec lui. Par le baptême, il meurt avec le Christ, le Père le ressuscite pour monter au ciel avec lui, et l’Esprit Saint lui donne la vie éternelle. La mort rédemptrice du Christ a une dimension éternelle : celle de la glorification de la Sainte Trinité.

La fête du Corps et du Sang du Christ complète le parcours du temps liturgique pour « que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations de la liturgie » (Constitution sur la sainte Liturgie, n. 14).

Dans l’esprit de saint Benoît, nous sommes bénis par Dieu pour bénir.

Au monastère, c’est le supérieur qui préside les fêtes et qui donne l’homélie. C’est pourquoi j’ai laissé la parole à dom Laurent de Trogoff, prieur administrateur du 26 août 2018 au 22 août 2023, pour les homélies du mercredi des Cendres et de la Semaine Sainte.

Le Carême

Le Carême est un voyage de retour à Dieu. C’est le temps pour vérifier le chemin qui nous ramène à la maison, pour redécouvrir le lien fondamental avec Dieu, pour discerner vers où est orienté notre cœur. Est-ce que je vis pour plaire au Seigneur, ou pour être remarqué, loué, préféré ? Ai-je un cœur « qui danse », qui fait un pas en avant et un pas en arrière, qui aime un peu le Seigneur et un peu le monde, ou bien un cœur ferme en Dieu ? « Revenez à moi de tout votre cœur », dit le prophète (Joël 2, 12).

Le voyage du carême est un exode de l’esclavage à la liberté. Ce sont quarante jours qui rappellent les quarante années durant lesquelles le peuple de Dieu a voyagé dans le désert pour retourner à sa terre d’origine. Mais comme il a été difficile de quitter l’Égypte ! Durant la marche, il y avait toujours la tentation de regretter les oignons, de revenir en arrière, de se lier aux souvenirs du passé. Comment procéder dans le cheminement vers Dieu ? Comme le fils prodigue nous devons revenir vers le Père, nous qui avons oublié le parfum de la maison, qui avons dilapidé des biens précieux pour rester les mains vides et le cœur mécontent. Nous sommes tombés comme des petits enfants qui essayent de marcher et qui ont besoin d’être relevés à chaque fois par le papa. C’est le pardon du Père qui nous remet toujours debout : la confession est le premier pas de notre voyage de retour.

C’est la motion de l’Esprit Saint qui nous convertit. C’est lui qui nous fait « attendre la sainte Pâque avec l’allégresse d’un désir tout spirituel », écrit saint Benoît (Règle, ch. 49, 7). Nous entrons en carême en recevant les cendres sur la tête pour nous rappeler que nous sommes poussière et que nous retournerons en poussière. Mais Dieu a soufflé sur nous son Esprit de vie pour nous faire goûter combien est savoureux le parfum des cendres. Sur notre front, elles sont le signe du feu vivant de Dieu, de son don incandescent qui nous libère de la mort. Les cendres témoignent de la joie des Rameaux plus que de la lâcheté des jours de la Passion, de la Résurrection de Pâques plus que de la Croix du Vendredi Saint. Les cendres témoignent d’un Dieu qui déborde d’amour pour les hommes. Revenons au feu qui fait renaître nos cendres, à ce feu qui nous enseigne à aimer. Prions l’Esprit Saint, redécouvrons le feu de la louange, qui brûle les cendres de la lamentation et de la résignation.

L’entrée en Carême, est une fête joyeuse ! Nous allons vers le Seigneur, car lui est descendu vers nous au plus bas. Afin de ne pas nous laisser seuls et pour nous accompagner dans notre marche, il est descendu dans notre péché et dans notre mort. Celui qui nous guérit s’est laissé blesser en croix. Alors l’Apôtre nous supplie : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20). Personne ne peut se réconcilier avec Dieu par ses propres forces, le salut est pure grâce, pure gratuité. La voie juste est celle de l’humilité. Est-ce que je sens que j’ai besoin ou est-ce que je me sens autosuffisant ? Le salut n’est pas une escalade pour la gloire, mais un abaissement par amour. Mettons-nous devant la croix de Jésus. Regardons ses plaies. Dans ces ouvertures, reconnaissons notre vide, nos manques, les blessures du péché. Et pourtant, justement là, nous voyons que Dieu nous ouvre tout grand les mains. Par ces plaies nous avons été guéris (cf. 1 P 2, 25 ; Is 53, 5). Embrassons-les et nous comprendrons que c’est justement là, dans les vides les plus douloureux de notre vie, que Dieu nous attend avec sa miséricorde infinie. Le Christ est venu à notre rencontre et il nous invite à revenir à lui pour retrouver la joie d’être aimés et d’aimer : car aime !

Mercredi des Cendres

Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5, 20-6, 2 ; Mt 6, 1-6. 16-18.

« Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil. » Voici une manière bien synthétique de définir le carême. Trois réalités : revenir ; avoir une destination vers laquelle marcher : Dieu ; et enfin le lieu de la rencontre : le cœur. Une manière de participer de la part de l’homme : la pénitence à travers le jeûne, les larmes, le deuil. Une seule parole néanmoins : la Parole de Dieu qui nous est adressée ce mercredi matin, à nous, chrétiens catholiques. Cela n’intéresse pas le monde : il ne peut tout simplement pas le comprendre.

Une première question se pose : voulons-nous revenir vers Dieu ? Pour envisager de revenir d’un lieu vers un autre, d’une attitude vers une autre, d’une manière de vivre à une autre, de soi-même vers Dieu, il est nécessaire de s’être arrêté. Pour s’arrêter il faut encore y avoir été invité d’une manière ou d’une autre et avoir acquiescé. C’est bien l’objectif de ce temps dans lequel nous entrons ce matin. Revenir, c’est prendre conscience qu’on s’est égaré : on a fait fausse route, on s’est tout simplement trompé, et cela arrive à tout le monde, mais parfois cela peut être très grave. C’est peut-être d’autant plus manifeste pour nous, en ces jours où Dieu a choisi d’exposer son peuple et ceux qui lui appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens, à cause d’abominations dont certains de ses membres sont coupables. L’Église est un Corps dont nous sommes les membres, et chacun de nous est concerné par ce qui arrive à ses membres, qu’ils aient posé des actes de bravoure ou bien des gestes d’une abomination sans nom, défigurant le visage des hommes et donc aussi celui de l’Église, Celui de Dieu.

Dans la première lecture, Dieu invite ses prêtres à intercéder en union avec tout le peuple, chacun de tout son cœur. D’une certaine manière nous pourrions dire que le carême est un temps de cordialité. C’est un recentrement sur notre cœur. C’est à notre cœur que Dieu s’adresse ; c’est de tout notre cœur qu’Il nous invite à répondre. Le cœur est le lieu de l’amour et aussi du pardon. Traditionnellement, nos frères orthodoxes se préparent au carême par une célébration particulière le dimanche qui précède les Cendres : ce dimanche-là, tous les fidèles sont invités à se demander pardon les uns les autres et à recevoir ce pardon. Toute l’année nous expérimentons qu’il est parfois difficile de pardonner voire même douloureux. Non pas seulement parce que les offenses qui ont pu nous être faites nous ont fait mal. Mais aussi et peut-être surtout parce que nous mesurons que nous n’avons finalement pas fait mieux que ceux qui nous ont fait de la peine. Cet accès de lucidité risque de nous faire perdre cœur. Et c’est pourquoi Paul nous invite en nous criant de tout son cœur : « Nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » Autrement dit : laissons Dieu lui-même nous réconcilier avec Lui. C’est ainsi qu’Il peut nous conduire à nous réconcilier avec nos frères et sœurs, car « celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas ». L’amour de nos frères, de nos sœurs, est comme le sacrement, la médiation qui nous donne la certitude d’aimer Dieu.

Or il ne vous échappera pas que cette médiation humaine est incarnée. Ceux qui nous entourent ne sont pas des anges : ils ont un corps humain. Et c’est justement ce corps qui est aussi au centre du retour auquel Dieu nous invite pendant le carême. Il est la médiation vers notre cœur d’une manière singulière. Jeûne, larmes, deuil, tout ceci est absolument inconcevable sans un corps ! Le temps du carême peut donc être perçu comme un temps favorable pour se reconnecter à son corps, et cela est de la plus haute importance. En effet, le corps est le passage obligé vers le cœur ! Nous ne pouvons accéder à notre cœur sans avoir de corps. Ce corps qui est le Temple de l’Esprit Saint ; cette chair dont nous professons la résurrection dans le credo. C’est par la pénitence de notre corps que notre cœur peut se laisser toucher.

Et ce cœur est aussi le lieu du secret, de l’intime. « Intime », ce mot né du superlatif de intus en latin, qui signifie « très intérieur ». Cela nous conduit à une question que Jésus pose dans l’évangile : « voulez-vous vivre comme des justes » ? Le voulons-nous ou bien préférons-nous rester dans notre pesanteur sous une épaisse couche de bonne conscience qui nous susurre à l’oreille : « N’en fais pas trop, tu es un pauvre homme faible. » Ou bien encore : « Fais-en à ton gré, tu sais bien mieux ce qui te convient : pourquoi te soumettre à une obéissance » ? Cette voix est celle du démon qui est un être de démesure : il suggère toujours d’aller trop loin. Trop loin dans l’excès, ou bien trop loin dans la retenue.

Or on peut devenir des justes de deux manières. À la manière des hommes, en cherchant la gloire des hommes et en la leur rendant. Ou bien à la manière de Dieu, par des actions visibles et vues de Dieu seul. C’est pourquoi Jésus nous dit dans l’évangile : « Retire-toi, dans ta chambre, ferme la porte » : presque quatre fois la même chose ! Nous sommes invités à poser des actes invisibles pour les yeux des autres. Et c’est peut-être un bon critère pour nous demander à l’occasion de ce carême : « Que pourrais-je bien faire qui ne se verra de personne » ? Dieu, qui voit l’invisible, verra ces actions assurément ! Le très beau terme d’aumône, n’est plus beaucoup employé de nos jours. L’Écriture nous dit pourtant en plusieurs passages que l’aumône remet les péchés. De nos jours on parle plutôt de partage. Cela n’enlève rien à la réalité de ce que nous pouvons faire pour les autres. Dans ce domaine de l’aumône, il est peut-être intéressant de réfléchir sur une manière de donner qui se verra surtout de Dieu. Par exemple : donner de son temps, donner de sa patience, donner du silence, donner de son écoute. Tout cela ne fait pas de bruit à l’extérieur ; tout cela n’attire pas le regard des autres, mais nous configure au visage du Christ. Ces actes, apparemment passifs, creusent en nous le goût de l’amour spirituel par la médiation du corps. Puisse ce carême être l’occasion pour nous de faire de notre corps un allié pour aimer invisiblement de tout notre cœur. La Vierge Marie nous conduira sur ce chemin, jusqu’à son Fils : confions-nous à Elle. Amen.

6 mars 2019

Fr. Laurent de Trogoff

Mercredi des Cendres

Du plus profond de nos cœurs, chacun de nous aspire à la paix. C’est pour ainsi dire une attirance innée. Même si la colère peut parfois nous habiter, en définitive nous portons tous en nous un désir irrépressible de paix. Paix pour soi, paix pour nos familles, paix pour le monde que nous habitons, paix pour ceux qui nous succéderont. Figurez-vous que cette paix trouve singulièrement à s’épanouir au temps du carême. Mais l’homme n’est pas le seul à porter cette aspiration ! La nature aussi y aspire, d’une certaine manière. Et c’est pourquoi la nature peut nous parler, à sa manière, du carême.

On peut en effet comparer le carême à une saison : l’hiver. L’hiver est un temps de retrait où la nature semble rentrer en elle-même. Elle abandonne ce qu’elle avait mis du temps à pousser et à faire grandir, parfois malgré vents et marées (surtout par chez nous). Oui, la nature semble se retirer comme pour prendre un repos, un repos bien mérité après tous ses efforts longs de plusieurs mois pour donner son fruit. D’une certaine manière la nature cherche à se recentrer, à réunir ses petites forces pour les refaire. Mystérieusement, elle sait saisir le moment favorable. Il faut dire que la nature connaît bien mieux que nous la météo. Elle a ça dans le sang, si l’on peut dire. La nature sait ! Elle sait mieux que nous bien souvent, et elle a cette sagesse de savoir le moment opportun pour se ressourcer. Seulement l’homme égoïste et pécheur rôde, cherchant comment dévorer cette nature qui s’offre à lui sans méfiance et sans a priori. Au lieu de se laisser enseigner par la mère nature, l’homme croit devoir apprendre à la nature comment mieux correspondre à ce qu’il attend d’elle. Comme si la nature ne savait pas mieux comment s’y prendre. Avouez que c’est tout de même curieux ! Comment ces hommes peuvent-ils prétendre donner des leçons à une nature qui les précède depuis des siècles et des siècles ? Car la nature est chrétienne ! Oui, frères et sœurs, tout a été créé dans le Christ, depuis le commencement du monde. La nature n’y peut donc échapper. Créée dans le Christ, la nature peut être dite « chrétienne ». Et la manière dont elle vit son retrait hivernal, son carême en quelque sorte, nous invite à rechercher nous aussi une paix quadragésimale.

Aucun feu d’artifice n’a éclaté cette nuit pour nous annoncer l’ouverture de ce temps liturgique béni. Pas davantage, aucun panneau géant ne nous souhaitera un « joyeux carême ». Le chant des oiseaux lui-même n’a, semble-t-il, pas changé. La Parole du Seigneur demeure la même elle aussi. Mais en ce jour elle nous invite à chercher comment réparer nos âmes défigurées par tant de désordres dans nos vies quotidiennes. De même que l’homme rôde sur la nature pour la piller, le diable rôde au milieu des hommes pour les réduire en esclavage et parfois même bien pire encore : pour les détruire. Ce temps du carême est donc un temps de libération et aussi un temps vers la libération. Si nous y sommes fidèles, apparaîtra à ceux qui nous entourent ce qu’est un vrai homme libéré et une véritable femme libérée. Du plus petit jusqu’au plus grand, consentons à laisser rayonner le Christ dans nos vies, en lui rendant sa créature perdue. Le Seigneur ne manquera pas de s’émouvoir de notre docilité et de notre audace, comme nous l’entendions à la fin de la première lecture. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de chercher à devenir des justes, mais bien à nous laisser séparer de ce qui entrave notre mission. Car nous sommes tous missionnaires ! À l’image de la nature qui s’enfouit à l’hiver, restons bien cachés, lorsqu’avec la grâce de Dieu nous entreprenons de nous détacher de nos vices ; supplions Dieu dans la prière et le silence. C’est ainsi qu’il nous sera donné d’entraîner ceux qui nous entourent, à l’odeur des parfums du Christ que répandront nos âmes assainies et habitées par ce doux Maître. Tel pourra être notre printemps si nous respectons ce temps de réparation et de préparation vers Pâques ! Soyons donc attentifs à la nature « chrétienne » qui nous entoure et nous parle sans cesse du Christ si nous savons la regarder et l’écouter. Retrouvons le chemin de l’Écriture qui nous parle de cet étonnant Créateur et de ce merveilleux Rédempteur qu’est Dieu qui désire nous ramener à Lui. Ce Dieu qui a voulu se faire chair pour nous montrer à quel point nous lui sommes chers !

Oui vraiment, laissons-nous réconcilier avec Dieu et par Dieu, avec docilité et action de grâce. C’est pour avoir longtemps résisté à Dieu que beaucoup finissent par perdre l’espérance et ne trouvent plus le goût de vivre une vie qui n’a tout simplement plus de sens. Nous qui par la foi savons combien Dieu est bon, nous qui savons par la foi où nous allons, portons par notre fidélité à Dieu et par notre amour du prochain, le témoignage d’hommes et de femmes qui sont heureux de revenir à Dieu de tout leur cœur et de toute leur âme !

Saint carême à tous ! Amen.

26 février 2020

Fr. Laurent de Trogoff

Mercredi des Cendres

« Ton Père voit dans le secret » ! Trois fois cette affirmation a frappé nos oreilles. Voici donc une belle invitation à entrer dans ce qui ne se voit pas, ce qui est caché, ce qui est secret, ce qui est séparé. « Séparé » est justement la définition du mot « saint » dans son sens étymologique. Oui, les chrétiens sont invités aujourd’hui à une séparation, mais quelle séparation ?

Le texte de l’Évangile répond très bien à cette question. Il ne s’agit pas de quitter la présence de nos semblables sous prétexte qu’ils ne seraient plus fréquentables pour diverses raisons, fut-ce un virus. En réalité, Jésus nous invite à entrer à l’intérieur de nous-mêmes au lieu de nous répandre à l’extérieur. En somme, il s’agit non pas d’une sorte de confinement spirituel qui nous conduirait à nous protéger de tout, mais bien à une prise de distance de soi-même par rapport à des habitudes trop mondaines, trop faciles, trop individualistes, trop vides. Et cela en vue de retrouver le sens et la présence de Dieu, de la plénitude de sa grâce.

Et la première caractéristique de cette attitude est la recherche du silence. Comment écouter la Parole de Dieu, comment écouter la voix de l’Esprit Saint si « les soucis du monde, la séduction de la richesse et toutes les autres convoitises nous envahissent et étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit » ? Remarquez que, dans cette parole de Jésus, les autres convoitises ne sont pas énumérées… Le mot « convoiter » n’est pas un mot très enthousiasmant. Le dictionnaire définit ainsi ce verbe : « désirer ardemment une chose qui est disputée ou qui appartient à autrui ». Entrer dans le silence de Dieu, c’est précisément sortir de la convoitise. En effet, on ne met pas la main sur Dieu, pas plus que sur le silence, on ne le peut tout simplement pas. Au contraire, Dieu se reçoit, mais Il ne se reçoit pas n’importe comment. Et c’est justement l’objet de la quarantaine qui s’ouvre, de nous préparer à Le recevoir.

Le travail qui nous est demandé n’est pas difficile. Il ne s’agit pas de renoncer à notre sensibilité par exemple, mais plutôt d’en orienter toute l’énergie vers une recherche effrénée de Dieu. Une telle démarche peut paraître difficile si on la vit individuellement, ou bien comme une épreuve. Notre chance est justement que l’Église nous donne ce temps à vivre ensemble, en communion les uns avec les autres. Cela nous permet de nous appuyer les uns sur le bon exemple des autres, ce qui produit une saine et douce émulation spirituelle. Tel est le meilleur moyen de combattre le terrible virus du péché qui ne trouve plus à se nourrir lorsque tous vont ensemble dans la même direction. Mieux encore, cet élan devient contagieux et emporte même ceux qui hésiteraient, tant la puissance de l’exemple et de la prière est forte et traverse le monde et ses plaisirs.

Ce travail n’est pas non plus une épreuve. C’est plutôt un changement de regard pour passer du secondaire à l’essentiel. Il s’agit d’apprendre à regarder l’invisible et à le contempler dans la foi. Non point le regarder comme un rêve ou bien une vue de l’esprit, mais dans la certitude ferme que donne la foi dans des réalités certes invisibles mais, ô combien !, réelles.

L’une des particularités de cette orientation, je le disais en commençant, c’est d’établir le secret, de construire une réalité secrète. Jésus nous demande de faire des choses pour lui, pour lui seul, mais en secret. Autrement dit, à l’insu des autres. Qu’y a-t-il de plus secret que la vie intérieure ? Si le jeûne touche notre vie extérieure et ne peut pas être caché, ce même jeûne nourrit notre âme et lui donne un cadre favorable à une vie intérieure plus ample, plus vraie, avec la grâce de Dieu. C’est au cœur d’une telle vie qu’il nous est donné de percevoir et de recevoir la chaleur du regard aimant de notre Père. Souvent nous ne parvenons pas à bénéficier de ce regard divin parce que nous manquons de discrétion, de silence, d’esprit de secret, en un mot, de vie intérieure.

Passons donc ce carême à construire, ou bien à développer, cette vie intérieure afin de permettre à Dieu de venir se reposer dans nos cœurs. Oui, en vérité, notre Père voit ce que nous faisons dans le secret, et il nous le revaut dès cette vie, si seulement nous voulons bien l’accueillir. Amen.

Le 17 février 2021

Fr. Laurent de Trogoff

1er dimanche de Carême, année A

Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a ; Ps 50 ; Rm 5, 12-19 ; Mt 4, 1-11.

« Jésus, poussé par l’Esprit, fut conduit au désert »

Le carême est le temps où nous faisons plus attention au souffle de l’Esprit. C’est un temps de pénitence, mais animé par le désir d’imiter Jésus grâce à son Esprit. Saint Benoît nous demande « d’attendre la sainte Pâque dans la joie d’un désir tout spirituel » (RB 49, 7).

En effet, la joie est l’effet propre de l’Esprit, son fruit : en carême, nous faisons « joyeuse pénitence ». Pourquoi ce paradoxe ? Parce que c’est l’Esprit qui nous pousse à nous imposer les pénitences que nous voulons assumer pour ressembler à Jésus patient.

L’Esprit, c’est l’Amour en personne. C’est pourquoi saint Benoît nous demande dans les instruments de l’art spirituel « d’aimer le jeûne » (ieiunium amare) (RB 4, 13), de même qu’il faut aimer la chasteté (RB 4, 63).

La raison profonde en est que l’Esprit nous pousse à montrer cette marque d’amour. C’est lui la Loi de notre cœur, loi intérieure, non écrite sur des tables de pierre. Il est le principe de notre vie spirituelle, le moteur de notre course vers Pâques.

L’Esprit pousse au désert, lieu d’intimité avec Dieu.

Dans l’Ancien Testament, le désert est l’image rêvée et le type des relations d’amour. Osée compare Israël, le peuple aimé, à une épouse, que Dieu veut attirer au désert pour lui parler cœur à cœur, dans l’intimité.

C’est le paradoxe du désert : le lieu de la plus grande solitude est celui de la plus grande communication ; le vide, le lieu de la rencontre ; le silence, le lieu du dialogue.

Pourquoi ? C’est que, par opposition à la ville où personne ne connaît personne, le désert devient le lieu de la fraternité et de l’amitié. Au désert, toutes les limites sont abolies : le mirage, c’est de voir loin ce qui est proche, et proche ce qui est loin. C’est l’au-delà de toutes les limitations.

Le désert ne découvre pas ses richesses à ceux qui y vont faire du tourisme, mais à ceux qui y habitent. C’est un lieu moins géographique que symbolique ; il signifie que nous devons y être dévorés de soif… et que s’impose la nécessité de forer profond pour faire sourdre l’eau vive.

C’est le lieu de l’intériorisation. Le mercredi des Cendres, Jésus invitait par trois fois à approcher du Père dans le secret, à descendre dans la crypte du cœur, pour y rencontrer le regard du Père.

Le désert est devenu le synonyme du carême, ce temps où l’on doit se déprendre des occupations matérielles pour avoir le cœur disponible à l’écoute de Dieu, à l’écoute de l’Esprit qui souffle où il veut.

L’Esprit pousse au désert, lieu de la tentation.

Israël séjourna quarante ans dans le désert ; Jésus quarante jours. « L’Esprit poussa Jésus au désert pour y être tenté. » Fut-il tenté au bout des quarante jours, comme le laisse supposer Matthieu ? Marc et Luc disent qu’il fut tenté pendant tout ce temps-là.

Le peuple jadis oublieux de Dieu, voulait retourner aux marmites de viande d’Égypte. Jésus au contraire dit que l’homme vit aussi de toute parole de Dieu.

Le peuple élu mit Dieu à l’épreuve en exigeant de lui un signe. Jésus refuse de provoquer un spectacle impressionnant.

Le peuple juif avait fêté des idoles terrestres. Jésus refuse le pouvoir terrestre que le démon lui offre s’il veut s’agenouiller devant lui :

– accomplir un miracle à son profit ;

– demander à Dieu un signe visible qui en impose ;

– s’acquérir un pouvoir terrestre : trois voies que le Christ veut éviter.

Il n’est pas venu pour réussir, mais pour servir. Dès son baptême, il vient tout assumer, tout supporter, pour rester serviteur, jusqu’à la mort.

Quand nous regardons en notre cœur, nous ne rencontrons pas uniquement ce qui plaît à Dieu, le regard du Père ; nous apercevons bien des motivations qui ne sont pas pures, qui souillent la limpidité de notre regard : ces ombres, ce trouble sont agités par des forces du mal. Celui qui sème en nous l’ivraie, c’est l’adversaire, Satan, puisqu’il faut dire son nom. « Arrière Satan tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes », réplique Jésus à Pierre qui cherche à lui faire renoncer à la croix. Il nous faut lutter contre les puissances des ténèbres.

Pour ce combat, nous avons de l’aide. « Ceux qui combattent avec nous sont plus forts, plus nombreux que ceux qui combattent contre nous » (2 R 6, 16). Les anges sont nos compagnons de service (He 1, 14), nos amis auprès du Très-Haut.

Mais Jésus a refusé, au désert comme à Gethsémani, l’assistance de légions d’anges qui lui aurait permis d’échapper à la mort (Mt 26, 53). Il ne veut pas d’un triomphe qui contraint les hommes et brise leur liberté. Il veut convaincre plutôt que contraindre. S’il avait accepté la proposition de Satan, c’est Dieu Lui-même qui aurait été utilisé pour satisfaire sa volonté de puissance ; en un mot, il aurait montré que Dieu n’existe pas. En refusant de rendre Dieu tangible, il le révèle tel qu’Il est, l’Autre qui habite ailleurs. Et Jésus apparaît comme le Fils qui laisse à son Père l’initiative. Le signe qu’il refuse maintenant sera donné lorsqu’il aura achevé sa mission, et ce sera la résurrection.

Le carême est un temps de joyeuse pénitence.

Un temps de pénitence, parce que les sacrifices que nous nous imposons sont un élément qui permet la lutte contre les puissances du mal. Le démon ne peut être vaincu que par le jeûne et la prière. Marie dans un message aux voyants de Medjugorje le confirme : « Vous pouvez empêcher la guerre. »

Mais c’est un temps de joyeuse pénitence parce que l’Esprit, en ce temps qui prépare le mystère rédempteur, nous abreuve de ses eaux vives (la Samaritaine sera l’évangile du 3e dimanche), de sa lumière (l’aveugle-né sera celui du 4e dimanche) : cet Esprit, qui jaillit du cœur de notre Sauveur transpercé sur la croix et vivant à jamais.

1er dimanche de carême, année B

Gn 9, 8-15 ; Ps 90 ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15.

Nouvelle création

À son baptême, Jésus vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe, et une voix venait des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » « Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert, et dans le désert il resta quarante jours » dans l’intimité d’un cœur à cœur avec son Père ; il parle familièrement avec Dieu, comme Adam, dans le paradis terrestre, avant sa chute. Comme le premier Adam, Jésus fut « tenté par Satan ». L’évangéliste saint Marc ne dit rien de cette épreuve ; mais on peut supposer que Jésus dut refuser un messianisme triomphant. Il est victorieux des puissances du mal, puisqu’« il vivait parmi les bêtes sauvages », tous ces animaux soumis à Adam qui leur avait donné un nom. Les fauves apprivoisés illustrent par anticipation l’harmonie de l’univers pacifié par le Christ. « Et les anges le servaient », eux qui avaient expulsé de l’Éden l’homme révolté contre Dieu (Gn 3, 23). Le psalmiste l’assure : « Dieu a pour toi donné l’ordre à ses anges de te garder en toutes ses voies » (Ps 90, 11). En Jésus, la paix est faite entre le ciel et la terre pour tous les hommes.

Et Jésus proclame à tous « la Bonne Nouvelle de Dieu ». Il disait : « Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche. » « Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, ne fermez pas votre cœur comme au jour de tentation dans le désert » (Ps 94, 4). Moïse était resté quarante jours et quarante nuits sur le Sinaï avant de recevoir les dix Paroles. À tous ceux qui accueillent sa Parole, Jésus rouvre le paradis. « Convertissez-vous et croyez » : la foi chrétienne est plus que la confiance en Dieu ; elle est certitude que le salut est donné à tout homme en Jésus-Christ. Telle est la Bonne Nouvelle.

Noé, dont parle la 1re lecture, est une figure de Jésus. Le nom de Noé signifie la consolation de Dieu dans un monde perverti, ou mieux celui sur qui repose l’Esprit de Dieu, car « Noé avait trouvé grâce aux yeux du Seigneur » (Gn 6, 8). « Grâce à lui un reste (autre sens du mot Noé) fut épargné sur la terre, lorsque le déluge arriva » (Si 44, 17). Dans l’arche construite sur l’ordre de Dieu, Noé fait entrer un spécimen de tous les animaux, et le déluge vient, pendant quarante jours, anéantir les pécheurs. Alors Dieu se souvient de Noé, et il assèche la terre. La colombe envoyée, revient avec un rameau d’olivier, signe de la paix donnée à la terre. Et Dieu fait une alliance avec toutes les créatures, tout ce qui est sorti de l’arche pour repeupler la terre. Le signe de l’alliance est l’arc-en-ciel : le même mot en français comme en hébreu désigne aussi l’arc de tir servant à la guerre : Dieu suspend son arme dans le ciel, il désarme sa colère ; chaque fois que paraît l’arc-en-ciel, c’est le souvenir que Dieu est l’ami des hommes. C’est « l’arc du sourire ». Le sourire de Dieu. L’alliance est irrévocable et cosmique. Elle s’étend à toute créature. Par trois fois, il est déclaré que le pacte est conclu non seulement avec l’homme mais aussi avec tout être vivant. Les animaux sont solidaires des hommes aussi bien dans les maux qui les frappent que dans la bénédiction.

Le salut de Noé est le type de celui des chrétiens, dit saint Pierre dans la 2e lecture : de même que cet homme juste et sa famille furent arrachés par une intervention divine à la crue du péché et des eaux, ainsi les chrétiens sont sauvés, par le baptême, du royaume de la mort. D’où vient cette efficacité du baptême ? De la mort et de la résurrection du Christ. « En effet, le Christ est mort pour les péchés »… et la véritable re-création commence avec la résurrection du Christ : une nouvelle humanité naît dans les eaux du baptême. Dans l’arche de Noé, « furent sauvées à travers l’eau un petit nombre de personnes, huit en tout (Noé, sa femme, leurs trois fils et leurs épouses). C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant ». Le chrétien entre dans l’arche qu’est l’Église par le baptême, donné le dimanche de Pâques, qui est le 8e jour par excellence, dans le baptistère qui avait autrefois une forme octogonale. Le 8e jour est « la figure de la résurrection du Christ qui est monté au ciel, au-dessus des anges ». Par le baptême, nous sommes enracinés dans le Christ (Rm 6, 5).

Frères et sœurs, ce carême, ce temps de quarante jours nous prépare au mystère de Pâques où nous allons renouveler la foi de notre baptême. Est-ce pour nous une nouvelle création ? Invités à vivre avec Jésus au désert nous sommes placés face à nous-mêmes dans le silence du désert. Nous y entendons la voix de notre cœur, avec ses affolements, ses peurs et ses amours. La voix de notre esprit nous y harcèle de ses doutes lancinants. Saurons-nous écouter aussi la voix de Dieu ?