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Après un divorce demandé par son mari sur fond de maladie, Dorline se retrouve seule avec sa fille. Elle dresse alors un bilan fait d’allers-retours entre ses jours actuels dans l’ouest de la France et ses jeunes années dans l’ouest de l’Afrique noire. Dans cette vie traversée de moments de bonheur et de coups d’arrêt sombres, jamais Dorline ne lâche prise.
Enfance volée est donc le cri du cœur d’une femme, une histoire où courage et abnégation riment avec dépassement et séduction.
À PROPOS DE L'AUTEURE
De sa jeunesse, pendant laquelle elle fut chanteuse, à sa vie d’aujourd’hui,
Dorline Bruneau
évoque son parcours dans ce premier ouvrage intitulé
Enfance volée
.
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Seitenzahl: 118
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Dorline Bruneau
Illustrations : Violette Bruneau
Enfance volée
© Lys Bleu Éditions – Dorline Bruneau
ISBN : 979-10-377-7452-1
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La vie est comme une commode. Lorsque nous ouvrons le tiroir de la peine, les larmes nous empêchent de songer qu’au-dessus, juste à côté, se trouve le tiroir du sourire.
On aurait pu titrer ce livre Le tiroir aux sourires qu’on n’aurait rien soutiré à sa substance. Il s’agit d’un acte fort pour Dorline Bruneau. C’est un livre ouvert sur son cœur, sur sa vie, ses souvenirs et sa réalité d’aujourd’hui, ballottée entre violence et galères, entre l’Afrique subsaharienne de son enfance et une arrivée pas si dorée dans l’Ouest de la France.
Cet opus n’a rien d’un roman sur papier glacé. C’est un oratorio dramatique. Celui d’une femme pour laquelle la culture matriarcale togolo-béninoise reste une valeur d’aujourd’hui… Une valeur qui l’a, peut-être, perdue à plusieurs reprises, dès lors qu’elle fit fi de ses intérêts pour s’occuper des autres, la famille, les proches des proches, les malvoyants, les jeunes inconnus d’un orphelinat…
C’est cette personne touchante et forte à la fois que je rencontre, par hasard, pour un article de presse. Star de la chanson en Afrique noire, l’ancienne commerçante des Deux-Sèvres vient se réfugier à Anjou, ayant tout perdu, sauf l’envie de s’en sortir, encore et encore. Les programmateurs musicaux d’ici n’ont pas encore porté une écoute assez attentive à son art.
Dorline s’écrit, en guise de thérapie, entre petits boulots, espérant qu’un rayon de soleil réchauffe enfin un avenir qui se conjugue au seul quotidien.
L’écriture de L’enfance volée est simple, comme sa vie est compliquée. Écrit d’une encre rouge sang, ce voyage que l’on pourrait croire improbable est tout simplement véridique.
Bruno Jeoffroy, journaliste
Quand tu tombes dans le fleuve, le crocodile et ses enfants font de toi leur festin.
Adage africain
Pour connaître les amis, il est nécessaire de passer par le succès et le malheur. Dans le succès, nous vérifions la quantité et dans le malheur la qualité.
Confucius
Avrillé, le 2 novembre 2016
À 51 ans, je me retrouve dans un HLM, trois-pièces humides, en rez-de-chaussée sans balcon, avec le souci du voisinage. Dire que j’avais tout pour être heureuse, moi, la black qui venait de loin. Moi, la black dans l’immense maison d’un luxe reposant de province, avec pelouse, terrain de jeu, piscine, grand jardin de 1000 m², terres agricoles… et au-delà de tout, un mari aimant.
C’était un 10 mars. Nos enfants étaient dans leur chambre. Sunil à s’ennuyer avec un livre ou un jeu vidéo qui lui semblait de plus en plus lointain. Viona tressait sa poupée, visiblement nerveuse. Ils savaient que Paul et moi, ce n’était plus pareil depuis un moment. Ils avaient fini par se forger ces mœurs casanières, afin d’éviter le déchirant spectacle dans les couloirs, au salon, dans le jardin. Je me retrouvais seule face à lui.
À 15 heures, Paul demande le divorce.
Je regarde d’abord ma montre, comme pour m’assurer que le temps était témoin de ce qui m’arrivait. J’étais venue de trop loin pour accepter une telle douche.
J’étais venue de vraiment très loin. Géographiquement, et psychologiquement. Venue d’un Bénin perdu dans l’ombre du grand Nigéria, malmené par de longues années de révolution qui ont laissé le pays blanc d’anémie ; et venue, je dirais, blessée d’une déchirure qui remonte jusqu’à l’enfance.
Mais la bonne foi de Paul était intacte. Ce qui pour moi n’expliquait évidemment pas qu’il me lâche en pleine lutte au milieu de la plus profonde solitude. Il a beau être quelqu’un de chic, une partie de moi refusait d’admettre que mon mari me laisse sans voix.
Bon, Paul divorçait… Mon univers entier, c’est-à-dire lui, s’écroulait.
Paul était producteur de produits laitiers, fromage de chèvre pour la marque Soignon. Grosse entreprise, gros moyens…
Puis… gros ennuis. Tout a commencé en 2006 après l’usage d’un pesticide destiné à accélérer la croissance de l’herbe des chèvres, afin d’augmenter la quantité de lait qu’elles devraient produire. Au bout de quelques mois, j’ai vu mon mari changer, son bras gauche frémir, d’abord légèrement, puis trembler de façon de plus en plus significative.
Ou la fatigue, ou beaucoup de travail. Il avait mille et une autres raisons évasives à me fournir.
Cela devint insupportable de voir cet homme allègre et énergique, devenir gauche, maladroit ; cet homme si présent, s’effacer de jour en jour.
Paul n’aimait pas l’attention que suscitait son état. Il devenait irritable, rétif à toute proposition de lui venir en aide. Il n’était pas manœuvrable. Il avait cet air rude et bougon des hommes qui ont tout donné et tout pris à la nature. Ne lui parlez pas de médecin. Il vous dirait qu’il savait se soigner par lui-même.
Un soir, Paul débarqua dans ma boutique, claudicant, tremblant, démoli, défait :
Dans ce petit hameau de douze maisons, où tout le monde se connaît, nous avions l’habitude du docteur Jacques. C’était le gendre du médecin qui a connu Paul enfant. Jacques ne manquait pas de passer prendre son café à la maison et échanger deux mots charmants. Je donnais, à l’occasion, quelques cours de djembé à son fils. C’était une intégration réussie pour la seule Noire sur les trois mille habitants de ce bourg.
Dans les villes d’à côté comme Niort et Poitiers, les Noirs étaient beaucoup plus nombreux.
J’appelais Jacques de toute urgence. J’allais le voir aussi à son cabinet, discrètement pour ne pas toucher la susceptibilité de Paul. Par décence ou délicatesse, j’essaie toujours de comprendre, Jacques n’a pas voulu se mêler outre mesure des signes naissants de la maladie de mon mari.
— Je ne peux pas forcer Paul à me consulter, dit-il après un long silence d’émotion. Je peux peut-être le consulter pour la dépression.
— Jacques, j’ai le droit en tant que conjointe de me préoccuper de sa santé.
Il n’eut pour toute réponse qu’une grimace gênée en guise de sourire. Je compris que je ne pouvais rien attendre de cet homme charmant mais pas assez courageux pour poser les pieds dans le plat concernant la santé d’un être qui lui était proche.
En Afrique, il lui aurait gueulé dessus. Nous aurions embarqué Paul, de gré ou de force, pour le déposer chez un spécialiste. Aujourd’hui encore, je nourris envers ce médecin un ressentiment que le temps n’efface pas, malgré tous mes efforts. Je me dis en effet qu’on aurait pu sauver Paul, si Jacques avait décidé de le prendre en charge dès les premiers instants.
Puisque personne ne m’est venu en aide, j’ai décidé de prendre les choses en main. J’ai regardé mon mari dans les yeux et lui ai promis de le quitter s’il continuait de refuser de se faire soigner. Pour la première fois depuis le début de cette maladie, il condescendit à se laisser conduire à l’hôpital, pour sa première consultation en neurologie, à Niort.
***
Crash violent. Tout s’écroule autour de moi. Le diagnostic est effrayant : Parkinson. Le silence qui s’installa fut plus terrible que la maladie. Tout le long du trajet retour, je remue dans ma cervelle embrouillée la manière de l’annoncer aux enfants.
Viona avait 5 ans. Là, je réalisais que l’année de dépression était juste l’entrée en matière. Le véritable calvaire ne faisait que commencer.
Autant j’avais peur, autant je priais pour avoir la force nécessaire d’assumer et d’assurer mon devoir d’épouse, de femme mais aussi de maman pour les enfants. Rapidement, les amies m’ont tourné le dos. Parce que j’ai refusé de le quitter, de l’abandonner. Elles n’étaient pas particulièrement méchantes. Elles voulaient juste que je vive, que je ne saborde pas ma jeunesse aux affres de la maladie incurable de mon mari. Mais je ne pouvais pas. Paul était mon mari. Paul m’a donné l’amour au premier regard. Et au-delà de tout, Paul était un être humain.
Finalement, je me résolus à en parler aux aînés. Les enfants ont parfois de ces mystérieuses résiliences qui vous tétanisent de surprise lorsque vous les croyiez faibles.
Et ils sont toujours là.
Les démarches commencèrent. Hôpital de Niort puis Poitiers pour trouver le médicament et la forme de Parkinson dont il était atteint. Ces examens durèrent une éternité. À Poitiers, rendez-vous avec le dernier spécialiste, pour confirmer et conclure le diagnostic. Nous étions partis avec la petite car personne ne pouvait la garder. Nous n’aurions peut-être pas dû. Devant elle, le diagnostic final, sans appel, sans ménagement :
Là, la petite s’effondra. Je me rendis compte que je ne pourrai plus rattraper cette bourde car après cette horrible journée de larmes, Viona se renferma. Mon petit vif-argent, ma pétillante déterminée et entreprenante, je l’ai perdue. J’héritais, par le bon vouloir de Parkinson, d’une fillette apeurée, timide, de moins en moins brillante à l’école.
Moi, Dorline, gérante d’une boutique de produits exotiques, cosmétiques et alimentation, au cœur d’une petite ville de province, devait désormais intégrer Parkinson à mes activités. Baisser le rideau de fer quand il le fallait, pour m’occuper de « mon » Paul ; l’accompagner aux rendez-vous ; prendre les médicaments ; suivre leur prise. Souvent, mes deux grands enfants, Tania et Sunil, prenaient le relais. Ils jouèrent un rôle important dans notre lutte contre cette foutue maladie que nous découvrions. Ils étaient très présents pour moi aussi, de peur que je ne fasse une bêtise. Car oui, à certains moments, mon silence de désespoir n’arrivait plus à les tromper.
Avec mes enfants, nous nous sentions bien seuls face à la maladie de Paul. Nous nous usions physiquement et moralement sans nous en rendre compte. Lorsqu’un événement comme celui-ci survient, le corps médical s’occupe du malade mais oublie son entourage, en souffrance lui aussi.
Un soir après le dîner, Paul s’écroula devant la télé, commença à ronfler. Le bruit de son souffle n’était plus pareil. À ce moment-là, je réalisais qu’il ne pourrait plus aller dans notre chambre.
Durant ses crises nocturnes, je devais veiller, noter ses moindres faits et gestes, telle une infirmière de garde. J’enregistrais les symptômes, des détails qui pourraient intéresser le médecin. Ce que je découvrais, soir après soir, était énorme. Grimaces, gestes involontaires, murmures, tremblements, cris, cauchemars. Je devais noter l’horreur, la tristesse, pour en parler au médecin au prochain rendez-vous. Il n’y avait plus de Paul. Chaque jour qui passait était difficile à décrire, à nommer. Amaigrissement croissant, avec à la clé cet instinct suicidaire qu’il fallait surveiller. Il m’arrivait d’accourir de la boutique comme une forcenée, afin de me rendre auprès de Paul, parce qu’il venait de se cogner la tête à la fourche du tracteur, « pour en finir », qu’il me disait.
C’est dur d’être spectatrice impuissante du mal dont souffre son mari. Et c’est bien facile de recevoir les bons mots des voisins : « sois psychologiquement forte ». La question est simple : comment est-on psychologiquement forte quand on n’a aucune vue sur l’issue d’une maladie sans remède ? Quand on est femme, avec des enfants en bas âge, et, quoi qu’on dise, quand on est Noire ?
***
La nuit, Paul ignorait tout des réactions de son corps. Je pleurais à cause des comportements que sa maladie provoquait. Je passais de longs moments à pleurer en silence. Et puis, il y avait cette honte d’en parler autour de moi, sauf à mes deux copines.
Puis arrive ce moment où tu croises ce compagnon d’infortune, qui te tend la main, ou plus précisément le goulot, te promettant de te donner des forces : l’alcool. J’ai commencé à boire. D’abord à la boutique, avant de rentrer à la maison. Puis, au salon quand il dormait. Je n’avais que ma bouteille et la télé comme amies, attendant que la crise passe, pour qu’enfin on aille dormir ou parfois pas, puisqu’il préfère dormir au salon. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Qu’est-ce qu’il nous arrive ? Pourquoi lui ? Et pourquoi moi ?
Je me suis toujours battue. J’ai travaillé très tôt pour, à la cinquantaine, profiter de ma vie, voyager, faire ce que j’ai toujours rêvé et eu envie de faire, et dont j’ai été privée enfant. Mes petits moments de la philosophie du désespoir me laissaient toujours face à la question insoluble : Paul, face à la maladie, sans défense. Et moi, en face de lui. Sans défense également. Toute ma vie, j’ai aidé les autres. Pourquoi devrais-je souffrir s’il est dit que le bien appelle le bien ? Pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ?
Toujours entre mon rôle de femme, de psy, de conseillère, de mère et de commerçante ; présidente d’association humanitaire, etc. J’attendais avec impatience que le médecin lui trouve un remède efficace. Les familles des patients semblent condamnées à observer impuissantes, désarmées, la dégradation de l’état de leurs proches. L’attente fut longue.
***