Enfants du peuple - Jules Vallès - E-Book

Enfants du peuple E-Book

Jules Vallès

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Extrait : "J'avais connu Jules Vallès en 1866 au journal l'Epoque ; nous faisions partie tous les deux de cette collection de sept chroniqueurs qu'Ernest Feydeau avait chargés d'alimenter le feuilleton de son journal de courriers de Paris, à raison d'un chacun par semaine. Groupe étrange, où figuraient, alternant avec nous, Paul Parfait et Adolphe Dupeuty, M. Jules Richard et M. Adrien Marx ! À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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EAN : 9782335055054

©Ligaran 2015

Autographes
Préface
I

En publiant ce livre composé d’études qui datent de plus de dix ans, et en le faisant précéder de quelques pages de mon crû sur l’histoire de mes relations avec l’auteur, je dois commencer par décliner toute solidarité d’opinions politiques et littéraires avec Jules Vallès, non seulement le Vallès d’aujourd’hui, mais aussi le Vallès d’il y a dix ans.

Je n’ai jamais partagé les idées de Vallès ni sur l’antiquité, ni sur l’art moderne et populaire, ni sur la tradition, ni sur Victor Hugo, ni sur l’idéal – choses d’art et de littérature – ni sur l’acte criminel du 2 décembre 1851, que je réprouve encore plus énergiquement et dont j’ai ressenti les conséquences plus douloureusement que lui, ni sur les journées de juin 1848, ni sur les aspirations démocratiques du peuple français et de l’humanité, choses de politique et d’évolution sociale.

Plus que lui j’ai une profonde horreur de la guerre, de la force, de l’absolutisme et de l’arbitraire et de tout ce qui touche à l’art de tuer, de corrompre et de contraindre les hommes, horreur d’autant plus vigoureuse qu’elle est corroborée en moi par un profond sentiment de la liberté humaine, de la justice distributive, par un profond respect de la loi et de l’inégalité de tous devant la loi.

Donc la publication de ce volume ne peut être considérée de ma part ni comme une œuvre de parti, ni comme un acte de propagande.

Mais en relisant les pages destinées à former les éléments de ce volume, projeté il y a dix ans, j’ai jugé que certaines idées et certaines théories d’art et de littérature émises par Vallès, en 1867 et 1968, n’étaient pas sans quelque analogie avec les théories naturalistes qui ont cours aujourd’hui, que par conséquent l’heure pouvait être venue de donner, – dans ce concert ou dans cette cacophonie réaliste, comme on voudra l’appeler, dont Zola se proclame le chef d’orchestre, – la note que Jules Vallès voulait faire entendre, il y a dix ans, et qu’il voulait appeler alors, ainsi qu’en témoigne une de ses lettres, le la moderne.

Comme principes, comme tendances, comme esthétique en fait d’art et de littérature, l’opportunité de la réimpression de ces études critiques ne saurait être contestée.

II

En ce qui concerne la politique, il y en a fort peu dans ce volume, en dehors du Chapitre inédit de l’histoire du 2 Décembre, qui valut à l’auteur une condamnation à deux mois de prison, dont il sera question plus loin, et qui demeure pour moi, malgré les réserves que je viens d’exprimer, une des pages les plus éloquentes et les plus poignantes qui aient été écrites sur ces jours néfastes que je voudrais, à n’importe quel prix, pouvoir effacer de l’histoire de notre France.

Que si parfois dans certains morceaux descriptifs, dans certaines critiques d’art et de littérature, se manifeste par un mot, par une phrase, par une appréciation d’un homme public, la pensée politique de l’écrivain, se laisse deviner son idéal de philosophie sociale, je me suis bien gardé de supprimer, d’atténuer quoi que ce soit de la pensée ou de l’expression.

J’estime que nul n’a le droit de censurer un écrit, qu’une censure d’éditeur, responsable ou non, officiel ou officieux, est une sorte d’attentat commis sur la personne de l’auteur.

Je crois, du reste, que la liberté d’écrire ce qu’on pense est un droit non moins sacré que le droit de penser, que le droit à la liberté individuelle, que le droit à l’exercice de toutes les fonctions animales et intellectuelles que le ciel a départies à l’être humain ; que ce droit s’exerce par la presse ou par tout autre mode de manifestation, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de démontrer, comme le fait M. Émile de Girardin, l’impuissance de la presse pour établir que le droit à la liberté est un des droits primordiaux et imprescriptibles de l’homme, et que partout où la législation touche à ce droit les citoyens subissent ce qu’on appelait à Rome une sorte de diminution de tête.

Cogito, ergo sum ! Je pense, dont je suis, dit le philosophe.

À quoi me sert de penser si je ne puis exprimer et publier ma pensée ?

Si le libre exercice de la faculté de penser constitue la meilleure démonstration de l’existence de l’homme, porter atteinte à cette noble faculté soit par l’arbitraire d’un pouvoir abusif, soit par les menaces d’une législation insidieuse et parfois pleine de contradictions, c’est restreindre les conditions essentielles de l’existence humaine, c’est comprimer l’expansion de la vie intellectuelle de l’homme.

III

Où sont-ils les sages qui ont jamais su faire une bonne loi sur la presse, une loi qui n’entame point le droit de penser et d’exprimer sa pensée ?

Les meilleures lois, les seules bonnes lois, sont celles dont les dispositions sont assez précises pour ne laisser aucune action à l’arbitraire, soit du pouvoir administratif, soit du pouvoir judiciaire, celles qui garantissent assez efficacement la liberté de chacun et Inégalité de tous, pour maintenir dans les esprits le sentiment de l’équité absolue, de la justice distributive.

Il ne suffit pas pour qu’une loi soit bonne qu’elle soit juste dans son esprit et dans sa lettre, il faut encore qu’elle ne soit point susceptible de comporter des applications iniques.

Or, il semble que les plus habiles législateurs de la presse française se soient étudié à faire de leurs lois des sortes de filets élastiques à larges mailles à travers lesquelles l’arbitraire peut toujours passer sans se gêner.

La plupart de ces lois ont eu un vice d’origine ; elles ont été présentées par le Pouvoir exécutif à la suite de tel ou tel évènement, de tel ou tel attentat, de tel ou tel crime dont on a cru devoir rendre la presse responsable, ce qui a fait de cette législation une législation de circonstance traitant la presse en ennemie.

Car le propre de tous les Pouvoirs exécutifs passés, – et je dirais aussi présents, n’était le magnifique rapport de M. Anatole de la Forge, – le propre tout au moins des agents qui les représentent a toujours été de considérer et de signaler écrivains, imprimeurs, libraires, etc., tout ce qui collabore à la conception et à la propagation de la pensée exprimée et imprimée, comme classes nuisibles ou au moins dangereuses de la société. Il n’est donc pas surprenant que ces Pouvoirs s’attribuant la mission de sauvegarder, la société contre ces classes aient toujours été guidés dans la rédaction de leurs lois par la pensée de gêner, d’effrayer les écrivains et d’assurer la liberté d’action des fonctionnaires.

Combinées et présentées par le Pouvoir, par qui ces lois sont-elles examinées, débattues, discutées ? Par des amis de ce Pouvoir qui tiennent à conserver leur part de faveur et d’influence et par conséquent à échapper au contrôle d’une presse trop libre qui pourrait devenir indiscrète, par des chefs d’opposition à qui l’intérêt de leur popularité impose l’obligation, de se poser en champions de la liberté, de prononcer des discours retentissants sur les grands principes de la Démocratie, mais qui, aspirant à conquérir tôt ou tard le Pouvoir à leur tour, et songeant aux tracasseries que pourrait leur susciter une presse libre maniée par leurs adversaires, se contentent le plus souvent de proposer quelques amendements bien radicaux incompatibles avec le sens général de la loi et par conséquent n’ayant aucune chance d’être votés, ou bien, si leurs amendements sont acceptables, s’appliquent à leur donner une forme qui, sous une apparence très libérale, cache une porte secrète ouverte à l’arbitraire. Arrivent-ils au pouvoir ? Ils s’empressent de faire mettre en état de service toutes les armes qui garnissent ce formidable arsenal de lois contre la presse, dans lequel un écrivain ne peut plonger le regard sans être terrifié et tenté de renoncer à tout jamais à noircir un feuillet de papier.

IV

Ce n’est pas la loi seule qui menace l’audacieux qui prétend user de la liberté d’exprimer sa pensée. C’est aussi l’interprétation.

Interprétation judiciaire du magistrat.

Interprétation administrative du fonctionnaire, c’est-à-dire de la bureaucratie.

Or, s’il est avéré que les législateurs sont enclins à prendre des mesures de précaution contre les gens de presse, soyez assuré que la magistrature les tient pour suspects au premier chef et la bureaucratie les regarde comme des ennemis. Aussi, ajoute-t-elle à l’arsenal dont la loi la pourvoit toute une collection de petites armes perfides et secrètes qu’elle appelle circulaires, arrêtés, ordonnances, ou instructions sur l’exécution de telle ou telle loi.

C’est ainsi que, sous l’Empire, d’arrêtés en circulaires, de circulaires en instructions, le bureau du visa des estampes formé en exécution de la loi du 9 septembre 1835, avait fini, sous prétexte d’application des jolis décrets de février 1852, par s’arroger le droit de censurer non seulement les textes explicatifs des dessins et images quelconques, mais encore les textes tout entiers de tous les journaux et de toutes les publications à gravures. Pendant nombre d’années les articles de l’Illustration, du Monde illustré et des autres feuilles du même genre furent épluchés par les censeurs de gravures et mutilés à l’insu de leurs auteurs ; c’était le rédacteur en chef qui assumait la responsabilité de cette castration.

Souvent on interdisait la vente d’un livre faute de vouloir viser une gravure, un portrait, une photographie.

En 1866, la mise en vente des Heures parisiennes, d’Alfred Delvau, un volume, orné de vingt-cinq eaux-fortes, fut suspendue durant cinq mois, sous prétexte que l’imprimeur avait négligé de faire viser toutes les gravures. On lui retira les visas qui avaient été déjà donnés, et ce fut à grand-peine qu’on obtînt l’autorisation de vendre l’ouvrage, à la condition que l’auteur corrigerait sept phrases ou fragments de phrases semés çà et là qui désobligeaient l’Administration.

Un jour je demandais à un directeur de la presse, homme de lettres distingué, journaliste de talent, homme charmant dans les relations privées, pourquoi ses bureaux refusaient de me laisser vendre dans les gares de chemins de fer un volume que, de leur aveu, ils auraient autorisé s’il eût été publié par tout autre que moi, il me répondit ces propres paroles :

– En dehors du service, j’ai la plus vive sympathie pour vous, je vous aime beaucoup, mais ici, dans mon cabinet, vous êtes, pour moi fonctionnaire, un ennemi, et je dois vous traiter comme tel.

Une autre fois, en 1869, comme je présentais au visa des estampes des portraits d’hommes politiques destinés à figurer dans des prospectus annonçant la publication prochaine du Plutarque contemporain illustré, on me déclara qu’on ne me donnerait le visa qu’après avoir lu le texte non seulement des prospectus, mais aussi des biographies, lequel texte devait être fourni par Jules Claretie, Henry Maret, Gabriel Guillemot, Mario Proth, Léon Guillet et autres.

Je protestai et j’écrivis au ministre une lettre qui fut reproduite par quelques journaux, dans laquelle, je signalais les agissements arbitraires du bureau des estampes.

Plusieurs jours se passèrent sans que je reçusse de réponse, mais le fait ayant été mentionné dans un entrefilet du journal des Débats, je fus mandé officieusement au ministère, où tous les visas me furent immédiatement délivrés. Alphonse Brot, chargé de cette mission, ne me cacha pas que M. Forcade La Roquette, un ministre qui n’était pourtant pas un foudre de libéralisme, avait été profondément indigné, qu’il était furieux contre l’employé coupable d’un tel excès de pouvoir, pauvre garçon à qui il ne fallait pas trop en vouloir parce qu’il ne jouissait pas toujours de toutes ses facultés mentales. Celui-ci, toutefois, me montra pour sa décharge, une lettre de son supérieur hiérarchique M. Juillerat, sur le cas en question et justifiant pleinement son exigence aux termes de je ne sais quelles circulaires et instructions ministérielles.

Que penser d’une législation à l’ombre de laquelle peuvent se perpétuer de pareils excès d’arbitraire, peuvent se donner carrière de telles fantaisies d’absolutisme bureaucratique ?

Il en est cent, il en est mille autres qu’on pourrait citer.

V

L’action de la magistrature est assurément moins arbitraire que celle de l’administration. Avec elle on se trouve généralement en présence de textes de lois d’une précision relative, sans avoir à tenir compte de circulaires et d’instructions ministérielles. Parfois, malheureusement ces textes autorisent des appréciations et des interprétations quelque peu arbitraires ; mais on peut discuter, se défendre et avoir la chance d’obtenir justice contre d’injustes préventions.

Aussi, même sous l’empire, y avait-il souvent lutte entre la bureaucratie qui commençait par faire saisir les imprimés de ses ennemis, sous prétexte de délits et même de contraventions imaginaires, et la justice qui se refusait à poursuivre faute d’éléments suffisants. L’inculpé n’était pas même assigné. Mais il n’en perdait pas moins son argent et son temps en courses, en démarches de toute sorte, et obtenait parfois très difficilement la restitution des objets saisis.

En République, pendant la monstrueuse administration du 17 mai, à la veille des élections générales, en octobre 1877, un commissaire de police du quartier saint Lazare saisit 52 exemplaires de l’Almanach de la République française, qu’un républicain de ma connaissance avait eu la témérité de publier en ce moment périlleux. Le libraire chez qui ces volumes étaient en dépôt ayant eu l’outrecuidance de demander au commissaire s’il avait un mandat de saisie, celui-ci arrêta l’infortuné et le retint pendant trois heures au violon.

Sur les démarches qui furent faites au parquet pour avoir des explications, on répondit à l’auteur qu’il devait s’estimer très heureux qu’on voulût bien ne donner aucune suite à cette affaire. Quant aux exemplaires saisis ils ne furent jamais restitués. Le commissaire, qui s’appelait Crépy, mourut quelque temps après.

Ajoutons que le comité sénatorial, dirigé par M. Hérold et chargé de surveiller les agissements illégaux du cabinet du 17 mai et la commission d’enquête sur les actes de cette période, reçurent plusieurs notes sur le fait en question, mais jugèrent apparemment que la chose n’était pas assez importante pour qu’on y donnât suite ; – ce qui pourrait donner à penser que certains républicains, même quand ils ne sont pas au pouvoir, tiennent médiocrement à défendre les droits de la presse lorsqu’il ne s’agit que de questions de principe et non de journaux influents ou de personnalités importantes.

VI

Le malheur c’est qu’un grand nombre de magistrats, d’hommes d’État, de politiciens, sont encore imbus, à leur insu peut être, de l’abominable doctrine de la complicité morale, doctrine dont ils répudient le nom, mais sous l’inspiration de laquelle ils jugent, raisonnent et légifèrent souvent, sans en avoir conscience.

La complicité morale, c’est le principe duquel découlent toutes les lois, toutes les persécutions, tous les jugements contre la presse, principe funeste et inique, qui aboutit logiquement au fameux : c’est la faute de Rousseau ! c’est lafaute de Voltaire ! qui finirait, de déduction en déduction, par dégager la responsabilité morale du criminel actif pour la faire retomber sur la tête du prétendu criminel intentionnel, l’écrivain qui signale les abus ou les iniquités de telle ou telle institution légale ou sociale.

Assurément, l’excellent rapport de M. Anatole de la Forge sur la liberté de la presse, inséré au Journal Officiel, réprouve avec une vive indignation cette déplorable doctrine et semble nous garantir pour un avenir prochain contre l’admission de ce principe funeste dans notre législation de la presse.

Ce rapport, qui fait entrevoir aux écrivains français la terre promise de la liberté, nous promet encore bien d’autres choses.

Mais, puisque ce rapport, dont le gouvernement a accepté la solidarité en lui donnant un caractère officiel, réprouve si hautement la doctrine de la complicité morale, comment se fait-il que les écrivains condamnés par les conseils de guerre à la suite des évènements terribles de 1871, pour faits de presse seulement, dégagés de toute immixtion active à la Commune, n’aient pas été amnistiés le jour même où paraissait ce rapport ?

Ces écrivains n’ont pu être condamnés que comme complices moraux de la Commune.

Ou le gouvernement n’admet pas la complicité morale, et alors il se doit à lui-même, il doit à la logique d’amnistier immédiatement des écrivains qui n’auraient pas dû être condamnés.

Ou le gouvernement n’amnistiera pas ces écrivains, et alors il se fera lui-même complice de cette doctrine qu’il réprouve.

Il n’y a pas moyen de sortir de ce dilemme.

VII

Ah ! qu’il serait beau le rôle que pourrait faire à la presse le gouvernement républicain qui, abjurant toute défiance des écrivains, des penseurs, de tout ce qui observe, contrôle, critique et propose par la voie de la presse, substituerait au système de suspicion, un système d’utilisation de la presse, en admettant ceux qui sont relégués dans les classes dangereuses, à faire partie des classes utiles de la société, et en faisant servir à l’étude des réformes politiques, économiques, financières, fiscales, etc., etc., dont la nécessité devient de plus en plus urgente, les idées qui se produisent journellement dans les livres, les journaux, les revues, les brochures, les écrits de toute sorte !