Enseigner le français langue étrangère et seconde - Jean-Marc Defays - E-Book

Enseigner le français langue étrangère et seconde E-Book

Jean-Marc Defays

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  • Herausgeber: Mardaga
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2018
Beschreibung

Un ouvrage de référence pour tous les (futurs) enseignants de FLES !

L’enseignement du français langue étrangère et seconde (FLES) ne cesse de se développer dans les pays francophones ou non francophones, dans les écoles, les universités ou diverses autres institutions, tandis que le métier de professeur de FLES devient de plus en plus exigeant vu la spécificité et la variété de ses publics, de ses conditions et de ses enjeux. Cet ouvrage d’introduction et de référence est destiné aux futurs enseignants de FLES en cours de formation comme aux professeurs plus expérimentés qui souhaitent actualiser leurs connaissances et leurs pratiques, se réorienter ou se spécialiser pour enseigner le/en français à des allophones. À leur intention sont présentés de manière aussi systématique qu’accessible les différents aspects de l’enseignement du FLES, en alternant explications scientifiques, réflexions théoriques et conseils pédagogiques. L’approche humaniste ici adoptée place l’enseignant et l’apprenant au centre des perspectives et des préoccupations, et s’appuie autant sur leur motivation et leur créativité que sur les méthodes ou les ressources qui sont actuellement à leur disposition. Sans prescrire de règles générales, de solutions toutes faites, de leçons toutes prêtes, le propos est d’expliquer les tenants et aboutissants des démarches communicatives, interculturelles et cognitives en faveur d’un apprentissage stimulant, efficace, épanouissant.
La première version de cet ouvrage a été primée par l’Académie Royale de Belgique et traduite en chinois.

Découvrez ce nouvel ouvrage de référence pour les enseignants de FLES, qui reprend une approche scientifique, des réflexions théoriques et des conseils pédagogiques dans une perspective humaniste où l'enseignant et l'apprenant sont au coeur des préoccupations.

EXTRAIT

On n’a évidemment pas attendu les professeurs, les didacticiens, les manuels, les laboratoires et les multimédias, les stages en immersion pour pratiquer les langues étrangères. Les difficultés que l’on dit actuellement éprouver pour apprendre et enseigner les langues font oublier que le plurilinguisme est plus ancien, plus répandu, somme toute plus « naturel » que le monolinguisme auquel nous ont condamnés les nations modernes, avant que les relations, les institutions et les firmes internationales n’obligent maintenant à parler de nouveau plusieurs langues. La didactique des langues, maternelle ou étrangères, ne cherche finalement qu’à mieux comprendre, pour mieux la contrôler et mieux en profiter, notre capacité innée à apprendre des langues, quelles que soient les circonstances. En principe, un adulte n’aurait pas plus besoin d’un professeur de langue étrangère qu’un bébé d’un professeur de langue maternelle. L’enseignement n’est donc qu’une manière parmi d’autres d’acquérir une langue étrangère, et pas toujours la plus efficace… au contraire : un didacticien a déjà fait remarquer de manière désabusée que l’apprentissage des langues n’était un problème que lorsqu’il avait lieu en classe.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Marc Defays est professeur de didactique du français langue étrangère et seconde à l'Université de Liège où il dirige également le Département de français de l'Institut supérieur des langues vivantes. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques de linguistique et de didactique.

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Couverture

Page de titre

Avant-propos

Les relations et les mobilités internationales ne cessent de se multiplier, de s’intensifier, de se diversifier. Chaque habitant de la planète a de plus en plus de probabilité d’avoir des contacts, de travailler, de résider avec des personnes de langues et de cultures différentes. Quelles qu’en soient les modalités, la mondialisation conduit inévitablement à un monde plurilingue et multiculturel où le vivre ensemble devient la condition de l’avenir de l’humanité. C’est précisément le défi des enseignants de langues et de cultures étrangères, de plus en plus sollicités, que de préparer les jeunes, et aussi les moins jeunes, à cette variété de langues et de cultures, que de les encourager à profiter des différences plutôt que de les ignorer, de les redouter ou de les combattre. L’histoire et l’actualité démontrent, souvent de manière dramatique, que si connaître la langue de l’Autre est important, cela ne suffit toutefois pas pour s’accorder à lui. Aussi la responsabilité de ces enseignants dépasse-t-elle l’objectif linguistique pour promouvoir une culture du dialogue et du partage au-delà des frontières de toutes sortes.

Le français a un rôle considérable dans ce concert des langues et des cultures qu’on souhaite le plus harmonieux possible. D’après l’Organisation Internationale de la Francophonie, près de 49 millions de personnes apprennent le français comme langue étrangère ou seconde (FLES) et 76 millions d’élèves et étudiants ont le français pour langue d’enseignement, plus ou moins bien maîtrisée selon les situations. Ce nombre est appelé à s’accroître rapidement puisque l’OIF prévoit qu’en 2050 les francophones seront au nombre de 700 millions, dont 85 % en Afrique, faisant du français la deuxième langue la plus parlée, non loin du mandarin. À l’heure actuelle, on compte 900 000 professeurs de français dans le monde ; leur nombre aussi devrait augmenter pour répondre à cette demande grandissante d’enseignement de et en français, notamment à des fins scolaires, universitaires, professionnelles, scientifiques, domaines où il est indispensable que le français se maintienne. L’accueil des publics migrants dans les pays francophones est également un enjeu majeur du XXIe siècle et réclame l’intervention urgente et compétente des médiateurs privilégiés que sont les professeurs de FLES.

La raison d’être de cet ouvrage, résultat d’une expérience de trente-cinq ans d’enseignement et de réflexions sur ses conditions, est de présenter la problématique et les perspectives générales, les axes et les vecteurs principaux, les références et les modèles de base, les pratiques et activités essentielles de l’enseignement des langues et des cultures étrangères, et en particulier du FLES. Il est bien révolu le temps où l’on considérait qu’il suffisait de bien connaître une langue, qu’elle soit maternelle ou étrangère, pour pouvoir l’enseigner, et où l’on estimait qu’un professeur de langue maternelle était forcément un bon professeur aussi pour des allophones. Mais enseigner les langues et les cultures étrangères et a fortiori donner des conseils à ceux qui le font ne sont pas choses aisées tant les circonstances de cet enseignement peuvent être différentes en fonction de l’endroit où il a lieu (le pays, l’institution…), du profil des apprenants (leur âge, leur langue maternelle, leur niveau linguistique, leur degré d’instruction, leur motivation…), des objectifs poursuivis (scolaires, professionnels, sociaux, culturels…), etc. En outre, les professeurs sont de plus en plus fréquemment confrontés à des classes hétérogènes où l’on compte à la fois des francophones, des immigrés de la seconde génération ou des étrangers récemment arrivés.

C’est la raison pour laquelle cet ouvrage ne prescrit pas de règles générales, de solutions toutes faites, de leçons prêtes à l’emploi, mais propose une analyse panoramique et critique des différents aspects de l’enseignement du FLES. On tiendra aussi compte des différentes situations dans lesquelles cet enseignement a lieu, des différentes théories que l’on peut convoquer, des différentes démarches que l’on peut entreprendre, pour permettre à l’enseignant de mieux évaluer le contexte jamais semblable dans lequel il se trouve, de s’y adapter, d’y intervenir à bon escient. Que ce soit sur le plan plus pratique ou plus théorique, les ressources bibliographiques et sitographiques ne manquent pas ; elles seraient même pléthoriques ; nous conseillons évidemment d’y recourir, mais en connaissance de cause. Nous gardons la conviction qu’en dernier ressort, l’enseignant est le mieux à même de choisir, d’appliquer, d’inventer les solutions aux problèmes qui se posent à lui et, en dépit de toutes les consignes, de tous les référentiels, de toutes les modes, qu’il doit rester responsable du groupe qu’il constitue avec ses apprenants et des activités qu’ils entreprennent ensemble.

Cet ouvrage1 permet donc tous les usages. Compte tenu de ses besoins, de ses intérêts, le (futur) professeur passera en revue les différents chapitres, consultera directement celui qui le concerne, compulsera l’index en quête de références. Nous souhaitons surtout qu’il devienne un outil de travail, un compagnon de route, une source d’inspiration, et qu’il soit régulièrement complété, illustré, amendé, révisé par nos collègues enseignants qui auraient tort de ne pas adapter à leur situation ce qu’ils y trouveront. Quant à nos collègues scientifiques qui regretteraient de ne pas y trouver le détail des dernières recherches ni les références exactes de toutes les théories évoquées, nous les renvoyons vers les ouvrages spécialisés dont notre bibliographie propose quelques exemples.

1. Dans cet ouvrage, la forme masculine désigne aussi bien les femmes que les hommes.

Chapitre I Analyser les enjeux, les principes et le cadre de la didactique des langues et des cultures

1. Les nouvelles perspectives

1.1. Trois changements radicaux

Non seulement le métier de professeur de langues et de cultures étrangères n’est plus ce qu’il était, mais il n’est jamais le même d’une situation à l’autre. Au cours de son histoire variée et diverse, surtout depuis le siècle dernier, des transformations radicales ont permis de poser les principes fondamentaux de la didactique contemporaine. On retrouvera ces principes mis en évidence et en œuvre au fil des chapitres, mais nous souhaitons dès à présent en souligner les caractéristiques majeures afin de préciser la perspective qui sera la nôtre. Le plus important d’entre eux est illustré par le fait même que cet ouvrage porte autant sur l’apprentissage que sur l’enseignement qui doit se mettre à son service. Il faut effectivement toujours rappeler que l’on peut très bien se passer d’enseignement pour acquérir une langue étrangère (comme beaucoup d’autres compétences d’ailleurs), mais jamais d’apprentissage. On estime maintenant que les enseignants ne peuvent plus se contenter d’enseigner, mais doivent aussi comprendre, stimuler et guider le processus d’apprentissage dans lequel est engagé chacun de leurs apprenants. Ce changement de perspective a profondément modifié la responsabilité des uns et des autres.

Un autre renversement concerne le contenu même de cet enseignement. On n’enseignait naguère que la langue stricto sensu qui n’était généralement utilisée pour communiquer que lorsque l’on estimait qu’elle était suffisamment maîtrisée. On considère maintenant au contraire que non seulement la langue est au service de la communication, mais que l’on ne peut l’acquérir qu’au moyen de cette communication. Les connaissances lexicales, grammaticales, culturelles, restent lettre morte si elles ne sont pas activées, motivées, développées par les nécessités de l’interaction verbale authentique.

Un troisième changement a marqué la didactique contemporaine des langues étrangères, cette fois sur son versant culturel. Depuis un certain temps déjà, la civilisation des dates historiques et des chefs-d’œuvre a cédé la place à la culture vivante que l’on décline sous toutes les formes et que l’on associe étroitement à la communication. Mais c’est l’interculturalité qui a créé plus récemment la vraie rupture en tant que compétence spécifique, celle qui nous permet de nous entendre avec l’Autre grâce à l’empathie, d’une part, et à l’autocritique, de l’autre. L’interculturel est, pense-t-on désormais, la condition de l’apprentissage des langues et de leur usage dans le monde.

1.2. Progrès ou innovations ?

En quoi ces changements de perspectives ont-ils permis de faire progresser la didactique ? Pour en rendre compte, on doit autant s’intéresser à l’évolution des théories scientifiques et des pratiques pédagogiques qu’à celle des contextes où ces langues et ces cultures étrangères sont enseignées et apprises, et plus particulièrement aux moyens, aux cadres et aux finalités que l’école, l’entreprise, la société donnent à ces enseignements et apprentissages. À l’ère de la mondialisation, il faut insister sur les enjeux politiques, sociaux, économiques des langues et des cultures – du plurilinguisme et de la multiculturalité plus précisément –, mais également sur les responsabilités et les activités de médiateurs des professeurs de langues et de cultures étrangères.

Comme dans de nombreuses autres disciplines scientifiques ou activités humaines, on préfère d’ailleurs parler d’« évolution » plutôt que de « progrès » car il est bien difficile de savoir si l’on enseigne et si l’on apprend actuellement mieux les langues et les cultures étrangères qu’il y a vingt ans ou même cinquante. Les conditions et les finalités de ces enseignements-apprentissages ont tellement changé depuis lors que les comparaisons sont problématiques. Bien sûr que les professeurs et leurs apprenants ont actuellement plus de ressources scientifiques, pédagogiques, technologiques à leur disposition, et que la réflexion concernant les interactions entre les langues et les cultures s’est approfondie et diversifiée. Il n’empêche que certaines innovations ont porté préjudice à des vecteurs ou à des finalités que l’enseignement et l’apprentissage de naguère mettaient au profit des élèves et des étudiants.

La question principale, qui parcourt cet ouvrage de part en part, de manière explicite ou implicite, reste de savoir pourquoi (pour quelles raisons ?) et pour quoi (dans quels buts ?) on enseigne et on apprend les langues et les cultures étrangères, que ce soit imposé par une communauté, y compris la communauté internationale, ou décidé personnellement par un individu. C’est de la réponse qui sera donnée à cette question primordiale, par les différentes personnes dans les différentes circonstances, que dépendent les autres thématiques que traitent la didactique et la pédagogie des langues et des cultures.

On reste parfois perplexe devant le battage actuel concernant les langues étrangères qu’il faudrait apprendre à tout prix ainsi que concernant la prétendue facilité de le faire grâce à l’une ou l’autre méthode miracle. Probablement bien intentionnée, cette promotion de l’apprentissage des langues peut pourtant devenir contre-productive car elle dévalorise une démarche complexe et exigeante qui nécessite un engagement personnel et volontaire. Aussi faut-il insister sur le fait qu’apprendre une langue et une culture étrangères ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances, à développer des compétences, à accomplir des performances, à ajouter finalement un atout à son CV, mais avant tout à se donner l’occasion de vivre une expérience humaine inédite.

Il fait aussi tenir compte des effets de mode pour apprécier les innovations aussi fréquentes que variées qui ont eu lieu au cours des dernières années. Si le flux nourri et incessant de colloques et de publications scientifiques, de supports et de ressources pédagogiques, de didacticiels et de manuels d’(auto-) apprentissage, les uns plus prometteurs que les autres, crée un effet de progrès, quand on prend un peu de recul, on constate souvent qu’il ne s’agit seulement que d’un effet. Plusieurs théories et pratiques anciennes ont été mises au goût du jour, formatées, accréditées et diffusées comme la concurrence l’exige maintenant aussi dans l’enseignement et la recherche.

Il faut alors répéter que l’enseignement, ses méthodes, ses ressources, ses supports, des plus simples aux plus sophistiqués, resteront toujours au service de l’apprentissage et que celui-ci dépend fondamentalement de la motivation de la personne concernée, à commencer par sa motivation à communiquer avec l’Autre qui parle une autre langue et qui vit selon une ou plusieurs autres cultures.

1.3. D’un extrême à l’autre

L’histoire de la didactique des langues a été rythmée au cours des cinquante dernières années par des mouvements de pendule systématiques, entre autres par rapport à la grammaire, à la littérature, à la traduction, à la prononciation, à la mémorisation. Alors que certaines méthodes jugeaient l’une ou l’autre de ces composantes essentielles à l’apprentissage d’une langue, les méthodes suivantes les négligeaient ou les rejetaient parce qu’on considérait tout à coup qu’elles empêchaient cet apprentissage ou le détournaient de sa vocation première… avant de retrouver leur crédit auprès des pédagogues de la nouvelle génération, et ainsi de suite.

Le renversement le plus complet déjà évoqué ci-dessus a consisté à passer de l’enseignement de la langue étrangère (ainsi que de la littérature et de la civilisation correspondantes) envisagée en elle-même et pour elle-même, à son enseignement à d’autres fins : d’abord communicatives, mais aussi sociales (l’intégration), professionnelles (l’employabilité), économiques (le commerce), politiques (la constitution de l’Europe, par exemple). On ne peut que se féliciter que la didactique des langues ait (re)mis la communication au centre de ses préoccupations et au tout début de l’apprentissage, et non à son terme comme si ce n’était qu’un heureux effet secondaire que de pouvoir s’exprimer dans une langue que l’on a passé plusieurs années à étudier.

Faut-il rappeler que non seulement c’est pour entrer en contact avec les autres que nous nous mettons à parler en langue maternelle ou en langues étrangères, mais que c’est en communiquant que l’on peut apprendre à le faire, tant bien que mal au début, puis de mieux en mieux. Cette évidence avait échappé aux anciens pédagogues adeptes de l’art pour l’art qui dédaignaient tout ce qui pouvait être utile, à court terme en tout cas. On sait que le passage obligé par la mémorisation fastidieuse de règles de grammaire et de listes de vocabulaire a découragé de nombreux aspirants polyglottes, comme l’étude laborieuse du solfège a écœuré plus d’un musicien en herbe. Il faut dire qu’à l’époque les élèves – à part quelques privilégiés qui avaient la chance de voyager – n’avaient guère besoin de pratiquer les langues étrangères.

Une nouvelle fois, le pendule est passé d’un extrême à l’autre. Les méthodes d’enseignement et d’apprentissage des langues et leurs objectifs sont alors devenus de plus en plus instrumentaux, comme si la langue et même la culture ne valaient que par les services qu’elles pouvaient rendre pour réaliser des projets concrets : accueillir un client russe, entreprendre des études en allemand, faire des affaires en Chine, répondre au téléphone en anglais, mener une carrière internationale, assumer son statut de citoyen du monde… et surtout réussir un examen de langue étrangère. Ces examens, établis à partir de référentiels formalisés, standardisés, quantifiés, qui devaient au départ être au service de l’enseignant et de l’apprentissage, les ont finalement assujettis à leurs exigences. Au point que les aspects de la langue, de la culture, de l’apprentissage qui n’entrent pas dans le cadre de ces évaluations sont dévalorisés ou ignorés parce qu’ils seraient inutiles.

1.4. Langue de culture ou langue de service ?

Ainsi est née la distinction entre « langue de culture » et « langue de service », au profit de la seconde comme si, d’une part, une langue pouvait être vierge de toute trace ou portée culturelles, et, d’autre part, comme si la culture, elle, ne rendait aucun service. Mais, comme à propos du « progrès », il faut s’entendre sur la notion d’« utilité » : utile pour qui, à quoi, pour combien de temps ? Ce que les référentiels, les programmes, les méthodes considèrent aujourd’hui comme indispensable s’avérera peut-être demain dérisoire, voire néfaste. Il y a fort à parier que, pour être heureux dans le monde plurilingue et multiculturel, les nouvelles générations auront autant besoin, sinon davantage, de formation (inter) culturelle que de formation linguistique sur objectifs spécifiques, pour des usages de spécialités, visant des compétences fonctionnelles.

D’autre part, il faut compter sur les progrès de l’intelligence artificielle (IA) et sur les ordinateurs qui deviennent de plus en plus efficaces pour traduire, parler, lire, rédiger, communiquer en langues étrangères. Nous serons bientôt tous équipés d’une oreillette et d’un micro grâce auxquels nous pourrons parler à tout moment dans les six mille langues du monde. Si, un jour, l’IA nous permet ou nous oblige de faire l’économie de l’apprentissage de langues de service, dans leur usage utilitaire ou occasionnel, il faut absolument éviter que ce soit au détriment des autres usages et dimensions de la langue et des langues. Il faut en effet persévérer à apprendre et à enseigner les langues et les civilisations de manière scrupuleuse, approfondie, nuancée, car elles sont le fondement même de notre intelligence « naturelle », de notre richesse culturelle, de notre harmonie sociale, de notre convivialité empathique, de notre finesse psychologique, de notre sens esthétique, de notre entendement philosophique, de nos aspirations spirituelles, bref, de notre humanité.

Dans les méthodes traditionnelles, la mission essentielle du professeur de langues – à l’instar de ses collègues de toutes les autres disciplines, d’ailleurs – était de contribuer à l’épanouissement personnel de ses élèves grâce à l’exercice intellectuel que représente l’apprentissage d’une langue étrangère et grâce aux cours de civilisation, surtout aux littératures étrangères auxquelles on les initiait par la même occasion. Même si on peut reprocher à ces professeurs, comme on l’a fait plus haut, qu’ils n’ont guère appris à leurs élèves à pratiquer la langue qu’ils leur enseignaient, ils leur ont inculqué des savoirs peut-être aussi importants car les bénéfices de l’apprentissage attentif et patient des langues dépassent les bénéfices de leurs usages pressés et utilitaires. Cet apprentissage engage en effet des processus cognitifs, des investissements socio-affectifs, des enrichissements culturels, des finesses psychologiques dont les enjeux et les implications sont déterminants pour la personnalité et l’avenir de l’apprenant. Comme le laboureur à ses enfants, le professeur de langues devrait d’abord transmettre à ses apprenants le respect et le goût pour les langues et les cultures comme pour le travail assidu de leur apprentissage.

1.5. Pour une didactique humaniste, écologique, douce et durable

Dans cet ouvrage, nous souhaiterions en quelque sorte profiter de la dynamique du pendule décrite plus haut pour, en les associant, dépasser l’opposition entre la perspective instrumentale qui domine maintenant la didactique des langues et des cultures, trop réductrice, et la didactique des langues traditionnelle qui la précédait, trop fermée sur elle-même, au profit d’une approche que l’on pourrait appeler humaniste, écologique et durable.

A) Une didactique humaniste

Avant tout la didactique des langues et des cultures, comme toute didactique, doit être envisagée à la mesure et au profit des individus particuliers et singuliers à qui elle s’adresse, dans toute la variété de leurs caractéristiques, de leurs aptitudes et de leurs aspirations, comme à la mesure et au profit du monde où ils ont vocation de s’épanouir. On a l’impression, quand on parle actuellement de « profils d’apprenants », que c’est surtout pour catégoriser et conditionner les personnes concernées, heureusement pas toutes de futurs entrepreneurs, fonctionnaires, décideurs. Leur imposer des objectifs préétablis, les contraindre à suivre des parcours préprogrammés, les soumettre à des évaluations systématiques ne favorisent guère l’appropriation, la créativité, ni tout simplement le plaisir, qui sont pourtant les vrais moteurs de tout apprentissage.

Par exemple, force est de constater que les méthodes actives et interactives sont devenues « hyperactives », qu’elles favorisent surtout les apprenants extravertis, qu’elles suscitent des relations et des activités effrénées où la patience, la réflexion, la modération sont finalement tenues pour des handicaps. Quant au monde auquel semblent préparer ces mêmes enseignements et méthodes, surtout ceux qui fixent des « objectifs spécifiques », il correspond singulièrement à celui que les économistes appellent de leurs vœux.

B) Une didactique écologique

Il est évident que l’enseignement des langues et des cultures, comme bien d’autres enseignements, si pas tous, doit répondre aux besoins actuels des sociétés et de la communauté internationale, et des personnes, les jeunes en particulier, qui doivent y trouver une place et un rôle, plus particulièrement un emploi. On doit au contraire se réjouir de l’importance que l’on donne à cet enseignement dont profitent les échanges interculturels et internationaux tant sur le plan professionnel que privé. L’apprentissage et la pratique des langues ne font cependant pas que répondre aux besoins immédiats des personnes et du monde, mais ils les façonnent à long terme. Pour qu’il soit pertinent, pour l’individu comme pour la communauté, l’enseignement-apprentissage des langues et des cultures doit donc tenir compte des conjonctures où il a lieu mais aussi de celles auxquelles il contribue.

Dans le cadre d’un monde plurilingue et multiculturel, où d’aucuns annoncent la guerre des langues et le choc des civilisations, en même temps que d’apprendre l’une ou l’autre de ces langues et de ces civilisations, il est vital d’apprendre à vivre dans leur diversité, avec leurs ressemblances et leurs dissemblances, sans cependant perdre ses points de repère personnels, linguistiques, culturels dans cet univers à géométrie variable. La mondialisation et ses effets sur les environnements linguistiques et culturels réclament des politiques éducatives à long terme, qui tiennent compte de tous les facteurs en interaction, et des didactiques prospectives où les langues sont indissociables des cultures et où l’enseignant est considéré comme un médiateur incontournable.

C) Une didactique douce et durable

Quelles que soient les urgences qu’imposent les plans de carrière et les projets internationaux, il est aussi de la responsabilité des enseignants de rappeler que les langues et les cultures étrangères, à l’instar de la langue et de la culture maternelles, s’acquièrent progressivement en fonction de logiques qui leur sont propres et de la motivation de chaque apprenant. Les langues, étrangères comme maternelles, font partie de la vie et doivent s’inscrire progressivement dans le vécu des personnes qui les parlent pour dialoguer avec autrui. Il est aussi discutable de dissocier l’apprentissage de la langue de l’expérience personnelle que de dissocier la pratique de la langue de celle de la culture. On peut forcer une élève à mémoriser une liste de mots de vocabulaire, une règle de grammaire, la biographie d’un personnage historique pour le lendemain, mais pas à en profiter au-delà.

Et il n’est pas moins préjudiciable de n’envisager la langue que comme un instrument de communication à usage ponctuel et circonstanciel, sans en faire aussi un objet de réflexion et d’enrichissement. Devant l’agitation incessante et la stimulation harcelante que font parfois subir certaines méthodes à des élèves pressés d’accomplir des performances, on aspire en effet à un peu de sérénité pour donner à l’apprentissage le temps de se déployer et de s’approfondir, de prendre racine et de bourgeonner. D’autre part, la didactique durable à laquelle nous encourageons ici envisage aussi le long terme dans ses effets, non seulement pour les personnes que cet apprentissage affectera leur vie durant, mais pour le futur des communautés où ces personnes évolueront et qu’elles influenceront. Car les enseignants de langues et de cultures étrangères n’enseignent pas que les langues et les cultures étrangères mais transmettent aussi la vision d’un monde à venir où ces langues et cultures cohabitent – harmonieusement, espérons-le – les unes avec les autres.

2. Le cadre de la didactique du français langue étrangère et seconde

2.1. L’utilité et la nouveauté relatives de la didactique des langues et des cultures

On n’a évidemment pas attendu les professeurs, les didacticiens, les manuels, les laboratoires et les multimédias, les stages en immersion pour pratiquer les langues étrangères. Les difficultés que l’on dit actuellement éprouver pour apprendre et enseigner les langues font oublier que le plurilinguisme est plus ancien, plus répandu, somme toute plus « naturel » que le monolinguisme auquel nous ont condamnés les nations modernes, avant que les relations, les institutions et les firmes internationales n’obligent maintenant à parler de nouveau plusieurs langues. La didactique des langues, maternelle ou étrangères, ne cherche finalement qu’à mieux comprendre, pour mieux la contrôler et mieux en profiter, notre capacité innée à apprendre des langues, quelles que soient les circonstances. En principe, un adulte n’aurait pas plus besoin d’un professeur de langue étrangère qu’un bébé d’un professeur de langue maternelle. L’enseignement n’est donc qu’une manière parmi d’autres d’acquérir une langue étrangère, et pas toujours la plus efficace… au contraire : un didacticien a déjà fait remarquer de manière désabusée que l’apprentissage des langues n’était un problème que lorsqu’il avait lieu en classe.

La question des langues est ancienne : elle apparaît déjà dans la Bible, au moment où les constructeurs de Babel, presque au sommet de la tour, puis plus tard les apôtres, à la Pentecôte, se mettent du jour au lendemain à parler des langues étrangères. Ces deux épisodes illustrent parfaitement les enjeux sociaux du plurilinguisme qui peut semer la zizanie comme inspirer la concorde. Avant même les apôtres, ce sont les nomades, les commerçants, les soldats qui – pour vivre et survivre – ont, les premiers, pratiqué les langues étrangères, que ce soit celle du village voisin ou de l’autre continent, accompagnés par des traducteurs, des ambassadeurs, des savants curieux du monde et des langues. Sur le plan des méthodes, la science infuse n’est malheureusement réservée qu’à quelques miraculés, mais on a toujours l’habitude de croire que la pratique des langues étrangères dépend moins d’un apprentissage que d’un don. Par contre, la nécessité, la curiosité et les contacts personnels restent toujours les procédés les plus efficaces pour apprendre une langue étrangère, et la didactique la plus contemporaine n’a encore rien trouvé qui puisse les remplacer.

La didactique des langues étrangères est apparue en même temps que les grandes langues de culture, notamment le latin et le grec, que l’on a imposées aux peuples conquis ou qu’ont apprises les intellectuels qui voulaient profiter de la civilisation associée à ces langues. On a longtemps continué à enseigner les langues classiques après leur disparition, non seulement pour l’enrichissement culturel qu’elles permettaient, mais également pour les bienfaits de l’exercice linguistique et cérébral qu’elles nécessitaient. La didactique des langues vivantes (étrangères et maternelle également) s’est d’ailleurs calquée sur celle de ces langues mortes jusqu’il n’y a pas très longtemps encore, pour donner un enseignement livresque basé presque exclusivement sur la grammaire et la traduction. Ce n’est qu’au XXe siècle, et surtout à partir des années cinquante, que la didactique des langues étrangères, en tant que pratique et discipline spécifiques, s’est constituée pour prendre son indépendance. Elle a connu depuis lors un essor exceptionnel parmi les autres didactiques et les sciences humaines en général.

Il faut dire que les besoins en matière de langues étrangères se sont multipliés en même temps que les relations internationales, les mouvements de populations, la mondialisation de l’économie, de la culture, de la politique (et des conflits : les guerres n’ont pas moins contribué au développement de la didactique des langues que la construction de l’Europe, par exemple). D’autre part, au confluent de différentes autres disciplines scientifiques qui ont connu une évolution et un succès importants au cours des dernières décennies, la didactique en a profité pour progresser à leur suite, parfois trop précipitamment d’ailleurs. Enfin, l’enseignement des langues étrangères, vu l’étendue et l’intérêt du marché économique qu’il représente, est l’un des premiers à s’être privatisé pour le meilleur (souci de l’efficacité) et le pire (obsession de la rentabilité). Les éditeurs ont certainement joué aussi un rôle significatif dans le renouvellement parfois immodéré des méthodes, des manuels et autres matériels pédagogiques.

Il faut insister ici sur le rôle essentiel de médiateur que confient une communauté et la communauté internationale au professeur de langues et de cultures étrangères. Non seulement il est chargé de préparer aux rapports avec les étrangers et à l’étrangeté, mais il renvoie inévitablement à ses apprenants une image d’eux-mêmes comme du groupe auquel ils appartiennent. L’enseignement des langues et des cultures étrangères met ainsi en œuvre une inéluctable et délicate dialectique entre les ressemblances et les différences, le familier et l’exotique, l’universel et le particulier. Il mise donc autant sur la découverte de soi que sur celle de l’Autre, un de ses premiers bienfaits étant – quand il est assuré dans une perspective interculturelle – la capacité d’autocritique qu’il permet d’inculquer aux apprenants. Ce n’est pas une mince réussite que de faire comprendre et accepter que chacun est bien l’étranger de l’étranger. Le professeur de langues active donc simultanément les deux forces centripète et centrifuge dans sa classe, en comparant sans cesse l’étranger à l’autochtone, et vice versa.

2.2. Une reconnaissance progressive et problématique

Il apparaît que la didactique ne peut être une science à proprement parler dans la mesure où elle n’a pas d’objet ni de méthode distincts, et surtout où elle n’a pas de fin en soi. La langue n’est pas un savoir, ne vise qu’un savoir-faire, dit Claude Hagège qui conclut que la didactique ne peut être que l’application d’autres sciences et ne peut donc être une science elle-même (L’enfant aux deux langues, 1996). Est-ce alors pour revaloriser son statut que certains ont ajouté à son nom un suffixe savant pour en faire de la didactologie ? S’il est inutile ici d’entrer dans ce débat épistémologique, il faut tout de même insister sur le fait que la didactique telle qu’elle est pratiquée actuellement n’est plus intuitive (on « apprend » à enseigner, ce n’est pas – seulement – un don), n’est plus empirique (on réalise et exploite des expériences, on établit et applique des modèles théoriques), n’est plus arbitraire (elle est sans cesse soumise à l’épreuve de ses résultats, encore plus que d’autres didactiques). En fait, c’est en tant que projet que la didactique peut être considérée comme une science dont la pertinence et la rigueur permettent de progresser dans la compréhension et dans la maîtrise de l’apprentissage des langues.

C’est surtout le caractère interdisciplinaire déjà évoqué ci-dessus qui a posé problème à l’autonomie, à la cohérence et à la reconnaissance de la didactique. En effet, la didactique des langues évolue entre trois pôles fondamentaux auxquels elle a donné des ordres de priorité différents au cours de son histoire :

Sans statut particulier, la didactique des langues a sans cesse été tiraillée entre la linguistique, la psychologie, les sciences sociales en plein développement au XXe siècle. Ces disciplines ont trouvé un terrain d’expérimentation privilégié pour leurs nouvelles théories dans l’enseignement des langues où elles étaient appliquées souvent sans délai ni adaptation (applicationnisme).

Grâce au développement de ses recherches et de sa réflexion épistémologique, le FLES – notamment – s’est progressivement fait une place à tous les niveaux : sur le plan scientifique, par rapport aux disciplines connexes (qu’on appelle maintenant contributoires), en intégrant leurs apports à son projet spécifique sans s’y aliéner ; sur le plan didactique à proprement parler, par rapport à l’enseignement de la langue maternelle à laquelle on avait tendance à le subordonner ; sur le plan professionnel, où le métier de professeur de FLES est devenu un métier à part entière qui exige une formation à part entière ; sur le plan institutionnel, enfin, qui reconnaît la spécificité des situations, des publics, des programmes, des écoles de FLES. Actuellement, la didactique des langues étrangères se caractérise par sa démarche plurielle, constructive, intégrative.

2.3. Quelques définitions provisoires

Même si elle reste contestable, la formulation « français langue étrangère et seconde » et l’acronyme « FLES » se sont largement répandus et s’opposent dorénavant au « français langue maternelle » (FLM) ou « première » (FL1). Avant tout, on ne confondra pas « langue seconde » avec « seconde langue » ou « deuxième langue » qui sont synonymes de « langue étrangère ». En général, on parle de « français langue seconde » quand le français ne peut être totalement considéré comme une langue étrangère soit dans le pays où il est enseigné (en Belgique, en Suisse, au Maroc), soit pour le public à qui il est enseigné (à des immigrés de longue date, des enfants de famille bilingue). Mais bien d’autres facteurs sont également à prendre en considération pour distinguer des situations d’apprentissage et les didactiques correspondantes.

Les controverses sont aussi nombreuses concernant les définitions à donner à la didactique, à la méthodologie, à la pédagogie, et les rapports qu’elles entretiennent entre elles. Nous en ferons l’économie, en nous contentant de cette nomenclature certes rudimentaire mais qui a l’avantage d’être claire et pratique :

Une différence qui nous intéressera davantage est celle qu’il faut établir entre l’enseignement, l’apprentissage et l’acquisition de la langue étrangère. Plusieurs didacticiens estiment que l’acquisition est spontanée, non guidée, voire circonstancielle et inconsciente, comme c’est le cas pour la langue maternelle ; par opposition à l’apprentissage qui est intentionnel, programmé, contrôlé par l’apprenant lui-même ou un professeur, généralement en classe où se déroule alors un enseignement. Pour des raisons que nous expliquerons plus loin, nous préférons cette répartition :

Cette présentation a l’avantage de montrer clairement que l’enseignement est subordonné à l’apprentissage (et non l’inverse, comme certains professeurs le pensent encore), mais aussi qu’il n’y a pas d’acquisition sans apprentissage (il ne suffit pas d’assister à un enseignement, comme certains élèves le pensent encore).

On appelle « langue cible » et « culture cible » la langue et la culture enseignées, ici le français et les cultures francophones, « langue-source » et « culture-source » les langues et cultures maternelles des apprenants. Ils peuvent éventuellement passer par des langues et cultures étrangères qu’ils ont déjà apprises et qui servent – volontairement ou non – d’intermédiaires : « langue-relais », « culture-relais ». La littérature scientifique désigne également par « L1 » la langue maternelle, et par « L2 », « L3 »… les langues cibles.

Ce n’est pas pour le plaisir de jargonner que l’on utilise le mot « apprenants » à la place d’« élèves » ou d’« étudiants » comme dans d’autres didactiques, mais pour la bonne raison que les publics sont beaucoup plus variés en didactique des langues étrangères qui dépasse largement le cadre scolaire (où les élèves et étudiants sont singulièrement appelés « apprenants captifs »).

Ces apprenants sont donc allophones et, à ce titre, participent à des échanges exolingues, c’est-à-dire que la langue utilisée n’est pas leur langue maternelle. Un locuteur ou un professeur natifs (calque de l’anglais native speaker) parlent, enseignent au contraire leur langue maternelle. Rappelons enfin que l’enseignant ou l’apprenant sont autochtones quand ils vivent dans leur pays, dans leur communauté (allochtones dans le cas contraire). Les primo-arrivants (appellation qui peut connaître plusieurs interprétations administratives) sont généralement des personnes dont c’est le premier contact avec le pays et la langue, et qu’il faudrait intégrer le plus rapidement possible.

2.4. La complexité et la variété de l’enseignement d’une langue et d’une culture étrangère

Présenter une introduction générale de l’enseignement d’une langue étrangère est une réelle gageure, nous l’avons déjà souligné. D’abord parce que, contrairement aux situations et aux modalités d’apprentissage d’une langue maternelle qui sont passablement semblables (elles seraient même universelles), celles relatives à l’apprentissage des langues étrangères connaissent une très grande diversité dont nous ne pourrons tenir compte ici que dans une certaine mesure. En effet, est-ce le même métier que d’enseigner le FLES à de jeunes ingénieurs chinois, à des mères de famille maghrébines peu ou pas scolarisées, à des lycéens italiens, à des traducteurs finlandais, à des écoliers louisianais, à des universitaires africains, à des réfugiés politiques tchétchènes, à des retraités hollandais, et de le faire dans un pays francophone ou dans le pays des apprenants, dans une école officielle ou dans un organisme de promotion sociale, d’entraide ou de loisir ? Aussi est-il risqué de donner des conseils catégoriques sous prétexte qu’ils sont appropriés à certaines circonstances, et a fortiori de fixer des règles générales, si ce n’est celles de se montrer attentif, disponible et créatif.

D’autre part, dans chaque situation, l’apprentissage d’une langue dépend d’une multitude de facteurs dont il est inutile de chercher à dresser la liste exhaustive tant ils sont nombreux et intriqués. S’il est intéressant de tenter de les distinguer sur le plan méthodologique, comme nous allons le faire pour mieux les comprendre, il faut sans cesser garder à l’esprit que ces aspects sont interconnectés et interactifs lors de l’apprentissage, que ce soit à l’occasion d’un exercice dans la classe, d’une conversation dans la rue, ou encore dans la tête de l’apprenant qui cherche à (se faire) comprendre. « Ça dépend ! » est la première réponse à donner à toutes les questions que l’on peut se poser en la matière. Les méthodes se distinguent précisément par l’importance relative qu’elles donnent à ces différents facteurs et la combinaison qu’elles en proposent. Pas de règle générale ici non plus, si ce n’est celle des meilleurs régimes diététiques : veiller autant à la diversité qu’à l’équilibre du menu, c’est-à-dire tenir compte de la multiplicité des composantes dans un projet pédagogique cohérent.

Le professeur doit plutôt chercher à orchestrer qu’à maîtriser les paramètres de l’enseignement et de l’apprentissage, en distinguant ceux sur lesquels il n’a aucune prise (en fonction des cas : les finalités, les contraintes spatio-temporelles…) de ceux qui dépendent directement (le choix des activités, des documents…) ou indirectement de lui (la motivation des apprenants, la collaboration avec les collègues…). S’il convient d’être le mieux informé et formé possible concernant sa mission avant d’entrer en classe, il est aussi important de laisser suffisamment de marge de manœuvre aux personnes et aux circonstances pour qu’elles trouvent naturellement leur équilibre sans s’obstiner à appliquer coûte que coûte des schémas tout faits.

Chapitre II Explorer, expliquer et exploiter la langue sous tous ses aspects

À une certaine époque, il était clairement établi qu’on ne traitait que de la langue au cours de langue : de la prononciation au début, puis du vocabulaire et de la grammaire de manière systématique, éventuellement de la conversation, progressivement des textes et de la littérature ; quant à la culture, on la limitait à quelques leçons sur la civilisation, l’histoire, les beaux-arts. Non seulement ces anciennes répartitions ont continuellement été contestées, mais les intitulés ne désignent plus les mêmes matières. Les conceptions de la langue, de la grammaire, de la culture ont beaucoup changé en peu de temps. D’abord, l’enseignement grammatical a été radicalement remis en cause, voire proscrit, entraînant parfois une certaine perplexité chez les professeurs qui se demandaient s’ils devaient se contenter de faire de la conversation ou de l’animation culturelle. Des mouvements de réaction se sont ensuite manifestés en faveur d’un retour aux « bonnes vieilles méthodes », aux règles morphologiques, aux listes de vocabulaire et aux exercices formels. Actuellement, la partie se joue plus sereinement et équitablement entre la langue, la culture et la communication. Comme c’est le cas dans la vie quotidienne et dans l’apprentissage de la langue maternelle, l’enseignement des langues étrangères cherche désormais à les associer étroitement : la langue est dans la culture, comme la culture est dans la langue, et toutes deux sont plongées dans la communication. Ce n’est que par souci méthodologique, une fois de plus, que nous les passerons séparément en revue.

Avant cela, il faut exposer trois problèmes essentiels qui se posent à propos du contenu du cours de langue et qui en font la spécificité par rapport aux autres enseignements.

i)Premièrement, à moins que l’on en fasse un cours de linguistique, on pourrait soutenir que le cours de langue étrangère n’a pas de contenu propre ou qu’il comprend tous les sujets vu le caractère universaliste de la langue qui est le fondement de notre humanité. À la rigueur, on pourrait y parler de tout et de n’importe quoi, pourvu que ce soit en langue étrangère. En tout cas, ce cours ne tire pas sa définition de son objet comme le font les cours de géographie ou de mathématiques.

ii)Deuxièmement, le cours de langue est constamment en porte-à-faux entre la langue-objet de l’apprentissage et la langue-instrument de l’apprentissage qui se confondent aussi bien dans le chef du professeur que dans celui des élèves qui se demandent parfois s’ils doivent parler correctement ou parler vraiment. Cette dualité est particulièrement problématique avec de grands débutants avec lesquels l’enseignant ne sait de quoi parler ni comment en parler.

Une manière de répondre à ces deux premiers problèmes est de remplacer l’enseignement du français par l’enseignement en français (d’une autre matière). C’est ce que préconisent certains alors que nous sommes plutôt en faveur d’une combinaison des deux démarches qui se renforcent mutuellement.

iii)Troisièmement, quand elle est pratiquée dans la communication, la langue est indissociable – au-delà de son contenu culturel – de sa dimension humaine, personnelle, affective. La langue n’est pas un objet comme un autre dans la mesure où l’on s’y investit en même temps qu’on l’utilise, serait-elle étrangère. Qu’on le veuille ou non, on parle toujours de soi quand on parle, et l’apprenant est d’autant plus sensible à l’image qu’il donne de lui qu’il maîtrise mal la langue. L’objet-langue entraîne le sujet, se transforme en sujet et transforme le sujet : « la langue, c’est l’homme ! » Nous reviendrons sur l’identification inévitable entre la personne et sa manière de s’exprimer, que le professeur doit tantôt désamorcer, tantôt favoriser au cours de l’apprentissage. En attendant, il faut tenir compte de ce facteur humain quand on lira les pages qui suivent et qui présentent surtout l’aspect technique des fonctions et des fonctionnements de la langue.

D’une manière générale, on comprendra qu’on ne peut traiter la question des contenus indépendamment de celle de la méthodologie, et que la manière de les aborder est aussi importante que leur choix.

1. Les rôles, les usages et les images de la langue

Même si on insiste maintenant sur la nécessité de la replacer dans son contexte culturel et communicatif, la langue reste la priorité de cet enseignement ; elle reste – pour ceux qui en sont chargés – l’accès privilégié à la culture et le principal moyen de communication. Quelles que soient les circonstances, le professeur de langue ne devrait se substituer ni au technicien, ni au critique d’art, ni au guide touristique, ni non plus à l’assistant social. Même quand il s’adresse à des personnes confrontées aux multiples et parfois douloureux problèmes de l’immigration, c’est en leur enseignant le plus efficacement possible la langue qu’il leur rendra le meilleur service.

Il ne suffit pas de connaître le fonctionnement de la langue pour l’enseigner. L’aspect sociolinguistique est aussi important pour fixer le but et choisir la méthodologie de cet enseignement que pour analyser le profil linguistique des apprenants et les conditions linguistiques dans lesquelles ils vont apprendre la langue. « À quoi une langue peut-elle servir ? », « Quel peut être son statut ? », « Quelle image peut-on en avoir ? », voilà les questions auxquelles ces pages donneront quelques éléments de réponses. Signalons auparavant que le canevas de ce chapitre a été inspiré par le remarquable ouvrage que Louise Dabène a consacré à ce sujet (Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, 1994) et auquel nous renvoyons le lecteur intéressé.

1.1. Les fonctions de la langue

Les fonctions de la langue ne représentent pas seulement l’objectif de l’apprentissage, mais elles en sont également le moteur : une langue ne s’apprend que si l’on s’en sert. La classe – comme l’usine ou la famille – constitue un microcosme où les interactions verbales doivent entraîner ou au moins encourager séance tenante l’apprentissage de la langue. Une langue est une chose abstraite, inerte, inutile, et risque de le rester, quand on la présente en dehors de tout usage ou qu’on remet cet usage à plus tard. Mais encore faut-il savoir à quoi une langue est utile dans la société pour la mettre en pratique en classe.

Les sociolinguistes ont dressé de nombreux inventaires des fonctions de la langue, les uns plus détaillés que les autres. Les six fonctions suivantes résument pratiquement toutes les manifestations de la langue, qui se présentent d’ailleurs très souvent combinées les unes aux autres.

A) La fonction communicative ou informationnelle

La langue sert à transmettre, à échanger des informations. Cette fonction est privilégiée par la linguistique, mais il faut noter que « communiquer » a plusieurs significations, comprend plusieurs aspects, englobe plusieurs autres fonctions ; aussi certains font-ils des distinctions entre informer, s’exprimer et communiquer. On notera aussi que la langue peut autant servir à inventer, à mentir, à censurer.

En classe, il faut qu’il y ait une information réelle à transmettre pour que cette fonction tienne un rôle authentique et stimulant. On donne parfois comme consigne au professeur de ne poser aux apprenants que des questions dont il ne connaîtrait pas lui-même la réponse. Même s’il est impossible de s’y tenir, l’exercice fait prendre conscience de la pauvreté de certains échanges verbaux surtout prétextes à des drills grammaticaux.

B) La fonction sociale, intégrative ou interpersonnelle

La langue sert à constituer des groupes à tous les niveaux de la vie en communauté, à les caractériser, à les organiser, à les maintenir, à y intégrer et à y distinguer des sous-groupes ou des individus. L’enfant parle pour participer à la vie familiale, puis à la vie sociale. Cette fonction connaît un versant négatif, puisque la langue peut aussi servir à opprimer, à isoler et à rejeter ceux qui ne partagent pas les mêmes valeurs ou le même langage que le reste du groupe.

La fonction sociale a une grande importance dans l’apprentissage d’une langue étrangère : d’abord par rapport au groupe que forment les condisciples en classe et dont les interactions tiennent un rôle essentiel, ensuite par rapport au groupe plus large des francophones ou des autochtones auquel les apprenants étrangers aspirent à appartenir à plus ou moins court terme. C’est particulièrement vrai pour les immigrés dont l’inclusion est la préoccupation principale.

C) La fonction heuristique ou (auto) référentielle

La langue sert à découvrir, à comprendre, à analyser, à apprendre et à enseigner le monde, que ce soit de manière intuitive, pratique ou scientifique. Le monde et le langage sont dans des rapports de déterminations réciproques : la réalité imposant un certain usage des mots, les mots imposant une certaine vision des choses. Sans entrer dans le débat de savoir lequel vient le premier, nous dirons qu’ils sont indissociables dans leur usage quotidien.

Quand on apprend une langue étrangère, on n’apprend pas à traduire autrement le monde et la vie mais à leur donner une autre interprétation. Une langue étrangère représente non seulement une chance d’explorer de nouveaux domaines, mais aussi de s’étonner de choses que l’on croyait pourtant familières. Il faut rendre à cette fonction toute sa dimension car elle constitue, par la découverte et le dépaysement, un puissant stimulant à l’apprentissage.

Par ailleurs, le langage peut aussi servir à parler de lui-même, dimension métalinguistique souvent mise à contribution dans l’enseignement des langues alors que leur acquisition n’en dépend pas directement.

D) La fonction pragmatique ou instrumentale

Comme cela a été mis en évidence par la linguistique pragmatique et mis en pratique par les méthodes communicatives des quarante dernières années, le langage ne sert pas seulement à communiquer et à comprendre le monde, mais à agir sur lui. Comme le geste, une injonction, une question, une affirmation peuvent changer les choses, transformer une situation, influencer un interlocuteur. « Dire, c’est faire », selon l’expression d’Austin.

Il sera largement question de cette linguistique volontariste plus loin, et surtout de ses effets toniques sur la didactique des langues. On imagine en tout cas l’impulsion qu’elle peut donner à l’enseignement pour qu’il parte d’actions concrètes et précises, qu’il vise des objectifs opérationnels, qu’il soit évalué en termes de compétences (et pas seulement de connaissances).

E) La fonction symbolique ou imaginaire

Pour une personne comme pour un groupe, la langue sert à élaborer des représentations concernant leur identité, leurs rapports particuliers, imaginaires, mythologiques avec les autres et le monde. En quelque sorte, nous sommes tous issus du langage que nous avons appris à la naissance et que nous utilisons depuis lors pour comprendre et modifier le monde, la société et nous-mêmes qui y vivons.

Dans cet esprit, on ne peut impunément changer de langue. En apprenant, en pratiquant une autre langue, l’individu devient inévitablement quelqu’un d’autre, à quelque niveau que ce soit. Ce phénomène, qui est une extraordinaire source d’enrichissement pour les bilingues, met parfois mal à l’aise les débutants qui se voient amenés à relativiser certains principes, idées, attitudes au cours de leur apprentissage.

F) La fonction esthético-ludique

Le langage peut aussi être utilisé gratuitement, pour le plaisir, pour éprouver la maîtrise qu’on en a, pour en contester les autres fonctions… Cet usage non instrumental, que l’on observe dans les jeux de langage, dans la poésie, dans l’humour, peut en fait cacher de nombreuses et importantes fonctions secondaires, sur les plans idéologique, esthétique, métalinguistique.

Précisément, la didactique des langues recourt très souvent à cette faculté qu’a le langage de pouvoir fonctionner en roue libre, pour exposer son système hors contexte et permettre aux apprenants de s’entraîner sans que cela ne porte à conséquence. La notion de jeu est d’ailleurs centrale dans l’apprentissage des langues, dans les sens de manipulation linguistique (jeu de mots), de mécanique (jeu de construction), de convention (jeu de société), de simulation (jeu de rôles), et de divertissement (jeu drôle). Nous y reviendrons donc souvent au fil de l’ouvrage jusqu’à sa conclusion.

1.2. Les statuts de la langue

À partir de ces fonctions, la (ou les) langue(s) que les membres d’une communauté utilisent dans leur vie familiale, sociale, professionnelle, a (ont) des statuts différents. Ces statuts peuvent être assumés par une seule et même langue, dans d’autres cas par plusieurs langues qui sont alors souvent en concurrence, parfois en conflit, ce qui ne sera pas sans influence sur le développement linguistique des personnes concernées, sur leur scolarité en général, sur leurs aptitudes à apprendre d’autres langues.

A) La langue vernaculaire…

est la première langue apprise dès la naissance au contact des parents, de la mère généralement. Cette langue est celle de l’intégration sociale primaire, dans le cercle familial ; elle sera définitivement associée au développement affectif de la personne qui la pratiquera de la manière la moins surveillée (distanciation minimale) à moins qu’elle ne fasse ensuite l’objet d’un apprentissage normatif rigide qui contrarie cette spontanéité. La langue vernaculaire joue bien sûr un rôle important dans l’apprentissage des langues suivantes, surtout sur le plan de l’interaction interpersonnelle et de la prononciation qui en garderont l’empreinte.

B) La langue de référence…

est la langue de l’école, celle dont on apprend les règles (que l’on en connaisse déjà ou pas encore l’usage), celle qu’on associe à la grammaire, à l’écriture, à la transmission des savoirs en général. Son usage en sera par conséquent plus conscient, mieux contrôlé. En dépendra l’intégration sociale secondaire hors de la famille, à commencer par le contexte scolaire où la langue maternelle peut être dévalorisée, interdite même. La langue de référence constituera la base formelle pour l’apprentissage d’autres langues étrangères, surtout sur le plan métalinguistique.

C) La langue d’appartenance…

est la langue qui a la plus grande valeur symbolique, que le locuteur concerné reconnaît d’abord sienne, que ce soit celle qu’il maîtrise le mieux, qu’il utilise le plus, ou non. C’est notamment le statut de l’arabe (de l’italien, du polonais) pour les jeunes immigrés de la deuxième ou troisième génération. Même s’ils n’ont appris cette langue ni à la maison ni à l’école, ils la revendiquent (parfois après l’avoir rejetée) pour marquer leur identité culturelle, par exemple en émaillant leurs conversations en français de mots ou d’expressions arabes. De la langue d’appartenance dépendront les représentations que les personnes concernées auront de la nouvelle langue, et la motivation qu’ils auront à l’apprendre.

D) La langue véhiculaire…

est la langue qui permet à des personnes, à des groupes de langues maternelles différentes de communiquer entre eux. On peut aussi choisir une autre langue pour des raisons d’équité, de neutralité politique. Après le latin et le français, c’est maintenant l’anglais qui est la langue véhiculaire (ou lingua franca) la plus répandue, celle dont le nombre d’utilisateurs dépasse le plus le nombre de locuteurs natifs. Étant la première langue étrangère enseignée de par le monde, il est clair que l’anglais sert souvent de référence, tant sur le plan didactique que linguistique, pour l’apprentissage des autres langues qui peut d’ailleurs s’effectuer dans certains cas par l’intermédiaire de l’anglais quand aucun autre moyen de communication n’est possible.

Vu la diversité des situations, l’enseignant gagne toujours à connaître le profil linguistique de ses apprenants pour comprendre les différentes difficultés, interférences, résistances qui peuvent se présenter. À ce propos, il faut déjà signaler que les apprenants polyglottes ne sont pas toujours les plus favorisés, que plusieurs langues trop peu apprises ou pratiquées risquent finalement de porter préjudice à celui qui parvient à peine à se débrouiller dans chacune d’entre elles (on parle alors de plurilinguisme soustractif). La question est aussi de savoir quelle place occupe ou doit occuper dans le profil linguistique de telle personne la langue française qu’elle est en train d’apprendre, quels rapports elle entretiendra avec les autres langues qu’elle connaît ou pratique déjà, quelles implications elle aura dans sa vie personnelle, sociale, familiale.

1.3. Langue maternelle, étrangère, seconde

On désigne surtout les langues par le degré de familiarité que l’on entretient avec elles, de la langue maternelle à la langue étrangère en passant par la langue seconde. Cette nomenclature n’est pas aussi simple qu’il y paraît ; elle peut même créer des malentendus, constituer des obstacles dans l’enseignement des langues. Par ailleurs, elle ne correspond plus aux situations individuelles et sociales souvent plus complexes des apprenants, que ce soit dans un pays francophone ou ailleurs.

A) La langue maternelle

Inutile d’insister sur l’importance décisive de l’apprentissage et l’usage de la langue maternelle : elle détermine le développement affectif, cognitif, social de chaque individu, conséquemment ses motivations et ses capacités à apprendre d’autres langues par la suite. Il faut cependant noter que la langue dite maternelle ou première n’est pas toujours la langue de la mère, ni la première langue apprise, ni même la langue la mieux connue. Nous avons déjà insisté sur la diversité des statuts et des situations des langues, et il n’est pas rare dans le monde qu’une langue maternelle soit discréditée, abandonnée et finalement oubliée par ses locuteurs. Dans d’autres cas, la langue maternelle est limitée à l’usage domestique et oral, obligeant les membres de la famille au bilinguisme fonctionnel à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Il arrive aussi que la langue maternelle soit multiple, dans les familles mixtes, sans qu’on puisse savoir quelle langue domine l’autre. En conclusion, il est difficile de prendre la langue maternelle comme modèle pour l’apprentissage d’une autre langue, que ce soit au niveau des processus ou à celui des finalités.

On a pourtant souvent mis en rapport l’apprentissage des langues étrangères avec celui de la langue maternelle. Ou bien pour les opposer, quand on taxait le premier d’artificiel et le second de naturel, alors que nous naissons avec les mêmes capacités innées d’apprendre des langues, quel que soit l’ordre dans lequel nous les apprenons. Ou bien pour les rapprocher, quand on voulait copier le premier sur le second sous prétexte que l’apprentissage de la langue maternelle semble toujours facile et efficace tandis que celui d’une langue étrangère semble souvent laborieux et infructueux. Nous nous étendrons sur cette comparaison aussi instructive que complexe dans un autre chapitre, surtout pour conclure que ces deux apprentissages se distinguent moins par leurs principes que par leurs conditions.

On a aussi parfois accusé la langue maternelle d’effets nocifs sur l’apprentissage d’une langue étrangère à cause des interférences qu’elle entraînerait. Dans certaines théories maintenant contestées, on pensait que l’apprentissage d’une nouvelle langue ne pouvait se faire que si l’on effaçait de l’esprit de l’apprenant – ne serait-ce que temporairement – toute autre langue, à commencer par sa langue maternelle à laquelle il était scrupuleusement interdit de recourir. Les structuralistes estimaient que chaque langue constitue un système autonome à nul autre pareil que toute interférence risque de perturber et qui nécessite un apprentissage à partir de nouvelles bases linguistiques. On sait maintenant que ce « lavage de cerveau » n’est pas souhaitable, ni même possible. L’apprenant ne doit heureusement pas recommencer l’apprentissage du langage quand il apprend une nouvelle langue, et les transferts qu’il opère consciemment, volontairement ou non, d’une langue à l’autre lui permettront de gagner du temps.

Il y a interférence dès qu’une langue maternelle (ou une autre langue étrangère déjà bien connue) prédispose l’apprenant à certaines pratiques dans la langue cible, sur les plans phonétique, syntaxique, sémantique, discursif ou pragmatique. Plutôt que de chercher inutilement à les éliminer, il s’agit de profiter des interférences positives, en rapprochant les deux langues concernées sur les formes ou usages communs ; et de prévenir ou de neutraliser – par des expositions, des explications ou des exercices spécifiques – les interférences négatives, qui induisent au contraire des erreurs (qu’on appellera alors « interlinguales »). Des transferts ont également lieu en profondeur, au niveau des universaux, par exemple concernant des bases logiques, syntaxiques, pragmatiques qui seraient communes à toutes les langues, qui renverraient donc aux principes du langage.

B) La langue étrangère

D’un point de vue historique, on a enseigné depuis toujours le français aux étrangers ou aux non-francophones plus généralement (notamment, de force, aux petits Bretons, Occitans, Wallons ou Africains), mais les méthodes qu’on utilisait étaient généralement des versions simplifiées des méthodes de français langue maternelle (ou de latin, nous l’avons déjà dit). On ne faisait d’ailleurs guère de différence, puisque l’on ne voyait pas dans l’enseignement à des non-francophones matière à une didactique spécialisée : une seule didactique pour une même langue. Le concept de français langue étrangère ne s’est développé que dans la seconde moitié du XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale, quand on a commencé à craindre pour la position du français dans le monde (par rapport à l’anglais en plein essor) et à comprendre que son rayonnement international exigeait des politiques et des méthodes d’enseignement particulières. Des centres de langue française se sont multipliés à l’étranger et s’est constituée une didactique du français langue étrangère qui a finalement représenté un second pôle par rapport à celui du français langue maternelle.

« Langue étrangère » n’est pourtant pas un intitulé moins problématique que celui de « langue maternelle ». Commençons par rappeler qu’une langue n’est étrangère qu’aux yeux des étrangers et qu’elle est toujours la langue maternelle d’autres personnes. Cette désignation ne signifie pas non plus que cette langue étrangère est une variante propre aux étrangers, une version simplifiée de la langue parlée par les natifs, en tout cas pour le « français langue étrangère » (il existe par contre un anglais international ou « globish »). Enfin, peut-on parler de langue « étrangère » quand, dans le même pays, elle est parlée dans d’autres circonstances ou par d’autres habitants (comme le français au Canada, en Belgique ou au Maroc) ; ou quand l’apprenant se trouve dans le pays où elle est pratiquée par les autochtones et où lui est étranger ? Bref, vu la multiplicité des significations et des contextes, rares sont les occasions où la dénomination « langue étrangère » est satisfaisante, raison pour laquelle beaucoup lui préfèrent « deuxième langue » (qui peut être aussi une « troisième », une « quatrième langue »…), ou « langue seconde » dont il sera bientôt question. On la garde cependant dans le sens très relatif de « langue perçue comme étrangère ».

En fait, il est instructif d’analyser les critères (décrits de nouveau par L. Dabène, op. cit.) sur lesquels repose la relative étrangeté – perçue ou réelle – d’une langue étrangère, car l’attitude et surtout la motivation de l’apprenant en dépendront :

•la distance matérielle. L’éloignement géographique, les difficultés de contacts directs entre les locuteurs natifs et les apprenants, et leur pays respectif, jouent toujours un rôle important même à l’époque de l’Internet ;

•la distance culturelle. Les différences de style de vie et de circonstances socio-économiques, d’idéologies et de religions, de représentations et de relations humaines, conditionnent aussi l’apprentissage ;

•la distance psychologique. Les apprenants, sur le plan individuel ou collectif, peuvent avoir des relations personnelles avec des autochtones qui influenceront leurs bonnes (ou mauvaises) dispositions à étudier leur langue ;

•la distance linguistique. Indépendamment des critères précédents, les langues se distinguent plus ou moins les unes des autres en fonction des familles ou des groupes auxquels elles appartiennent. À ce propos, il faut signaler, d’une part, que ces différences peuvent être de diverses natures – phonétique, lexicale, syntaxique, discursive, pragmatique ou scripturale – sans qu’il y ait de rapport nécessaire entre elles, et, d’autre part, que la difficulté à apprendre une langue étrangère n’est pas systématiquement proportionnelle à l’importance de ses différences par rapport à la langue maternelle de l’apprenant (on sait que des similitudes entre deux langues peuvent aussi créer des confusions).

On amalgame généralement ces notions, par exemple en pensant qu’une langue qui est parlée de l’autre côté de la terre par des inconnus aux mœurs différentes et qui recourt à une autre forme d’écriture, sera forcément une langue difficile à apprendre. Ceci dit, la distance réelle ou perçue par rapport à la langue maternelle peut aussi jouer en faveur de l’apprentissage pour les personnes stimulées par les différences culturelles ou linguistiques, qui y voient un défi ou un intérêt supplémentaire et qui y trouvent ainsi l’occasion de satisfaire leur goût pour la découverte, pour l’exotisme. Le français peut profiter ou pâtir, comme d’autres langues, de ces réactions positives et négatives.

C) La langue seconde

Le français langue seconde est, en tant que moyen terme entre le français langue maternelle et le français langue étrangère, un concept plus récent encore issu de circonstances historiques précises : l’indépendance des colonies francophones où le français devait rester la langue des intellectuels, des élites, malgré la concurrence des langues nationales et des autres langues internationales, et continuer ainsi à exercer une certaine influence dans ces pays. Mais français langue seconde