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Épilepsie, et p'is les psys s’articule autour de la frayeur constante chevillée au cerveau d’Eric Lamy, l’auteur. Souffrant d’une épilepsie fronto-temporale, il y retrace quarante années de sa vie, de la toute première manifestation bizarre au geste chirurgical salvateur. De Florence à Marseille, de Besançon à Cologne, de Montreux à Paris, de Baltimore à Lyon, de Tampa à Genève et de Grenoble à Jérusalem, vous êtes invités à le suivre sur les traces de cette période mémorable de son existence...
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pourvu d’une imagination débordante,
Eric Lamy ressent, étonnamment, le désir d’écrire assez tard. Néanmoins, le temps ayant enrichi ses perceptions, il utilise sa plume pour retracer une période importante de sa vie, dans un récit empreint de ses souffrances et de ses traumatismes relatés avec sincérité et humour.
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Seitenzahl: 453
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Eric Lamy
Épilepsie,etp'islespsys
© Lys Bleu Éditions – Eric Lamy
ISBN : 979-10-377-8951-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Raphaël, Vincent, Thibaud, Agathe, Léo...
Les Soleils de ma vie.
L’important n’estpasce quel’onafaitde nous,maisce quenousfaisonsnous-mêmes dece qu’onafaitde nous.
J.P. Sartre
Avec le titre, le ton est donné. Ce livre ne sera pas solennel. L’association d’idées, voire le jeu de mots, y auront leur place, et parfois même la blague et l’apparente légèreté. Tant mieux, parce que la mort, le sentiment de mort imminente, y sont présents sans cesse.
Nous sommes avertis dès la première page que c’est un témoignage qui aurait pu s’intituler sans rire « soixante mille morts sans décès », soixante mille flirts avec la « camarade camarde ».
Au fil de ces deux cents et quelques pages, le Criseux, Eric ; Crizette, l’épilepsie, et Môme, sa conscience, viennent s’affronter, avec l’intervention de nombreux médecins plus ou moins pertinents. On voit apparaître, outre des neurologues, un psychiatre-psychanalyste et des neurochirurgiens, mais aussi des thérapeutes autoproclamés… en grand nombre. La famille, le père, la mère, les proches, sont bien sûr omniprésents. Les femmes de sa vie, également au premier rang, les deux épouses, sans compter les enfants issus de ces unions, mais aussi d’autres femmes de toutes sortes.
L’auteur nous entraîne dans l’histoire de quarante années de sa vie, de peurs en terreurs, de rémissions plus ou moins complètes en rechutes, d’espoirs en déceptions et parfois jusqu’au désespoir… de courte durée, car ce récit témoigne d’une incroyable combativité.
Eric n’hésite pas à évoquer sa vie la plus intime tant elle révèle toutes les facettes de sa vitalité. Au fil du récit, neurologues et psychiatres reconnaîtront petit à petit les caractéristiques d’une épilepsie temporale et fronto-temporale, sauf celle qui va permettre de préciser le lieu restreint de la zone épileptogène qui était restée méconnue de longues années, car l’intéressé, terrorisé, n’avait jamais osé la révéler. La dire enfin, cette terreur qui inaugure la crise, a permis d’envisager le geste chirurgical salvateur. Pour y parvenir, les années de psychanalyse ont eu leur part sans doute, parce que le psychanalyste et le neurologue étaient capables de se comprendre et que le chirurgien connaissait l’intérêt de l’histoire inconsciente du patient dans le déclenchement des crises.
C’est pourquoi, lorsqu’Eric m’avait demandé mon avis, je lui avais conseillé un psychanalyste capable de comprendre l’aspect neurologique de cette affection.
Avec ce récit, et bien que cette forme d’épilepsie me soit bien connue, j’ai appris des détails subtils, notamment sur le regard que le patient porte sur lui-même et l’importance qu’à cette introspection tantôt dans le déclenchement des crises, mais tantôt parfois dans leur maîtrise.
J’espère que beaucoup de confrères médecins, neurologues et psychiatres liront ce livre et peut-être aussi nombre de personnes concernées de près ou de loin par cette affection.
Docteur Gilbert Diebold
Pour cause de sensationnel, de suspense et de dramaturgie, la lecture de certains livres est de moins en moins limpide. Emplis de flash-back, de rebondissements et d’histoires dans l’histoire, certains écrits perdent en crédibilité en perdant de la simplicité.
L’histoire de mon épilepsie est simple. Autant le dire de suite, il est question de lamort. Omniprésente et continuelle peur de la mort, frayeur constante chevillée au corps, ou devrais-je dire chevillée à mon cerveau, pour ce qui est de mon type d’épilepsie, c’est-à-dire fronto-temporale. Mais il est question également de commisération, de mépris, d’hypersensibilité, du sentiment de culpabilité, d’émotivité, d’incrédulité, de l’étrangeté de l’être, de réincarnation, du stade du miroir et de repli sur soi.
Pour écrire, il faut souffrir, disent certains. Je vais m’attacher à relater mes souffrances, mes traumatismes avec sincérité, ce qui n’exclut pas une pointe d’humour. Je parlerai égalementde mon ressenti et essaierai d’ouvrir des pistes et d’explorer les différentes facettes de cette maladie, avec la part de subjectivité de toute expérience.
Ce témoignage aurait pu s’appeler « Le Criseux », un terme qui montre que c’est unepersonne singulière, cataloguée, en l’occurrence moi, qui porte cette affliction. Il aurait pu avoirpour titre «Soixante mille morts sans décès», un chiffre qui met en relief le nombrede crises qui avaient pris ma vie en otage. «Un Éclair dans un Ciel Serein », intitulé rejeté, relevaitla fulgurance de la survenue d’une crise d’épilepsie. « La tête en vrac » voulait montrer l’immense difficulté à surmonter l’ingestion de barbituriques, ces downers, comme disent les Anglo-saxons, qui ralentissent le corps et l’esprit. Ensuite, les titres de «Pétagesde plombs »; «Il a perdu la tête »; « T’as vu l’aut’ con ? », faisaient la part belle à la perception qu’ont les témoins d’une crise d’épilepsie.
Enfin,letitre«LeBistouridel’Épilepsie»avaitétésélectionnépourmettreenavantl’acte chirurgical.
Il m’a fallu six mois pour trouver le bon professionnel. Onze années d’analyse suivront. De 1989 à 2001, période à la fin de laquelle rien ne fut plus pareil, rien ne fut comme avant. C’est un psychanalyste qui m’a aidé à avoir les yeux en face des trous, car j’avais du mal à affronter des démons vieux de plus de quarante ans. Que ce fut dur de faire face à la camarde, un mot proche de camarade, que j’emploie à la place de son synonyme, la mort, dont la simple évocation est effrayante ! Je ne peux pas faire face à la mort, la mienne… La vraie mort qui ne dit rien, marche en silence, choisit son heure et… passe la faux.
Terriblerecord:je suismort60 000 fois.
Voici doncmonhistoirede personne épileptique,ma vie, mesjoies, mes crises etleurs conséquences visibles sur mon corps meurtri, mais aussi les peines invisibles et les galèresque j’ai vécues.
De Florence à Marseille, de Besançon à Cologne, de Montreux à Paris, de Baltimore à Lyon, de Tampa à Genève et de Grenoble à Jérusalem, ceci est mon parcours. Depuis la toute première manifestation bizarre, jusqu’au geste chirurgical salvateur, je vais retracer quarante années de ma vie.
La lecture du livre : « Les mots pour le dire » de Marie Cardinal, fut une révélation. Cette femme m’a donné l’envie et le courage de consulter un psychanalyste pour ce qui est de traiter mon épilepsie, puis de témoigner. Je la remercie doublement.
Voici quelques mots de sa plume ; « Pour faire comprendre la psychanalyse et aider ceux qui vivaient dans l’enfer où j’avais vécu, je me promettais d’écrire l’histoire d’une femme qui me ressemblerait comme une sœur, sa lente mise au monde, son arrivée heureuse dans le jour et la nuit de la terre, sa joie de vivre, son émerveillement devant l’univers auquel elle appartient. »
Unconstatrécurrent:
Toutmaladerecherchantlaguérisond’unemaladiesérieusepeutsouscrireàtoutesparoles, propositions, même lesplusfolles,mettantparfoissa vie endanger.
Un ami m’aglissé àl’oreillequecet ouvrageétaitremplide mots grossiers. Je suis d’accord avec lui. Sans doute est-ce dû à la rancœur de n’avoir pas été épargné par la maladie. Une maladie qu’il m’arrive de traiter de connasse et de bien d’autres noms d’oiseaux. Toutefois, les mots étant sortis ainsi de ma plume, je n’ai pas voulu les adoucir et m’en excuse auprès des lecteurs qui sauront faire la part des choses.
Une crise d’épilepsie surgissant systématiquement à chaque endormissement, je repoussais l’heure du coucher. Durant ces heures de veille, j’écrivais des chansons, des poèmes, dont certains se trouvent à la fin de cet ouvrage.
De nos jours, quelque part en France. Festival des Fêlés du Ciboulot. Cérémonie Officielle de remise des médailles sponsorisée par les laboratoires pharmaceutiques Roche et Sanofi-Aventis-Synthélabo. Salle comble. Parterre prestigieux. Présentateur sur son trente et un.
Le présentateur vedette ouvre une enveloppe que vient de lui tendre un huissier. Il se racle la gorge et déclare :
L’assistance nourrit un tonnerre d’acclamations, avant que l’animateur de cette soirée ne reprenne…
L’assistance applaudit de nouveau, même si quelques-uns ne se souviennent déjà plus pourquoi. Font-ils partie du million de personnes atteintes ?
Surlatroisièmemarcheetmédailléedebronze…Mercid’applaudirl’épilepsieetses 600 000patients!
Unesalved’applaudissementsenvahitdenouveaul’assemblée,avant que le présentateur ajoute :
— De lapart de nossponsors,nous allons à présent remettreun chèqueà chacunde nos trois gagnants, le prix du meilleur shoot, c’est-à-dire de la molécule la plus puissante,lepsychotropeayantl’effetleplusdirectsurlesystèmenerveuxcentral…Lasubstance «coupdepoing».
Ilest prèsdeminuitlorsque lagrand-messeDesFêlésDuCiboulotprendfin.
EnFrance,l’épilepsieestlatroisièmepathologiedu cerveau.
Àl’image desmigraines,nousdevrionsparlerdesépilepsiesetnon pasde l’épilepsie.
Un bon psychanalyste se met dans la peau de son patient afin de mieux le comprendre. Il reste toujours attentif, toujours lui-même, et ne joue pas à un jeu de rôle. Il se rapproche du malade en toute bienveillante neutralité, afin de mieux pouvoir décoder les mécanismes inconscients qui ont façonné son patient. Un bon psy se met à la portée de ce dernier pour le prendre avec lui, le comprendre afin de voir de quelles façons sa pensée est altérée ou mal construite. Une espèce de constat des dégâts pour pouvoir ensuite aider ce malade à se reconstruire par lui-même. Construction, édifice psychologique bâti pierre par pierre, non plus sur du sable mouvant, mais, au contraire, sur une base solide, inébranlable. D’ailleurs, et ce n’est pas magique, cette reconstruction psychique se fera antisismique de facto, c’est-à-dire sans symptôme. Il faut des mois pour cerner et faire l’inventaire de tous les troubles, les sentiments affreux, les peurs indicibles, les souillures, les impressions malsaines. Grâce au travail fourni afin de faire ces découvertes, la maladie – le mal à dire – est censée disparaître aussitôt que le transfert sera fait et analysé. Ce fameux transfert est la cheville ouvrière du travail analytique, le psychanalyste fonctionnant comme un outil. Le patient, quant à lui, rejoue avec ce dernier les relations qu’il entretenait avec ses proches. À condition, bien entendu, que le patient dise tout à son analyste sans rien censurer, ce dernier pourra interpréter celles-ci pour les comprendre.
Durant son analyse, un patient peut éprouver des sentiments envers son analyste, tels que la frustration, le désir, la colère. Même s’il a peur de faire de la peine ou de blesser son analyste, le patient, pour en apprendre davantage sur lui-même, doit parler des ressentiments qu’il peut nourrir à l’égard de ce dernier. Dit autrement, le patient reporte – transfert – sur son analyste et sans le savoir – inconsciemment – les mêmes situations qu’il vivait avec sesparents.
Bien que cela soit difficile à croire, c’est pourtant véridique, et j’ai du mal àcomprendre queles bobosde l’âme, maladies à part entière, soient encoresimalrepérés. Des maladies se traduisant par des angoisses et des tensions contre lesquelles certaines personnes ne parviennent pas à lutter avec leurs seules ressources psychiques. En majorité curables, celles-ci continuent d’être enfouies sous des psychotropes souvent consommés en automédication pour leurs propriétés anxiolytiques, tel le diazépam, plus connu sous le nomdeValium.Mêmesiletermedroguesecharged’unevaleurpéjorativeéloignéedesonsens originel, le détournement répété de l’usage de psychotropes peut parfois faire des dégâts identiques, à commencer par l’accoutumance de l’organisme. Ce passage veut souligner que l’action des psychotropes – dont font partie les neuroleptiques – n’est pas curative, ce qui veut dire qu’il faudra consommer à vie de telles substances, car la cause de ces problèmes restera inchangée. Àl’inverse, une analyse bienconduitepar unprofessionnel compétent vousaidera à comprendre puis chasser la cause de vos soucis. Me concernant, c’est l’alliance de l’analyseet de la chirurgie qui eurent raison de mes crises.
Je cite un court passage du témoignage de Marie Cardinal. Elle décrit le long parcours analytique qui l’a fait renaître, les progrès accomplis et l’incompréhension de son entourage.
« Tout au long de mon analyse, je n’ai cessé de m’émerveiller devant l’admirabletravail qui s’opère entre la conscience et l’inconscient. Je me suis mise alors à rêver beaucoup. Je retrouvais ma vie onirique avec grand plaisir… Pendant la maladie,je ne rêvais pas, je n’avais pas le moindre souvenir d’un rêve, même pas l’impression d’avoir rêvé. L’analyse a commencé à projeter des rêves anciens sur mon sommeil. L’inconscient allant chercher dans le tréfonds de la vie les richesses qui m’étaient propres, les déposant sur une berge de mon sommeil et la conscience sur l’autre berge, de loin, inspectant la nouveauté, l’estimant, me la laissant pressentir ou la rejetant. Je ne parlais jamais de l’analyse, car je me rendais compte que ce sujet agaçait les gens. “Des balivernes, tes histoires… moi ça m’a démoli, ma vieille… Les fous, ça se soigne dans les asiles…Le reste c’est une salade de bonne femme, de déséquilibré mental… de pédés… J’ai mis cinq ans à m’en remettre…”. Voilà les réactions de ceux qui ne connaissent pas. »
Parler decettemaladiem’apermis d’exorciser etdedédramatiser maviequis’écoulait d’une manière hors norme. Aujourd’hui que je suis guéri, c’est également un moyen de faire savoir à ceux qui souffrent de la même affliction que la vie parfaite n’existe pas, même chez ceux qui se portent à merveille… chez ceux qui ont davantage tout pour être heureux.
Grâce à la psychanalyse, je suis devenu acteur de ma vie. Cependant, il ne serait pas honnête de ne donner du crédit qu’à cette thérapie, car, je me répète, je dois ma guérison aux mains expertes d’un neurochirurgien.
Petitàpetit,ensefaisanttirerl’oreille,lebonheurafinitoutdemêmepars’installer.
Ilfutlefruitd’unelutteacharnéeàleconstruire.
Pour rendre cerécitplus vivant,je mepropose d’yintroduire deuxintervenants.
Tout d’abord mon surmoi, une sorte de Jiminy Cricket représentant ma conscience ainsi que mes pensées qui n’atteignent pas ma bouche ou qui sont mal dégrossies. Cet autre moi-même, je me propose d’en faire la contraction et de l’appeler Mome. Il est celui qui m’a accompagné dans mes galères. Tour à tour plein de sagesse, comique, mais aussi représentant la face négative de mon esprit. Il est le trublion qui pousse le bouchon trop loin, irrite et agace, et à qui j’ordonne de se taire à jamais, sans être obéi.
Ensuite, voici Crizette Frontempo, l’épilepsie qui me prend la tête. Son nom et son prénom larésument tout àfait, montrant qu’elle prend sa source du côté fronto-temporal droit de mon cortex. Crizette est mon épilepsie à moi et rien qu’à moi, dont j’ai horreur et que j’aurais adoré glisser dans la tête d’un autre, comme on refile une patate chaude. Terriblement intrusive,car malélevée,oupasélevéedutout, elles’invitesanscrier gareetil est impossibled’en fairefaçon. CrizetteFrontempo est de lafamilledes crises les plus effrayantes et mefait vivre une angoisse perpétuelle, me faisant mourir à petit feu. Véritable auteur de ces lignes, c’est en fait la star, l’essence même de cet ouvrage et sans laquelle j’aurais fait partie des gens bien portants. Je ne peux pas la blairer. Elle le sait. Connasse.
Crizette, alias l’épilepsie ; Eric, alias le Criseux, ainsi que Mome, alias maconscience… Voici un trio de choc.
Mon parcours s’étend, grosso modo, sur les quatre dernières décennies du vingtième siècle, pour prendrefin en 2001, cependant, pour donner plusdevieàcetémoignage, jelaisse de côté le passé et parle au présent.
Qui pourrait deviner que les épileptiques et les amoureux ont le même saint patron,lui-même atteint par cette maladie ?... Saint-Valentin !
Vingt siècles avant J.C., une tablette babylonienne mentionne et décrit l’épilepsie. Intrigante et effrayante, elle fut longtemps considérée comme ayant un caractère surnaturel et une origine spirituelle.
Cinq siècles avant J.C., les Grecs la surnomment « La maladie sacrée », et durant le Moyen Âge, les lieux où s’était rendu Saint-Valentin sont devenus des lieux de pèlerinage où l’on se rendait pour guérir de ce mal.
Durant 2000 ans, l’incompréhension et la crainte prévalent, entraînant souvent un rejet des malades, traités comme des parias. Pourtant, l’Histoire compte de très célèbresépileptiques : Jules César, Dostoïevski, Van Gogh, Molière ou Napoléon Bonaparte.
Ma vie de Criseux, au jour le jour, fut tellement empreinte d’une aura particulière, tellement empreinte de la maladie et de la médication qui lui correspondait, que je finissaispar ne plus être moi-même et, petit à petit, je devenais un zombie. Je ne dirai jamais assez l’immense bienfait que j’ai retiré de la psychanalyse que j’ai entreprise et qui m’a fait renaître semaine après semaine, mois après mois.
En lui tendant la main pour la première fois, j’étais à mille lieues de me douter que ce serait grâce à l’aide de ce médecin psychanalyste que je pourrais me réapproprier monhistoire, mavie, àcôtédelaquellejepassaiscomme passeun zombie – Jerépéterai souvent ce mot dezombie, tant ilest prochedemon ressentiet avecpeu desynonymes aussi évocateurs – Sans rien voir, sans rien dire, sans rien sentir, sans rien éprouver, sans rien apprécier, sans jouir decette viequi est lamienne et qui se trouvait sur le modepause depuis trop longtemps. Rétrospectivement, c’est un beau bout de chemin que j’ai parcouru à la découverte de moi-même et de Crizette, mon épilepsie. En écrivant, je rêvasse un court instant, lorsque soudainje m’aperçois, qu’aux yeux de certains, j’étais étiqueté et catalogué épileptique, alors que ce n’étaitqu’un–grand–voletdemapersonne.« Etcirculez,y arienàvoir. »…Maisinutilede chercher unmot de substitutionauquel onfait appel pour dédramatiser, commeonlefait avec technicien de surface pour dire balayeur, malentendant pour un sourd ou malvoyant pour un aveugle… À la rigueur, on pourrait inventer celui de malconnectant.
Quandcen’est pasl’un,c’est l’autre,voiciMomequi mecoupeégalementlaparole.
J’expliquai que j’avais consulté plusieurs professionnels avant de tomber sur le bon. Dès le premier entretien, j’ai su immédiatement que ce serait à lui que je me confirais et avec lequel je voulais faire un travail d’introspection. Spécialisé dans l’épilepsie infantile, il pensait que c’était pour cette raison que j’avais pris rendez-vous, mais en fait, non. À ma demande,une personne psychothérapeute m’avait suggéré deux ou trois adresses dont celle de ce psychanalyste. Je voulais avoir à faire à un analyste, et non pas à un psychothérapeute, car ceux que j’avais consultés m’avaient déçu et je voulais me livrer à quelqu’un d’autre. Souvent, le patient pousse la portedu cabinet d’unpsy persuadé que le professionnel saura à sa place et pourralui donner les clésd’un mieux-être. Tandisque trop depsychothérapeutes guident leurs patients, le psychanalyste, dans une thérapie analytique, doit faire le mort, analyser letransfert, sans trop intervenir dans le contenu, avec peu d’intervention sur la parole du sujet. Pour dire plus simplement encore, c’était un objet. Même si cela paraît choquant, il faut comprendre ce mot dans le sens d’instrument de guérison. Si l’analyse est bien menée, ce sera au patient de faire la majeure partie du travail, celui de l’analyste restant invisible. Celui-là constatera que le professionnel ne répondra pas verbalement à ses questions, sauf par cette phrase typique d’une psychanalyse : « Et vous, qu’en pensez-vous ? » Ainsi, le patient sera incitéàapprofondirsaréflexion poury apporterlui-mêmeun début deréponse. Il comprendra que même les moments de silence sont constructifs. Pour être plus explicite, un psychothérapeute est souvent trop bavard.
Me voici face à lui, pour la première fois. Tout premier échange de regard avec le Docteur F.
J’ai toujours été trop poli. Me voici dans l’antre de l’inconnu à qui j’allais donner ma confiance, ce qui n’est pas rien.
Leregard franc de cet homme aux yeux clairs, son âge peut-être, sa bonhomie ou plutôt son allant m’ont plu d’emblée. Le fait qu’il se soit montré emphatique et ne m’ait pas ennuyé avec mon traitement m’avait empli de courage. Je ne savais pas encore que j’étais une boule de Peursss, avec un P majuscule et tout plein de s à la fin.
Heureusement que je n’avais pas regardé sa plaque de médecin avant la première entrevue,car ce médecin est psychanalyste et psychiatre. Sinon, je serais parti en courant,sans même le rencontrer. Psychiatre… tout, mais pas ça. Pas de « Vol au-dessus d’un nid de coucou »2… À cause des cachets.
J’avais l’impression que les médecins psychiatres pensaient avoir à faire à de vulgaires cobayes, des cochons d’Inde, et donnaient des putains de cachetons à des cochons. Des médicaments, dont le célèbre Gardénal, que j’ingurgitais matin, midi et soir depuis l’âge de six ans. Le service marketing dechez Rhône-Poulenc à larecherche d’unnom pour leur nouvelle molécule – révolutionnaire à l’époque – avait préconisé de garder « nal », terminaison commercialement bien perçue par le public et les patients. J’avais tant lutté pendant vingt ans pour me débarrasser de ces saloperies de Gardénal, Orténal3, Zarontin, Trimetadione et autres Depakine,GammaVynilGabba,etAlepsal,quejenepouvaisplusimagineravalerunseul médicament. Impossible donc de consulter un psychiatre et d’ingurgiter des molécules chimiques. Le pire, c’était que les médecins me disaient que ce serait ainsi, et pour la vie. « Mais ne vous en faites pas, Eric… la science progresse chaque jour davantage et de façon exponentielle. »
Dans la quiétude et la simplicité du cabinet de mon psy, j’ai raconté mon mal-être,mon mal à dire, ma maladie. Tandis que je m’installais confortablement dans la trentaine, ce dernier faisait de même dans la décennie supérieure. Les premières rencontres eurent lieu en face à face, le temps pour lui d’évaluer le bien-fondé de ma requête et d’estimer mes chances d’une amélioration – pas guérison – possible. Je me suis lancé :
Je démarrais notre relation de confiance par un fieffé mensonge, car je n’ai pas eu le cran de lui avouer que mes rapports sexuels traînaient en longueur, car tout était lié, même si c’étaient les crises qui étaient la cause de tout.
Je rassemblai mes idées, tournai sept fois ma langue dans ma bouche, puis me lançai, sachant que le ridicule ne tuait pas quand on était chez le psy.
Cet homme était rassurant. Avec lui, il était possible de parler de sentiments, sans pudeur, sans protection, sans crainte d’employer certains mots et sans états d’âme dangereux. Quel contraste avec mon père qui ne pouvait pas ou n’osait pas ! Je lui rapportai au mieux les paroles de ma mère.
Puiselle se confia.
Cela se passa en plein cœur de l’hiver 1954, l’un des plus rigoureux du siècle. Tandis que l’abbé Pierre lançait son appel à la solidarité pour les sans-abri de Paris, une couche de neigeimpressionnanterecouvrait leHaut-Juraoù lanuittombait tôtenfévrier. Monpèreétant parti quelques jours pour son travail, ma mère était seule dans l’immense maison familiale. Mon frère de trois ans avait tant de fièvre qu’une infirmière devait passer toutes les quatre heures afin de lui faire une piqûre, suite à une pneumonie. À minuit passé, la personnechargée de ses soins étant en retard, ma mère se sentit subitement perdue dans cette grande demeure, impuissante et affolée par le fait d’être la seule personne responsable de la maisonnée. Elle devait rester éveillée afin d’entendre la sonnette de la porte d’entrée. Surtout ne pas dormir… Surtout pas. Tout d’un coup, plus qu’affolée,elle paniqua, prise d’uneindicible peur, une peur panique. Une peur comme on n’en souhaite à personne. Si la terreur estbienunsentimentplusfortquelapeurpanique,plusfortquetoutetirraisonnable,cefut bien unsentimentde terreur qu’elle euttout àcoup. Mamèrepensa àmonfrèrefiévreux, puis à moi qui devais naître dans trois moisà peine. Elle sentit lamortrôder puis prialeciel en ces termes: « Mon Dieu, faites que le petit garçon que je connais vive… Tant pis si je dois perdre celui que j’attends. »
Lorsqu’une séance était chargée en émotion affleurant la surface de ma conscience, et si elle était reconnue et considérée comme telle par mon Analyste, le mot fin était souvent le prochain, sans qu’il fût obligatoirement en stricte concordance avec la montre. Sans doute souhaitait-il que je termine sur une note qui laissait matière à élaboration à mon inconscient, comme si je rentrais chez moi avec des devoirs à faire.
Si je suis fatigué après chaque séance c’est que mon analyste est bon, concluant ses consultations par un travail à faire à la maison. C’est une particularité de l’analyse que de laisser les patients avec, dans leur esprit, consciemment semé par l’analyste dans l’inconscient de son patient, des choses, des points de détails importants, bien que banals, des signifiants qui vont poursuivre leur travail une fois ce dernier hors du divan. Je fatiguais donc de tout un travail psychique qui s’élaborait sans que je m’en aperçoive vraiment. Les séances les plus productives ne sont pas forcément les plus longues. Lorsque mon analyste repère quelque chose d’important, pour le pointer du doigt, il m’annonce la fin de la séance. Une des plus courtes fut celle durant laquelle je lui parlais de moi à la première personne du pluriel en disant sans cesse « on ». Il m’apostrophe alors en disant : « on, on, on, on… On arrête là. »
Cependant,j’avaissibienentêtelesdeuxchosesquejevoulaisluidire,l’aveudema mère puis le témoignage deMarieCardinal,quej’insiste.
À mon avis, et bien que ce fut sans importance, ce devait être une autre séance, car je notai avecintérêtetenvie, laqualitédesoncostume. Coupedéstructuréeàsouhait,tissudoux, soyeux, flottant comme seul peut en procurer l’alpaga, même si les microfibres actuelles s’en approchent. Bref, Le « Costard », la griffe d’un boss de la Haute Couture, avec jeu de mots. La beauté de son vêtement m’avait tant marqué que je l’avais en tête lorsque cinq années plustard, j’étais en train de choisir le costume de mon second mariage. Je me lançai ;
Vousleconnaissez?
Ainsi se sont déroulées les séances durant un trimestre, avant que j’obtienne une promotion en passant en position allongée, sur le divan, à ne pas confondre avec une promotion canapé. Le face-à-face avec mon analyste allait bientôt prendre fin.
Ilétaitlogiquequ’ilnepuisserienmepromettre.Cependantj’étaispersuadé,àl’instar dubouquinquej’avaisdévoré,quej’étaissurlebonchemin,etcela m’encouragea.
En sortant de son cabinet, je m’étais dit que j’avais de la chance de rencontrer un tel psy dans ma ville et à deux pas de chez moi, de surcroît.
De visite en visite, je me découvrais, je me retrouvais, je me désinhibais. Plus je parlaiset moins je me refermais sur mon petit monde. Pour l’instant, mes crises ne changèrent pasd’un pouce. Le principe de l’analyse était de dire ce à quoi la pensée pensait au moment oùl’on pensait, sans jamais tourner salangue dans labouche. Selonmon psy, il était impératif de venir à chaque séance sans rien avoir préparé. Pour progresser, c’était très dur, car tout devait être dit, sans rienfiltrer, sans retenue, sans tabou, sans choisir tel ou tel sujet, car tout avait de l’importance.
Après s’être raclé la gorge, telle une manière de dire « lancez-vous », il me posa une question. Pas n’importe quelle question. Au hit-parade des questions, elle se trouvait au top.
— Jepenseà ma mère etàdeuxaveuxqu’ellem’a faits.
Silence de quelques secondes. Le temps pour mon Psy d’apprécier à quel point j’aurais ou non, le désir de rebondir sur son « C’est possible ». Voyant que tel n’est pas le cas, il conclut :
Quelques jours plus tard, c’était avec une certaine impatience que je regardai ma montre. J’étais pressé de retourner chez mon Psy. Humeur très bonne. Une jolie jeune femme blonde se trouvait déjà dans la salle d’attente lorsque je m’y installai. Je lui donnai vingt-quatre ans etne metrompai pas beaucoup,car elleen avait vingt-six etmoi trente-cinq. Mome m’interpella ; etsi elleétait libre?Mêmesi elleest foldingotte,tuvastedépêcherdeladrag…
Mome avait raison et j’étais d’accord avec lui. Sans réfléchir – c’était ma marque de fabrique – je m’adressai à la jeune femme :
Sur cet échange en pensées entre Môme et Eric, mon analyste entra dans la salle d’attente avant de m’accueillir dans son cabinet.
Je me retrouve sur le divan qui est recouvert de trois ou quatre tapis, et m’y allonge de tout de mon long. Bien que mon champ de vision soit large, il m’est impossible de voir mon analyste, lequel se trouve en retrait.
Les séances sont réglées comme du papier à musique, interrompues uniquement lors des vacances, jours fériés ou autres évènementsexceptionnels. Je suis de nouveau sur cedivan qui, séance après séance, me devient familier. De ma main gauche, je touche le bord inférieur du cadre en bois d’un tableau qui représente une mère et son enfant. Je me dis qu’ils devraient tousdeux s’inscrireau Weight-Watcher. Mon geste, bienquebanal et anodin, est de l’ordre de l’agir et non du parler. D’où le « oui ?» incitatif de mon Psy. Il aurait dit « Dites quelque chose, au lieu de faire quelque chose. », que cela aurait été pareil.
Cen’est paslapeinedelelui dire…Tusais,tout n’est pasforcément intéressant pourlui.
Mespenséesse bousculent. Le pouretle contre secontredisent sanscesse, provoquant une valse-hésitation agaçante. Je ne lui réponds pas immédiatement, car Môme me coupe la pensée. Cependant, vu que cet homme a dit de tout dire, sans rien filtrer, sans rien soustraireet sansjuger de ce qui est important ou futile, je serai honnête enverslui et enversmoi. Il veut du brut de pommes et je ne veux rien lui cacher. Je m’apprête à lui répondre lorsqu’il réitèresa question.
J’explique à mon analyste que cette peur me visse le ventre, me remonte et me tend comme le ressort d’un jouet mécanique. Toutes proportions gardées, je crois n’avoir jamais couru aussi vite. Je me mets donc à courir, alors que je marchais paisiblement autour dubassin et ses poissons. Mais lorsque je me retourne, je m’aperçois que je n’ai pas semé lefélin. Moi qui pensais être très rapide à la course à pied, une peur panique s’empare de moi tout à coup. Je comprendsqu’il fautque jemette leturbo,maisj’ai déjà atteint meslimites. Au fond de moi, je sais bien que je ne pourrai guère faire mieux. « Mon Dieu… Maman, Maman… Mon Dieu, je vais me faire manger. Au secours, cette bestiole va me bouffer ! Elle s’apprête à me dévorer. »Tandis qu’à deux pas du bassin où la panique m’étreint tout en me donnant des ailes, les adultes, dont mes parents, sont en train de se fendre la poire en voyantce gentilminoucouriraprèsmoncamiondebois,comme s’ilcouraitaprèsunepelote delaine.
Je lui réponds que je n’ai reçu aucune aide, aucun secours ni eu aucune considération pour mon ressenti, ce qui n’est guère plaisant. Oui, comme il dit, mes parents minimisent ma peur et n’ont pas su reconnaître l’angoisse terrifiante qui me noue le ventre. Ils n’ont pas conscience de ce qui me fait courir de plus en plus vite, jusqu’à ce que je me rende compte que, de toute façon, le monstre est plus rapide que moi. Ils ne sont pas branchés sur le mode danger et ne peuvent pas voir que je suis à la merci du monstre. Peut-être existe-t-il une autre hypothèse.Mesparents,ayant reconnumapeur,sesontdit en chœur:«Tiens tiens…Voyons voir comment il va se débrouiller ? Ne bougeons pas ! » Interrogation. Attente. Non-assistance à personne en danger pour la simple raison, qu’à leurs yeux, il n’y avait pas danger. À quatreans, je nepeux pas savoir quejenerisque rien, si bienque je sens madernièreheure arrivée. Mes parents ne voulant pas faire l’économie d’une bonne rigolade, ne m’ont pas épargné une grosse frayeur.
Froissements d’habits. Mon psy se recale dans son fauteuil. Je suis content. Je pense qu’il m’a bien écouté. Cet épisode de ma vie est important à mes yeux.
J’aimeraismeretourner versmonpsy pour pouvoir leregarderdanslesyeux et lui dire quelque chose d’important. Selon la règle établie, je ne bouge pas et m’adresse à lui, mon regard se portant ailleurs. Je lui explique que mes peurs d’être anéanti et détruit proviennent souvent d’une surprise. Surprise qui peut être faible ou simplement émouvante, presque anodine, tel un cadeau offert. Si j’avais été une femme, j’aurais fait une crise d’épilepsie