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L'Essai sur le don de
Marcel Mauss, publié en 1925, est un texte majeur de la sociologie et de l'anthropologie. Dans cet ouvrage, Mauss explore le concept de don dans différentes sociétés traditionnelles à travers le monde, en mettant en évidence les différentes formes de don, les obligations sociales qui en découlent, ainsi que les conséquences du refus ou de l'acceptation du don.
Marcel Mauss (1872-1950) était un sociologue et anthropologue français, considéré comme l'un des fondateurs de l'anthropologie française. Il est surtout connu pour son travail sur le don et l'échange dans les sociétés traditionnelles.
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The sky is the limit
Épigraphe
Programme
CHAPITRE I
PRESTATION TOTALE, BIENS UTÉRINS CONTRE BIENS MASCULINS (SAMOA)
L'ESPRIT DE LA CHOSE DONNÉE (MAORI)
AUTRES THÈMES : L'OBLIGATION DE DONNER L'OBLIGATION DE RECEVOIR
REMARQUE
CHAPITRE II
RÈGLES DE LA GÉNÉROSITÉ. ANDAMANS
PRINCIPES, RAISONS ET INTENSITÉ DES ÉCHANGES DE DONS (MÉLANÉSIE)
AUTRES SOCIÉTÉS MÉLANÉSIENNES
NORD-OUEST AMÉRICAIN L'HONNEUR ET LE CRÉDIT
LES TROIS OBLIGATIONS : DONNER, RECEVOIR, RENDRE
LA FORCE DES CHOSES
LA « MONNAIE DE RENOMMÉE»
PREMIÈRE CONCLUSION
CHAPITRE III
DROIT PERSONNEL ET DROIT RÉEL (DROIT ROMAIN TRÈS ANCIEN)
SCOLIE
AUTRES DROITS INDO-EUROPÉENS
DROIT HINDOU CLASSIQUE THÉORIE DU DON
DROIT GERMANIQUE (LE CAGE ET LE DON)
DROIT CELTIQUE
DROIT CHINOIS
CHAPITRE IV
CONCLUSIONS DE MORALE
CONCLUSIONS DE SOCIOLOGIE ÉCONOMIQUE ET D'ÉCONOMIE POLITIQUE
CONCLUSION DE SOCIOLOGIE GÉNÉRALE ET DE MORALE
Voici quelques strophes de l'Havamál, l'un des vieux poèmes de l'Edda scandinave [1]. Elles peuvent servir d'épigraphe à ce travail, tant elles mettent directement le lecteur dans l'atmosphère d'idées et de faits où va se mouvoir notre démonstration [2] .
39 Je n'ai jamais trouvé d'homme si généreux
et si large à nourrir ses hôtes
que « recevoir ne fût pas reçu »,
ni d'homme si... (l'adjectif manque)
de son bien
que recevoir en retour lui fût désagréable [3].
41 Avec des armes et des vêtements
les amis doivent se faire plaisir;
chacun le sait de par lui-même (par ses propres expériences)
Ceux qui se rendent mutuellement les cadeaux
sont le plus longtemps amis,
si les choses réussissent à prendre bonne tournure.
112 On doit être un ami
pour son ami
et rendre cadeau pour cadeau
on doit avoir
rire pour rire
et dol pour mensonge.
44 Tu le sais, si tu as un ami
en qui tu as confiance
et si tu veux obtenir un bon résultat,
il faut mêler ton âme à la sienne
et échanger les cadeaux
et lui rendre souvent visite.
lit, Mais si tu en as un autre
de qui tu te défies
et si tu veux arriver à un bon résultat,
il faut lui dire de belles paroles
mais avoir des pensées fausses
et rendre dol pour mensonge.
46 Il en est ainsi de celui
en qui tu n'as pas confiance
et dont tu suspectes les sentiments,
il faut lui sourire
mais parler contre cœur
les cadeaux rendus doivent être semblables aux cadeaux reçus.
48 Les hommes généreux et valeureux
ont la meilleure vie ;
ils n'ont point de crainte.
Mais un poltron a peur de tout;
l'avare a toujours peur des cadeaux.
M. Cahen nous signale aussi la strophe 145:
145 Il vaut mieux ne pas prier (demander)
que de sacrifier trop (aux dieux):
Un cadeau donné attend toujours un cadeau en retour.
Il vaut mieux ne pas apporter d'offrande
que d'en dépenser trop.
Il nous semble même que l'on peut démêler dans ces strophes une partie plus ancienne. La structure de toutes est la même, curieuse et claire. Dans chacune un centon juridique forme centre : « que recevoir ne soit pas reçu » (39), « ceux qui se rendent les cadeaux sont amis » (41), « rendre cadeaux pour cadeaux » (42), « il faut mêler ton âme à la sienne et échanger les cadeaux » (44), « l'avare a toujours peur des cadeaux » (48), « un cadeau donné attend toujours un cadeau en retour » (145), etc. C'est une véritable collection de dictons. Ce proverbe ou règle est entouré d'un commentaire qui le développe. Nous avons donc affaire ici non seulement à une très ancienne forme de droit, mais même à une très ancienne forme de littérature.
On voit le sujet. Dans la civilisation scandinave et dans bon nombre d'autres, les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux, en théorie volontaires, en réalité obligatoirement faits et rendus.
Ce travail est un fragment d'études plus vastes. Depuis des années, notre attention se porte à la fois sur le régime du droit contractuel et sur le système des prestations économiques entre les diverses sections ou sous-groupes dont se composent les sociétés dites primitives et aussi celles que nous pourrions dire archaïques. Il y a là tout un énorme ensemble de faits. Et ils sont eux-mêmes très complexes. Tout s'y mêle, tout ce qui constitue la vie proprement sociale des sociétés qui ont précédé les nôtres - jusqu'à celles de la protohistoire. - Dans ces phénomènes sociaux « totaux », comme nous proposons de les appeler, s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ; économiques - et celles-ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions.
De tous ces thèmes très complexes et de cette multiplicité de choses sociales en mouvement, nous voulons ici ne considérer qu'un des traits, profond mais isolé : le caractère volontaire, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations. Elles ont revêtu presque toujours la forme du présent, du cadeau offert généreusement même quand, dans ce geste qui accompagne la transaction, il n'y a que fiction, formalisme et mensonge social, et quand il y a, au fond, obligation et intérêt économique. Même, quoique nous indiquerons avec précision tous les divers principes qui ont donné cet aspect à une forme nécessaire de l'échange - c'est-à-dire, de la division du travail social elle-même - de tous ces principes, nous n'en étudions à fond qu'un. Quelle est la règle de droit et d'intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rend ? Voilà le problème auquel nous nous attachons plus spécialement tout en indiquant les autres. Nous espérons donner, par un assez grand nombre de faits, une réponse à cette question précise et montrer dans quelle direction on peut engager toute une étude des questions connexes. On verra aussi à quels problèmes nouveaux nous sommes amenés : les uns concernant une forme permanente de la morale contractuelle, à savoir : la façon dont le droit réel reste encore de nos jours attaché au droit personnel ; les autres concernant les formes et les idées qui ont toujours présidé, au moins en partie, à l'échange et qui, encore maintenant, suppléent en partie la notion d'intérêt individuel.
Ainsi, nous atteindrons un double but. D'une part, nous arriverons à des conclusions en quelque sorte archéologiques sur la nature des transactions humaines dans les sociétés qui nous entourent ou nous ont immédiatement précédés. Nous décrirons les phénomènes d'échange et de contrat dans ces sociétés qui sont non pas privées de marchés économiques comme on l'a prétendu, - car le marché est un phénomène humain qui selon nous n'est étranger à aucune société connue, - mais dont le régime d'échange est différent du nôtre. On y verra le marché avant l'institution des marchands et avant leur principale invention, la monnaie proprement dite ; comment il fonctionnait avant qu'eussent été trouvées les formes, on peut dire-modernes (sémitique, hellénique, hellénistique et romaine) du contrat et de la vente d'une part, la monnaie titrée d'autre part. Nous verrons la morale et l'économie qui agissent dans ces transactions.
Et comme nous constaterons que cette morale et cette économie fonctionnent encore dans nos sociétés de façon constante et pour ainsi dire sous-jacente, comme nous croyons avoir ici trouvé un des rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés, nous pourrons en déduire quelques conclusions morales sur quelques problèmes que posent la crise de notre droit et la crise de notre économie et nous nous arrêterons là. Cette page d'histoire sociale, de sociologie théorique, de conclusions de morale, de pratique politique et économique, ne nous mène, au fond, qu'à poser une fois de plus, sous de nouvelles formes, de vieilles mais toujours nouvelles questions [1].
Méthode suivie
Nous avons suivi une méthode de comparaison précise. D'abord, comme toujours, nous n'avons étudié notre sujet que dans des aires déterminées et choisies : Polynésie, Mélanésie, Nord-Ouest américain, et quelques grands droits. Ensuite, naturellement, nous n'avons choisi que des droits où, grâce aux documents et au travail philologique, nous avions accès à la conscience des sociétés elles-mêmes, car il s'agit ici de termes et de notions ; ceci restreignait encore le champ de nos comparaisons. Enfin chaque étude a porté sur des systèmes que nous nous sommes astreint à décrire, chacun à la suite, dans son intégrité ; nous avons donc renoncé à cette comparaison constante où tout se mêle et où les institutions perdent toute couleur locale, et les documents leur saveur [2].
Prestation. Don et potlatch
Le présent travail fait partie de la série de recherches que nous poursuivons depuis longtemps, M. Davy et moi, sur les formes archaïques du contrat [3]. Un résumé de celles-ci est nécessaire.
Il ne semble pas qu'il ait jamais existé, ni jusqu'à une époque assez rapprochée de nous, ni dans les sociétés qu'on confond fort mal sous le nom de primitives ou inférieures, rien qui ressemblât à ce qu'on appelle l'Économie naturelle [4]. Par une étrange mais classique aberration, on choisissait même pour donner le type de cette économie les textes de Cook concernant l'échange et le troc chez les Polynésiens [5]. Or, ce sont ces mêmes Polynésiens que nous allons étudier ici et dont on verra combien ils sont éloignés, en matière de droit et d'économie, de l'état de nature.
Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus. D'abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent [6] les personnes présentes au contrat sont des personnes morales clans, tribus, familles, qui s'affrontent et s'opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois [7]. De plus, ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes d'un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. Enfin, ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu'elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique. Nous avons proposé d'appeler tout ceci le système des prestations totales. Le type le plus pur de ces institutions nous parait être représenté par l'alliance des deux phratries dans les tribus australiennes ou nord-américaines en général, où les rites, les mariages, la succession aux biens, les liens de droit et d'intérêt, rangs militaires et sacerdotaux, tout est complémentaire et suppose la collaboration des deux moitiés de la tribu. Par exemple, les jeux sont tout particulièrement régis par elles [8]. Les Tlinkit et les Haïda, deux tribus du nord-ouest américain expriment fortement la nature de ces pratiques en disant que « les deux phratries se montrent respect [9] ».
Mais, dans ces deux dernières tribus du nord-ouest américain et dans toute cette région apparaît une forme typique certes, mais évoluée et relativement rare, de ces prestations totales. Nous avons proposé de l'appeler pollatch, comme font d'ailleurs les auteurs américains se servant du nom chinook devenu partie du langage courant des Blancs et des Indiens de Vancouver à l'Alaska. « Potlatch » veut dire essentiellement « nourrir », « consommer » [10]. Ces tribus, fort riches, qui vivent dans les îles ou sur la côte ou entre les Rocheuses et la côte, passent leur hiver dans une perpétuelle fête : banquets, foires et marchés, qui sont en même temps l'assemblée solennelle de la tribu. Celle-ci y est rangée suivant ses confréries hiérarchiques, ses sociétés secrètes, souvent confondues avec les premières et avec les clans ; et tout, clans, mariages, initiations, séances de shamanisme et du culte des grands dieux, des totems ou des ancêtres collectifs ou individuels du clan, tout se mêle en un inextricable lacis de rites, de prestations juridiques et économiques, de fixations de rangs politiques dans la société des hommes, dans la tribu et dans les confédérations de tribus et même internationalement [11]. Mais ce qui est remarquable dans ces tribus, c'est le principe de la rivalité et de l'antagonisme qui domine toutes ces pratiques. On y va jusqu'à la bataille, jusqu'à la mise à mort des chefs et nobles qui s'affrontent ainsi. On y va d'autre part jusqu'à la destruction purement somptuaire [12] des richesses accumulées pour éclipser le chef rival en même temps qu'associé (d'ordinaire grand-père, beau-père ou gendre). Il y a prestation totale en ce sens que c'est bien tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu'il possède et pour tout ce qu'il fait, par l'intermédiaire de son chef [13]. Mais cette prestation revêt de la part du chef une allure agonistique très marquée. Elle est essentiellement usuraire et somptuaire et l'on assiste avant tout à une lutte des nobles pour assurer entre eux une hiérarchie dont ultérieurement profite leur clan.
Nous proposons de réserver le nom de potlatch à ce genre d'institution que l'on pourrait, avec moins de danger et plus de précision, mais aussi plus longuement, appeler : prestations totales de type agonistique.
Jusqu'ici nous n'avions guère trouvé d'exemples de cette institution que dans les tribus du nord-ouest américain et dans celles d'une partie du nord américain [14], en Mélanésie et en Papouasie [15]. Partout ailleurs, en Afrique, en Polynésie et en Malaisie, en Amérique du Sud, dans le reste de l'Amérique du Nord, le fondement des échanges entre les clans et les familles, nous semblait rester du type plus élémentaire de la prestation totale. Cependant, des recherches plus approfondies font apparaître maintenant un nombre assez considérable de formes intermédiaires entre ces échanges à rivalité exaspérée, à destruction de richesses comme ceux du nord-ouest américain et de Mélanésie, et d'autres, à émulation plus modérée où les contractants rivalisent de cadeaux : ainsi nous rivalisons dans nos étrennes, nos festins, nos noces, dans nos simples invitations et nous nous sentons encore obligés à nous revanchieren [16], comme disent les Allemands. Nous avons constaté de ces formes intermédiaires dans le monde indo-européen antique, en particulier chez les Thraces [17].
Divers thèmes - règles et idées - sont contenus dans ce type de droit et d'économie. Le plus important, parmi ces mécanismes spirituels, est évidemment celui qui oblige à rendre le présent reçu. Or, nulle part la raison morale et religieuse de cette contrainte n'est plus apparente qu'en Polynésie. Étudions-la particulièrement, nous verrons clairement quelle force pousse à rendre une chose reçue, et en général à exécuter les contrats réels.
Mais pour le droit anglo-saxon, le fait que nous allons mettre en lumière a été fort bien senti par POLLOCK and MAITLAND, History of English Law, tome II, p. 82 : « The wide word gift, which will cover sale, exchange, gage and lease. » Cf. ibid., p. 12; ibid., pp. 212-214 : « Il n'y a pas de don gratuit qui tienne force de loi. »
Voir aussi toute la dissertation de Neubecker, à propos de la dot germanique, Die Mitgift, 1909, p. 65 sq.
Dans ces recherches sur l'extension du système des dons contractuels, il a semblé longtemps qu'il n'y avait pas de potlatch proprement dit en Polynésie. Les sociétés polynésiennes où les institutions s'en rapprochaient le plus ne semblaient pas dépasser le système des « prestations totales », des contrats perpétuels entre clans mettant en commun leurs femmes, leurs hommes, leurs enfants, leurs rites, etc. Les faits que nous avons étudiés alors, en particulier à Samoa, le remarquable usage des échanges de nattes blasonnées entre chefs lors du mariage, ne nous paraissaient pas au-dessus de ce niveau [1]. L'élément de rivalité, celui de destruction, de combat, paraissaient manquer, tandis qu'il ne manque pas en Mélanésie. Enfin il y avait trop peu de faits. Nous serions moins critique maintenant.
D'abord ce système de cadeaux contractuels à Samoa s'étend bien au-delà du mariage ; ils accompagnent les événements suivants : naissance d'enfant [2], circoncision [3], maladie [4], puberté de la fille [5], rites funéraires [6], commerce [7]. Ensuite deux éléments essentiels du potlatch proprement dit sont nettement attestés : celui de l'honneur, du prestige, du « mana » que confère la richesse [8], et celui de l'obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre ce « mana », cette autorité, ce talisman et cette source de richesse qu'est l'autorité elle-même [9].
D'une part, Turner nous le dit : « Après les fêtes de la naissance, après avoir reçu et rendu les oloa et les tonga - autrement dit les biens masculins et les biens féminins - le mari et la femme n'en sortaient pas plus riches qu'avant. Mais ils avaient la satisfaction d'avoir vu ce qu'ils considéraient comme un grand honneur : des masses de propriétés rassemblées à l'occasion de la naissance de leur fils [10]. » D'autre part, ces dons peuvent être obligatoires, permanents, sans autre contre-prestation que l'état de droit qui les entraîne. Ainsi, l'enfant, que la sœur, et par conséquent le beau-frère, oncle utérin, reçoivent pour l'élever de leur frère et beau-frère, est lui-même appelé un tonga, un bien utérin [11]. Or, il est « le canal par lequel les biens de nature indigène [12], les tonga, continuent à couler de la famille de l'enfant vers cette famille. D'autre part, l'enfant est le moyen pour ses parents d'obtenir des biens de nature étrangère (oloa) des parents qui l'ont adopté, et cela tout le temps que l'enfant vit ». « ... Ce sacrifice [des liens naturels crée une] facilité systématique de trafic entre propriétés indigènes et étrangères. » En somme, l'enfant, bien utérin, est le moyen par lequel les biens de la famille utérine s'échangent contre ceux de la famille masculine. Et il suffit de constater que, vivant chez son oncle utérin, il a évidemment un droit d'y vivre, et par conséquent un droit général sur ses propriétés, pour que ce système de « fosterage » apparaisse comme fort voisin du droit général reconnu au neveu utérin sur les propriétés de son oncle en pays mélanésien [13]. Il ne manque que le thème de la rivalité, du combat, de la destruction, pour qu'il y ait potlatch.
Mais remarquons les deux termes : o loa, tonga ; ou plutôt retenons le deuxième. Ils désignent l'un des parapharnalia permanents, en particulier les nattes de mariage [14], dont héritent les filles issues du dit mariage, les décorations, les talismans, qui entrent par la femme dans la famille nouvellement fondée, à charge de retour [15] ; ce sont en somme des sortes d'immeubles par destination. Les oloa [16]désignent en somme des objets, instruments pour la plupart, qui sont spécifiquement ceux du mari ; ce sont essentiellement des meubles. Aussi applique-t-on ce terme maintenant aux choses provenant des blancs [17]. C'est évidemment une extension récente de sens. Et nous pouvons négliger cette traduction de Turner : « Oloa-foreign » ; « tonga-native ». Elle est inexacte et insuffisante sinon sans intérêt, car elle prouve que certaines propriétés appelées tonga sont plus attachées au sol [18], au clan, à la famille et à la personne que certaines autres appelées oloa.