Étude sur Shakspeare - François Guizot - E-Book

Étude sur Shakspeare E-Book

François Guizot

0,0
1,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Dans son livre intitulé " Étude sur Shakspeare ", François Guizot offre une analyse approfondie des œuvres du célèbre dramaturge anglais. L'ouvrage explore non seulement les thèmes universels présents dans les pièces de Shakespeare, mais aussi la pertinence de son travail dans le contexte littéraire de son époque. Guizot utilise un style d'écriture érudit qui met en lumière sa passion pour la littérature et sa profonde compréhension de l'œuvre de Shakespeare. Son analyse critique offre aux lecteurs une perspective unique sur l'importance et la signification des travaux de l'auteur anglais. François Guizot, un historien et homme d'État renommé, était connu pour sa fascination pour la littérature et la politique. Son expertise dans ces domaines l'a conduit à écrire cette étude approfondie sur Shakespeare, mettant en lumière son engagement envers la culture et la connaissance. Recommandé aux amateurs de littérature classique et d'études littéraires, cet ouvrage de Guizot offre une perspective unique sur l'œuvre de Shakespeare qui saura enrichir la compréhension de ses pièces intemporelles.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



François Guizot

Étude sur Shakspeare

 
EAN 8596547450085
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

La première de couverture
Page de titre
Texte

AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.

Lorsque M. Guizot, en 1821, publia chez M. Ladvocat les oeuvres complètes de Shakspeare traduites en français, M. Ladvocat expliqua dans une courte préface que la modestie seule du traducteur avait fait maintenir en tête de cette publication le nom de Letourneur, qui le premier avait tenté de faire connaître en France le théâtre de Shakspeare.

C'était bien une traduction nouvelle que M. Guizot publiait, en 1821, avec la collaboration de M. Amédée Pichot. Une grande Étude biographique et littéraire sur Shakspeare la précédait; trente-sept notices et de nombreuses notes accompagnaient les diverses pièces; une tragédie entière et deux poëmes, dont Letourneur n'avait rien donné, étaient ajoutés; tous les passages que Letourneur avait supprimés dans le corps des pièces étaient rétablis, et cela seul rendait à Shakspeare au moins deux volumes de ses oeuvres; mais surtout la traduction avait été entièrement revue et corrigée d'après le texte, et si le nom de Letourneur était maintenu sur le titre, son système d'interprétation était détruit presque à chaque ligne. Ses infidélités déclamatoires ou timides avaient disparu, pour faire place à une exactitude, à une simplicité, à une hardiesse qui changeaient du tout au tout la physionomie du style. Un grand pas était fait. Peut-être n'était-ce pas encore une traduction définitive, mais c'était déjà une traduction décisive, qui devançait les progrès de la critique et du goût, et qui devait mettre les lecteurs français en demeure de se prononcer sur Shakspeare tel qu'il est.

Cette traduction vient de subir une nouvelle révision, complète, minutieuse, et qui ôte au nom de Letourneur tout droit et même tout prétexte de figurer sur le titre.—Nous y ajoutons la collection complète des sonnets qui manquait à l'édition antérieure.

Maintenant que l'intelligence des littératures étrangères s'est répandue en France, maintenant que Shakspeare est familier à tous les esprits cultivés, un traducteur peut oser davantage et serrer le texte de plus près. Rien n'empêche aujourd'hui les traductions d'être aussi exactes qu'elles pourront jamais l'être; la tentation et le péril sont plutôt d'exagérer que d'atténuer les textes en les interprétant, et de faire des traductions pareilles à la photographie, qui grossit les traits saillants des visages qu'elle reproduit. On s'est efforcé d'éviter cette infidélité d'une nouvelle sorte, et de ne point faire un Shakspeare français plus anglais et plus shakspearien que le Shakspeare anglais lui-même.

DIDIER ET Cie

ÉTUDE SUR SHAKSPEARE

Table des matières

C'est Voltaire qui, le premier, a parlé en France du génie de Shakspeare, et bien qu'il le traitât de barbare, le public français trouva que Voltaire en avait trop dit. On eût cru commettre une sorte de profanation en appliquant, à des drames qu'on jugeait informes et grossiers, les mots de génie et de gloire.

Maintenant ce n'est plus de la gloire ni du génie de Shakspeare qu'il s'agit; personne ne les conteste; une plus grande question s'est élevée. On se demande si le système dramatique de Shakspeare ne vaut pas mieux que celui de Voltaire.

Je ne juge point cette question. Je dis qu'elle est posée et se débat aujourd'hui. Là nous a conduits le cours des idées. J'essayerai d'en indiquer les causes; je n'insiste en ce moment que sur le fait même, et pour en tirer une seule conséquence; c'est que la critique littéraire a changé de terrain et ne saurait demeurer dans les limites où elle se renfermait jadis.

La littérature n'échappe point aux révolutions de l'esprit humain; elle est contrainte de le suivre dans sa marche, de se transporter sous l'horizon où il se transporte, de s'élever et de s'étendre avec les idées qui le préoccupent, de considérer les questions qu'elle agite sous les aspects et dans les espaces nouveaux où les place le nouvel état de la pensée et de la société.

On ne s'étonnera donc pas si, pour connaître Shakspeare, j'éprouve le besoin de pénétrer un peu avant dans la nature de la poésie dramatique et dans la civilisation des peuples modernes, surtout de l'Angleterre. Si l'on n'aborde ces considérations générales, il est impossible le répondre aux idées, confuses peut-être, mais actives et pressantes, qu'un tel sujet fait naître maintenant dans tous les esprits.

Une représentation théâtrale est une fête populaire. Ainsi le veut la nature même de la poésie dramatique. Sa puissance repose sur les effets de la sympathie, de cette force mystérieuse qui fait que le rire naît du rire, que les larmes coulent à la vue des larmes, et qui, en dépit de la diversité des dispositions, des conditions, des caractères, confond dans une même impression les hommes réunis dans un même lieu, spectateurs d'un même fait. Pour de tels effets, il faut que la foule s'assemble: les idées et les sentiments qui passeraient languissamment d'un homme à un autre homme traversent, avec la rapidité de l'éclair, une multitude pressée, et c'est seulement au sein des masses que se déploie cette électricité morale dont le poëte dramatique fait éclater le pouvoir.

La poésie dramatique n'a donc pu naître qu'au milieu du peuple. Elle fut, en naissant, destinée à ses plaisirs; il prit même d'abord une part active à la fête; aux premiers chants de Thespis s'unissait le choeur des assistants.

Mais le peuple ne tarde pas à s'apercevoir que les plaisirs qu'il peut se donner lui-même ne sont ni les seuls, ni les plus vifs qu'il soit capable de goûter: pour les classes livrées au travail, le délassement semble la première et presque l'unique condition du plaisir; une suspension momentanée des efforts ou des privations de la vie habituelle, un accès de mouvement et de liberté, une abondance relative, c'est là tout ce que cherche le peuple dans les fêtes où il agit seul; ce sont là toutes les jouissances qu'il sait se procurer. Cependant ces hommes sont nés pour sentir des joies plus nobles et plus vives; en eux reposent des facultés que la monotonie de leur existence laisse s'endormir dans l'inaction: qu'une voix puissante les réveille; qu'un récit animé, un spectacle vivant viennent provoquer ces imaginations paresseuses, ces sensibilités engourdies, et elles se livreront à une activité qu'elles ne savaient pas se donner elles-mêmes, mais qu'elles recevront avec transport; et alors naîtront, sans le concours de la multitude, mais en sa présence et pour elle, de nouveaux jeux, de nouveaux plaisirs qui deviendront bientôt des besoins.

C'est à de telles fêtes que le poëte dramatique appelle le peuple assemblé. Il se charge de le divertir, mais d'un divertissement que le peuple ne connaîtrait pas sans lui. Eschyle retrace à ses concitoyens la victoire de Salamine, et aussi les inquiétudes d'Atossa et la douleur de Xerxès; il charme le peuple d'Athènes, mais en l'élevant à des émotions, à des idées qu'Eschyle seul peut exalter à ce point; il communique à cette multitude des impressions qu'elle est capable de ressentir, mais qu'Eschyle seul sait faire naître. Telle est la nature de la poésie dramatique; c'est pour le peuple qu'elle crée, c'est au peuple qu'elle s'adresse, mais pour l'ennoblir, pour étendre et vivifier son existence morale, pour lui révéler des facultés qu'il possède, mais qu'il ignore, pour lui procurer des jouissances qu'il saisit avidement, mais qu'il ne chercherait même pas si un art sublime ne les lui apprenait en les lui donnant.

Et il faut bien que le poëte dramatique poursuive cette oeuvre; il faut bien qu'il élève et civilise, pour ainsi dire, la foule qu'il appelle à ses fêtes: comment agir sur les hommes assemblés, sinon en s'adressant à ce qu'il y a de plus général, et de plus élevé dans leur nature? C'est seulement en sortant de la vie et des intérêts individuels que l'imagination s'exalte, que l'âme s'agrandit, que les plaisirs deviennent désintéressés et les affections généreuses, que les hommes peuvent se rencontrer dans ces émotions communes dont les transports font retentir le théâtre. Aussi la religion a-t-elle été partout la source et la matière primitive de l'art dramatique; il a célébré en naissant, chez les Grecs, les aventures de Bacchus, dans l'Europe moderne, les mystères du Christ. C'est que, de toutes les affections humaines, la piété est celle qui réunit le plus les hommes dans des sentiments communs, parce qu'il n'en est aucune qui les détache autant d'eux-mêmes; c'est aussi l'affection qui attend le moins, pour se développer, les progrès de la civilisation; elle est puissante et pure au sein de la société la moins avancée. Dès ses premiers pas, la poésie dramatique a invoqué la piété, parce que, de tous les sentiments auxquels elle pouvait s'adresser, celui-là était le plus noble et le plus universel.

Né ainsi au milieu du peuple et pour le peuple, mais appelé à l'élever en le charmant, l'art dramatique est bientôt devenu dans tous les siècles, dans tous les pays, et par ce caractère même de sa nature, le plaisir favori des classes supérieures.

C'était sa tendance; il y a trouvé aussi son plus dangereux écueil. Plus d'une fois, se laissant séduire à cette haute fortune, l'art dramatique a perdu ou compromis son énergie et sa liberté. Quand les classes supérieures peuvent se livrer pleinement à leur situation, elles ont ce tort ou ce malheur qu'elles s'isolent et cessent, pour ainsi dire, d'appartenir à la nature générale de l'homme, comme aux intérêts publics de la société. Les sentiments universels, les idées naturelles, les relations simples, qui sont le fond de l'humanité et de la vie, s'énervent et s'altèrent dans une condition sociale toute d'exception et de privilége. Les conventions y prennent la place des réalités; les moeurs y deviennent factices et faibles. La destinée humaine n'y est point connue sous ses traits les plus saillants et les plus généraux. Elle a mille aspects, elle amène une foule d'impressions et de rapports qu'ignorent les classes élevées si rien ne les contraint à rentrer fréquemment dans l'atmosphère publique. L'art dramatique, en se vouant à leurs plaisirs, voit ainsi se resserrer et s'appauvrir son domaine; une sorte de monotonie l'envahit; événements, passions, caractères, tous les trésors naturels qu'il exploite ne lui offrent plus la même originalité ni la même richesse. Son indépendance est en péril aussi bien que sa variété et son énergie. Les habitudes de la bonne compagnie ont leurs petitesses comme celles de la multitude, et elle est bien plus en mesure de les imposer comme des lois. Elle a des goûts plutôt que des besoins; elle porte rarement dans ses plaisirs cette disposition sérieuse et naïve qui s'abandonne avec transport aux impressions qu'elle reçoit, et bien souvent elle traite le génie comme un serviteur tenu de lui plaire, non comme un pouvoir capable de la dominer par les joies qu'il lui procure. Si le poëte dramatique n'a pas, dans le suffrage d'un public plus large et plus simple, de quoi se défendre contre les goûts hautains d'une coterie d'élite, s'il ne peut s'armer de l'approbation publique et prendre pour point d'appui les sentiments universels qu'il aura su remuer dans tous les coeurs, sa liberté est perdue; les caprices auxquels il aura voulu plaire pèseront comme une chaîne dont il ne pourra s'affranchir; le talent, fait pour commander à tous, se verra assujetti au petit nombre, et celui qui devrait diriger le goût des peuples deviendra l'esclave de la mode.

Telle est donc la nature de la poésie dramatique que, pour produire ses plus magiques effets, pour conserver en grandissant sa liberté comme sa richesse, elle a besoin de ne pas se séparer du peuple à qui elle s'est adressée d'abord. Elle languit si elle se détache du sol où elle a pris racine. Populaire en naissant, il faut qu'elle demeure nationale, qu'elle ne cesse pas de comprendre dans son domaine et de charmer dans ses fêtes toutes les classes capables de s'élever aux émotions où elle puise son pouvoir.

Tous les âges de la société, tous les états de la civilisation ne permettent pas également d'appeler le peuple au secours de la poésie dramatique, et de la faire fleurir sous son influence. Ce fut l'heureux sort de la Grèce que la nation tout entière grandit et se développa avec les lettres et les arts, toujours au niveau de leurs progrès et juge compétent de leur gloire. Ce même peuple d'Athènes, qui avait entouré le chariot de Thespis, s'empressa aux chefs-d'oeuvre de Sophocle et d'Euripide, et les plus beaux triomphes du génie furent toujours là des fêtes populaires. Une si brillante égalité morale n'a point présidé à la destinée des nations modernes; leur civilisation, se déployant sur une échelle beaucoup plus étendue, a subi bien plus de vicissitudes et offert bien moins d'unité. Pendant plus de dix siècles, rien dans notre Europe n'a été facile, général, ni simple. Religion, liberté, ordre public, littérature, rien ne s'est développé parmi nous qu'avec effort, au milieu de luttes sans cesse renaissantes, et sons les influences les plus diverses. Dans ce chaos immense et agité, la poésie dramatique n'a pas eu le privilège de parcourir une carrière aisée et rapide. Il ne lui a pas été donné de voir, presque en naissant, un public à la fois homogène et divers, grands et petits, riches et pauvres, toutes les classes de citoyens également avides et dignes de ses plus brillantes solennités. Ni les époques des grands désordres sociaux, ni celles des âpres besoins ne sont pour les masses le moment de s'adonner avec transport aux plaisirs de la scène. La littérature ne prospère que lorsque, intimement unie avec les goûts, les habitudes, toute la vie d'un peuple, elle est pour lui une occupation et une fête, un amusement et un besoin. La poésie dramatique dépend, plus que tout autre genre, de cette profonde et générale union des arts avec la société. Elle ne se contente point des tranquilles plaisirs d'une approbation éclairée; il lui faut de vifs élans et de la passion; elle ne va pas chercher les hommes dans le loisir et la retraite pour remplir des moments donnés au repos; elle veut qu'on accoure et se précipite autour d'elle. Un certain degré de développement et aussi de simplicité dans les esprits, une certaine communauté d'idées et de moeurs entre les diverses conditions sociales, plus d'ardeur que de fixité dans les imaginations, plus de mouvement dans les âmes que dans les existences, une activité morale vivement excitée, mais sans but impérieux et déterminé, de la liberté dans la pensée et du repos dans la vie; voilà les circonstances dont la poésie dramatique a besoin pour briller de tout son éclat. Elles ne se sont jamais réunies chez les peuples modernes aussi complètement ni dans une aussi belle harmonie que chez les Grecs. Mais partout où se sont rencontrés leurs principaux caractères, le théâtre s'est élevé; et ni les hommes de génie n'ont manqué au public, ni le public aux hommes de génie.

Le règne d'Elisabeth fut, en Angleterre, une de ces époques décisives, si laborieusement atteintes par les peuples modernes, qui terminent l'empire de la force et ouvrent celui des idées: époques originales et fécondes où les nations s'empressent aux fêtes de l'esprit comme à une jouissance nouvelle, et où la pensée se forme, dans les plaisirs de la jeunesse, aux fonctions qu'elle doit exercer dans un âge plus mûr.

À peine reposée des orages qu'avaient promenés sur son territoire les fortunes alternatives de la Rose rouge et de la Rose blanche, agitée, épuisée de nouveau par la capricieuse tyrannie de Henri VIII et la tyrannie haineuse de Marie, l'Angleterre ne demandait à Elisabeth, aux jours de son avènement, que l'ordre et la paix. C'était aussi ce qu'Elisabeth était le plus disposée à lui donner. Naturellement prudente et réservée, bien que hautaine, elle avait appris, dans les dures nécessités de sa jeunesse, à ne pas se compromettre. Sur le trône, elle maintint son indépendance en demandant peu à ses peuples, et mit sa politique à ne rien hasarder. La gloire militaire ne pouvait séduire une femme méfiante. La souveraineté des Pays-Bas, malgré les efforts des Hollandais pour la lui faire accepter, ne tenta point sa prévoyante ambition. Elle sut se résigner à ne pas recouvrer Calais, à ne pas conserver le Havre; et tous ses désirs de grandeur, comme tous les soins de son gouvernement, se concentrèrent dans les intérêts directs du pays dont elle avait à rétablir le repos et la prospérité.

Surpris d'un état si nouveau, les peuples en jouissaient avec l'ivresse de la santé renaissante. La civilisation, détruite ou suspendue par leurs discordes, renaissait ou grandissait de toutes parts; l'industrie ramenait l'aisance, et, malgré les entraves qu'y apportaient les habitudes oppressives du gouvernement, tous les écrivains, tous les documents de cette époque attestent les rapides progrès du luxe populaire. Le chroniqueur Harrison entendait raconter aux vieillards que, dans leur jeunesse, ils avaient vu toutes les maisons sans cheminées, excepté celle du seigneur, et deux ou trois peut-être, dans les villes les plus riches; les lits étaient alors faits de natte ou de paille à peine recouverte d'une toile grossière, avec une «bonne grosse bûche1» pour traversin; et le fermier qui, dans les sept premières années de son mariage, était parvenu à se donner un matelas de laine et un sac de son pour reposer sa tête, «se croyait aussi bien logé que le seigneur de la ville.» Elisabeth régna, et Shakspeare nous apprend que le plus actif emploi des follets et des fées était d'aller pincer «jusqu'au bleu2 les servantes qui négligeaient de nettoyer l'âtre de la cheminée; et ce même Harrison décrit les maisons des fermiers de son temps, leurs trois ou quatre lits de plume garnis de couvertures, de tapis, ou même de quelque tenture de soie, leur table bien pourvue de linge, leur buffet plein de vaisselle de terre, où brillaient et la salière d'argent, et le gobelet pour le vin, et une douzaine de cuillers du même métal.

Note 1:(retour)A good round log.
Note 2:(retour)Black and blue.

Plus d'une génération s'écoulera avant qu'un peuple ait épuisé les jouissances nouvelles de ce bien-être inusité. Le règne d'Elisabeth et celui de son successeur suffirent à peine à dépenser ce goût d'aisance et de repos qu'avaient amassé de longues agitations; et l'ardeur religieuse dont l'explosion vint ensuite révéler les forces nouvelles qu'avait recouvrées la société pendant le loisir de ces deux règnes couvait alors obscurément au sein des masses, sans donner encore naissance à aucun mouvement général et décisif.

La réforme, traitée en ennemie par les grands souverains du continent, avait reçu de Henri VIII un commencement d'espérance et d'appui qui ralentit d'abord son ambition et ses progrès. Le joug de Rome était secoué, la vie monastique abolie. En donnant ainsi satisfaction aux premiers désirs du temps, en faisant tourner ces premiers coups de la réforme au profit des intérêts matériels, Henri VIII avait ôté à beaucoup d'esprits le besoin de s'enquérir plus avant des dogmes purement théologiques du catholicisme, qui ne les choquait plus par le spectacle de ses abus les plus décriés. La foi, il est vrai, était chancelante et ne pouvait plus s'attacher fermement à des doctrines ébranlées: aussi ces doctrines devaient-elles succomber un jour; mais ce jour était retardé. Dans un temps où le défenseur catholique de la présence réelle marchait au supplice pour avoir soutenu la suprématie du pape, tandis qu'en rejetant la suprématie du pape le réformé montait au bûcher s'il se refusait à reconnaître la présence réelle, beaucoup d'esprits demeuraient nécessairement en suspens. Ni l'une ni l'autre des opinions en présence n'offrait à la lâcheté, qui se révèle si abondamment dans les jours difficiles, le refuge d'un parti vainqueur. Le dogme de l'obéissance politique était le seul auquel se pussent rallier avec quelque zèle les consciences dociles; et, parmi les adhérents sincères de l'une ou de l'autre foi, les espérances de triomphe que laissait à chaque parti une situation si bizarre retenaient encore dans l'inaction ces courages timides que la tyrannie, pour les forcer à la résistance, est contrainte d'aller chercher jusque dans leurs derniers retranchements.

Les vicissitudes qu'éprouva, sous les règnes d'Edouard VI et de Marie, l'établissement religieux de l'Angleterre, entretinrent cette disposition. L'ardeur du martyre n'eut, dans aucun des deux partis, le temps de se nourrir ni de s'étendre; et si le parti de la réforme, déjà plus puissant sur les esprits, plus persévérant, plus éclatant par le nombre et le courage de ses martyrs, marchait évidemment vers une victoire définitive, le succès qu'il avait obtenu à l'avènement d'Elisabeth lui donnait plutôt le loisir de se préparer à de nouveaux combats, que le pouvoir de les engager aussitôt et de les rendre décisifs.

Attachée, par situation, aux doctrines des réformés, Elisabeth avait, en commun avec le clergé catholique, le goût de la pompe et de l'autorité. Aussi tels furent ses premiers règlements en matière de religion que la plupart des catholiques ne répugnaient point à assister au culte divin dont se contentaient les réformés, et que l'établissement de l'Église anglicane, confié aux mains du clergé existant, ne rencontra parmi les ecclésiastiques que peu de résistance, et probablement aussi peu de zèle. La religion continua d'être, pour un grand nombre d'hommes, une affaire politique. Les démêlés de l'Angleterre avec les cours de Rome et de Madrid, quelques conspirations intérieures et les sévérités qu'elles entraînèrent, élevaient successivement, entre les deux partis, de nouveaux motifs d'animosité; cependant l'intérêt religieux dominait si peu tous les sentiments qu'en 1569 Elisabeth, l'enfant de la réforme, mais précieuse à ses peuples comme le gage du repos et du bonheur public, trouva la plupart de ses sujets catholiques pleins d'ardeur pour l'aider à réprimer la révolte catholique d'une portion du nord de l'Angleterre.