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Extrait : "L'Hospitalet ! que de souvenirs ne nous rappelle-t-il pas, ce village pyrénéen perdu au fond de son cirque de pâturages à 1,436 mètres d'altitude. Pour les baigneurs d'Ax, l'Hospitalet, c'est souvent tout ce qu'ils voient des grandes Pyrénées ; c'est là qu'ils se donnent l'illusion d'une journée passée aux hautes altitudes ; c'est un village de montagne, très loin et très haut ; c'est presque le bout du monde, car de là, en dix minutes, on passe en Andorre…"
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 201
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Les quelques pages qui suivent sont de simples notes écrites le soir de mes ascensions dans les griseries des retours. Elles disent les grands pics, les régions traversées, les pensées fortes suggérées par leurs spectacles et les sensations éprouvées à leur contact.
Longtemps j’ai hésité à les offrir au public. Ce n’est que sur les conseils de mes amis que je me suis décidé à les faire paraître, dans l’espérance qu’elles serviraient à mieux faire connaître cette région ignorée des grandes Pyrénées.
C’est pour les coureurs de sommets qu’elles ont été écrites : c’est à eux que je les dédie.
31 décembre 1900.
L’Hospitalet ! que de souvenirs ne nous rappelle-t-il pas, ce village pyrénéen perdu au fond de son cirque de pâturages à 1 436 mètres d’altitude. Pour les baigneurs d’Ax, l’Hospitalet, c’est souvent tout ce qu’ils voient des grandes Pyrénées ; c’est là qu’ils se donnent l’illusion d’une journée passée aux hautes altitudes ; c’est un village de montagne, très loin et très haut ; c’est presque le bout du monde, car de là, en dix minutes, on passe en Andorre… Pour nous, au contraire, c’est un point de départ, un centre d’ascensions d’où nous partons le matin avec nos bâtons, nos sacs et nos gros souliers, et où nous rentrons le soir, brûlés par le soleil, blancs de poussière, mouillés de sueur ; c’est un point de ravitaillement en même temps qu’un lieu de repos qui nous permet de garder plus longtemps le contact de la montagne ; c’est une transition entre les grandes solitudes et le mouvement de notre vie ordinaire…
C’est là aussi que nous trouvons notre guide habituel, le brave Pierre Marfaing, un pâtre, avec lequel nous avons passé bien des journées dans les hautes régions. Une longue suite de difficultés vaincues ensemble, une longue série de dangers partagés, ont fait naître entre nous des sentiments d’attachement d’un ordre spécial : l’amitié d’une part, le dévouement de l’autre.
Le soir à l’Hospitalet, on est à table, seul avec son guide dans la grande salle de l’hôtel Soulé. On dîne en causant de la course prochaine. On est tout heureux de se retrouver et de pouvoir parler de la grande montagne entre gens qui se connaissent et qui savent qu’ils pourront compter le lendemain absolument l’un sur l’autre. On se raconte les dernières nouvelles ; on parle des pics récemment faits ; des difficultés que l’on aura à surmonter ; on déplie les cartes et l’on discute les itinéraires à suivre.
9 heures. – Une dernière promenade pour examiner le temps : « Il fera beau demain ; » – et puis on rentre. « À demain 5 heures moins 1/4, » tels sont les derniers mots échangés ; la porte se ferme ; quelques pas encore dans l’escalier : et l’on se déshabille, pressé que l’on est d’aller se mettre dans des draps bien blancs.
5 heures moins le 1/4. Un bruit de marteau à la porte. Allons, debout ! La toilette est vite faite, et en route !
Il s’agit aujourd’hui d’aller à Porté en passant par le pic Sabarthès ; une simple promenade d’entraînement qui nous permettra de nous dérouiller les jambes et de flâner sur les hauts pâturages.
Nous prenons au-dessus de l’Hospitalet, parmi les chemins forestiers du périmètre de reboisement, ceux qui se dirigent vers le col de Puymaurens. Nous atteignons ainsi, sans fatigue, la cote 2 100 mètres. Il ne nous reste plus ensuite qu’à monter droit au pic par des pâturages et des éboulis. Tout cela n’est qu’un jeu.
Le sommet, à 2 549 mètres, est un véritable observatoire qui permet d’étudier la configuration générale de la région et de faire des projets pour de nouvelles courses.
Devant nos yeux et au sud se déroule toute la vallée de la Haute-Ariège jusqu’aux ports de Saldeu et d’Emballire avec les pics d’Emballire et de Font-Nègre. Plus loin, les grands sommets andorrans de l’Estanyo et du Casamanya montrent leurs têtes nues. À l’ouest, ce sont les superbes roches de la haute vallée du Sisca avec leurs crêtes fantastiques et bizarrement découpées ; puis les massifs de l’Albe et du Rulle qui ont très grand air. À nos pieds, nous voyons s’ouvrir le col et la vallée de Carol. Au sud-est, nos regards se promènent sur de grands plateaux, les hauts pâturages du Campcardos et le pic du même nom.
Mais les heures passent ; il fait si bon se chauffer au soleil sur des pierres comme de grands lézards ! Il faut pourtant songer à la descente sur Porté. Cette descente se fait sur les pâturages du port de Puymaurens. On flâne ; on ramasse des fleurs ; on cause ; on s’assoit pour rouler des cigarettes ; on arrive ainsi au torrent d’En Garcias que l’on saute sur des pierres plates ; on longe des granges abandonnées et l’on débouche enfin sur la route nationale à côté de la cantine du port.
Porté est à nos pieds. Vingt minutes par le vieux chemin suffisent pour atteindre ce village cerdan (1 628 mètres). Là, un homme grand, à teint bronzé et à forte moustache, portant un vêtement de velours marron et la petite casquette noire cerdane, nous attend : c’est le pêcheur de l’étang de Lanoux, le guide du Carlitte que nous avons retenu. « C’est vous, les touristes ? » nous dit-il. – « Oui ; » d’ailleurs avec notre équipement nous sommes facilement reconnaissables ; et il nous conduit à l’hôtel.
Combien on se trouve loin du monde dans cet hôtel primitif de Porté ; c’est une ferme plutôt qu’un hôtel. Le mur d’enceinte de la cour franchi, on a devant soi un bâtiment rectangulaire avec des étables. Entrons pourtant, nous pénétrons d’abord sous un hangar sur le côté duquel monte un vieil escalier roide et sombre ; cela sent étrangement l’Espagne. Au-dessus de la porte, une fenêtre permet de jeter un coup d’œil sur les étrangers. D’ailleurs on nous entend facilement monter avec notre attirail alpin ; les clous de nos souliers crient sur les marches de pierre, pour lesquelles ils ne sont nullement faits. La porte ouverte, nous pénétrons dans une vaste cuisine éclairée par une seule fenêtre et remplie de femmes. Il y en a de vieilles et de jeunes ; toutes nous reçoivent avec un joli sourire découvrant leurs dents blanches, et avec la grâce particulière des cerdanes : « Entrez ici, messieurs, » disent-elles, nous invitant à nous rafraîchir ; et elles nous introduisent dans une seconde pièce occupée en ce moment par des gens qui fument et qui boivent. Nous demandons du café et de l’eau, puis nous commandons à dîner.
Nous soupons ici avec les guides et nous faisons nos préparatifs pour le lendemain. C’est au Campcardos que nous devons aller : « Vous connaissez le Campcardos ? » dis-je au guide de Porté. « Je sais où il est, mais je n’y suis jamais allé. » Ainsi donc, à demain 4 heures moins 1/4.
Avant de nous coucher, nous faisons un tour dans le village. Nous jouissons du spectacle du lever de la lune éclairant de ses premiers rayons les solitudes de la pique du Col Rouge et ses neiges.
Ces levers de lune sur la montagne me font toujours éprouver une douce émotion. La nature prend sous cette lumière pâle des teintes incomparables, les neiges resplendissent d’un éclat qui pénètre l’âme d’une sorte de tristesse. On est fortement impressionné par ce paysage lunaire : on se croirait transporté dans un monde irréel et fantastique…
(2 914 mètres.)
Le 3 juillet 1898, à 3 heures et demie, lever. Nous nous habillons à la lumière des chandelles ; nous absorbons rapidement une tasse de café, nous chargeons les sacs, et puis, en avant.
C’est d’abord la route nationale de Porté à Porta que nous suivons. À la fraîcheur du matin nous marchons très vite ; nous sommes pressés d’abandonner les grandes routes fréquentées pour retrouver les vastes solitudes. Aussi ne mettons-nous que trois quarts d’heure pour faire les 6 kilomètres qui séparent Porté de Porta. Là, nous prenons à droite le sentier de la Porteille Blanche d’Andorre sur lequel nous nous engageons résolument.
Le jour se lève petit à petit, et nous voyons un grand pic noir se dresser devant nous et sortir de l’ombre dans lequel il était plongé. Oh ! ce premier contact avec la montagne, comme il est attachant ! On se passionne pour les formes que l’on voit ainsi surgir devant soi dans la pénombre du matin. Aux lumières diffuses de cette heure matinale, les contours ont des silhouettes étranges, les rochers semblent extraordinairement grands, les à-pics plus redoutables. Rien ne bouge encore ; l’esprit n’est pas distrait par la multiplicité des bruits de la journée : c’est le sommeil de la nature, sommeil si voisin de la mort dont il évoque l’idée ; malgré lui alors, l’homme se recueille et pense aux au-delàs et aux infinis…
Et puis, petit à petit, le soleil se lève ; il dore la cime des grands pics et aussitôt la vie reprend partout : les animaux remuent, les couleurs éclatantes reviennent aux grandes Pyrénées, et les sombres pensées disparaissent avec elles. On est tout heureux de se sentir revivre, et cette minute d’angoisse inexprimable qui accompagne le lever du jour disparaît aussitôt. Les pics prennent leur aspect naturel ; ils paraissent moins grands et moins hauts, ou plutôt l’homme se sent plus grand et plus capable de vaincre les difficultés qu’ils lui présenteront.
Il est pourtant réellement fantastique ce pic que nous avons devant nous au bout d’un cirque rocheux dont plusieurs pointes ont d’ici des aspects effrayants. Toute cette région est très déchiquetée ; les crêtes sont découpées en dentelures bizarres, les rochers montent droit au ciel en une succession de gendarmes.
« Voici le Campcardos, » dit le guide de Porté en nous montrant un rocher dans le fond du cirque. Je ne sais pourquoi, j’ai un doute sur ce dire et je consulte la carte ; une simple inspection me prouve que nous ne sommes pas en présence du Campcardos. « Certainement non, le Campcardos est évidemment dans le massif, mais sûrement ce rocher n’est pas lui. D’ailleurs, nous allons bien rencontrer une cabane de bergers et nous demanderons des renseignements. »
Et dire que cet homme nous avait assuré qu’il nous ferait arriver au Campcardos !…
Nous continuons donc à monter le chemin de la Porteille qui suit la vallée de Campcardos, très triste avec ses grands éboulis de pierrailles qui partent du sommet des pics pour arriver au torrent qui coule dans son fond. Nous atteignons ainsi la cote 1 986 mètres, où se trouve une cabane de pâtres, une jasse, comme l’on dit dans la région.
« Eh, camarade ! » crie notre homme. Nous voyons sortir le vacher, qui nous apprend que le pic que nous avons devant nous est le pic de Peyre-Fourque. Quant au pic de Campcardos, il ne le connaît pas.
Nous lui demandons alors de nous indiquer le Puig Pedros, ce pic étant à côté de celui dont nous voulons faire l’ascension ; il nous montre le côté gauche du fond du cirque du Peyre-Fourque, mais il nous conseille pour arriver au pied de ce pic de contourner le cirque par derrière. Pour cela nous remonterons la vallée de Campcardos, puis, après les étangs que nous rencontrerons, nous tournerons à gauche et prendrons une vallée secondaire qu’il nous faudra suivre jusqu’au col du sommet : la Porteille des Maranges.
« Merci, » et nous voici de nouveau en route.
Cet itinéraire qui nous fait longer les bases du pic de Peyre-Fourque ne manque pas d’intérêt. Nous disséquons chaque face de ce pic formé d’une succession de couloirs plus ou moins herbeux, séparés par une infinité d’obélisques de granit. Les saillants de chaque arête présentent des formes extrêmement variées ; on se demande comment ces aiguilles de pierres peuvent résister aux assauts furieux du vent, de la gelée et de la foudre. Elles résistent évidemment, mais bien peu. Les chaos énormes que nous voyons s’accrocher aux flancs de la montagne sont les témoins de cette force destructive de notre monde qui aboutira fatalement à un aplanissement final. Dans combien de siècles ce phénomène se produira-t-il ? Homme, nous ne pouvons que poser le problème sans même essayer de soulever un coin du voile qui cache ce mystère !…
Bientôt le chemin traverse le torrent et nous côtoyons le petit lac de Las Passaderas qui dort dans sa cuvette de granit, à côté des éboulis géants provenant des sommets qui l’entourent.
Nous longeons, après la base du pic de Peyre-Fourque, celle des rochers qui forment son cirque. Elles sont admirablement belles, les arêtes de cette crête ; à cette heure matinale elles se découpent en lignes nettes sur le bleu profond du ciel. Le versant qu’elles nous montrent est tout noir n’étant pas encore éclairé ; les rochers ont des teintes sombres et luisantes ; les couloirs sont pleins de neige blanche. Ce noir, ce blanc et ce bleu du ciel, quelles couleurs ! Ce sont là les grandes Pyrénées…
Il est 8 heures ; il faut pourtant songer à « casser la croûte » ; déjeuner sommaire, composé invariablement de pain et de jambon, le tout arrosé d’un peu de vin bu à même des gourdes en peau de bouc ; déjeuner tout espagnol.
Un chaos granitique entrecoupé de rhododendrons s’offre à nous et nous présente des sièges, aussi nous en profitons. Ces premiers déjeuners sont toujours tristes ; le rude labeur de la journée n’est pas encore commencé ; on est pressé de reprendre la marche, et en même temps inquiet sur la réussite finale de la course. Aussi les sacs sont vite rebouclés, et en avant !
La vallée de la Porteille des Maranges que nous suivons est formée d’une succession de terrasses rocheuses et de pâturages entrecoupés par des chaos de granit qui descendent des pics voisins. À notre gauche, toujours le revers du cirque de Peyre-Fourque ; à notre droite, de grands rochers luisants et des taches de neige. Nous marchons droit au port que nous voyons s’ouvrir en face de nous au haut d’un éboulis. Nous passons ainsi au pied d’un rocher du cirque qui est impressionnant. Il se dresse sans une saillie, sans une corniche ; le granit qui le forme est un seul bloc qui part du sommet coté 2 661 mètres à la carte d’état-major, et arrive au thalweg, barométré 2 320 mètres. C’est le plus bel à-pic que je connaisse ; mes guides s’arrêtent spontanément à cette vue : « Quel château ! » s’écrient-ils, « Biettasé ! » Nous ne pouvons nous empêcher de nous asseoir pour regarder et examiner plus attentivement ce rocher formidable. Devant nous, il tombe à pic de 300 mètres au moins : ses deux autres faces dominent la crête de 200 mètres. Quel spectacle ! que l’homme se sent petit quand il est ainsi dominé par la montagne ! Eh bien, malgré ce sentiment, je me sens captivé et impressionné par ce redoutable à-pic. Il vivra désormais en moi, je le retrouverai partout la nuit et le jour, quand mon imagination me reportera du monde civilisé vers les régions des grandes solitudes. Il est si beau, immobile et immuable dans son cirque ! il est si vertical que sa vue seule donne le frisson ! il est si triste avec sa paroi granitique sombre et micacée ! il est si solitaire perdu dans ce coin des vieilles Pyrénées, échappant aux yeux des profanes et contemplé seulement par les grands montagnards qui s’appellent les pâtres et les contrebandiers !
Maintenant c’est le port qu’il faut escalader, montée fatigante à cause des éboulis, mais montée facile. Vue médiocre du côté espagnol sur des montagnes formées d’éboulis tout rouges qui vont se perdre dans des étangs très tristes. Du côté français, la vue est plus variée, mais la région est excessivement désolée ; et toujours cet immense rocher sur lequel nos yeux reviennent constamment. Son versant nord présente quelques corniches herbeuses ; peut-être pourra-t-on par là violer cette terre vierge !
Les deux versants du port sont faciles ; des crêtes arrondies montent à droite au pic Tosetta de la Esquella, à gauche au Puig Pedros.
Montée rapide à gauche, en suivant la crête qui surplombe le cirque de Peyre-Fourque jusqu’à un grand pâturage en forme de plateau. Du milieu de ce plateau émergent deux cônes formés de blocs énormes de granit, divisés en lamelles ; [ jamais encore je n’avais vu du granit ainsi divisé ;] on dirait des feuilles de joubarbes gigantesques, ou les ruines de constructions édifiées par les mains puissantes de quelque cyclope. Ce sont là, les deux pics de Puig Pedros (2 910 mètres) et de Campcardos (2 914 mètres) qui portent l’un et l’autre une tourelle. Quelle déception, pour nous qui comptions sur une course émouvante !
Malgré notre dépit, il faut faire bonne figure à nos pics. Admirons le panorama : à nos pieds et au nord, la planelle du Campcardos déroule ses pâturages verts à 100 mètres au-dessous ; des lacs, des petits étangs occupent une partie de cette région marécageuse sur laquelle nous voyons paître des juments espagnoles ; plus loin, les grandes masses du Carlitte, du Puig Peric, des montagnes d’Orlu s’estompent dans les vapeurs qui accompagnent l’éclairage trop intense d’un soleil de midi.
À l’est, le Canigou, le Puigmal, la Cerdagne tout entière, depuis Olette jusqu’à Puig-Cerdà, dont les maisons blanches sont facilement reconnaissables, forment notre horizon.
Au sud, la Sierra de Cadi peut être facilement étudiée. Puis à l’ouest, nos cœurs pyrénéens battent avec respect : les glaciers de la Maladetta et du Perdighero se détachent en blanc éclatant sur le bleu limpide du ciel ; plus près, les géants ariégeois, le Montcalm et la Pique d’Estats, gardent encore une ligne de neige importante dans le couloir de Rioufred.
Nous passons ainsi deux heures sur ce sommet, nous reposant et nous chauffant aux rayons éclatants des hautes altitudes.
Maintenant il faut songer au retour. On jette un dernier coup d’œil sur le panorama que l’on a devant soi ; on reprend ses charges ; on va voir la tourelle dans laquelle on met sa carte, à côté de celles qui y sont déjà : ce sont toutes des cartes à noms espagnols !…
Par où descendrons-nous ? par le chemin de la montée ? ou bien par la planelle ? ou bien encore tout droit dans le cirque de Peyre-Fourque, par les cheminées ? Essayons les cheminées. Elles n’ont pas l’air bien redoutables, malgré leurs pentes.
Ces cheminées sont formées de sables, de pierrailles et de rochers ; elles sont larges et ont des pentes très rapides entre leurs deux parois rocheuses tailladées en obélisques. La seule précaution à prendre est de descendre très près l’un de l’autre pour éviter les chutes de pierres. Nous arrivons ainsi sur une tache de neige qui impose une glissade, et nous atteignons enfin le cirque de Peyre-Fourque.
Rien ne peut donner l’impression de ce cirque : dans le fond, des chaos énormes, où les rochers s’amoncellent sur les rochers, les blocs sur les blocs : et puis, pour encadrer cette immense cuvette, tout autour des crêtes fantastiques parmi lesquelles le rocher, « mon rocher, » dont nous avons longé pendant la montée le versant sud. Le versant nord, soigneusement examiné, pourra peut-être un jour être tenté sans trop de témérité. – Nous verrons.
Il nous faut traverser tous ces chaos pour sortir du cirque ; marche lente et fatigante. À une heure et demie nous dévalons vite sur des rhododendrons, ici très épais, les pentes du ressaut de tête du cirque, et nous trouvons enfin de l’eau : (source excellente (2 000 mèt.) ; la première depuis le matin.) Nous arrivons ainsi sur notre chemin du matin, à la hauteur de la jasse.
Maintenant le soleil tombe étouffant sur cette vallée du Campcardos ; pas un arbre, rien que des gazons brûlés et des rochers, et toujours le chemin caillouteux et pierreux. On a beau se retourner de temps en temps pour jeter un dernier coup d’œil sur les hautes régions que l’on vient de quitter, pour prendre encore une fois une dernière impression, on descend vite, trop vite, vers les régions civilisées et peuplées. On voudrait, malgré la fatigue, vivre encore et plus longtemps dans ces hautes solitudes, libre de tout souci, face à face avec la montagne. Aussi l’on se retourne continuellement, sans pouvoir se résigner à lui dire un dernier adieu.
Nous arrivons cependant rapidement à Porta, que nous laissons à notre droite, et nous remontons la fastidieuse grande route de Porté. La fatigue et la chaleur rendent notre caravane silencieuse ; pourtant nous marchons très vite. Après cette course de treize heures, la marche est devenue pour nous un acte automatique, nous marchons sans nous en apercevoir. Enfin, voici Porté et son hôtel.
« Vous devez être bien fatigués, demandent toutes les femmes, vite venez vous rafraîchir. » Elles vous disent cela, ces jolies Cerdanes, d’une voix douce et délicieusement timbrée, et puis rient d’un si joli rire ! Aussi ne pouvons-nous résister au désir de nous reposer. Il n’est que 3 heures ; deux heures nous suffiront pour rentrer à l’Hospitalet ; pourvu que nous y soyons à 7 heures ; et nous fumons et nous buvons dans cette salle d’auberge. Après notre course rapide du matin, ce repos nous est bien permis.
(2 620 mètres ?)
Le 19 juillet de l’année suivante, avec mon guide Pierre Marfaing, nous sommes de nouveau à Porté ; notre objectif est le pic de Peyre-Fourque.
Le trajet de l’Hospitalet à Porté se fait comme l’année précédente, en flânant sur les pâturages de la comme d’En Garcias. Nous arrivons de bonne heure à l’hôtel Michette, où l’on nous reconnaît. « Les étrangers qui courent la montagne et qui ne vont ni au Carlitte ni au lac Lanoux, » tel est le nom que l’on nous donne : nous passons pour des originaux, car le Carlitte et surtout le lac Lanoux sont les seuls points de la région un peu visités. Et ces braves gens ne comprennent pas comment l’on peut voir autre chose… Quel crime que d’habiter si près de la haute montagne et de ne pas la connaître davantage !
Il est de bonne heure ; faisons un tour dans ce village cerdan construit en pierres noires, desservi par des ruelles étroites pavées de petits cailloux plats et noirs. Au milieu de ce décor circulent des hommes fortement hâlés et brunis, en vêtements sombres ; puis des femmes et des filles en foulard noir, blanc ou jaune, de provenance espagnole, qui nous regardent curieusement, nous jettent en passant des mots étrangers « salutos », ou bien « buenas tardes », et rient aux éclats. Oh ! quel joli rire sort de ces gorges fraîches ! comme il monte hardiment vers le ciel, portant avec lui la joie de vivre !
Nous nous engageons dans la vallée de Font-Vive pour revoir devant nous les premiers contreforts du Carlitte et du pic du Col Rouge et, derrière nous, les hauts pâturages de Campcardos que nous saluons comme une vieille connaissance.
Le soir, à table, la conversation devient sérieuse : emporterons-nous une corde ? Nous sommes encore pleins des récits de l’ascension de Lequeutre, et du guide Joanne qui ne recommande ce sommet qu’à des grimpeurs éprouvés. Je voudrais la corde, car il serait ridicule d’être venu à Porté si nous devions le lendemain faire demi-tour faute de cette aide. Marfaing, d’après ses souvenirs de l’an passé, prétend que la corde est inutile ; bref, on la laissera et on montera par le côté des étangs de las Passaderas, la montée du côté du cirque nous semblant un jeu d’enfant.
Le lendemain 20 juillet, départ à 4 heures. Le temps est superbe, la nuit est sereine, les étoiles brillent.