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Les Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine (ou plus simplement Fables de La Fontaine) consistent en trois recueils publiés entre 1668 et 1694, comptant 243 fables écrites en vers, la plupart mettant en scène des animaux anthropomorphes et contenant une morale au début ou à la fin.
Extrait
| La Cigale et la Fourmi
La Cigale, ayant chanté Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ?
j’en suis fort aise :
Eh bien ! dansez maintenant. »...|
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PREMIER RECUEIL LIVRES 1-4
LIVRE PREMIER
La Cigale et la Fourmi
Le Corbeau et le Renard
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf
Les deux Mulets
Le Loup et le Chien
La Génisse, la Chèvre, et la Brebis en société avec le Lion
La Besace
L’Hirondelle et les petits Oiseaux
Le Rat de ville et le Rat des champs
Le Loup et l’Agneau
L’Homme et son Image
Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues
Les voleurs et l’Âne
Simonide préservé par les Dieux
La Mort et le Malheureux
La Mort et le Bûcheron
L’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses
Le Renard et la Cigogne
L’Enfant et le Maître d’école
Le Coq et la Perle
Les Frelons et les Mouches à miel
Le Chêne et le Roseau
LIVRE DEUXIÈME
Contre ceux qui ont le goût difficile
Conseil tenu par les Rats
Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe
Les deux Taureaux et une Grenouille
La Chauve-souris et les deux Belettes
L’Oiseau blessé d’une flèche
La Lice et sa compagne
L’Aigle et l’Escarbot
Le Lion et le Moucheron
L’Âne chargé d’éponges et l’Âne chargé de sel
Le Lion et le Rat
La Colombe et la Fourmi
L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits
Le Lièvre et les Grenouilles
Le Coq et le Renard
Le Corbeau voulant imiter l’Aigle
Le Paon se plaignant à Junon
La Chatte métamorphosée en Femme
Le Lion et l’Âne chassant
Testament expliqué par Ésope
LIVRE TROISIÈME
Le Meunier, son Fils, et l’Âne
Les Membres et l’Estomac
Le Loup devenu Berger
Les Grenouilles qui demandent un Roi
Le Renard et le Bouc
L’Aigle, la Laie, et la Chatte
L’Ivrogne et sa Femme
La Goutte et l’Araignée
Le Loup et la Cigogne
Le Lion abattu par l’homme
Le Renard et les Raisins
Le Cygne et le Cuisinier
Les Loups et les Brebis
Le Lion devenu vieux
Philomèle et Progné
La Femme noyée
La Belette entrée dans un grenier
Le Chat et un vieux Rat
LIVRE QUATRIÈME
Le Lion amoureux
Le Berger et la Mer
La Mouche et la Fourmi
Le Jardinier et son Seigneur
L’Âne et le petit Chien
Le Combat des Rats et des Belettes
Le Singe et le Dauphin
L’Homme et l’Idole de bois
Le Geai paré des plumes du Paon
Le Chameau et les Bâtons flottants
La Grenouille et le Rat
Tribut envoyé par les animaux à Alexandre
Le Cheval s’étant voulu venger du Cerf
Le Renard et le Buste
Le Loup, la Chèvre et le Chevreau
Le Loup, la Mère et l’Enfant
Parole de Socrate
Le Vieillard et ses Enfants
L’Oracle et l’Impie
L’Avare qui a perdu son trésor
L’Oeil du Maître
L’Alouette et ses Petits, avec le maître d’un champ
DEUXIÈME RECUEIL LIVRES 5-8
LIVRE CINQUIÈME
Le Bûcheron et Mercure
Le Pot de terre et le Pot de fer
Le petit Poisson et le Pêcheur
Les oreilles du Lièvre
Le Renard ayant la queue coupée
La Vieille et les deux Servantes
Le Satyre et le Passant
Le Cheval et le Loup
Le Laboureur et ses Enfants
La Montagne qui accouche
La Fortune et le jeune Enfant
Les Médecins
La Poule aux œufs d’or
L’Âne portant des reliques
Le Cerf et la Vigne
Le Serpent et la Lime
Le Lièvre et la Perdrix
L’Aigle et le Hibou
Le Lion s’en allant en guerre
L’Ours et les deux compagnons
L’Âne vêtu de la peau du Lion
LIVRE SIXIÈME
Le Pâtre et le Lion
Le Lion et le Chasseur
Phébus et Borée
Jupiter et le Métayer
Le Cochet, le Chat et le Souriceau
Le Renard, le Singe, et les Animaux
Le Mulet se vantant de sa généalogie
Le Vieillard et l’Âne
Le Cerf se voyant dans l’eau
Le Lièvre et la Tortue
L’Âne et ses Maîtres
Le Soleil et les Grenouilles
Le Villageois et le Serpent
Le Lion malade et le Renard
L’oiseleur, l’Autour et l’Alouette
Le Cheval et l’Âne
Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre
Le Chartier embourbé
Le Charlatan
La Discorde
La jeune Veuve
Épilogue
LIVRE SEPTIÈME
À Madame de Montespan
Les Animaux malades de la peste
Le mal Marié
Le Rat qui s’est retiré du monde
Le Héron
La Fille
Les Souhaits
La cour du Lion
Les Vautours et les Pigeons
Le Coche et la Mouche
La Laitière et le Pot au lait
Le Curé et le Mort
L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit
Les deux Coqs
L’ingratitude et l’injustice des Hommes envers la Fortune
Les Devineresses
Le Chat, la Belette, et le petit Lapin
La Tête et la Queue du Serpent
Un Animal dans la Lune
LIVRE HUITIÈME
La Mort et le Mourant
Le Savetier et le Financier
Le Lion, le Loup, et le Renard
Le Pouvoir des Fables
L’Homme et la Puce
Les Femmes et le Secret
Le Chien qui porte à son cou le dîner de son Maître
Le Rieur et les Poissons
Le Rat et l’Huître
L’Ours et l’Amateur des jardins
Les deux Amis
Le Cochon, la Chèvre et le Mouton
Tircis et Amarante
Les Obsèques de la Lionne
Le Rat et l’Éléphant
L’Horoscope
L’Âne et le Chien
Le Bassa et le Marchand
L’avantage de la science
Jupiter et les tonnerres
Le Faucon et le Chapon
Le Chat et le Rat
Le Torrent et la Rivière
L’éducation
Les deux Chiens et l’Âne mort
Démocrite et les Abdéritains
Le Loup et le Chasseur
TROISIÈME RECUEIL LIVRES 9-12
LIVRE NEUVIÈME
Le Dépositaire infidèle
Les deux Pigeons
Le Singe et le Léopard
Le Gland et la Citrouille
L’Écolier, le Pédant, et le Maître d’un jardin
Le Statuaire et la Statue de Jupiter
La Souris métamorphosée en fille
Le Fou qui vend la Sagesse
L’Huître et les Plaideurs
Le Loup et le Chien maigre
Rien de trop
Le Cierge
Jupiter et le Passager
Le Chat et le Renard
Le Mari, la Femme, et le Voleur
Le Trésor et les deux Hommes
Le Singe et le Chat
Le Milan et le Rossignol
Le Berger et son troupeau
LIVRE DIXIÈME
Discours à Madame de la Sablière
Les deux Rats, le Renard et l’œuf
L’Homme et la Couleuvre
La Tortue et les deux Canards
Les Poissons et le Cormoran
L’Enfouisseur et son Compère
Le Loup et les Bergers
L’Araignée et l’Hirondelle
La Perdrix et les Coqs
Le Chien à qui on a coupé les oreilles
Le Berger et le Roi
Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte
Les deux Perroquets, le Roi et son fils
La Lionne et l’Ourse
Les deux Aventuriers et le Talisman
Les Lapins
Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre, et le Fils de roi
LIVRE ONZIÈME
Le Lion
Les Dieux voulant instruire un fils de Jupiter
Le Fermier, le Chien, et le Renard
Le Songe d’un habitant du Mogol
Le Lion, le Singe, et les deux Ânes
Le Loup et le Renard
Le Paysan du Danube
Le Vieillard et les trois jeunes Hommes
Les Souris et le Chat-Huant
Épilogue
LIVRE DOUZIÈME
Les Compagnons d’Ulysse
Le Chat et les deux Moineaux
Le Thésauriseur et le Singe
Les deux Chèvres
À Monseigneur le Duc de Bourgogne
Le vieux Chat et la jeune Souris
Le Cerf malade
La Chauve-Souris, le Buisson et le Canard
La querelle des Chiens et des Chats et celle des Chats et des Souris
Le Loup et le Renard
L’Écrevisse et sa Fille
L’Aigle et la Pie
Le Milan, le Roi, et le Chasseur
Le Renard, les Mouches, et le Hérisson
L’Amour et la Folie
Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat
La Forêt et le Bûcheron
Le Renard, le Loup, et le Cheval
Le Renard et les Poulets d’Inde
Le Singe
Le Philosophe scythe
L’Éléphant et le Singe de Jupiter
Un Fou et un Sage
Le Renard anglais
Le Soleil et les Grenouilles
La Ligue des Rats
Daphnis et Alcimadure
Le Juge arbitre, l’Hospitalier, et le Solitaire
JEAN DE LA FONTAINE
LES FABLES
Fables, trois recueils
livres 1 - 12
Date de parution 1678
Raanan Editeur
Livre 106 | édition 3
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ? j’en suis fort aise :
Eh bien ! dansez maintenant. »
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur ;
Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
– Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ?
– Vous n’en approchez point. » La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Deux Mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d’un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette ;
Quand, l’ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l’argent,
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l’arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percé de coups ; il gémit, il soupire.
« Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire ;
Et moi j’y tombe et je péris !
– Ami, lui dit son camarade,
Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi :
Si tu n’avais servi qu’un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade. »
Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
Le Loup donc, l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui répartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ? rien d’assuré ; point de franche lippée ;
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. »
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. »
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ?
– Peu de chose.
– Mais encore ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encore.
La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le Lion par ses ongles compta,
Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. »
Puis, en autant de parts le cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de sire :
« Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C’est que je m’appelle Lion :
À cela l’on n’a rien à dire.
La seconde, par droit, me doit échoir encore :
Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,
Je l’étranglerai tout d’abord. »
Jupiter dit un jour : « Que tout ce qui respire
S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait ? – Moi ? dit-il ; pourquoi non ?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;
Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché ;
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. »
L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort ;
Glosa sur l’Éléphant, dit qu’on pourrait encore
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une masse informe et sans beauté.
L’Éléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu’à son appétit
Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste contents d’eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain
Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
Une hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,
Et, devant qu’ils ne fussent éclos,
Les annonçait aux matelots.
Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
« Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons :
Je vous plains, car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n’est pas loin,
Que ce qu’elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin, mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison :
Gare la cage ou le chaudron !
C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,
Mangez ce grain et croyez-moi. »
Les oiseaux se moquèrent d’elle :
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière fut verte,
L’Hirondelle leur dit : « Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce mauvais grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
– Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes !
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton. »
La chanvre étant tout à fait crue,
L’Hirondelle ajouta : « Ceci ne va pas bien ;
Mauvaise graine est tôt venue.
Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu’à leurs blés
Les gens n’étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits oiseaux,
Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue ou la Bécasse.
Mais vous n’êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d’aller chercher d’autres mondes ;
C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr,
C’est de vous enfermer aux trous de quelque mur. »
Les oisillons, las de l’entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint oisillon se vit esclave retenu.
Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
Autrefois le Rat des villes
Invita le Rat des champs
D’une façon fort civile,
À des reliefs d’ortolans
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête :
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
À la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale,
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
« Achevons tout notre rôt.
– C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc : Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre ! »
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure ;
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encore ma mère
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Pour M. le Duc de La Rochefoucauld.
Un Homme qui s’aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans une erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer,
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s’y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau ;
Mais quoi ? le canal est si beau
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.
Un envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l’histoire, un jour chez l’Empereur
Les forces de son maître à celles de l’Empire.
Un Allemand se mit à dire :
« Notre prince a des dépendants
Qui, de leur chef, sont si puissants
Que chacun d’eux pourrait soudoyer une armée. »
Le chiaoux, homme de sens,
Lui dit : « Je sais, par renommée
Ce que chaque Électeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d’une Hydre au travers d’une haie.
Mon sang commence à se glacer ;
Et je crois qu’à moins on s’effraie.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal :
Jamais le corps de l’animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d’ouverture.
Je rêvais à cette aventure,
Quand un autre Dragon, qui n’avait qu’un seul chef,
Et bien plus d’une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef
D’étonnement et d’épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha ; l’un fit chemin à l’autre.
Je soutiens qu’il en est ainsi
De votre Empereur et du nôtre. »
Pour un Âne enlevé deux voleurs se battaient :
L’un voulait le garder, l’autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron
Qui saisit maître Aliboron.
L’Âne, c’est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel ou tel prince,
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j’en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.
De nul d’eux n’est souvent la province conquise :
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du Baudet.
On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les Dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe le disait, j’y souscris, quant à moi ;
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits :
Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée.
Simonide avait entrepris
L’éloge d’un Athlète, et, la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l’Athlète étaient gens inconnus ;
Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite ;
Matière infertile et petite.
Le Poète d’abord, parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux ;
Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s’étaient signalés davantage ;
Enfin l’éloge de ces dieux
Faisait les deux tiers de l’ouvrage.
L’Athlète avait promis d’en payer un talent ;
Mais, quand il le vit, le galant
N’en donna que le tiers ; et dit, fort franchement
Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
« Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je veux vous traiter cependant :
Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,
Mes parents, mes meilleurs amis,
Soyez donc de la compagnie. »
Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient : l’on festine, l’on mange.
Chacun étant en belle humeur,
Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table ; et la cohorte
N’en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étaient les gémeaux de l’éloge.
Tous deux lui rendent grâce, et, pour prix de ses vers,
Ils l’avertissent qu’il déloge,
Et que cette maison va tomber à l’envers.
La prédiction en fut vraie.
Un pilier manque ; et le plafond
Ne trouvant plus rien qui l’étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N’en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète
La vengeance due au poète,
Une poutre cassa les jambes à l’Athlète,
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés.
La Renommée eut soin de publier l’affaire :
Chacun cria miracle. On doubla le salaire
Que méritaient les vers d’un homme aimé des Dieux.
Il n’était fils de bonne mère
Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n’en fit faire.
Je reviens à mon texte, et dis premièrement
Qu’on ne saurait manquer de louer largement
Les Dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ;
Enfin, qu’on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce :
Jadis l’Olympe et le Parnasse
Étaient frères et bons amis.
Un Malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours
« Ô Mort ! lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle ! »
La Mort crut, en venant, l’obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
« Que vois-je ? cria-t-il : ôtez-moi cet objet ;
Qu’il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d’horreur et d’effroi !
N’approche pas, ô Mort ! ô Mort, retire-toi ! »
Mécénas fut un galant homme ;
Il a dit quelque part : « Qu’on me rende impotent.
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme
Je vive, c’est assez, je suis plus que content. »
Ne viens jamais, ô Mort ! on t’en dit tout autant.
Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire.
« C’est, dit-il, afin de m’aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
Un Homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison
Jugea qu’il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant
De quoi choisir ; toutes voulaient lui plaire :
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
Bien adresser n’est pas petite affaire.
Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :
L’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu’avait détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L’allaient quelquefois testonnant,
C’est à dire ajustant sa tête.
La vieille, à tous moments, de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
« Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m’avez si bien tondu :
J’ai plus gagné que perdu ;
Car d’hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n’est tête chauve qui tienne :
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon. »
Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galant, pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là, la Cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie. »
À l’heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort sa politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout, Renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.
Dans ce récit je prétends faire voir
D’un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune Enfant dans l’eau se laissa choir
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu’un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva ;
S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d’école ;
L’Enfant lui crie : « Au secours ! je péris. »
Le Magister, se tournant à ses cris,
D’un ton fort grave à contretemps s’avise
De le tancer : « Ah ! le petit babouin !
Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux qu’il faille
Toujours veiller à semblable canaille !
Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort. »
Ayant tout dit, il mit l’Enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connaître au discours que j’avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l’engeance.
En toute affaire, ils ne font que songer
Au moyen d’exercer leur langue.
Eh ! mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.
Un jour un Coq détourna
Une perle, qu’il donna
Au beau premier lapidaire.
« Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire. »
Un ignorant hérita
D’un manuscrit qu’il porta
Chez son voisin le libraire.
« Je crois, dit-il, qu’il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire. »
À l’œuvre on connaît l’artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des Frelons les réclamèrent ;
Des Abeilles s’opposant,
Devant certaine Guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnant, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les Abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons
Ces enseignes étaient pareilles.
La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n’en put être éclairci.
« De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une Abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N’a-t-il point assez léché l’ours ?
Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les Frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties. »
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs ;
On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.
Le Chêne un jour dit au Roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête ;
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir ;
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
– Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût portés jusque là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.
Quand j’aurais en naissant reçu de Calliope
Les dons qu’à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d’Ésope :
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions :
On le peut, je l’essaie ; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau
J’ai fait parler le Loup et répondre l’Agneau ;
J’ai passé plus avant : les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement ?
« Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d’enfant. »
Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d’un style plus haut ? En voici : « Les Troyens,
« Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
« Avaient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,
« Par mille assauts, par cent batailles,
« N’avaient pu mettre à bout cette fière cité ;
« Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,
« D’un rare et nouvel artifice,
« Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
« Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux,
« Que ce colosse monstrueux
« Avec leurs escadrons devait porter dans Troie,
« Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :
« Stratagème inouï, qui des fabricateurs
« Paya la constance et la peine. »
« C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs :
La période est longue, il faut reprendre haleine ;
Et puis votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges
Qu’un Renard qui cajole un corbeau sur sa voix :
De plus il vous sied mal d’écrire en si haut style. »
Eh bien ! baissons d’un ton. « La jalouse Amaryle
« Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins
« N’avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
« Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre des saules ;
« Il entend la bergère adressant ces paroles
« Au doux zéphyr, et le priant
« De les porter à son amant... »
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l’instant,
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d’une assez grande vertu ;
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
« Maudit censeur ! te tairas-tu ?
Ne saurai-je achever mon conte ?
C’est un dessein très dangereux
Que d’entreprendre de te plaire. »
Les délicats sont malheureux :
Rien ne saurait les satisfaire.
Un Chat, nommé Rodilardus,
Faisait de rats telle déconfiture
Que l’on n’en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu’il en restait n’osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu’au haut et au loin
Le galant alla chercher sa femme,
Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l’abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiraient en terre ;
Qu’ils n’y savaient que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de monsieur le Doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : « Je n’y vais point, je ne suis pas si sot » ;
L’autre : « Je ne saurais. » Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne :
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.
Un Loup disait qu’on l’avait volé :
Un Renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le Singe il fut plaidé,
Non point par avocats, mais par chaque partie,
Thémis n’avait point travaillé,
De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.
Après qu’on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit : « Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l’amende :
Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ;
Et toi, Renard, as pris ce que l’on te demande. »
Le juge prétendait qu’à tort et à travers