Fake news - Alexandre Capron - E-Book

Fake news E-Book

Alexandre Capron

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Beschreibung

Une methodologie simple et des outils accessibles pour démêler le vrai du faux. Des Fake news ou fausses informations sont diffusées tous les jours sur Internet et les réseaux sociaux. Elles font aujourd’hui partie intégrante du paysage informationnel auquel nous sommes confrontés. Dans ce flot incessant d’informations, comment faire la part des choses ? Comment les repérer ? Et surtout, comment démêler le vrai du faux ? C’est tout l’enjeu de cet ouvrage !

Nous avons usé des codes de la désinformation dans la présentation de ce livre : une couverture noire, anxiogène, qui joue la carte du « sensationnel » et un titre imposant qui affirme une vérité. Elle vous a attiré, n’est-ce pas ? Plongez-vous à présent dans le texte pour découvrir comment déconstruire ces codes, identifier les Fake news, mener l’enquête et débusquer les images manipulées.

Dans cet ouvrage, Alexandre Capron, journaliste et expert en fact-checking vous partage ses conseils et ressources et propose une méthodologie simple pour comprendre les mécanismes et démystifier les fausses informations. À travers une approche multi facette et ludique, il présente une palette d’outils, des exemples concrets et de nombreuses astuces.

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Couverture

Page de titre

Hippolyte, voilà à quoi ressemblait un peu notre monde en 2024.

Rester positif et transmettre ton expérience est une clé pour y survivre.

« Il ne suffit pas que les messages et les informations circulent vite pour que les Hommes se comprennent mieux1. »

Dominique WOLTON

Préface

Moment de bascule.

Comment ne pas être saisi par un sentiment de vertige lorsque l’on contemple l’état actuel du monde ? On assiste tous, effarés, au délitement de nos sociétés démocratiques, et particulièrement de ce qui en fait le ciment : l’information. Les tensions internationales, la polarisation idéologique mondiale nourrissent une instabilité propice aux acteurs toxiques de la planète. Une opportunité historique pour les manipulateurs en tout genre, animés par le gain ou le pouvoir et qui trouvent dans ce chaos un terrain de jeu inespéré.

Car c’est bien tout l’écosystème informationnel qui est bouleversé, tout l’édifice de l’information qui est attaqué. De l’émetteur, qui peut travailler les opinions de n’importe quel pays (du moment qu’il est libre et démocratique), au récepteur, qui, de plus en plus, accède à l’information à travers des plateformes numériques qui en distordent l’intégrité. C’est à ce moment de bascule que nous assistons. Celui d’un éco-système de l’information pilonné par des crises majeures et l’irruption de dispositifs numériques disruptifs.

On pense bien sûr à la crise du Covid, que l’OMS a justement qualifié d’infodémie, et qui a été, au niveau planétaire, l’un des plus grands accélérateurs de la confusion informationnelle. Mais aussi à la guerre en Ukraine qui a révélé combien un État, la Russie, pouvait mettre toute sa puissance au service du chaos informationnel, ou encore à celle entre le Hamas et Israël, qui nous montre à quel point la désinformation ou la mésinformation peuvent nourrir une lecture partisane et polarisée du conflit. Tous ces moments de crise cumulés fragilisent ce qui est pourtant un pilier fondamental de la cohésion de nos sociétés démocratiques : les faits que nous partageons.

À quoi s’ajoutent des bouleversements technologiques : l’avènement du Web d’abord, l’apparition des réseaux sociaux ensuite, tous deux travaillés par des algorithmes qui en accentuent les travers, sans oublier l’irruption soudaine des IA génératives qui font vaciller notre perception du réel. Jamais l’intégrité de l’information n’a été à ce point fragilisée. Et les risques sont évidents : si on ne s’entend plus sur les faits, comment peut-on encore faire société ?

Une démocratie ne fonctionne correctement que si ceux qui la composent, ses citoyens, peuvent se faire une opinion éclairée des enjeux qui la traversent. Or, cet édifice délicat résiste mal au chaos informationnel. Et c’est bien là le fond du problème. Un citoyen est un électeur. S’il s’informe mal, il vote mal. Et c’est toute la mécanique démocratique qui se grippe.

On mesure donc à quel point il est plus que jamais nécessaire de savoir s’orienter dans ce brouillard informationnel. Encore faut-il avoir les outils qui permettent d’estimer le crédit d’un contenu auquel on est exposé en ligne. C’est précisément ce à quoi s’attelle l’ouvrage d’Alexandre Capron : offrir des clés de lecture, des méthodes, des ressources aux internautes citoyens d’aujourd’hui. Un véritable guide de survie en environnement informationnel hostile.

Tristan Mendès FranceMaître de conférences associé à l’université Paris-Cité, Spécialiste des cultures numériques et de l’extrémisme en ligne et collaborateur de l’Observatoire du conspirationnisme, Coproducteur de Complorama sur France Info

Avant-propos

Ce livre se concentre sur l’état des connaissances en matière de vérification des contenus sur les réseaux sociaux connus fin 2023, et se limite volontairement à des conseils sur les plateformes principales des réseaux sociaux : Facebook, Instagram, X (ex-Twitter), TikTok, YouTube. Les conseils que vous y trouverez s’appliquent cependant à tous les autres supports non cités, comme les messageries instantanées, telles que WhatsApp ou Telegram, voire BlueSky, Threads, Mastodon ou encore LinkedIn.

Certains exemples illustrés par des images ou des captures d’écran de vidéos peuvent choquer, mais ils correspondent à la réalité du travail de vérification qui s’effectue parfois sur des contenus sensibles.

Le lecteur doit garder à l’esprit qu’il s’agit d’une thématique où l’évolution des connaissances est aussi rapide que la diffusion des fausses informations : certains conseils pourraient s’avérer rapidement obsolètes, et des outils détaillés ne seront peut-être plus fonctionnels dans les mois ou années à venir. Ce livre pose cependant les bases d’une réflexion et d’une méthodologie qui resteront valables, et ce, aussi longtemps que la désinformation prospérera sur les plateformes numériques.

Enfin, il est utile de rappeler que, avant de commencer une enquête, il sera judicieux de prendre quelques précautions pour assurer sa sécurité numérique : tout utilisateur laisse des traces sur Internet, or, toute donnée personnelle a de la valeur, et protéger sa vie privée est essentiel pour ne pas s’exposer.

Introduction

Quand j’ai annoncé à mon épouse que j’allais rédiger un livre sur « comment repérer et se protéger des fausses informations », elle m’a plus ou moins répondu : « Pas compliqué, tu te coupes d’Internet et des réseaux sociaux et voilà, c’est terminé ! » Elle a tellement raison. Journaliste depuis une douzaine d’années, les réseaux sociaux et le flux informationnel qui vient avec, c’est mon quotidien. Difficile de décrocher des écrans, de peur de rater la dernière information à connaître, de ne pas se sentir informé et, dans mon cas, de ne pas informer mes potentiels lecteurs sur un sujet qui me semble important. Avec ce constat vient aussi la fatigue. Une grosse fatigue. Le sentiment d’être noyé face au flot d’informations et, pire encore, face à l’incertitude de ces informations souvent partagées par des inconnus.

Tout commence en 2012, lorsque j’intègre le média international français France 24, d’abord au sein de la chaîne de télévision, puis en tant que journaliste de la rubrique des Observateurs. La mission de cette équipe : vérifier et authentifier les contenus amateurs postés sur les réseaux sociaux ou envoyés directement à la chaîne.

Je me souviens très précisément de la première fois où j’ai été confronté à une fausse information dans ce cadre : en septembre 2012, un internaute avait envoyé des photos supposées montrer des zébus volés par des dahalos, des bandits habitués à dérober ces animaux pour des rites initiatiques, à Madagascar. En quelques clics, une collègue de l’époque avait retrouvé des traces de la photo dans des articles de presse datant de plusieurs semaines, et confronté la personne qui souhaitait nous alerter sur ces images, censées être récentes. Quelques mois plus tard, j’avais moi-même vérifié des images envoyées par des internautes voulant nous alerter sur des violences policières à Djibouti, des photos prises en réalité dans d’autres pays du continent africain.

À ce moment-là, difficile d’imaginer que, douze ans plus tard, les fausses informations seraient aussi nombreuses, organisées et permanentes, quasiment sur tous les sujets. La couverture de ce guide se veut d’ailleurs à leur image, en reproduisant leurs codes, avec cet aspect sombre et anxiogène, qui magnétise pourtant et qui exerce un pouvoir d’attraction intrigant… D’ailleurs, n’est-ce pas une des raisons qui fait que vous l’avez entre les mains ? Ce sont ces codes qui sont utilisés au quotidien par les désinformateurs, et ils ont malheureusement un impact fort sur l’information.

Alors, que faut-il faire pour leur échapper ? Éteindre les écrans ? Se débarrasser de son téléphone ? Ce serait la solution de facilité, bien sûr. Et surtout, ce serait renoncer. Alors que je n’avais aucune connaissance particulière dans ce domaine, grâce à mon métier, j’ai rapidement pris conscience que s’armer face à ce flot informationnel excessif était essentiel pour ne pas être soi-même berné, et donc pour transmettre une information vérifiée au public.

Vous vous demandez probablement pourquoi je vous partage mes questionnements. En fait, je crois fermement que le milieu dans lequel je travaille, celui du fact-checking, c’est-à-dire de la vérification des contenus manipulatoires sur Internet, représente un exercice de transparence et de transmission des connaissances d’utilité publique. Vérifier les fausses informations, ce n’est pas juste dire « C’est faux » ou « C’est vrai », c’est expliquer pas à pas, en dévoilant sa méthode, les outils utilisés et la façon de procéder. C’est montrer par la preuve comment on est arrivé à une conclusion, souvent nuancée, concernant un contenu.

Transmettre cette méthode et ces astuces a pour objectif de diffuser les bons réflexes face à ce flot informationnel, pour trier le vrai du faux. Mais c’est aussi une façon de dire que chacun d’entre nous à son rôle à jouer face à la désinformation. Vérifier n’est plus, et ne doit plus être, l’apanage des journalistes. Alors, bien entendu, c’est notre métier de vérifier les informations, en particulier celui des cellules dédiées de fact-checkers, et nous sommes payés pour le faire. Mais l’enjeu dépasse de loin le cadre journalistique : il concerne chacun d’entre nous, de façon quasi quotidienne.

Ce livre tente de répondre à cet enjeu, à son niveau. Il n’a pas la prétention de vous expliquer l’intégralité des techniques utilisées dans une rédaction de fact-checking, mais plutôt de vous présenter des réflexes de base, dont certains seront plus détaillés, afin de déconstruire les codes des désinformateurs et vous aider à repérer leurs manipulations. Ce guide, clair et concis, centralise les connaissances principales en matière de vérification, afin que vous puissiez avoir toujours l’essentiel à portée de main.

Cet ouvrage se veut surtout illustré, autant que possible, par des études de cas, en encadrés, issues de mon expérience : douze ans au sein d’une rédaction spécialisée dans la vérification des images, et près de sept années dans le milieu de la vérification des contenus manipulatoires. Ma spécialité est clairement la démystification des fausses informations visuelles, et si j’insiste sur cet aspect, les conseils sont valables pour toute désinformation à laquelle vous pourriez faire face.

En fait, au-delà de se protéger, je veux vous montrer que faire du fact-checking, c’est non seulement ludique, mais c’est aussi un épanouissement personnel. C’est être une sorte de détective, d’enquêteur. C’est parfois chronophage, et cette pratique apporte tantôt de la frustration, tantôt une grande satisfaction. Dire « Je pense que c’est faux », c’est bien. Expliquer pourquoi c’est faux, et le prouver, c’est mieux.

Faire du fact-checking, c’est également être curieux, ouvert à des techniques particulières, et déployer une certaine logique pour faire jaillir les faits face à des tentatives de brouiller les pistes, le fameux brouillard informationnel dans lequel nous nous trouvons trop souvent. S’interroger sur le sens de cette action, et sur ce que sont aujourd’hui les fake news, est le point de départ nécessaire pour comprendre l’intérêt de se lancer dans cette démarche.

Faire du fact-checking, c’est également appliquer une sorte d’hygiène numérique pour ne pas se faire avoir, mais pas seulement. C’est aussi informer les autres pour qu’ils ne soient pas trompés. Ce livre est autant pour vous que pour vos proches, vos amis, vos connaissances sur les réseaux sociaux.

Enfin, cet ouvrage est une invitation à ralentir, à prendre le temps de vérifier en fonction de ses possibilités. Tout examiner n’est pas possible, mais chacun peut le faire à son niveau : en prenant parfois juste trente secondes et d’autres fois plusieurs heures, selon ses envies et son appétence. Et si on ne trouve pas, alors ce livre est aussi une invitation à la prudence, pour ne pas relayer des informations trop vite… sans non plus céder au doute ou à la peur.

Aujourd’hui, nous avons accès à des outils géniaux et apprendre à s’en servir est un enjeu de société. En ouvrant ce guide, vous faites le premier pas pour apporter votre pierre à cet édifice.

Chapitre 1

Bien définir pour bien comprendre

« Fake news. » Depuis bientôt huit ans, j’entends ou je lis ce terme au moins une dizaine de fois par jour. J’ai appris à l’accepter, à le regarder d’un œil parfois amusé, parfois consterné. Un directeur de média m’a dit un jour qu’il fallait tordre le cou à cet anglicisme et « éduquer le public » en proposant l’une de ses variantes francophones, comme « infox ». Mon histoire avec ces deux mots, « fake news », comme pour de nombreux spécialistes de la vérification, est un peu tumultueuse.

Indéniablement, cette expression est devenue à la mode. Synonyme de désinformation, de manipulation, de tromperie, ces deux mots côte à côte résonnent comme une alerte souvent lancée par les uns pour avertir et par les autres pour contrer, voire se défendre, en agitant un terme certes connu de tous, mais parfois mal compris.

Si beaucoup estiment que les fake news datent de la nuit des temps, qu’elles étaient déjà présentes au XIXe siècle dans le cadre de nouvelles inventées dans des journaux, ou encore qu’elles ont été popularisées par le canular d’Orson Welles en octobre 1938, on se concentrera cependant sur la définition moderne du terme et son sens contemporain.

Aujourd’hui, la notion de fake news est au cœur d’une confusion majeure : qu’est-ce qui est réellement de l’ordre de l’information de nature à intoxiquer la pensée, pour mieux faire passer un message, une idéologie, et influencer ? La question vaut la peine d’être posée, car définir correctement ce terme, c’est comprendre comment s’en prémunir. Tout comme j’essaie moi-même de me prémunir au quotidien de tous les pièges que comporte cette notion.

Une origine parodique

Une des explications clés a été apportée par Jayson Harsin, professeur à l’American School de Paris et spécialiste de la post-véritéa. Dans son essai Guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie, il rapporte l’une des premières apparitions modernes du mot « fake news » :

Depuis 1999 au moins, le terme fake news a été utilisé dans un sens très large par un programme américain satirique d’information animé par Jon Stewart et qui se présentait ouvertement et ironiquement comme basé sur des « infos truquées ». Ce programme était « truqué » dans le sens où il imitait parfois le style des programmes relayant des « vraies nouvelles » ; il y avait des flashs d’information, et des journalistes étaient envoyés pour couvrir des événements ou invités à commenter l’actualité dans le studio2.

Les producteurs de cette émission, « The Daily Show », aujourd’hui animée par Trevor Noah, se sont d’ailleurs entourés d’auteurs du site satirique The Onion, équivalent américain du site français Le Gorafi, publiant des articles totalement inventés et humoristiques pouvant parfois paraître plausibles. Ainsi, l’expression « fake news » désignait initialement des blagues potaches, fondées sur des informations inventées mais crédibles, afin de divertir.

Jayson Harsin a procédé à une étude statistique de l’apparition du terme « fake news », qui révèle que, entre 1990 et 1999, une recherche de ces mots dans les moteurs de recherche ne renvoie qu’à une petite centaine de résultats. Puis, il détaille :

Entre 1999 et 2007 (pour s’en tenir à une période de huit ans), le nombre d’articles concernés passe à plus de 1 700, la plupart citant le « Daily Show ». Entre 2008 et 2012 : 1800 articles ; de 2013 à 2015 : 1 600 articles ; de 2016 à 2017 : 2 000 et plus3.

Ainsi, à l’origine, l’apparition du terme est liée à des contenus à vocation humoristique. Aujourd’hui, si de très nombreux sites parodiques sont relativement connus, comme le belge NordPresse ou le français SecretNews, certains continuent de diffuser des informations satiriques, parfois reprises au premier degré. Ce dernier site s’est notamment fait connaître en janvier 2018, en publiant un article intitulé « Ferrero rappelle 625 000 pots de Nutella contaminés au Lactalis » poussant l’entreprise Ferrero à démentir l’article parodique pris pour vrai par de nombreux consommateurs. La frontière entre humour et fausse information ayant des conséquences est ainsi fine, et toujours d’actualité.

Le sens moderne du mot

Selon le dictionnaire Collins, qui date l’émergence du terme à l’année 2015, les fake news sont « des fausses informations ou informations sensationnelles qui se font passer pour de vraies informations4 ».

Cette définition est à replacer dans son contexte : le terme a été véritablement popularisé dans le cadre de l’élection présidentielle américaine de 2016, et en particulier par Donald Trump qui l’a répété un peu plus de quarante fois sur Twitter (devenu depuis X), durant la campagne5, et à maintes reprises dans ses discours, visant en particulier les médias qu’il accusait de travestir la réalité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le terme « fake news » ne veut pas dire « fausse information ». Le terme « fake » est à prendre dans son sens premier, dans la logique trumpiste initiale : désigner quelque chose de « contrefait », ou « faisant semblant » de diffuser une information qui serait donc une « imposture ».

Ici, la logique de fake news se place dans ce qu’on appelle les « faits alternatifs » : l’information qui a été diffusée ne me plaît pas, je vais donc l’accuser de fake news pour me défendre, et proposer une autre version plus proche de ma perception et de ma façon d’analyser une situation. Cette logique – accuser l’autre d’être à l’origine du mensonge – a été la stratégie de Donald Trump durant toute sa présidence : selon le Washington Post, qui a tenu les comptes entre 2016 et 2021, Donald Trump a ainsi proposé sa version de la réalité à 30 572 reprises, soit une moyenne de 21 allégations erronées par jour6.

Un terme qui entretient la confusion

En 2017, dans son rapport annuel, l’agence Reuters a analysé la compréhension du terme « fake news » par le grand public. On peut notamment lire :

Les définitions des « fausses nouvelles » sont semées d’embûches et les répondants mélangent fréquemment trois catégories :

–Les nouvelles qui sont « inventées » pour gagner de l’argent ou discréditer les autres (1) ;

–Les nouvelles qui ont une base factuelle, mais qui sont « transformées » pour répondre à un objectif particulier (2) ;

–Les nouvelles avec lesquelles les gens ne se sentent pas à l’aise ou avec lesquelles ils ne sont pas d’accord (3)7.

Apparaissent ainsi de grandes différences de compréhension sur la thématique, sans pour autant que celles-ci soient fausses : d’un côté, des éléments issus de l’imagination, pouvant se rapprocher de l’information parodique (1), de l’autre, des informations réelles mais travesties (2), et enfin, des informations vraies mais avec lesquelles on n’est pas d’accord, qui seraient donc de l’ordre de la perception individuelle ou de l’opinion (3).

Le rapport, qui montre que le terme est associé au traitement médiatique, conclut notamment :

La production d’informations indifférenciées, dont les titres sont souvent des pièges à clics, est désormais exposée par la diffusion sur les réseaux sociaux, où les consommateurs sont moins conscients des sources d’origine et ne cherchent pas à choisir une chaîne d’information spécifique8.

En somme, une fake news n’est pas tant définie par son contenu que par sa forme : c’est parce qu’elle imite le style journalistique et les codes de l’information médiatique traditionnelle qu’elle brouille la frontière entre le factuel et le manipulatoire.

Fake news, infox… à quel mot se vouer ?

C’est pour cette raison que, dans le milieu des journalistes et celui des chercheurs, voire de certains sociologues, le terme « fake news », trop connoté, n’a pas bonne presse. Beaucoup lui préfèrent le terme plus large « fausse information », moins parlant pour le grand public. D’autres avancent le mot « intox9 », comme les Observateurs de France 24 depuis 2015 ; l’Office québécois de la langue française déconseille fortement l’utilisation de l’anglicisme pour privilégier « fausse nouvelle10 » ; et l’association Défense de la langue française a même proposé le terme « fallace11 ».

Plus récemment, en 2018, l’Académie française a officiellement retenu le mot « infox », depuis inscrit au Journal officiel de la République française (JORF). Le terme est défini comme une « information mensongère ou délibérément biaisée12 », dans la base de données de FranceTerme. Concrètement, son inscription au JORF « oblige l’administration à utiliser [ce mot], mais ce n’est qu’une recommandation pour les citoyens13 », comme le précise Pierrette Crouzet-Daurat, responsable de la Mission développement et enrichissement de la langue française du ministère de la Culture.

À l’instar de « fake news », le terme « infox » n’est pas non plus très utilisé dans la sphère des vérificateurs francophones. Contraction de « information » et « intoxication », le terme mélange ainsi les deux concepts. Or, une fausse information peut-elle vraiment être considérée comme une information ? À la fois une information et une intox ? Le terme, s’il a le mérite d’éviter un anglicisme, poursuit la même logique que celui de « fake news », introduisant une confusion entre ce qui est de l’ordre de l’information et ce qui est de l’ordre de la désinformation.

Force est de constater que tous ces mots ne se sont pas imposés au grand public, pas plus auprès des médias ou des personnalités publiques qui continuent d’utiliser régulièrement les mots « fake news », résonnant bien plus à l’oreille du chaland numérique. Une simple recherche via Google Actualités confirme cette tendance : « fake news » renvoie à plus de 1,6 million de résultats, alors que « infox » n’en fait ressortir que 4 95014.

D’ailleurs, c’est probablement la raison pour laquelle vous avez acheté ce livre : vous seriez-vous arrêté sur un terme différent que « fake news » ? Cette expression n’est pas à bannir de votre vocabulaire, cependant il faut bien analyser sa signification, et surtout ce qu’elle représente aujourd’hui.

Une utilisation galvaudée du terme « fake news »

Pour se prémunir des fausses informations, mais aussi protéger ses proches, voire ses contacts numériques, adopter une bonne hygiène linguistique semble être la première étape : être prudent avec ce terme est une priorité, tant il est utilisé à tort et à travers. Crier à la fake news est devenu, à l’image d’un Donald Trump duplice, une façon de critiquer l’autre camp, souvent un média, peu importe que son information soit juste ou fausse – la fameuse « réalité alternative » que nous évoquions plus tôt.

À titre d’exemple, en juillet 2023, une polémique éclate à Marseille autour du choix du nouveau délégataire du château de la Buzine avec l’éviction du président de l’association gestionnaire, Nicolas Pagnol, petit-fils de l’écrivain français. La décision est critiquée par plusieurs responsables politiques locaux, qui accusent le maire de Marseille de satisfaire ses alliés communistes. Certains politiciens, comme Valérie Boyer, sénatrice Les Républicains des Bouches-du-Rhône, n’hésitent pas à dresser des parallèles douteux en évoquant la relance à Marseille d’une « purge communiste15 ». À cela, Benoît Payan, le maire de la cité phocéenne, répond le 16 juin au journal La Provence : « Si la seule chose qui reste à mon opposition est d’utiliser les fake news, c’est qu’on doit plutôt bien travailler16. »

L’utilisation du terme peut ici paraître anodine, mais elle ne l’est pas : dans le cadre d’une polémique politique, il renvoie dos à dos les camps en désaccord, discréditant l’adversaire en l’accusant de diffuser de la désinformation. Ce terme a en fait un défaut majeur : il est désormais principalement galvaudé, utilisé à des fins de défense, particulièrement politique, et introduit une grande confusion dans le débat public sur son véritable sens initial : « Une information fabriquée, qui reprend les codes de l’information classique, pour mieux nuire à autrui, pour tromper délibérément, pour désinformer voire pour divertir17. » Dans notre exemple marseillais, l’information n’est pas diffusée selon cette logique : elle est exploitée dans une joute politique classique s’inscrivant dans un débat d’arguments. Cette illustration montre comment ces deux mots sont souvent utilisés sans raison ni justesse. C’est le premier écueil à absolument éviter.

Médias et fake news… accusés et responsables

L’une des utilisations les plus courantes du terme « fake news » se retrouve également dans l’accusation faite aux « médias », terme générique pour désigner les journalistes à qui on reproche de diffuser des informations trompeuses.

Ce mot fourre-tout, on l’a vu, a particulièrement été sollicité par Donald Trump dans ce cadre, mais il est aussi régulièrement employé par des personnalités publiques présentes sur les réseaux sociaux. Ainsi, en mars 2023, la YouTubeuse Enjoy Phoenix le mentionnait pour protester contre un article de BFMTV qu’elle jugeait incomplet18, ou encore en décembre 2022, l’entraîneur de l’équipe nationale de football belge Roberto Martinez contestait une information relayée par L’Équipe, au sujet d’une brouille entre cadres de son vestiaire, en la qualifiant de « fake news »19.

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