Fatales négligences - Régis Bégué - E-Book

Fatales négligences E-Book

Régis Bégué

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Beschreibung

Des événements tragiques apparaissent à l'horizon. Aymeric Le Bellec ne sent venir la catastrophe que trop tard.

Une simple faute d’inattention, c’est ce que plaide Aymeric Le Bellec au moment où on le découvre en tenue d’Adam dans le vestiaire des femmes de la salle de sport de son entreprise. Mais qu’est-il en mesure de prouver ? S’ensuit un odieux chantage qui va conduire celui qui se voyait déjà à la tête de la FrogAmber, rayonnante compagnie d’énergie renouvelable, à enchaîner les erreurs quand il tentera de couvrir ses agissements graves par des actes pires. Obnubilé par les menaces qui pèsent désormais sur sa carrière, il en néglige une autre bien plus terrifiante encore. On ne s’est pas méfié du froid venu de Sibérie, qui s’abat sur Paris et l’Europe. On aurait dû, car le black-out électrique est imminent. Un drame aux conséquences incalculables.

Après S.N.O.W. (2018) qui avait plongé le lecteur dans les méandres de la finance, Régis Bégué nous livre ici un roman d’anticipation sur la fatale panne d’électricité, l’une des hantises de notre monde moderne hyperconnecté. Lorsque géopolitique et spéculation énergétique se mêlent, le résultat est des plus apocalyptiques, mais le scénario bien trop réel.

Aymeric Le Bellec va devoir faire attention à bien choisir les personnes auxquelles il accorde sa confiance...

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce nouveau roman de Régis Bégué pousse un cran plus loin mon appréciation de cet auteur, dont les thrillers, piquants et intelligents, révèlent avec malice une vision tranquillement lucide du monde et de l'ambivalence humaine, enrichie de quelques arguments et observations qui lui donnent un certain sel. Un auteur qui mérite d'être découvert par de nombreux lecteurs. - Cannetille, Babelio

Ce roman est d'une grande facilité de lecture, on le dévore jusque la fin sans pouvoir s'arrêter !- michel.carlier15, Babelio


À PROPOS DE L'AUTEUR

Formé aux mathématiques, à l'économie et au commerce, c’est par hasard que Régis Bégué entre dans la finance, en 1994. D'abord courtier, il est aujourd'hui gestionnaire dans une grande institution. Un détail d’importance puisque ce nouveau polar prend corps sur fond d’intrigue financière et de spéculation boursière.
Ce métier exigeant nécessite des soupapes d'aération et d'oxygène. Il les a trouvées avec l'écriture, mais également le piano, la peinture, le théâtre, le chant !
En 2000, il s'est attelé à son premier roman, Les cimes ne s’embrassent pas, dans lequel il a créé le village imaginaire de Saint-Ravèze, que l’on retrouve dix-huit ans plus tard dans S. N. O. W. Entre les deux, il n'a jamais vraiment posé la plume ni abandonné le clavier. Et tant qu'il aura des histoires à raconter et qu’il y aura des gens pour les lire et les aimer, il continuera !
Il est né, a grandi et réside en région parisienne.

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Contenu

Page de titre

Dédicace

Prologue

Mercredi 15 janvier

Jeudi 16 janvier

Vendredi 17 janvier

Samedi 18 janvier

Dimanche 19 et lundi 20 janvier

Lundi 20 janvier

Lundi 20 janvier

Mardi 21 janvier

Mercredi 22 janvier, dans la nuit

Mercredi 22 janvier, au matin

Six mois plus tard. Lundi 14 juillet, au matin

Ce fameux lundi 20 janvier, au matin

Lundi 14 juillet

Lundi 14 juillet, au soir

Mardi 15 juillet, au petit matin

Mardi 15 juillet, plus tard

Mercredi 16 juillet

Mercredi 16 juillet

Vendredi 15 août

Le mot de l'éditeur

Bonus littéraire

Dans la même collection

Copyright

À vous tous qui vous reconnaîtrez.
Allongé sur mon sofa, caressé par une adorable brise marine, bercé par le chant lointain des cigales, un œil sur l’écran, l’autre sur l’eau bleue tranquille qui semble sommeiller, j’en oublierais presque les événements tragiques de l’hiver. Je crois que je peux précisément dater de ma première rencontre avec Chloé, en ce soir du 15 janvier dernier, le commencement de la catastrophe.
Mercredi 15 janvier
— C’est sublime, c’est affreusement sublime ! déclara sentencieusement Chloé qui, à l’inverse de son Jean-Baptiste de père, maniait la langue de Molière avec une hardiesse à nulle autre pareille.
Car Chloé pratiquait l’oxymore avec autant de dextérité que l’imparfait du subjonctif, quoi qu’en eût pu supposer au premier abord un mâle comme moi qui, victime de ses hormones, risquait de voir son juste jugement initial altéré par la découverte de la délicieuse silhouette de la jeune souris, héritée de sa non moins merveilleuse maman, Caroline.
Son exclamation me qualifiait. Je crois – je suis même certain – que c’est de moi que Chloé parlait, puisque j’étais seul dans la pièce, arborant la tenue d’Adam de pied en cap, et qu’elle fixait du regard l’appendice émergeant de mon pubis quand elle s’exclama effectivement :
— C’est sublime, c’est affreusement sublime, un homme nu ! Et formidablement indécent en même temps, non ?
À brûle-pourpoint, comme ça, je n’avais pas grand-chose à répondre à ce « non » interrogatif.
Chloé n’avait peut-être pas vingt-cinq ans. J’avais le rouge aux joues devant l’incongruité de la situation. Moi, nu comme un ver dans ce vestiaire ; elle, légèrement vêtue. Désarmé, j’usai de ma main gauche comme d’une feuille de vigne, dérobant à sa vue l’objet de ses remarques embarrassantes, tout en tâtonnant de l’autre afin de dénicher sur le banc derrière moi une serviette susceptible de me servir de pagne. Mais rien. Me retourner pour repérer visuellement l’endroit où je l’avais laissée ? J’aurais montré mes fesses à l’intruse. Peut-être la serviette en question avait-elle même glissé et gisait-elle lamentablement sur le carrelage humide.
Campée sur ses jambes légèrement écartées, les mains posées sur ses hanches, elle m’interrogeait du regard, comme si c’était à moi de me justifier.
— Excusez-moi, mademoiselle, c’est affreusement gênant. Vous… vous ne devriez pas être là, il me semble.
Plutôt que de me répondre, de se cacher les yeux le temps que je trouvasse un moyen de me vêtir, elle rabattit la porte qu’elle venait d’ouvrir au moment de me surprendre, me donnant à voir clairement le pictogramme dont elle était ornée et qui ne laissait aucune place au doute : la jupe et les cheveux longs – quoiqu’il m’apparût soudain terriblement sexiste de résumer la gent féminine à de tels attributs – indiquaient formellement que le vestiaire dans lequel je m’étais engouffré sans y prêter attention était réservé aux dames. C’était donc moi qui n’avais rien à faire ici, sauf à vouloir intentionnellement m’exhiber devant les innocentes jeunes filles que j’avais, entre autres, la responsabilité d’embaucher.
Si, par le plus grand des malheurs, quelqu’un se trouvait être témoin de cette scène, c’en était fini de ma carrière et de tout ce qui devait s’ensuivre, la nomination du nouveau président-directeur général de notre belle entreprise dont j’avais patiemment – trop, sans doute – gravi tous les échelons jusqu’ici. J’étais bon pour l’opprobre généralisé et peut-être même pour la cour d’assises.
Pour l’heure, nous étions encore debout l’un et l’autre – l’une, elle, et l’autre, moi, devrait-on dire. On entendit des pas. Nous, oui. Chloé en percevait l’écho aussi bien que moi. En cet instant, mon avenir professionnel et mon avenir tout court se trouvaient dans la poignée de la porte du vestiaire que Chloé avait fermement saisie. Cette femme, d’une jeunesse insolente et d’une beauté diabolique, tenait pour de bon mon destin dans sa main. Allait-elle refermer la porte, me laisser le temps de me cacher avant qu’une autre employée ne nous surprît, ou au contraire attendre paisiblement de me voir ainsi confondu ?
Le pas que nous distinguions de plus en plus nettement s’approcher était indubitablement celui d’une femme chaussée d’escarpins, et sans doute engoncée dans une jupe si étroite qu’elle l’obligeait à avancer par de courtes enjambées, rapides et saccadées. Chaque coup de bec sur les carreaux résonnait pour moi comme le roulement de tambour précédant le couperet du condamné à mort. Une vie, une vie tout entière consacrée à cet objectif que j’atteignais presque, des années de labeur, des week-ends passés à bûcher sur des plans de financement, des centaines d’après-midis soporifiques dans des meeting rooms à se colleter avec les balivernes des directeurs en tout genre, à signer des paperasses jargonneuses, à faire des ronds de jambe au patron, tous ces efforts pouvaient-ils se voir gâchés, laminés, effacés par une simple erreur d’interprétation de la signalétique des vestiaires ? Une faute, je l’admettais, mais une faute d’inattention seulement ! Rien de plus. Il n’y avait là aucune malice de ma part, pas d’intention vicieuse. De mes yeux suppliants, j’interpelai celle qui, à cet instant, détenait tout pouvoir sur moi, l’implorant : « Très chère jeune fille, vous ne pouvez pas me faire ça ? »
Chloé s’en cognait. Tandis que l’indésirable témoin extérieur de mon erreur continuait d’avancer de sa démarche d’écureuil, l’œil mutin de Chloé ne lâchait pas mon corps dénudé. Mais, au moment fatidique, la lumière s’éteignit brusquement.
— Y a quelqu’un ?
C’était une voix de femme. La cinquantaine peut-être. Le ton était ferme, autoritaire, pour masquer l’inquiétude qui sourdait néanmoins lors du deuxième appel.
— Y a quelqu’uuuuun ?
L’inconnue poursuivait sa progression vers le vestiaire dans la nuit complète qui enveloppait désormais le sous-sol tout entier. Le martèlement des talons aiguilles s’était fait beaucoup plus lent, hésitant. Chloé restait silencieuse ; moi aussi. Seule la plainte de la quinquagénaire déchirait désormais le silence absolu qui avait accompagné l’obscurité, la ventilation ayant simultanément cessé son ronronnement régulier.
— Si c’est une blague, ce n’est pas drôle, je vous préviens !
Nous nous taisions.
— Bon, vous rallumez maintenant ? Vous allez entendre parler de moi !
Dans son affolement, la femme perdue laissait libre cours à une colère absurde qu’elle ne savait pas contre qui diriger. Tout en vociférant, elle continuait de s’approcher de nous.
Intérieurement, je remerciai Chloé d’avoir actionné l’interrupteur. C’était sans doute la meilleure chose à faire. Avec un peu de pot, la visiteuse indésirable n’allait pas trouver le moyen de rallumer et s’en retournerait d’où elle venait, me laissant le temps de me rhabiller en hâte. Bizarrement, plutôt que de mettre à profit ces précieuses secondes de noir pour me vêtir, je restais tétanisé, incapable d’agir intelligemment, incapable de penser même. D’autant que l’ire de l’inopportune intruse ne retombait pas.
— Bon, les meilleures plaisanteries sont les plus courtes, je vous ferais dire ! Que celui qui a fait sauter la lumière la réenclenche maintenant !
Cette fois-ci, elle hurlait pour de bon d’une voix éraillée et paniquée tout en s’acharnant probablement sur un pauvre interrupteur dont elle allait finir par casser les ressorts si elle persistait à le maltraiter ainsi.
À cet instant-là seulement, je compris que Chloé n’avait pas elle-même choisi de me sauver en éteignant les néons. C’était la fée électrique qui s’était évanouie et avait interrompu l’avancée de celle qui risquait de me surprendre dans mon plus simple appareil au beau milieu du vestiaire des femmes. Mon salut provisoire ne devait rien à la clémence de Chloé, qui avait été recrutée, au sortir de ses études, dans l’équipe Transmission quelques mois auparavant et qui m’avait tapé dans l’œil dès le premier jour, quoique je n’en montrasse rien. Consciemment ou non, elle s’était de son côté montrée aguicheuse dès ses débuts dans l’entreprise. Elle ne pouvait ignorer que son anatomie possédait des atouts qui l’avaient rendue si populaire auprès des garçons et si détestable auprès des autres. Et elle, qu’avait-elle pensé de moi ? Lui avais-je paru attirant malgré les presque quinze ans qui nous séparaient et ma calvitie naissante ? La figure paternelle et rassurante que j’avais essayé de lui renvoyer, jusqu’à cet accident d’orientation qui m’avait placé devant elle dans une posture indélicate, avait-elle suscité chez Chloé un quelconque désir, ou au moins une curiosité de sa part ? Ces questions me taraudaient tellement que je ne me préoccupais toujours pas de rassembler mes affaires et de me vêtir.
L’inconnue du couloir semblait maintenant piétiner et tâtonner pour trouver une issue de secours. Le grincement d’un gond de porte, suivi d’une vibration puis d’un silence de mort, me laissa supposer qu’elle avait fini par y parvenir. Malgré les longues minutes passées dans l’obscurité la plus complète, mes yeux ne percevaient toujours absolument aucune forme de vague clarté, nulle part. Une épaisse noirceur nous étreignait, pas même troublée par le scintillement lointain d’une lanterne de sortie. De toute évidence, c’était l’ensemble du courant qui était coupé. Un comble, pensai-je, pour une entreprise comme la nôtre qui se targuait de vendre à ses clients des solutions énergétiques complètes allant de la production d’électricité dite verte jusqu’à son stockage et même sa revente ! Cette idée me fit sourire, d’abord, puis aussitôt après me plongea dans l’inquiétude. Notre bâtiment ne devait-il justement pas être l’exemple même de la stabilité énergétique dont nous vantions quotidiennement les mérites à nos clients ? S’il se savait que nous avions dû faire face à une panne de courant de grande ampleur, s’il s’avérait, sait-on jamais, que nous en étions de surcroît responsables, par la faute d’un onduleur quelconque ou d’un régulateur de tension, qu’adviendrait-il de nous tous, de l’avenir de l’entreprise ? Et du poste de président qui me tendait les bras ? Cette soudaine angoisse me fit oublier les tourments qui occupaient mon esprit un instant auparavant. Chloé était passée au second plan ; mon slip aussi. Soudain, je réalisai qu’il était temps de me ressaisir, de remettre la main sur mon caleçon, ma chemise et mon pantalon, et de m’habiller en toute hâte. Personne ne pouvait me voir ou même distinguer vaguement mes déplacements dans un noir aussi complet. J’étais libre de mes gestes et de mes mouvements. Je me mis sérieusement en quête de mes vêtements.
Mais, ce jour-là, le sort avait décidé de s’acharner sur moi. Ou était-ce la volonté de Chloé ? Ou bien encore tout simplement la faiblesse de mes intimités ? Le hasard jouait également son rôle, peut-être. Et l’électricité aussi, indéniablement. Bref, une conjonction de facteurs s’apprêtait à bouleverser le cours de la vie que je m’étais écrite.
Je ne l’avais pas entendue s’approcher. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, affairé à tester à tâtons les portemanteaux en quête d’un bout de tissu salvateur, je sentis son souffle dans mon cou et ses mains chaudes se poser sur mes hanches. Elle était là, tout près de moi. Presque collée à mon corps encore dénudé.
La chaleur de sa peau sur la mienne produisit le résultat que la Nature prévoit en pareille circonstance sur ledit organe, celui que Chloé avait désigné dans son exclamation liminaire. Cette situation nouvelle n’arrangerait certainement pas mes affaires si le courant en revenait lui aussi à sa vocation première et se mettait à courir le long des fils prévus à cet effet, autorisant ainsi les néons à jeter sur mon anatomie un éclairage indésirable. Tétanisé, le cœur battant à tout rompre sous l’effet combiné des nécessités artérielles et de la peur, je restais immobile, incapable de choisir entre la pulsion que la jeune femme avait su susciter en moi et la raison pure, trop souvent critiquée, qui aurait dû me pousser à me dégager de cette étreinte que je n’avais nullement sollicitée. Mais la main de Chloé, qui glissait désormais sur mon torse et descendait calmement, mais sûrement, vers mon bas-ventre, ne m’autorisa plus à hésiter très longtemps. Je me retournai vers elle, la plaquai contre moi et entrepris de dégrafer son corsage, comme la pauvre Margot le faisait d’elle-même en son temps. Ma langue se promenait maintenant sur ces seins généreux qui s’offraient à moi. Les gémissements de Chloé semblaient encourager mes diverses entreprises. Elle s’abandonnait. Je libérai mes instincts les plus primaires.
Le moment était délicieux, je pourrais encore l’en remercier. Enivré par l’extase, je crois que je ne réalisai pas tout de suite. Je la voyais gigoter contre moi, me griffer passionnément. Il me fallut probablement de longues secondes, trop longues, pour comprendre qu’en réalité elle se débattait désormais. Non qu’elle refusât l’étreinte ou qu’elle eût brusquement changé d’idée. Mais un événement s’était produit dont, dans ma fougue, je n’avais pas pris conscience. Nous n’étions plus dans le noir. Et nous n’étions plus seuls dans le vestiaire.
Pivoine, l’épouvantable trésorière du groupe, la mégère, l’indescriptible commère du septième étage, celle dont la langue de vipère jaillissait si facilement de derrière ses lèvres trop pulpeuses pour être vraiment tendres et trop rougies pour être honnêtes, écarquillait ses grands yeux globuleux devant le piètre spectacle que nous donnions à voir. Les deux gros calots bleu-gris semblaient incapables de se détacher de nos peaux humides et découvertes. Il fallait réagir.
De manière fugace, je m’imaginai étrangler la curieuse en un tournemain et me débarrasser promptement de son corps. Mais la diablesse pesait son poids. Je me vis traînant cette masse dans le vestiaire, la fourrer difficilement dans mon sac de sport préalablement vidé, hisser le tout dans le coffre de ma voiture, avec l’aide de Chloé, et… Et après ? Je renonçai bientôt à ce projet séduisant, mais absurde.
J’avais fini par me figer, protégeant pudiquement de mes deux mains la partie la plus saillante de mon anatomie. Chloé avait, grâce à l’éclairage, pu attraper mon maillot de corps rose bonbon que j’avais négligemment jeté lorsque je m’étais distraitement précipité dans cette douche pour femme après ce footing de triste mémoire. Ce T-shirt aux vertus absorbantes, qui m’avait été offert par mon épouse au Noël précédent quand j’avais annoncé avoir l’intention de me préparer pour le marathon de New York l’année suivante, couvrait désormais la poitrine de la jeune fille et descendait à peu près jusqu’à son pubis. Pivoine restait immobile, nous dévisageant l’un et l’autre, évitant de laisser tomber son regard assassin vers les parties plus intimes de nos corps impurs.
— Pivoine, intervins-je finalement. Pivoine, nous sommes désolés, nous nous sommes bêtement laissés aller. L’obscurité soudaine, je ne sais pas…
Nous tenant tête avec froideur, Pivoine se taisait. Les jambes rigoureusement plantées dans le carrelage blanchâtre, enserrées dans une jupe bleu marine étriquée qui descendait en dessous de ses genoux, les bras ballants et les poings refermés, elle me laissait m’emberlificoter dans mes explications. Je poursuivis :
— En fait, je vais vous expliquer. Voilà, je me suis trompé. Je commence ces jours-ci l’entraînement pour le marathon de New York, qui aura lieu à l’automne prochain. J’ai fait mon premier footing en semaine ce soir. C’est la première fois que j’utilise les vestiaires de l’entreprise et j’ai choisi la mauvaise porte, tout simplement, dans ma précipitation. J’étais à bout de souffle, pressé de repartir et de rentrer chez moi, je n’ai pas fait gaffe. Je voulais me doucher chez les hommes, bien sûr, mais je suis entré chez les femmes, par inadvertance, je vous assure. En sortant de la douche, je suis tombé sur… et, enfin voilà, la lumière s’est éteinte et…
C’est en prononçant ces mots que je m’aperçus que je ne connaissais même pas le prénom de la demoiselle avec laquelle je m’apprêtais pourtant un instant auparavant à m’accoupler fougueusement. Il faut reconnaître que Chloé ne s’était pas présentée avant de promener sur mon torse, et ailleurs, ses doigts chauds.
De sa voix rauque de vieille fumeuse, Pivoine me lança :
— Ah bon ? Trompé ? Vous vous êtes trompé de porte et vous en avez déduit que vous aviez le droit de vous jeter sur la première venue dans ce vestiaire ? C’est ça ? Vous pensez que votre position de DG vous donne toutes les prérogatives sur les jeunes filles qui débutent dans l’entreprise ?
Pas commode, la – vieille – fille. Il y avait peut-être de quoi. Elle avait dû en voir de toutes les couleurs et s’était assurément forgé une opinion détestable de la gent masculine dont je me trouvais ici être l’éminent représentant. Je me défendis :
— Ah non, non, non ! Ah non, c’est vous qui interprétez…, mais en réalité, ce n’est pas moi qui ai… enfin, disons que c’est d’un commun accord que nous avions commencé à… et puis voilà, vous êtes arrivée, mais en aucun cas je n’aurais osé, je n’aurais même pas songé à une relation qui ne soit pas, disons…, pleinement consentie ! Hein, euh… ?
J’implorai Chloé du regard, mais je ne pouvais pas l’interpeler par son prénom, que j’ignorais toujours. Elle balança son ondulante chevelure châtain foncé vers l’arrière et laissa apparaître un sourire affable, tendre, vers Pivoine. Je repris espoir ; Chloé serait-elle prête à sacrifier sa réputation, à endosser auprès des autres filles de la boîte la panoplie de la vulgaire catin qui se tape le premier venu, pour me sauver d’une injuste accusation ? Elle demeura silencieuse pendant quelques secondes que je perçus comme des éternités mises bout à bout. Le doute m’assaillit. Chloé s’apprêtait-elle plutôt à saisir la perche que lui tendait Pivoine, à se faire passer pour la victime du prédateur dont j’avais toutes les apparences, pour en optimiser le bénéfice, ruinant ainsi non seulement mes espoirs légitimes de promotion, mais aussi ma carrière tout entière ? D’une voix légèrement éraillée, Chloé lança :
— Chère madame, je crois que nous ne nous connaissons pas. Je suis arrivée la semaine dernière et cette situation est, comment dire, affreusement gênante. Je m’appelle Chloé. Chloé Debord.
Je me réjouis intérieurement d’obtenir cette information en même temps que Pivoine qui, elle, y semblait complètement indifférente. Chloé élargit encore son sourire, cherchant sans doute à amadouer une interlocutrice susceptible de se muer, en un éclair, d’avocate de la victime que Chloé semblait être de prime abord, en juge d’instruction de la garce qu’elle pourrait devenir à ses yeux.
Elle s’apprêtait à poursuivre quand l’électricité se coupa encore brusquement, nous plongeant tous les trois à nouveau dans le noir.
Jeudi 16 janvier
Le terme « électricité » vient du grec elektron qui désignait l’ambre jaune, une pierre aux vertus électrostatiques. Notre président-fondateur, qui se nommait Jacques Ambert, avait voulu jouer sur les mots en utilisant amber, traduction d’« ambre » en anglais, pour nommer l’entreprise de production d’électricité entièrement renouvelable. Jacques Ambert l’avait baptisée la FrogAmber, rappelant par un clin d’œil à nos amis d’outre-Manche le caractère français de cette compagnie novatrice. Jacques était un admirateur inconditionnel de Galvani qui, par son expérience de 1770 sur les grenouilles, avait prouvé que l’électricité permettait de mouvoir leurs pattes. L’illustre savant avait ainsi uni, selon M. Ambert, les sciences physiques et naturalistes, ce qui faisait de lui, toujours selon notre président, le premier écologiste des temps modernes.
C’est ce même M. Ambert qui me proposait à l’instant de me faire couler un café bien chaud et de l’accompagner ensuite le boire sur la terrasse. Pour une mi-janvier, l’ambiance était particulièrement douce, nous n’aurions pas froid. Nous pourrions contempler les touristes s’automitraillant de selfies devant l’Arc de Triomphe et balayer du regard presque toute la capitale qui avait décidé ce matin-là de se donner des faux airs de printemps.
— Sais-tu que les Québécois ont inventé un mot pour traduire selfie en français ?
M. Ambert raffolait de ce genre d’anecdotes, et moi, bien entendu, je ne manquais jamais de paraître intrigué. M. Ambert tutoyait tout le monde dans l’entreprise qui se voulait à la pointe de la branchitude. Mais seuls quelques-uns lui renvoyaient la pareille et je n’en faisais pas partie. Je n’usais même pas systématiquement de son prénom. Tout dépendait des circonstances.
— Ils appellent ça des égoportraits, poursuivit-il. Amusant, non ? Et nous qui anglicisons à outrance sans même nous en rendre compte…
Cette dernière remarque me laissa perplexe. Devait-on se réjouir du fait que les Canadiens perpétuassent la langue de l’Hexagone ou au contraire regretter que les Français n’en fussent pas capables ? Ou bien encore l’inverse ? Hésitant sur l’attitude à adopter, je préférai me taire, laissant ainsi au président le loisir d’enchaîner sur le sujet que je brûlais d’aborder, mais que je prenais soin d’éviter tant que lui-même n’avait pas décidé de l’évoquer : sa succession au titre de président-directeur général. Nous étions deux à pouvoir y prétendre, mais je tenais sérieusement la corde, à condition bien sûr que cette affaire de vestiaire de la veille ne vînt pas entacher ma réputation jusqu’ici irréprochable.
Le soleil jaillit soudain de derrière les toits et dispensa une lumière chaude sur toute la ville. Paris était orange. Le président esquissa un sourire. Non pas un de ces sourires en coin, condescendant, comme il en avait l’habitude, mais plutôt une expression radieuse devant la rencontre de l’astre lumineux avec la métropole qui s’éveillait encore dans la fumée des quelques échappements qui subsistaient. Bientôt, le moteur à explosion ne serait plus qu’un souvenir. On n’entendrait plus le vrombissement des pistons se mouvant dans les cylindres en un sempiternel va-et-vient, des bielles, ni des vilebrequins. La circulation automobile ne serait plus qu’un chuintement de bobines électriques. On s’apprêtait à se déplacer exclusivement à l’aide de l’électricité, elle-même produite de la manière la plus propre qui soit, sans émission de gaz malfaisant. La FrogAmber serait l’un des principaux pourvoyeurs de cette énergie nouvelle. Et à la tête de la FrogAmber, qui trouverait-on ? Bibi. Le président que je m’apprêtais à devenir. Mais loin de m’annoncer la nouvelle que j’attendais tant, M. Ambert me glaça le sang en m’assénant froidement la question que je redoutais tant. Sa mine se fit austère, sévère, intransigeante. Il lâcha les toits de Paris et planta ses yeux noir de jais dans les miens. Je frémis.
— Dis-moi, Aymeric, que s’est-il passé au juste hier soir ? Disposes-tu d’une explication claire et nette concernant cet événement avant que je sois obligé de lancer une enquête ?
Hier soir ! Hier soir, comment ça, qu’est-ce qui s’est passé ? Je blêmis. Je m’appelle Aymeric Le Bellec. Je n’y peux rien, je n’ai pas choisi. Il me scruta sans broncher. Un vent léger me fit frissonner, ou bien était-ce la peur ? La bourrasque souleva la longue mèche grise qu’Ambert allait chercher assez loin le long des tempes, juste au-dessus de l’oreille, pour la rabattre et masquer partiellement la nudité du haut de son crâne. La houppe ainsi libérée se mit à danser au-dessus du front du président. En d’autres circonstances, la cocasserie de la scène m’aurait intérieurement fait ricaner. Mais, devant la gravité du sujet qu’il évoquait, j’avais totalement perdu le sens de l’humour. Le ballet de la mèche ajoutait encore à ma terreur. Rongé par l’inquiétude, je n’avais déjà pas fermé l’œil de la nuit. Le ton incisif de Jacques Ambert me plongeait dans la plus incontrôlable des paniques. Je me mis à bredouiller, à bafouiller que je ne voyais pas très bien de quoi au juste il voulait me parler, à quel événement précis il faisait exactement référence. Il posa si brutalement sa tasse sur la table qu’il en brisa l’anse. Puis il sortit de ses gonds.
— Évite d’adopter cet air de chien battu avec moi ! Ne me prends pas pour un imbécile, tu veux ? Tu sais très bien de quoi je parle ! Si l’affaire s’ébruite, nous serons la risée de la France entière, si c’est pas de l’Europe. Et toi ! Toi, le premier, tu seras ridiculisé, brocardé partout. Réponds-moi sans tourner autour du pot : est-ce que tu peux te justifier publiquement si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, l’incident venait à la connaissance du grand public ?
En fait, je détestais Ambert. C’était un être arrogant, fier de lui et de sa réussite. Parti de rien pour arriver à pas grand-chose, comme on aimait à le définir en catimini dans la boîte, il s’imposait par la terreur plus que par un charisme qui lui faisait cruellement défaut. C’était essentiellement en coupant des têtes autour de lui qu’il s’était maintenu à son poste toutes ces années, malgré les nombreux changements au conseil d’administration qu’avaient occasionnés les diverses augmentations de capital rendues nécessaires par l’entrée de nouveaux investisseurs à ses côtés. La cotation en Bourse avait achevé de diluer la participation de Jacques Ambert au capital et l’avait rendu minoritaire au sein de sa propre entreprise. Il n’en détenait plus qu’à peine un sixième. Dès lors, loin de se montrer plus amène et conciliant avec ses collaborateurs, le président-fondateur avait adopté une attitude plus dominante encore, éliminant à tour de bras tous ceux en qui il pouvait discerner un rival éventuel. Ils étaient innombrables, les Icare des énergies renouvelables qui s’étaient brûlé les ailes en se rapprochant trop du soleil de la Frog ; c’est sous ce diminutif que la compagnie était souvent désignée dans la conversation courante. De mon côté, persévérant et placide, j’avais su ravaler mon animosité à l’égard du boss et éviter ses flèches empoisonnées. J’avais obstinément continué à le vouvoyer tandis qu’il avait entrouvert une fois ou deux la porte à un tutoiement réciproque. L’expérience avait montré que c’était en général la dernière étape avant la rupture définitive et la mise au ban de ceux qui s’étaient laissé piéger par une familiarité excessive. J’avais su éviter cet écueil et me tenir à une distance assez respectable pour que le feu issu des déchaînements de fureur de Jacques Ambert m’épargnât. Et j’avais survécu jusqu’ici. J’étais désormais seul en lice pour lui succéder dans ce fauteuil qu’il avait l’obligation de céder avant la fin de l’année. Il s’apprêtait à atteindre soixante-quinze ans, le 22 novembre, et c’était l’âge limite que le conseil d’administration avait fixé pour son poste. M. Ambert avait eu beau essayer de manœuvrer en sous-main pour obtenir la modification de cette clause, il avait échoué à faire repousser l’échéance fatidique de son départ forcé. Il allait falloir, coûte que coûte, désigner un successeur et débarrasser le plancher. On ne manquerait pas, toutefois, de ménager à Jacques un titre de président honoraire lui permettant de continuer quelque temps à fourrer son nez dans les affaires de la FrogAmber. En tant que fondateur de cet empire de l’électricité propre, M. Ambert aurait droit à tous les égards.
J’étais le dauphin, non officiel, mais tout désigné, pour accéder au poste. Je devais moi-même fêter mes quarante ans au mois d’août et je souhaitais ardemment que l’annonce de ma nomination fût faite avant ce passage à la décennie suivante, qui m’angoissait terriblement. Je devais impérativement voir mon destin scellé avant la quarantaine. Cette perspective me rendait nerveux et je cédai à l’affolement. Moi qui avais su être discret et, disons le mot, rusé, pour me hisser jusqu’à l’avant-dernière marche, voilà que, depuis quelques mois, je me montrais de plus en plus impatient, à mon corps défendant. J’avais bien conscience de l’erreur stratégique que j’étais en train de commettre, mais je parvenais de plus en plus difficilement à contrôler cette envie qui me dévorait de l’intérieur. Les bonnes âmes qui m’entouraient me faisaient remarquer plus ou moins franchement que mon comportement ouvertement ambitieux amenuisait en réalité mes chances d’accéder au sommet. Aussi était-ce pour me distraire de cet objectif devenu obsessionnel que j’avais décidé, à la fin de l’année précédente, de m’inscrire et de me préparer au marathon de New York. L’exercice physique, les chronomètres, les parcours fractionnés occuperaient peut-être suffisamment mon esprit pour lui permettre d’échapper à son idée fixe et étancheraient ma soif de succès et de reconnaissance. Ils m’aideraient à patienter. L’endorphine induite par la douleur de l’effort quasi quotidien me détendrait jusqu’à me faire planer totalement et finirait sans doute par améliorer la qualité de mon sommeil. C’était en tout cas le tableau idyllique que m’avaient dépeint mes innombrables relations qui s’adonnaient à cette étrange pratique héritée du geste sacrificiel d’un soldat de la Grèce antique.
Ironie du sort, c’est le premier entraînement qui devait finalement me conduire vers le vestiaire des femmes et m’amener à croiser la route de Chloé en tenue d’Adam. Ce satané marathon allait se trouver à l’origine, certes indirecte mais bien réelle, des graves tourments qui devaient suivre.
Devant mon silence apeuré, M. Ambert insista :
— Tu comprends ce que je suis en train de te dire, Aymeric ? Tu peux cesser de me regarder avec ces yeux de merlan frit, je te prie ? Et répondre à ma question ?
Et moi d’ordinaire si loquace, si prompt à la répartie percutante, au bon mot, à la saillie drolatique, je me trouvais muet comme une carpe, incapable de produire une réplique subtile, intelligente. Une réponse tout court. La houppette du patron, tournoyant toujours dans les airs au gré des rafales de vent, m’hypnotisait. Je ne pouvais m’empêcher de suivre des yeux sa chorégraphie chaotique et d’y assimiler l’ondulation coupable du corps de Chloé contre le mien la veille au soir, quand nous avions été surpris par la hyène, qui n’avait pas dû tarder à dénoncer nos agissements puisque le président lui-même me demandait ce matin-là, une douzaine d’heures seulement après les faits, de me justifier. Pivoine avait toujours été l’œil de Moscou au sein de l’entreprise. Elle était aux côtés du boss depuis le début. Elle fut sa secrétaire, tout d’abord, puis son assistante quand le premier terme fut banni du langage. Et elle avait réellement changé de fonction au tournant des années 2000. Elle était entrée au service Finance de la FrogAmber, avait gravi plusieurs échelons avant de devenir comptable en chef, responsable des placements de la trésorerie de la compagnie au jour le jour. Mais elle n’avait jamais abandonné sa fonction première : épier, pour le compte du patron, le moindre comportement déplacé, rapporter toutes les rumeurs, les ragots qui circulaient, de même que tout ce qui se disait sur lui. Elle furetait de département en département, suscitait les confessions par d’habiles médisances, animait le cancan si inhérent à la vie de groupe et afortiori à celle de l’entreprise quand tant d’intérêts individuels s’opposent et rivalisent. Si besoin était, nécessité faisant loi, elle inventait un peu pour permettre d’accélérer l’exfiltration d’un tel ou d’une telle. Voilà sur quoi j’étais tombé la veille : sur un os nommé Pivoine. En mon for intérieur, je nourrissais une haine féroce pour cette peste que j’avais toujours pris soin d’amadouer, ne lésinant pas sur un flacon d’eau de toilette pour la Noël, la poule en chocolat pour Pâques, le brin de muguet pour le 1er Mai. J’avais cru pouvoir acheter sa bienveillance à coup de délicates attentions régulières. C’était compter sansson opiniâtreté à faire le vide autour de celui auquel elle avait consacré son existence : Jacques Ambert.
Ainsi, Pivoine avait dû parler. Tandis que Chloé tentait de l’amadouer, la comptable égarée avait compris, quand le courant avait été coupé pour la seconde fois, que nous étions victimes, autant qu’elle, du noir dans lequel le vestiaire avait été précipité. Mais elle n’avait de toute évidence pas apprécié notre façon d’en profiter. À moins qu’elle ne l’eût tout simplement jalousée. Quoi qu’il en soit, elle avait tourné les talons sans répondre et s’était enfuie à toutes jambes. Chloé et moi nous étions rhabillés à tâtons sans plus échanger un mot, moi terrifié à l’idée qu’en cédant à de bas instincts, je venais de mettre fin à des années de sacerdoce supposées me mener tout en haut de la pyramide, elle peut-être honteuse d’avoir ainsi provoqué l’animal. Nous avions quitté le vestiaire en nous entraidant, toujours en silence, pour nous repérer dans les méandres du sous-sol obscur. Au milieu de l’escalier qui conduisait au rez-de-chaussée, la lumière avait ressurgi. Nous nous étions séparés à l’extérieur du bâtiment sans plus un regard l’un pour l’autre.
Ambert enrageait de plus belle devant mon mutisme.
— Tu as perdu ta langue, Aymeric ? Où es-tu, là ? Tu rêves à quoi ? La situation est sérieuse, mon petit bonhomme ! Pour ne pas dire grave ! Alors soit tu es capable de fournir une explication qui permette de garder indemne la réputation de la FrogAmber, soit je vais devoir renoncer au projet que je nourrissais pour toi. Et crois-moi, ce ne sera pas de gaieté de cœur. Tu sais que le conseil d’administration me colle une pression énorme pour me trouver un successeur. Quand j’y pense… après tout ce que j’ai fait pour cette boîte… ils n’ont tous qu’une seule idée, c’est de me voir partir. Pfff… Et toi aussi, bien sûr, hein ? Tu comptes les jours avant de t’asseoir à ma place, pas vrai ? Hein ?
Encore, je restai sans voix. Décidément, j’avais complètement perdu pied, et ma langue avec, comme il l’avait remarqué.
— Tu ne réponds pas à ça non plus, hein ? Tu ne dis rien ?
M. Ambert hurlait carrément. Comme j’essayais de ne pas le regarder, afin de détourner mon attention de la mèche rebelle, j’avais pivoté vers les toits d’ardoise, imbriqués les uns dans les autres, telle une liane qui aurait répandu ses branches tentaculaires dans la capitale. Ambert me tira par le bras pour me faire entrer dans son bureau en maugréant qu’on avait sans doute assez profité du paysage et qu’il était grand temps d’avoir une explication virile. Il n’eut pas tort de me brusquer ; je finis par réagir.
— Écoutez, monsieur le président, je suis désolé, voilà. J’ai commis une erreur, je le reconnais bien volontiers. Mais il s’agit d’un écart, rien de plus. Et comme le hasard a voulu qu’il soit abrégé très rapidement, je pense qu’il peut être vite oublié…
— Le hasard, tu invoques le hasard ? Mais tu es complètement inconscient, c’est pas possible ! Le hasard ? Non mais tu te rends compte ?
Il avait peine à articuler, tant la rage qui l’animait l’empêchait de desserrer les dents. Il brandit son bras vers les photos gigantesques qui ornaient les murs de son bureau à la décoration épurée : marbre blanc au sol, mobilier constitué d’une alliance de verre et d’aluminium, peinture écrue balafrée de giclées rouge sang. Moderne, résolument moderne, le bureau de M. Ambert, et très lumineux. Et tout autour, des clichés d’éoliennes ici, de panneaux solaires là, de câbles de haute tension ou encore de batteries colossales. On n’oubliait pas les carrières de terres rares devant lesquelles posaient des ouvriers basanés, dont le sourire béat en disait long sur la reconnaissance qu’ils éprouvaient pour la FrogAmber qui les avait tirés de la misère où ils croupissaient jusqu’à l’avènement des piles géantes dont la production avait rendu leur terre soudain fertile. Les photographies étaient toutes retouchées par ordinateur pour en exacerber les couleurs.
— Tu vois ça, tout ça ?
Son doigt pointant, il passait en revue l’ensemble des images.
— Tout ça n’est pas le fruit du hasard, Aymeric ! Mais de la volonté, uniquement de la volonté. Tu crois qu’on m’attendait il y a presque cinquante ans quand j’ai entrepris de démarrer from scratch ? L’idée de produire et de commercialiser de l’électricité de manière indépendante n’existait même pas, mon petit père ! On était en plein dans l’époque des barrages gigantesques et des centrales nucléaires. Alors si j’avais attendu que le hasard se manifeste, je serais toujours un petit employé de bureau au ministère de l’Industrie, et toi tu serais sans doute resté dans le trou où je suis venu te chercher, à pondre des rapports sur la sécurité d’approvisionnement en France, que personne ne lisait ! Heureusement, d’ailleurs, parce qu’entre nous soit dit, ceux qu’il m’est arrivé de parcourir, signés de ta main, étaient truffés d’âneries grosses comme toi.
Il croyait me vexer. Il n’en était rien. M. Ambert se prétendait visionnaire. Il n’était que chanceux et opportuniste. Il avait effectivement créé, à une époque lointaine, la PME qui devait devenir son empire et il avait su accompagner l’essor du renouvelableet profiter des abondantes subventions qui lui avaient été accordées par les gouvernements successifs. Mais, au fond, il ne connaissait rien à l’énergie. Son jugement concernant la pertinence et la justesse de mes études théoriques de naguère ne valait pas un coup de cidre.
Au contraire, je sentais un doux espoir monter en moi. Était-il possible que la colère du président ne fût due qu’à… Non, ce serait trop beau. Je m’empêchai de céder à un optimisme excessif.
— Monsieur le président, je comprends votre énervement. Quand je parle de hasard, je veux dire qu’hier soir, le retour de la lumière a permis de mettre fin…
— De mettre fin à la panne ? Qu’est-ce que tu racontes ? Tu débloques complètement ou quoi ? C’est la remise en route du système qui a permis à la lumière d’être rétablie, pas l’inverse ! Tu es encore plus limité que je ne l’avais imaginé… Et quand je dis « limité », je pèse mes mots, crois-moi. C’est pour rester poli.
En prononçant ces dernières phrases, il fronça les sourcils, sincèrement inquiet de devoir laisser les rênes de sa multinationale à un abruti pareil. De mon côté, je parvenais de plus en plus difficilement à dissimuler la joie et le soulagement qui me submergeaient. Par « les événements d’hier », le patron ne semblait pas désigner mes frasques occultes, mais tout simplement la panne d’électricité, dont il me tenait évidemment pour responsable. La panne ! Mais qu’était cette petite mésaventure énergétique comparée au tsunami qui pouvait s’abattre sur moi si on apprenait que je m’étais laissé aller à me vautrer dans la boue sexuelle avec une jeune fille innocente fraîchement recrutée à un poste subalterne, de quinze ans ma cadette ? Une vulgaire panne ? Ah ! M. Ambert me comblait de ses remontrances. Soyez plus sévère encore, le suppliai-je intérieurement. Battez-moi. Oui, battez-moi ! Bien sûr que je suis fautif, responsable et coupable du malencontreux court-circuit qui a causé par deux fois l’extinction des feux, des ordinateurs et des radiateurs de la FrogAmber. Mais grand Dieu, merci ! Merci d’ignorer les conséquences douteuses que cette interruption a provoquées. Je portais ostensiblement un sourire béat que je ne pouvais contenir et qui me couvrait la moitié du visage. Ambert vit rouge. Je me demandai s’il n’allait pas finir par me gifler. La belle aubaine. Honteux, il n’aurait d’autre choix que de me céder son fauteuil au plus vite. Il retint finalement son bras et articula en parvenant à peine à desserrer les mandibules :
— Quel est votre plan, Le Bellec ? Quelles explications avez-vous à fournir au conseil d’administration, aux marchés financiers et aux autorités compétentes concernant cette panne d’hier soir ? Je vous le demande pour la dernière fois !
Ce vouvoiement aussi soudain qu’incongru était de bon augure. Il témoignait de la distance qu’il entendait désormais imposer entre nous. Chez Ambert, c’était une forme d’adoubement. Mais, cette fois-ci, je devais répondre. En réalité, je ne m’étais pas du tout intéressé à l’origine du problème de courant électrique, tant j’étais préoccupé par les réactions possibles de Pivoine, et même de Chloé. J’inventai sur-le-champ un début d’explication.
— Forte hausse de la demande, couplée à une mauvaise disponibilité du système. Très belle opportunité pour la FrogAmber. Très belle opportunité, monsieur le président.
J’avais dit cela sur un ton péremptoire, sentencieux, un ton qui ne supportait pas la contradiction ni même la mise en doute. J’avais retrouvé mes esprits et mes aises. J’étais redevenu Aymeric le conquérant. Malgré lui, le vieux fronça un sourcil. Il n’était pas sûr de comprendre, mais ne voulait rien en laisser paraître.
— Je n’ai pas encore toutes les données, monsieur le président, mais je suis presque certain que la panne n’a rien à voir avec la Frog elle-même. Nous avons subi un délestage lié à un peak de demande dans la soirée d’hier et notre onduleur ne l’a pas bien répercuté au sein du bâtiment, provoquant un dysfonctionnement généralisé. Bien sûr, c’est une faiblesse de notre système, mais elle n’est pas liée en tant que telle à notre autonomie en matière de production. C’est ma faute, oui. J’ai voulu économiser sur les onduleurs que nous avons remplacés l’année dernière. J’ai choisi un fabriquant low cost en Asie. Vous m’aviez donné des objectifs de résultats financiers, monsieur le président, et j’ai voulu… Mais c’est une erreur, oui, je l’avoue.
Ambert m’écoutait avec la plus grande attention en feignant de témoigner d’une certaine indifférence à l’égard de mes explications confuses. En réalité, il mourait d’envie d’en savoir plus. Sans mot dire, d’un coup de menton il m’encouragea à continuer. Au moindre faux pas, le couperet s’apprêtait à tomber, je le sentais. Et cette vieille canaille l’espérait de toute son âme. Le siège de la FrogAmber était un bâtiment à énergie positive, c’est-à-dire qu’il était censé produire plus d’électricité qu’il n’en consommait, sur une année complète. Panneaux solaires sur le toit, accumulation de chaleur par les vitres et les murs, éclairage à basse consommation et batteries de stockage en étaient les secrets. Mais bien sûr, à certaines heures, il était tout de même nécessaire de tirersur le réseau, quitte à revendre l’excédent produit le lendemain pour qu’au bout d’un an, le bilan soit net positif et la facture d’électricité négative. Un vrai petit miracle. Seulement voilà, hier soir, il y avait eu un bug. Je développai mon scénario imaginaire.
— C’est parce qu’il y a eu vers dix-neuf heures une surconsommation d’électricité dans le pays que le réseau national a dû réduire la tension. Nous n’y sommes pour rien. Enfin, à part les onduleurs, bien sûr…
Ambert oscillait entre deux états. D’un côté, je voyais bien qu’il se réjouissait que la FrogAmber fût innocente, mais, d’un autre, il regrettait manifestement de n’avoir pas réussi à me coincer et à me mettre en défaut. Il se serait bien vu prétexter mon incompétence pour faire valoir que j’étais inapte à lui succéder. Et, comme j’étais le seul dauphin putatif – putatif, c’était le mot, quoique l’adjectif eût pourtant convenu à tant d’autres prétendants au sein de la FrogAmber, si j’en jugeais par leur attitude à l’égard du boss –, M. Ambert s’imaginait déjà argumenter auprès des administrateurs : il n’y avait d’autre choix que de prolonger, de deux ans au moins, l’âge limite du départ en retraite du président-directeur général, fondateur de surcroît. La panne d’hier, qui n’était pas complètement de notre fait mais liée pour l’essentiel à des événements exogènes, ne lui en donnerait pas l’occasion. Par contre, le témoignage de cette harpie de Pivoine lui suffirait amplement. Je m’étonnais inpetto qu’elle n’ait pas encore parlé. Chloé n’avait pas eu le temps de la convaincre de son consentement à mon égard. La vieille avait pris ses jambes à son cou avant d’entendre nos explications. Aussi Pivoine était-elle fondée à me dénoncer comme pervers, exhibitionniste, harceleur, que sais-je. À partir de ce moment-là, seul le témoignage de Chloé serait maître de mon destin.
Ambert n’était selon toute vraisemblance pas encore dans la confidence et ne quittait pas son obsession. Tout en arpentant son immense bureau dans lequel les rayons du soleil pénétraient désormais et faisaient scintiller la pièce de mille et un reflets, le patron réfléchissait à haute voix :
— O. K., si la presse s’en mêle, on chargera les onduleurs. Ils ne sortent pas des usines de la Frog, on n’y est pour rien si les Coréens fabriquent du matériel de seconde zone. On s’est fait avoir, un point c’est tout. Bon, c’est de votre faute, bien entendu. Je devrai vous blâmer publiquement, vous vous en doutez. Mais vous vous en tirerez bien si vous confessez votre négligence et promettez de la corriger. Après tout, ce n’est pas si grave.
La Frog. Une mauvaise habitude que détestait Jacques puisque ce diminutif effaçait la trace de son nom dans celui de l’entreprise. Je fus donc surpris qu’il en fît usage, mais je mis cela sur le compte de l’énervement. Cette faute de langage dans sa bouche trahissait sans doute son excessive nervosité.
— Vietnamiens.
— Pardon ?
— Les fournisseurs sont vietnamiens, pas coréens, monsieur le président.
— Oui, vietnamiens si vous voulez, peu importe.
Il avait obtenu son explication ; la FrogAmber était blanchie de tout soupçon et lui d’une faute quelconque. Il était pleinement satisfait. Rasséréné, il ne lui restait plus qu’à m’éjecter poliment de son bureau, il avait à faire. Il devait mettre au point, avec celle qui, quoique trésorière, n’en restait pas moins son assistante pour les questions d’importance, certains détails de la cérémonie de la remise de Légion d’honneur. Il courait après le ruban rouge depuis tellement longtemps qu’il avait fini par désespérer de l’obtenir, quand j’avais eu l’idée de faire intervenir mon cousin germain. Tristan Le Bellec, haut fonctionnaire au ministère de la Mer, avait ses entrées à l’Élysée et avait permis, en jouant des coudes à ma demande, à M. Ambert d’accéder à cette distinction tant convoitée. À ce titre, le président m’en devait une. Cette consécration n’avait pas été pour rien dans le choix final qui l’avait conduit à me désigner plus ou moins officiellement comme son successeur, je dois bien l’avouer.
Il ouvrit grand la porte de son bureau qui donnait directement sur celui de Pivoine. Vêtue d’une veste pourpre sur un chemisier blanc et d’une jupe noire, elle était occupée à classer les différentes options de petits fours que proposait le traiteur. La cérémonie devait avoir lieu au siège de la FrogAmber elle-même, sur le roof top que l’on protégerait des intempéries et du froid pour l’occasion. La question du chauffage de l’ensemble avait été difficile à résoudre. Il était évidemment exclu d’utiliser des brûleurs à gaz. Ils se seraient trouvés en parfaite contradiction avec la politique low carbon qui avait été la raison d’être de la Frog depuis des décennies. Mais en plein hiver, même si celui-ci s’était avéré clément jusqu’ici, il fallait trouver un moyen d’attiédir l’endroit. Il avait finalement été décidé de disposer des radiateurs électriques directement branchés sur le réseau, lui-même majoritairement alimenté par la production d’énergie propre.
Le Tout-Paris des affaires était invité, de même que le gratin du showbiz. Après tout, la Frog n’avait-elle pas, toutes ces années, contribué pleinement à la transition énergétique et ainsi œuvré pour le sauvetage d’une planète bleue en danger ? Cela méritait bien que l’élite des artistes de la capitale française, et même d’ailleurs, vînt célébrer la juste récompense que l’on s’apprêtait à décerner à son fondateur. Les personnalités les plus en vue avaient d’ores et déjà confirmé leur présence. Le ministre éternel de l’Écologie, qui se maintenait de gouvernement en gouvernement, depuis plus de dix ans alors qu’on le croyait chaque fois disparu, avait été le premier à répondre positivement à l’invitation, suivi de près par deux ou trois PDG de compagnies pétrolières, curieusement eux aussi à la pointe du changement vers un monde sans or noir. Les banquiers de tous ordres, conseillers, gestionnaires, créditeurs, usuriers, seraient évidemment de la fête, cela allait presque sans dire. Et puis des chanteurs, surtout des chanteuses d’ailleurs, des acteurs en vogue ou craignant qu’une nouvelle vague les eût éloignés des projecteurs, des cinéastes et aussi quelques artistes des temps modernes, peintres du néant, sculpteurs du non-être.
Tandis que je m’avançais vers elle pour la saluer, Pivoine jeta sur moi un regard assassin qui en disait long sur ses intentions. Je n’allais pas m’en tirer comme cela. Pour des raisons qui m’échappaient, elle ne s’était pas encore décidée à répandre son fiel, mais elle ne tarderait pas. Elle frapperait quand elle jugerait le moment opportun. C’est le message que m’adressait le bleu délavé de ses pupilles qui me fixaient agressivement. Je lui retournai une moue suppliante assortie d’un sourire doux. Elle n’allait tout de même pas oublier toutes ces occasions innombrables où je lui avais offert ces petits cadeaux dont elle raffolait ? Elle semblait chaque fois tellement comblée ! Son attitude était si dure, sa posture si hostile à mon égard, que je me mis à craindre qu’Ambert s’interroge sur ce qui me valait une telle animosité. Mais il était perdu dans ses pensées et il ne remarqua rien. Il se précipita sur les propositions du traiteur et les étudia attentivement après avoir chaussé les lunettes qui pendaient toujours à son cou, suspendues par une chaîne en écaille. Je restai là quelques instants, les bras ballants, ne sachant trop que dire ni que faire. Quand Ambert finit par lever le nez vers moi, il m’enjoignit d’un air dédaigneux de partir. N’avais-je donc rien de mieux à faire que de rester planté là ? Et les onduleurs, n’était-il pas urgent de les changer à l’issue d’un appel d’offres mieux calibré ?
— Oui, bien sûr, monsieur le président, répondis-je. Vous avez tout à fait raison. Je me sauve de ce pas et je vais aller remettre un peu d’ordre dans tout ça. Je fonce !
— C’est ça, foncez, foncez…, conclut-il d’un air narquois.
Je devais être nommé président de cette compagnie dans moins de huit mois et Ambert s’adressait encore à moi comme à un vrai bleu, voire au plus inexpérimenté des stagiaires. Un jour ou l’autre, il faudrait que tout cela change. Mais je saurais me montrer patient. Viendrait une ère où je savourerais ma vengeance ; je ferais payer à ce vieux débris le prix de toutes les humiliations qu’il m’avait fait subir depuis si longtemps.
L’heure n’était pas encore venue, cependant. En attendant ce jour, je devais me montrer courtois, efficace, serviable. Plus que cela : servile. Et je devais réduire Pivoine au silence, par tous les moyens.
Je retournai dans mes pénates, deux étages en dessous de ceux du chef. Ma fenêtre donnait aussi sur les Champs-Élysées et je pouvais apercevoir l’Arc de Triomphe en me tordant le cou. Mais, la plupart du temps, la gêne causée par le bruissement provoqué par les automobiles roulant sur les pavés nous dissuadait d’ouvrir la fenêtre. Mes collaborateurs m’attendaient, anxieux de savoir si l’annonce de ma nomination se précisait. Que nenni ! Je m’enfermai et demandai à n’être pas dérangé. Je passai la journée à essayer de comprendre ce qui avait effectivement pu se passer la veille au soir concernant notre alimentation électrique. Et l’explication intuitive que j’avais fournie au jugé à Ambert s’avérait à peu près juste. Une soudaine hausse de la demande avait conduit le réseau de transport d’électricité à procéder à des délestages pour éviter la pénurie générale et le fameux black-out tant redouté qui risquait de s’ensuivre. Car le black-out, ou le shutdown