Femme(S) - Jean Rasther - E-Book

Femme(S) E-Book

Jean Rasther

0,0

Beschreibung

Ces nouvelles bouleversantes nous invitent à découvrir le destin de huit Femme(S) dans un voyage où se mêlent féminité du visible et féminin de l'intime. La féminité, c'est le corps, l'apparence, les charmants accessoires de la séduction. Le féminin est au contraire tout intérieur, secret, porteur de fantasmes ou bien d'angoisses. Si le corps est féminité, le féminin est la chair, l'invisible, ce qui palpite doucement sous la peau. C'est aussi le jardin des délices, celui de toutes les sensorialités, ce qui apparaît quand le corps est caressé, entaillé ou coupé, quand il s'offre, suinte, ou saigne.* Les huit Femme(S) de ce recueil désirent, aiment, luttent et souffrent, mais elles sont avant tout vivantes. Ce voyage nous raconte leur histoire.
(*) Corinne Vera - Entretiens

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après un premier roman, L'Amant d'éternité, publié en 2019, suivi de deux autres récits à succès : Les Métamorphoses d'un Vampire et Palazzo Amadio, puis une incursion remarquée dans l'univers dramatique avec la pièce de théâtre Casus Belli, Jean Rasther nous offre avec Femme(S) un recueil de huit histoires inoubliables.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 202

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Jean Rasther

Femme(S)

Récits

© Lys Bleu Éditions – Jean Rasther

ISBN : 979-10-377-3293-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour voir loin, il fallait d’abord savoir fermer les yeux ; ne pas voir ce qui n’est pas visible est une cécité de l’âme.

Romain Gary, La Tête coupable (1968)

Prologue

Chambre 612

Elle espérait être rentrée à Paris avant minuit mais cela ne serait plus possible, elle avait trop traîné.

Avec un peu de chance, elle aurait tout juste le temps de grimper dans le train de 20 heures 17.

En accélérant le pas, elle le prendrait, son dernier train.

L’hôtel se trouvait juste en face de la gare Thiers.

Elle avait tenu à cette commodité.

C’est pratique, un hôtel de gare.

Tant pis pour son côté impersonnel ou sinistre.

Un hôtel de gare sent toujours l’odeur âcre des poussières du temps suspendu.

Du train à la chambre, quelques pas suffisent.

Inutile de s’inquiéter d’un repérage sur la carte, des transports en commun.

On évite de se disperser.

De toute manière, elle n’avait pas choisi Nice pour venir y faire du tourisme.

Nice, elle connaissait déjà.

Des années auparavant, elle y avait séjourné avec son ancien mari.

Il lui avait fait découvrir pour l’occasion la Riviera française dont les magazines vantent chaque hiver les beautés. Il en avait profité pour lui offrir une excursion à Monte-Carlo. Ce serait exaucer un fantasme de gosse que de remonter les rues tapissées d’enseignes de luxe du Carré d’Or au volant d’un bolide.

Alors il lui avait réservé une surprise.

Une fois la R11 garée sur le parking d’une agence de location, avenue Cochrane à Menton, il avait bandé ses yeux.

Tout en la tirant par la main, il riait de la bonne farce qu’il lui jouait.

Ah ça non, elle ne risquait pas de l’oublier, sa virée de princesse monégasque !

C’est ainsi qu’elle s’était trouvée embarquée à bord d’une Maserati GranCabrio pour laquelle il avait englouti quatre cents euros.

Bercés par les mélodies de Jimmy Fontana dont un CD de compilation avait été oublié dans le lecteur, on avait remonté la route du bord de mer à petite vitesse afin de ne rien perdre de la magnificence du paysage, parce qu’à ce prix-là, et dans un engin pareil, vraiment, ça aurait été un énorme gâchis de ne pas en profiter pleinement. Puis, parvenus au cœur la Principauté, on avait réussi à trouver une place en épi suffisamment large devant une boutique d’antiquités.

Elle se souvient parfaitement que les quatre cent soixante chevaux continuaient à piaffer, qu’ils couvraient leurs voix. Tant pis, il ne les musellerait pas. Il voulait que la requête qu’il s’apprêtait à formuler obéisse à ce cérémonial. Eux, Monaco, la voiture, le mâle grondement du moteur.

Et là, il avait subitement demandé sa main.

Elle aurait tant préféré qu’il l’emmène déjeuner à Portofino. Le mariage n’était pas sa priorité. Il lui restait au préalable à préparer son certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Pour les noces, on verrait plus tard. Un oui provisoire n’engageait à rien.

Elle aurait fermé les yeux.

Redevenue petite fille, aurait senti le bras de Bogart enveloppant vigoureusement sa taille.

Elle s’était toujours demandé quel parfum signature il adoptait sur ses tournages ou dans l’intimité.

Elle l’imaginait dérobant en cachette L’Ombre dans L’Eau, de Diptyque, celui qu’affectionnait Lauren Bacall, pour emporter partout avec lui la présence de l’aimée.

Quelle bêtise racontait-elle là ?

C’était tout bonnement impossible !

Bogart était mort en 57 et la maison Dyptique n’avait été créée que bien des années plus tard.

Elle ne savait plus quand, au juste, mais associait depuis l’enfance chaque homme croisé à une odeur, au travers de sa peau, de ses vêtements, du parfum qu’il adoptait.

Elle se disait – mais c’était une bravade rhétorique –, qu’elle aurait pu faire l’amour avec n’importe quel inconnu par simple sympathie osmologique.

Pour Bogart, les matins où il n’empruntait pas le parfum de sa femme, elle percevait un mélange subtil d’épices aux notes de citron, de clous de girofle mêlés à la cannelle et au gingembre, avec un dosage léger, à peine perceptible, de poivre rose, de géranium, de lavande de Provence, et de fleur d’oranger d’Arabie quand, en notes de cœur très douces, se levaient ensuite comme une aube, des arômes lointains de benjoin, de fève de tonka et de patchouli.

En fin d’après-midi, juste avant de rentrer à l’hôtel pour se reposer un peu, prendre une douche, jouer à l’amour, puis choisir une robe pour le dîner, il aurait achetéun cornet de glace chez Da Gepi, Piazza della Magnolia.

Son glacier préféré.

***

Par textos, il avait été convenu qu’ils partageraient deux heures dans une chambre d’hôtel.

Mais l’après-midi tout entière lui avait été finalement consacrée.

On a tous à apprendre de nos expériences.

À chacun son karma.

Tant pis si, bientôt, à une heure aussi avancée de la nuit, il lui faudrait batailler pour trouver un taxi à la Gare de Lyon.

Elle a juste le temps de s’installer.

Le train est quasi vide.

Elle décide de faire fi du numéro de siège attribué et prend le temps de choisir un emplacement à sa convenance.

De préférence en tête de compartiment, dans le sens de la marche, côté fenêtre, pour y appuyer sa tête, avec un sac en guise de coussin.

Essayer de dormir une heure.

Avec un peu de chance, elle n’aura pas de voisin jusqu’à Marseille. Elle peut étendre les jambes, se mettre à l’aise. Il y a juste l’accoudoir qui meurtrit son dos, l’obligeant à se mouvoir souvent.

Elle est fatiguée, courbaturée.

On oublie qu’un corps est constitué de muscles invisibles qui ne demandent qu’à vibrer.

Son bas-ventre est comme un tourmentin que viendrait gonfler le souffle toujours vivant des étreintes.

Il la fait un peu souffrir mais elle aime le langage du corps, mutiné contre les caprices tyranniques de l’esprit.

Les rumeurs environnantes, le bruit acide de roulement sur les rails, les portes du compartiment ouvertes par un voyageur en migration vers le bar, les annonces écaillées du steward de bord à l’approche d’une gare, elle veut s’en abstraire.

Se retrouver seule.

Elle ajuste son casque.

Elle écoute en sourdine le Miserere mei de Gregorio Allegri.

Ce chant polyphonique l’apaise, l’aide à se recentrer, à glisser, pensée après pensée, dans la chair intime de son moi.

***

Il avait amené le sujet avec mille cauteleuses précautions.

C’était un vendredi soir, au café La Palette, à l’angle de la rue Jacques Callot et de la rue de Seine. Lui, avait découvert l’adresse par hasard, en lisant un roman de Paul Auster ; elle, pour avoir fréquenté dans une autre vie l’École des Beaux-Arts, située juste en face.

Naguère, elle en avait fait son havre de bonheur simple, elle y travaillait entre les cours, heureuse de retrouver dans la crasse patinée des lieux l’ombre inspirante de Cézanne, Braque et Picasso.

Ils avaient fait l’amour deux ou trois fois, guère plus.

Elle ne niait pas qu’il fût un excellent amant, un expert à sa manière, un homme de grande pratique. Il l’avait d’ailleurs initiée à des amusements auxquels elle n’aurait jamais songé et doctement conduite à pratiquer sur le corps de l’homme des caresses insoupçonnées à l’époque où elle vivait maritalement avec celui dont elle croyait qu’il serait le compagnon de toute sa vie.

L’homme de paille à la Maserati.

Au terme de dix années communes, après l’escroquerie de trop, elle s’était finalement résolue à le quitter pour de bon.

Cela faisait des mois qu’il s’était peu à peu détourné d’elle.

Le soir, après le dîner, quand il n’était pas rentré trop tard de son travail, il s’absorbait dans la lecture de magazines spécialisés, mettant un point d’honneur à parfaire son érudition automobile.

Il consacrait ses week-ends à la visite de concessions, élargissant toujours davantage le périmètre de son indifférence.

Ne plus faire l’amour était devenu la triste routine de leur vie de couple.

Elle l’avait aimé pourtant.

Elle l’aimait encore, comme un frère ou un ami.

Certainement plus comme un mari ou un amant.

Elle était restée jeune et désirable, comme l’on a coutume de dire. Après leur séparation, il lui avait fallu se réapproprier sa féminité, ensuite une sexualité dont elle s’était grisée comme d’un vin nouveau, sans vergogne, avec des hommes rencontrés sur les réseaux sociaux, choisis pour leur profil socioculturel car elle avait besoin de les admirer et de se laisser emporter par l’ivresse raffinée des séductions de l’esprit avant de pouvoir s’offrir à eux.

Lui était brillant.

Entre autres activités, il avait créé un festival d’art lyrique dans le sud de la France.

La littérature le passionnait. Le cinéma aussi.

Un esthète perdu au milieu des décombres d’un univers affectif.

Émanaient de lui toutefois des remugles qui la dégoûtaient un peu ; trop de suffisance, trop de perversion, une quête chaotique et désespérée du bonheur, entre libertinage frénétique par les actes et romantisme immature par les mots, prévisibles et enflammés, dont il encombrait journellement sa boîte mail.

Et puis il était vieux.

Même si, chaque matin, il s’entretenait en salle de sport pour ralentir les attaques du temps, pour mieux séduire et rabattre son gibier amphigame dans l’indifférence élective d’un lit la nuit venue, il avait l’âge de son père.

Un sujet qu’il s’était bien gardé d’évoquer dans le déroulé inaugural de leur correspondance.

La première fois qu’elle l’avait rencontré, cela l’avait mise mal à l’aise.

Nonobstant, elle avait décidé qu’elle surmonterait ses appréhensions, se laisserait faire, curieuse de donner à sa peau l’occasion de ressentir différemment quelque chose de nouveau.

L’expérience, croyait-elle, ne se renouvellerait pas.

Deux autres fois pourtant, elle avait cédé à l’assaut des arguments.

Il s’arrogeait un statut de mentor ; il lui fournissait, grâce à leurs échanges journaliers de textos, de photos et de vidéos, et plus encore dans l’altercation des corps, ces outils indispensables qui lui rendraient sa liberté, disait-il.

Qu’elle n’en doute pas : elle était une femme magnifique, généreuse, tantrique. Il se proposait de l’aider à libérer ses énergies sexuelles et à approfondir l’appréhension de sa conscience par le biais de pratiques érotiques ritualisées et libératoires.

Il lui suffisait de lâcher prise, de s’observer s’épanouir.

Il y avait tant de merveilles en elle qui ne demandaient qu’à éclore.

Ce vendredi soir là, à La Palette, il lui parla de Prévannes, un vieil ami diplômé des grandes écoles, un homme qui avait réussi dans le monde de la finance et occupait aujourd’hui un poste à très haute responsabilité.

Elle comprendrait que, par respect pour lui, il lui faille préserver son anonymat.

Prévannes était un pseudonyme.

Elle ne le connaîtrait que par ce nom d’emprunt.

Le portrait qu’il avait brossé d’elle avait éveillé sa curiosité.

Il avait manifesté le désir de la découvrir en photographie.

Et le charme, aussitôt, avait opéré.

Il tenait absolument à la rencontrer, à faire l’amour avec elle une fois.

Il fallait qu’il parvienne à la convaincre d’accepter un rendez-vous.

Dans les vapeurs de l’alcool était né entre les deux hommes le projet d’un scénario à Nice.

Elle devait lui accorder sa confiance, c’était un garçon clean, respectueux des femmes. Elle n’avait rien à redouter de lui.

Acceptait-elle l’idée d’un divertissement éphémère, à l’aveugle ?

Elle l’attendrait dans une chambre d’hôtel, porterait un bandeau opaque autour des yeux, s’engageait à ne pas l’ôter le temps que durerait leur entrevue, se nourrirait des quatre sens.

Les plus fondamentaux, finalement.

Le sens tactile était le premier à se développer chez le fœtus, elle ne l’ignorait pas.

À deux mois à peine.

On ressent le plaisir des caresses dans le liquide amniotique, et ce plaisir devient toujours plus intense dès le quatrième mois, lorsque les doigts du bébé se dotent de récepteurs sensoriels.

Elle serait la Psyché ressuscitée d’Apulée, le berbère.

Il serait entre ses bras l’expression spontanée de l’Amour, précisément.

Trop curieuse, elle ne commettrait pas l’erreur de découvrir le visage de son amant brûlé à la cuisse par une goutte d’huile renversée de la lampe.

Elle respecterait les clauses du contrat, scrupuleusement.

La connaissance de soi serait à ce prix.

Une astreinte modeste, stimulante et agréable, elle devait l’admettre.

Le libertinage en soi ne l’intéressait pas.

Depuis sa séparation, entre les bras de chaque homme dont elle s’était fait aimer, elle avait retrouvé une petite pièce manquante de l’immense puzzle dispersé de ses désirs de femme.

La reconquête vitale d’une essence.

Au fil du temps, dans sa vie d’avant, une autre normalité avait fini par émerger, s’imposer sournoisement à elle et la noyer : elle avait pris conscience que l’on pouvait à contrecœur mettre en jachère son désir, aimer sans le truchement des corps, espacer les plaisirs solitaires jusqu’à les juger un jour curieusement fades et superflus.

Elle revenait de loin et son cheminement serait encore long.

Comme un patient consulte son médecin parce que gronde en lui le besoin impérieux de déposer une souffrance morale qui ne relève pourtant pas des compétences du praticien assis face à lui, occupé à l’observer, elle devait accueillir le désir de ces hommes pour se reconstruire, réapprendre à respirer les pulsations de son propre corps, dé-fusionner les sensations dans ce qu’elles ont de plus inconscientes, latentes, profondes, d’avec sa lecture devenue trop purement conceptuelle du monde et de la vie.

Elle avait accepté la proposition.

Le défi.

Elle s’était arrangée pour réorganiser son emploi du temps.

Puisqu’il fallait compter six heures de voyage pour rejoindre Nice en TGV, elle avait réservé un billet en début de matinée ce lundi-là, de sorte qu’elle se trouverait sur place juste après la pause méridienne. L’unique exigence par elle imposée était que leur hôtel se trouve à proximité immédiate de la gare pour une question de commodité.

La chambre serait payée.

De son mystérieux partenaire, elle ne saurait rien.

Ils s’étaient attribué le nom de personnages du répertoire romantique.

Ils n’échangeraient ni par écrit ni au téléphone.

Ils allaient se découvrir dans la chambre pour y faire l’amour.

Son amant s’en irait ensuite, sans lui avoir adressé un mot. Ils ne se reverraient jamais.

Qu’elle ne s’inquiète pas. Le Concierge lui donnerait, à son arrivée à l’hôtel, une enveloppe cachetée dans laquelle seraient notées toutes les dispositions concrètes auxquelles elle se conformerait.

Les règles du jeu en quelque sorte.

La date retenue pour la rencontre était parfaite ; aucun risque inopiné de saignements ne la perturberait.

La veille du départ, elle avait procédé à un gommage.

La peau longuement huilée serait très douce.

Le sexe, épilé.

Mais elle ignorait les goûts de son partenaire.

Elle l’avait appris au contact de ses amants. La plupart préféraient un sexe glabre ou à peine pileux.

Il s’adapterait.

Restait le choix de la tenue vestimentaire.

Il se porta sur une robe rouge, légère et fluide et une paire d’espadrilles à talons compensés. Les sous-vêtements constituaient un problème plus délicat.

Le noir, associé au rouge serait jugé vulgaire ; quant au ton sur ton, il était inutile de l’envisager. Elle avait retrouvé au fond de la boîte une parure qu’elle n’avait pas remise depuis des années.

Elle s’était habituée à ne plus faire d’efforts pour le séduire, l’autre, nue ou habillée. Les sous-vêtements ne l’avaient jamais troublé, même à l’époque où il la prenait encore.

La culotte était simple, sans fioritures.

Un liseré de dentelles décorait de sa frise les bonnets du soutien-gorge.

Le gris, à peine prononcé, conviendrait à merveille.

La nuit précédant le voyage, elle n’avait pas réussi à dormir, trop stressée malgré son conditionnement psychologique et l’appel enjoué et rassurant que son rabatteur lui avait passé.

À son retour, elle lui raconterait tout, n’est-ce pas ?

Dans les moindres détails.

Quand il ne se délectait pas des débriefings qu’ils faisaient ensemble après l’amour, il se plaisait à exhiber dans d’indigestes mails le récit de prouesses sexuelles accomplies avec d’autres, éphèbes ou carrousels de femmes, en des orgies délicates et mondaines où l’on dégustait verges, vagins et culs comme autant de mets rares mis à la disposition de tous dans une libéralité qu’elle jugeait non point obscène, mais un peu triste.

Le miserere mei lui apporte une paix intérieure.

Elle ne parvient pas à se concentrer suffisamment dans le train pour pouvoir lire.

Sur la houle douce de la musique, elle laisse ses pensées aller à leur rythme, sur leur erre.

Elle sait qu’elle ne s’assoupira pas mais fermer les yeux lui fait du bien.

***

Elle disposait d’une demi-heure avant l’arrivée de Prévannes.

Comme convenu, le concierge lui avait tendu une enveloppe noire de petit format. De celles que l’on utilise pour recevoir des cartes de visite.

Elle en lirait le contenu dans la chambre 612 qui se trouvait au dernier étage, au bout d’un long couloir moquetté de bleu.

Des appliques en verre de Murano distribuent une lumière rafraîchissante et tamisée qui la repose des ardents assauts du soleil.

La chambre est spacieuse.

Tournant le dos à la rue, elle surplombe un patio ravissant, aménagé dans l’esprit des riads marocains autour d’une piscine plus décorative que fonctionnelle en arc outrepassé et polylobé, une volée de marches plongeant dans une eau aux teintes intenses et profondes.

L’architecte l’a voulue tapissée de mosaïques bleu Majorelle, et l’on retrouve, ici ou là, sur la paroi des murs, des compositions de zelliges arabo-andalouses dans les mêmes tonalités.

Dans des vases festonnés en terracotta de Toscane, on a disposé bananiers, orangers et citronniers ; pour leur touche végétale orientaliste, d’imposants palmiers chevelus.

Des transats de toile écrue, installés de part et d’autre de la piscine, invitent à la lecture ou à la méditation.

Elle regrette de ne pouvoir en profiter mais la contemplation du patio lui permet d’évacuer un trop-plein de tension accumulée depuis la veille.

Elle se débarrasse des chaussures, de la robe.

Allongée sur la couette moelleuse du lit, elle décachette l’enveloppe noire.

Découvre une écriture cursive et appliquée, presque scolaire.

Elle lit :

Chère Marianne,

Vous m’attendrez entièrement dévêtue sur le lit.

Le bandeau se trouve dans le tiroir de gauche, sous le lavabo de la salle de bain.

Comme convenu, il devra occulter votre regard et vous le porterez avant mon arrivée.

Vous veillerez à éteindre toutes les lumières.

Les rideaux seront soigneusement tirés.

Je dispose d’une clé magnétique pour la porte de la chambre.

À 14 heures précises, je frapperai.

N’oubliez pas : nous ne devrons pas nous parler.

Gémissez, si j’ai l’honneur de vous donner du plaisir, je n’y vois aucun inconvénient.

Une bouteille de champagne vous attend dans le mini-bar.

Un Roederer cristal 2002.

J’espère qu’il vous plaira.

Enfin, soyez sans crainte, ne me viendrait jamais à l’esprit l’idée de vous pénétrer sans avoir pris au préalable les précautions d’usage.

Votre Dévoué & Désirant

Marquis de Prévannes

Chère Marianne,

Vous m’attendrez entièrement dévêtue sur le lit.

Le bandeau se trouve dans le tiroir de gauche, sous le lavabo de la salle de bain.

Comme convenu, il devra occulter votre regard et vous le porterez avant mon arrivée.

Vous veillerez à éteindre toutes les lumières.

Les rideaux seront soigneusement tirés.

Je dispose d’une clé magnétique pour la porte de la chambre.

À 14 heures précises, je frapperai.

N’oubliez pas : nous ne devrons pas nous parler.

Gémissez, si j’ai l’honneur de vous donner du plaisir, je n’y vois aucun inconvénient.

Une bouteille de champagne vous attend dans le mini-bar.

Un Roederer cristal 2002.

J’espère qu’il vous plaira.

Enfin, soyez sans crainte, ne me viendrait jamais à l’esprit l’idée de vous pénétrer sans avoir pris au préalable les précautions d’usage.

Votre Dévoué & Désirant

Marquis de Prévannes

Elle avait pris une douche pour se détendre, s’était recoiffée, parfumée.

Pour lui, ce serait Her intense de Burberry.

Le bandeau de voyage se trouvait effectivement dans le tiroir du meuble de la salle de bains, déposé sous une rose rouge naturelle encore en bouton mais flétrie.

Il allait être quatorze heures.

Elle avait éteint le plafonnier des sanitaires. Par une fenêtre aménagée au-dessus de la cabine de douche, filtrait encore une source de lumière. Elle avait décidé de repousser presque entièrement la porte, pas tout à fait cependant, de sorte qu’ainsi la chambre ne serait pas plongée dans une totale pénombre.

Elle avait jugé inutile de toucher aux persiennes, fermées à l’espagnolette ; le rideau suffirait à épaissir les ténèbres.

Elle supposait, malgré ses dénégations, qu’il aurait plaisir à distinguer, même d’une manière imprécise, les formes de son corps, les seins, les hanches, la fente de sa vulve, le dessin du clitoris, la masse soyeuse de la chevelure, que cette entre-vision – puisqu’il aurait la chance de disposer de ce sens dont on la privait –, contribuerait à le faire bander davantage.

La chambre est immergée dans un profond silence.

On n’entend plus le va-et-vient des femmes de ménage dans le couloir, le roulement sourd des chariots heurtant les cloisons et les portes.

Son cœur bat la chamade.

Il s’emballe.

Elle essaie de trouver des parades pour le distraire en lui racontant des histoires qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils vivent.

Obstiné, il la ramène fatalement dans ce lit où elle se voit, nue, la peau étoilée d’une sudation incontrôlable.

La climatisation n’est pas assez puissante.

La télécommande se trouve à côté de la petite fiche plastifiée des tarifications du mini-bar.

Elle règle le thermostat sur 19.

La fraîcheur calmera ses sens.

Elle vient de les toucher.

Ses tétons sont tendus, extrêmement durs.

Elle adore quand un homme les lui suce comme un bébé et qu’elle tient simultanément la verge dans sa main.

L’alpha et l’oméga du désir, en quelque sorte.

Il faut qu’elle ajuste le masque, qu’elle joue le jeu.

Elle s’y est engagée.

L’autre, l’esthète échappé d’un livret de Meilhac et Halévy, l’a rassurée.

Il répond de son éphémère amant comme de lui-même.

Un homme bien sûr tous les plans.

Un notable.

Apprécié.

Considéré.

Très bel homme de surcroît.

Et clean.

Il a lourdement insisté sur ce point, en minaudant d’un air entendu.

Polyamoureux, certes, mais élitiste dans ses choix, ne couchant qu’avec des femmes d’exception.

On la lui a présentée ainsi : elle est une femme d’exception.

Il ne goûtera toutefois qu’en partie ses qualités.

Fière de son parcours universitaire, d’une carrière professionnelle que d’aucuns lui envient – elle possède le plus important cabinet d’avocats de la capitale –, enfin émancipée d’un modèle patriarcal étouffant, elle se retrouve dans une chambre d’hôtel, monnaie d’échange offerte comme une catin, à attendre un homme dont elle ignore tout.

La situation est cocasse à y bien réfléchir.

Elle a souhaité néanmoins vivre cette expérience, la folie d’une expérience sagement replacée dans les frontières rassurantes d’un contexte.

Elle croit pouvoir rendre au corps, dans l’acte sexuel, la place qui lui revient, débrancher une partie du mental, se reconnecter aux sens par ces milliers de capteurs invisibles négligés, car maintenus dans une quarantaine d’indifférences ou d’ignorances, et laisser agir la magie décantatoire de l’émotion. Plutôt que de cheminer en terre d’amour depuis l’esprit, auquel nous abandonnons le plus souvent l’ensemble des prérogatives – et comment s’étonner ensuite qu’il se mue en tyran –, revenir aux vibrations reptiliennes, au toucher, à l’ouïe, au goût, à l’odorat, et de la sorte se réapproprier notre corps, nous abandonner à lui, abattre la barricade des inhibitions, surmonter nos peurs, envoyer à tous les diables nos pensées limitantes, ces codes tressés de maillons et de chaînes meurtrissants d’une éducation qui tourne finalement le dos à la vie.

… l’attente devient interminable

elle n’ose regarder l’heure sur son portable

il faudrait qu’elle se lève

elle l’a oublié sur le lavabo

il ne devrait plus tarder maintenant

s’il est ponctuel

quel âge peut-il avoir

quelle morphologie a-t-il

en règle générale les libertins prennent grand soin de leur apparence