Feuilles de match - Pierre Pottier - E-Book

Feuilles de match E-Book

Pierre Pottier

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Beschreibung

Dans un monde sous la menace permanente de l’effet de sphère, il n’est pas facile de résister à la pollution footballistique. Peuplé d’individus préférant les albums Panini aux livres de la Pléiade, devenu envahissant dans un monde 2.0, on aime reléguer le football dans les basses divisions intellectuelles.

Pourtant le football regorge de théories tactiques, de faits historiques, de personnages de roman, de tirades fumantes et d’anecdotes piquantes. Il se joue du ballon comme la littérature se joue des mots, il le manipule, le feinte, trompe l’adversaire pour toucher au but. Terrain de jeu exigeant et rempli de merveilleux solistes, il crée des histoires que le plus créatif des dramaturges ne pourrait imaginer.

Feuilles de match fait le petit pont entre ces deux univers qui se connaissent mal et qui gagneraient à se connaitre mieux, afin que le plaisir des mots permette de découvrir les joyaux de la couronne du sport roi.

De son positionnement sur le pré à sa place dans la société, 120 histoires vous expliqueront pourquoi la terre est ronde comme un ballon et pourquoi le football mérite de jouer les prolongations.

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Pierre Pottier

Feuilles dematch

Pour les joueurs de foot et les joueurs demots.

Mangez la feuille

1 Les mains dans lesac

Parmi ces onze bipèdes rôde un partenaire particulier. Alors que certains joueurs sont réputés pour mettre la tête là où certains ne mettraient pas le pied, le dernier rempart est un homme de mains gantées qui peut abuser de toutes les parties de son corps pour ballon stopper. De l’équipe il est celui qui doit maison garder, et parce que son rôle de vigile et de protecteur en font un doyen à responsabilité, il est empreint d’une solitude et d’une originalité. 

Bloqueur de fusées, ce type est dans la lune. Ainsi vit-il seul sur sa planète où souvent il fait la une. Kahn, Barthez, Lehmann, Jérémie Janot : c’est une tradition, ce sujet volant identifié est haut en couleur, haut perché. Mais n’est-ce pas leur insularité qui crée leur singularité ? De sa bulle chaque match donne à ce funambule les occasions de s’en extirper ; parfois ça file droit, parfois les erreurs défilent.

Gordon Banks a arrêté un but1, Lev Yachine a soulevé un ballon en or2, Higuita a dégagé en coup du scorpion3, Loris Karius4 a fini sa finale de Champions League au sol, et Sébastien n’a pas toujours été Frey5 sur ses sorties.

Le numéro 1 a finalement beaucoup à voir avec le boxeur : il se sert de ses mains, porte des gants, et démontre son caractère de champions par sa capacité à revenir après les coups durs, car personne n’est à l’abri du ko, oui du chaos. La boulette du gardien pèse autant qu’un corps mort et il sera reconnu comme le seul meurtrier. L’idée est alors de remonter sur le ring, on ne jette pas l’éponge, on retourne sur le gazon pour faire taire la critique. Sa qualité est dans la constance et dans la durée, comme Dino Zoff, Gigi Buffon, Peter Schmeichel, Jean-Luc Ettori, qui ont gardé les bois plus longtemps qu’un garde forestier, ou que Le Forestier. Le portier partage avec lui une maxime : ceux qui vivent là — devant la ligne de but — ont perdu laclé.

2-3 Littoral

Il est le dernier à être choisi à la récré. Il est le premier à faire l’essuie-glace.

Taxé de « pied carré », le latéral est la victime expiatoire de la sélection naturelle ; parce qu’on ne peut se risquer à mettre ce maladroit à un poste à responsabilité, on l’écarte de l’axe, on lui demande de défendre, et le poste lui exigera de courir. Son exigence, c’est d’être prêt à couvrir son côté, en attaque comme en défense, et par conséquent d’avoir un physique qui compense un manque d’habileté. Plus là par défaut que par choix, comme Brassens, il traîne une mauvaise réputation.

Homme de sacrifice, et partenaire exemplaire, il est souvent appelé à jouer à plusieurs postes, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse, comme si sa polyvalence créait une ambivalence. Sur ce point aucune interrogation, il va au mastic. Alors quand le joueur de l’ombre reçoit la lumière, ses exploits résonnent. Et oui, parfois l’arrière se met en avant. Du doublé d’un parmesan6, d’un Jean-François7 ou d’une frappe de bâtard8, les Français savent qu’un joueur de côté peut se retrouver au centre de l’attention. Conscient que son job n’est pas le plus sexy de l’équipe, ce laissé pour compte occupe une place importante dans la vie du groupe, il est leader par l’exemple. Alessandro Costacurta, Carlos Alberto.. Comme Philipp, ils ont Lahm de capitaine. Ses mouvements incessants sur le terrain le poussent également souvent à voir sa position évoluer. Politicien qui sent le vent tourner, cet extrême de droite ou de gauche finit par se recentrer. Il retourne sa veste, toujours du boncôté.

Et puis, un jour, tel le beaujolais, le latéral nouveau est arrivé. Prêché par certains apôtres, comme un certain Roberto C.9, le saint riverain a évangélisé les entraineurs, et montré qu’il pouvait être un super ailier et un super allier. Son héritier Marcelo, numéro douze dans le dos, a même un dix dans chaque pied. Aujourd’hui ce fin limier est un piston qui joue et fait jouer, c’est le passeur décisif et celui avec lequel il faut copiner, demandez au Messi et ses amis Dani ou Jordi10..

Dernier né de la famille, Trent Alexander-Arnold chez les Reds est un distributeur de caviar, un play-maker, la démonstration que le latéral est littéralement plus qu’un défenseur de côté. Comme quoi, les derniers peuvent devenir des premiers.

4 Arrête-moi si tupeux

C’est le chien de la casse, le colosse, la tour imprenable de l’équipe. Spécialiste du 1 contre 1, le numéro 4 a généralement pour mission de briser en 2 les espoirs du 9. Son portrait-robot est assez simple : il est grand, il est costaud mais rapide et on n’aimerait pas le croiser dans une rue sombre. 

Jaap Stam, Mozer, Marcel Desailly, Carles Puyol, Giorgio Chiellini, Pepe, des danseurs pour qui le tango dure 90 minutes non-stop. Il joue la durée d’un film et transforme le conte de fée en thriller. Il suit à la trace, il espionne, il coupe, il intercepte, il dynamite, il disperse, il ventile. Si l’on s’appuie sur lui pour bâtir une équipe solide, il est présent pour flinguer toute velléité offensive. Face à ces artistes créateurs d’émotion tricoteurs de grigris, il est le tonton qui vient gâcher la fête pour toucher son grisbi, dans un duel qu’il livre à la régulière comme à l’irrégulière. Piège du hors-jeu, tirage de maillot, simulation, ce bricoleur sort toute sa panoplie pour éteindre les étincelles et faire péter les plombs. La guerre qu’il mène est autant technique et physique que psychologique : pour maintenir l’adversaire sous contrôle, on lui fait casser sa manette. À ce jeu deux compères ont été des spécialistes et formaient une sacrée paire : Pépé et Sergio Ramos. Pépé ne faisait pas dans la rose, il était plutôt du genre à pousser mémé dans les orties. Sergio, l’Andalou, grand collectionneur de biscotte avec ou sans confiture11, est du genre à prendre le taureau par les cornes. Dernièrement, le meilleur de ces vi(r)giles s’appelle Van Dijk. Sous ses airs de premier communiant se cache un hollandais violent. Sa présence animale et son gabarit impressionnant envoient un message clair : « moi c’est un pas en avant, toi c’est deux pas en arrière. »

Qu’on l’adore ou qu’on adore le détester, le stoppeur restera sur le devant de la scène, partageant la surface de vérité avec son op/imposant attaquant. C’est un roc, c’est un cap, que dis-je, c’est un arrière central.

5 Libéro, délivero

C’est le poste romantique du pack arrière. Le numéro 5 n’est pas la moitié d’un 10. Non loin du stoppeur, souvent la chaussette baissée, il surveille, relance et contrôle une défense qu’il commande de ses pieds de velours, pieds qui deviennent sexy lorsqu’il met ses Baresi12.

Référence ultime en la matière, le kaiser Franz maîtrisait tous ses sujets : la vision, la classe, le touché de balle et l’autorité naturelle sur ses coéquipiers qu’il commandait depuis sa ligne reculée. Hasard flagrant ou conséquence tactique certaine, la tradition du libero est allemande ou italienne. Si demain il fallait en enfanter un, le jeu des croisements nous pousserait à choisir un Alessandro Nesta pour son père, ou un Matthias pour Sammer13. Quelle que soit la génétique mise en labo, cet enfant serait magnifique, car oui, le libero estbeau.

Souvent sorti du milieu, expliquant ainsi sa qualité technique, il est celui qui défend debout et joue au sol, qui relance propre et nettoie la surface sans se salir. Le dernier symbole chez les bleus était Blanc, dirigeant la défense avec un tel panache qu’on l’appelait Président. À l’image du surnom de Lolo Blanc, le processus n’est pas dictatorial. Si le défenseur peut appliquer sa doctrine et se muer en premier relanceur de son équipe, il sait que sa constitution est le fruit d’une démocratie. Un stoppeur qui ne stoppe pas, c’est un libéro qui ne se libère pas. Historiquement, une grande défense centrale, efficace et complémentaire, est un binôme, voire même un quatuor. Grâce au travail de sape de ses mannequins, ce tailleur de ballons tiré à quatre épingles fait dans la dentelle.

De nos jours, le libero est une espèce en voie d’extinction, on préfère le vrai rapide aux faux lents, un musculeux ou un malin plutôt qu’un artiste avant-gardiste de l’arrière-garde. Mais gageons que comme le poncho il reviendra à la mode. Dans un western, il faut toujours un bon avec la brute et le truand.

6 Sentinelle

Le premier rempart, la première rampe de lancement. Souvent un porteur d’eau, généralement un génie du placement, le six est un neuf qui a décidé de faire les choses à l’envers. Son jardin secret ne sera pas la surface, pour lui, le bonheur est dans le pré. Cerbère du temple, son job est de casser les attaques à la Racine, afin d’éviter toute tragédie à son équipe.

Deux styles se distinguent, la machine et l’élégant. Le surhomme, le marathonien, de Maké à N’Golo, de Cambiasso à Edgar Davids, ces joueurs avaient un volume de jeu qui défiait l’entendement. L’autre joue en costume : Rijkaard, Guardiola, Albertini, Busquets, Neeskens, des types qui courraient moins mais qui plaçaient plus. De catégorie A ou B, parmi eux certains ne devaient pas trop être chatouillés au risque de se prendre une déculottée : Gravesen, Gattuso et certainement les deux plus dingues Keano et Vinnie. L’un a brisé des carrières14, l’autre des testicules15. Pour éviter un flirt avec eux, on ferrait n’importequoi.

Plaques tournantes à géométrie variable, ils sont des maîtres tactiques à qui l’on confie le capitanat. C’est ainsi qu’en 98 Jacquet pris la clé Deschamps ou encore que Guardiola disposa en 6 Lahm, façon couteau suisse. 

Profil pointu qui sort des sentiers battus, beaucoup d’entraineurs usent de leur sixième sens pour inventer ou réinventer l’homme qui tombera à pic. Mourinho avait placé un Pépé en faux six pour tenter de crucifier un Messi en faux 9. La tentation d’un 6/9 peut s’entendre, même si c’est renoncer à ses vertus créatrices, le faux six se faisant faucille, et nous spectateurs devenons marteaux. Au-delà de saborder la construction de l’équipe adverse, il est le premier à accoster lorsque le navire part à l’attaque. Voguant en eaux troubles, il doit tanguer très vite pour créer cette passe, ce précieux décalage, et ne pas voir son programme piraté par l’adversaire. S’improviser six n’est pas une affaire docile, Marquinhos y a vécu des moments difficiles.

Aujourd’hui abusivement nommé « sentinelle », le récupérateur, milieu d’un football qui va toujours plus vite, doit absorber une partie de la disparition du vieux 10, homme du passé tombé dans le passif. De simple joueur de sacrifice, on exige de lui à présent d’être un joueur de sacrées passes. Sacrée époque...

Number7

Il est beau, il est élégant, et les gants il pourrait les mettre à ses pieds, car l’ailier droit est un joueur aux orteils de fée. Débloqueur de matchs à coup de baguette magique, ce qu’il enchante, c’est avant tout le public, par son art du centre, du crochet ou de la frappe enroulée.

Ce magicien au chiffre du bonheur est là pour donner la poisse. Garrincha fut l’un des premiers grands 7. 6 centimètres plus longue que la gauche, sa derecha est un coup du sort dont il est l’heureux porteur. Ses challengers vont l’avoir en horreur. Plus déséquilibrant que déséquilibré (sauf dans sa tête) son crochet faisait faire des grands 8 à ses adversaires. Considéré comme le meilleur danseur de tous les temps, l’ange aux jambes tordues16 a eu de nombreux fils spirituels, et alors que papa aimait la samba de Botafogo, ses enfants lui ont préféré l’électro.

Venons-en au fait, c’est à l’Hacienda de Manchester qu’on trouve les meilleursDjs.

Best, Robson, Cantona, Beckham, Cristiano Ronaldo, ces diables ont enflammé les dance floors anglais... Joueurs frissons par excellence, ils ont tous un style différent, mais en commun la qualité du soulier. Rois des dribbleurs donc, ils aiment tenir leur sujet à distance, et avoir l’humiliation à portée de pied. Si un cinq à sept le long de la touche avec lui semble s’organiser, mieux vaut se défiler.

Toujours sur son côté droit par le passé, le septième numéro est devenu un art, un trophée. Ainsi ce ne sont plus les ailiers droits qui ont le sept-re en main. Cristiano, Ribéry, MBappé penchent plus à gauche et ont osé commettre l’impair, être sept ce n’est pas être ailier droit, c’est avant tout être un funambule de la ligne de touche. Ainsi, le numéro s’est a-sept-isé, mais n’a rien perdu de sa dangerosité.

Piston, relayeur et comparaison forte 8

C’est la chaîne de transmission, l’homme de transition. Plus haut que le 6 et plus bas que le 10, le 8 n’est pas un homme de spectacle, car son travail est de faire la coulisse. Pour les joueurs offensifs, le huit fait sortir le milieu de sa coquille et distribue les perles. Selon le schéma tactique, il se diversifie, car un grand huit vous fait aller dans tous les sens. Tour à tour défensif avec quelques projections à la Vieira ou à la Scholes, skipper box to box total à la Gerrard ou à la Franck Lampard, ou artiste à la limite du meneur de jeu comme Iniesta ou docteur Sócrates, ce valet touche à tous les métiers. Là où le 10 ne sait pas trop défendre et le 6 rarement se projeter, le 8 ne maîtrise rien mais boucle les deux boucles.

De cette polyvalence naquit le terme de « relayeur » ou de « piston ». Son rôle est à la fois une chance et une malédiction, son statut hybride fait de lui un joueur difficile à lire pour le spectateur amateur. Il ne récupère pas le ballon, ne fait pas la passe décisive, ne marque pas les buts. Qui trop embrasse, mal étreint. On lui fait donc souvent des reproches ; lorsque les choses vont mal, l’après-match, son after 8, c’est rarement sa tasse de thé. Inversement, lorsqu’il marche sur l’eau son omnipotence devient omniprésence : tacles, interceptions, dribbles, passes, tirs, et dans ce cas les débats sont, pour le hui(t)sclos.

Nous, Français, disposons d’un excellent spécimen en la personne de la pioche. Paulo sait tout bien faire mais ne peut pas tout faire, parle pour rien mais ne sert à rien, gâche le travail des autres et est incapable de faire le travail pour trois. Pourtant tout le monde sait que ce n’est pas facile de faire les trois-huit. Pour accepter ce rôle, on peut le dire, le huit est une bonne pâte, or quoi de mieux que des pâtes aux pistons.

9 decœur

Le buteur, l’attaquant centre, qui paradoxalement est souvent à sa retombée. On a donné à ce tueur un gage : marquer. Dernier chaînon, il transforme les efforts de l’équipe en points sur le tableau d’affichage. Petit, grand, vrai lent, faux lent, (Ciro) immobile ou mobile, il y en a de toutes les couleurs mais ils ont tous la main verte, car leur jardin n’est autre que la surface de réparation. De la race des assassins en herbe, la référence ultime est Gerd « Bomber » Muller, « Dieu pardonne, moi pas »… Cet artificier n’envoyait pas du rêve mais le contrat était toujours rempli.

Chez les scouts son totem est évident : le renard, le chenapan. Le pistolero Suárez, l’argenté Ravanelli, et surtout Filippo Inzaghi, Pippo, « l’homme né hors-jeux »17. Ni rapide, ni technique, ni costaud, juste là au bon moment. La représentation ultime d’un instinct que détiennent ces drôles de numéros. Instinct qui a longtemps fait de lui l’atout le plus valorisé sur le marché des transferts, dans le neuf il faut investir. Quoi de plus logique, qui vole un neuf, vole un bœuf, à plus forte raison pour celui qui devra en générer les effets. Il est l’arbre qui cache la forêt, dans les bons comme dans les mauvais moments. Une série de matchs sans « planter » et voilà que la graine du doute pousse dans son esprit, et l’amour devient haine. Le neuf est exposé. 

Les occasions ne se vendangent pas longtemps, car le neuf peut se faire vieux. Lorsque vous dépassez la trentaine et que le coup de reins n’est plus aussi puissant, lorsque la vitesse vous manque, lorsque tous les indicateurs passent à l’orange, il ne faut pas se laisser faire, et apprendre à se réinventer. Devenir plus roublard, plusrusé.

Ce n’est pas en meute que le prédateur acquiert cette compétence. À l’image du gardien, l’attaquant centre tient une place à part. Il est le seul à faire ce job et si l’on ne pose pas son nom sur le tableau d’affichage c’est de la feuille de match qu’il s’effacera. Pas de chichi pour le pichichi18 : si la foudre ne s’abat pas, cela va gronder.

Mais passée la tempête, on revient toujours vers cet électron libre, celui qui met le stade en fusion à chaque coup de tonnerre. À l’inverse de Stéphanie de Monaco, ou peut-être était-ce Sonny Anderson ou David Trezeguet19, comme un ouragan passé sur le terrain, l’amour pour le Neuf ne se fera pas emporter.

Les loges du 10  

Il est celui qui est devenu un artiste, pour pouvoir faire son numéro. Son numéro c’est le 10, à Rotterdam comme à Rio. Qu’il s’appelle Cruyff ou Pelé, de la magie sort de ses pieds.

Ces sorciers sont si doués que c’est avec leurs mains qu’ils semblent jouer. Tant mieux, pour être le chef d’orchestre il faut tenir la baguette.

Ce marionnettiste tire les ficelles et casse les lignes. Il peut être un homme de penchant, parfois à gauche comme Zidane, avec Roberto Carlos qui prend le couloir, parfois avec un penchant pour la drogue, comme le pibe de Oro, avec le dealer qui te fait prendre des lignes et la porte d’une coupe du monde20.

On lui donne plusieurs noms, et plusieurs positions, il est parfois 9 et demi, parfois reculé, parfois Pirlo, parfois Riquelme. Malgré son statut indéfini, il est facilement identifiable. Dans son dos pas de chiffres romains, pourtant c’est lui le facteur X. Quoi qu’on en 10 quoi qu’on en fasse, c’est lui le patron de la création, son art est inégalable, sa figure originale. S’ils sont tous uniques, quelque chose les rapproche, de Platoche à Ronnie, de Rui Costa à Valderama, de la main de dieu jusqu’à l’arrivée du Messi. Quelle que soit sa religion, les dieux du foot se sont penchés sur son berceau.

On le dit en voie d’extinction, victime des tactiques ou des modes. Mais le trequartista ne sera jamais tricard. Sur un grand écran en couleurs, cet acteur peut changer de peau. Le 10 ne se choisit pas, il s’impose. Ses passes font de lui le soleil de l’équipe, l’astre qui guide les autres joueurs et qui rayonne de sa vision. Seul un aveugle ne titulariserait pas cette star, ce magnat.

I11usionniste

Le deuxième objet volant identifié de l’équipe, sur son aile, avec son pied majestueux, sa pointe de vitesse et son coup de reins dévastateur. Moins nombreux à énumérer par le chiffre que le 7, l’ailier gauche a la fâcheuse tendance à ne pas porter son numéro. Peu ont suivi l’exemple, comme Paco Gento ou Ryan Giggs. Cette zone s’est a-sept-isé ou dix-simulé. Si le numéro est usurpé, la position est néanmoins appréciée.

Les exemples sont légion : représentant ultime du poste, Cristiano Ronaldo marque comme un neuf et a le 7 dans la peau. Sadio Mané roule à l’anglaise, ce jaguar est immatriculé 10. L’ange Hazard, qui considère l’aile gauche comme son paradis, a longtemps été 11. Mais les démons du marketing ont suggéré à Eden que, même en son jardin, mieux vaut vêtir le7.

Il faut dire que la mode n’a en rien aidé. Car de centreur invétéré, il est devenu percuteur sur son meilleur pied. Ainsi les ailiers se sont inversés et la stylistique footballistique fit passer les droitiers côté gauche, et les gauchers côté droit. En virant à l’ouest ces agents sont devenus troubles, d’où l’abandon du double un pour le007. 

L’autre faux onze est le joueur de débordement qui ne déborde pas, car du onze il faut retrancher un pour obtenir sa vraie posture. Zidane ou Neymar ont cette carrure : hommes avec un penchant pour la gauche, droitier de surcroît, leur attribuer un statut de 11 serait illusoire, car s’ils aiment l’aile ils prennent leur envol au centre, en tant que meneur dejeu.

Partir de la gauche pour aller vers le centre, voilà une belle manœuvre de politicien, idéalement mené sur le temps de la Valls, sauf qu’ils sont loin d’être des Brel. Quelle que soit sa catégorie, le 11 est un joueur fantasque, un joueur pour lequel on vient au stade, et même s’ils n’ont pas tous le même maillot, on peut dire qu’ils génèrent tous la même passion.

12 Remplaçant

Sa position de début de match est assise, non loin de l’entraineur. Emmitouflé dans sa doudoune en hiver, en séance de quasi-bronzette en été, le remplaçant constate, à l’automne de sa carrière, que le printemps de sa vie de joueur s’est évanoui entre les non-convocations, les choix tactiques et les noms couchés avant le sien sur la feuille de match. 

Le remplaçant est dans une quête perpétuelle de réponse, essayant de traiter en toute objectivité un choix qu’il ne peut voir que sous un angle personnel. « Pourquoi je ne suis pas titulaire ? ». Derrière l’accomplissement du faire ensemble et du collectif, le joueur de foot ordonne sa charité avec minutie. Toujours sujet à discussion, ils tirent plus ou moins la conversation. Le grand classique du joueur gentil ou polyvalent est connu des services. Parce qu’il est capable de jouer partout mais qu’il n’est le spécialiste de nulle part, le plurivalent est habitué à être sur le banc. De même le soldat qui ne l’ouvrira pas est plus facile à asseoir. Pas assez bon, ou trop bon, trop con. Bien sûr, il ne fait pas ça tout seul, il est la victime de la concurrence et du management. Le substituant est donc un complément circonstanciel, et espère que cela ne durera pas dans le temps. Malheureusement il y a du provisoire qui dure.

Tout le monde ne réagira pas de la même manière au fait d’être remplaçant. L’entraîneur peut voir dans cet acte une manière de relancer le joueur. Côté footballeur, l’appel du banc peut être vu comme un défi, ou comme un désaveu. Il est donc à double tranchant, parfois il pique le joueur dans son ego, parfois le surmoi devient envahissant. De ce fait, et notamment en sélection, les patrons choisissent leurs employés avec doigté, car tout le monde ne peut pas être un bon remplaçant, dans le jeu comme dans le « je ». À tel point que certains s’en sont fait une spécialité. Sorti du banc de touche pour jouer quelques minutes, le « super sub » ou encore le « joker » est l’homme qui va faire basculer la partie en apportant du sang neuf. Impossible de ne pas citer Fergie21 et Ole Gunnar Solskjaer22, passés maîtres dans l’art des fins de match à rebondissements. 

Lorsque le moment fatidique approche, le chef donne les instructions, il est temps d’aller s’échauffer. Le long de la ligne de touche, le nouvel acteur gesticule et prépare son corps pour faire ses premiers pas sur le devant de la scène. L’entrée en matière peut être plus ou moins longue, voire annulée, car durant ces quelques minutes en coulisse, tout peut arriver. Un coup de théâtre sur le pré et les tactiques du metteur en scène peuvent s’envoler. Si le plan se déroule sans accroc, alors le crack va rentrer, le quatrième arbitre va allumer son beau panneau électrique, et désigner le numéro sortant et le numéro complémentaire. Pour le joueur remplacé, on ne peut pas dire que ce soit comme gagner au loto. Parfois exténué, parfois compréhensif (en particulier si le joueur entrant n’a pas le même poste), le mis à pied peut aussi avoir des difficultés à accepter la décision. « Pourquoi moi ? ». Dans l’émotion et la fatigue du match, il va alors se diriger vers la tribune, le tout avec un regard noir à destination du coach. Véritable surveillant de la cour de « recréer », l’entraineur devra assumer ses choix et gérer ces égos égratignés. Pas besoin d’être blessé pour avoir des bobos à soigner.

13 Lavalse

C’est le boss, et pourtant son poste est le plus précaire, car si l’entraîneur tient les commandes de l’équipe, il est également assis sur un siège éjectable. Les statistiques sont implacables, il est plus facile de trancher une tête que onze. Comme dans la vie, les histoires d’amour footballistiques finissent mal, en général. Ainsi rares sont les amants qui se séparent en bons termes.

Quelle est loin notre image d’Épinal du coach pieds et poings liés à son club, tels Guy Roux, Willie Maley, Sir Alex, Arsène Wenger ou Valeri Lobanovski, de nos jours leur durée de vie se compte davantage en mois qu’en années.

Dans ce ballet permanent, on distingue plusieurs types de danseurs. Il y a le théoricien du tableau noir et de l’analyse vidéo, qui a sa touche stylistique mais est rarement le meilleur des communicants. Ce druide est en recherche permanente de la formule magique. Il y a le général d’infanterie, le meneur d’hommes, qui vient secouer le cocotier en cassant les noix de certains joueurs. Souvent appelé pour faire le pompier et resserrer les boulons, il contient bien la pression jusqu’à exploser en vol passées une ou deux saisons. Il y a le pragmatique dont les principes s’arrêtent là où commence la collection de trophées. Capable de faire machine arrière si quelque chose empêche son équipe d’aller de l’avant ; personne n’est irremplaçable mais tout le monde peut devenir important. Il est fin psychologue et gros compétiteur. Autre spécimen : le globe-trotter, quelque part entre sa soif de gros billets et ses envies d’ailleurs, cet aventurier a écumé 50 clubs dont la moitié des équipes d’une même division. Plus amoureux du football que du coaching, cela fait trente-cinq ans qu’il est dans le circuit.

On a tendance à réviser au microscope les moindres faits et gestes de cet homme Kleenex, pour savoir ce qui n’est pas carré et ainsi justifier pourquoi l’équipe ne tourne pas rond. Et à ce petit jeu, il y a toujours quelque chose à redire, même les meilleurs se font moucher.

Bien sûr, certains sont plus forts que d’autres pour se tirer une balle dans le pied, notamment ceux qui font des choix forts ou qui lèvent haut le ton. Lorsque l’on met Ronnie sur le banc, lorsque l’on part à la chasse avec un chat, lorsqu’on tire les crampons sur la tête de David ou quand on se prive de Gino et Canto, il y a deux options : devenir le maître de cérémonie ou passer pour un clown. Enfin, il y a les clubs où l’on sait que c’est un cirque. Entre cracheur de feu et funambule, le jongleur atterrit dans un contexte explosif où il sait que dès la signature de son contrat, les balles ne sont plus entre ses mains et ses jours sont comptés. Le patron absolu de cette commedia dell’arte s’appelait Mauricio Zamparini : une quarantaine d’entraîneurs consommés23, et de multiples péripéties à son actif. Habitué des pirouettes et des arabesques, le coach subit une vie de bohème et profite de l’instant présent, car lui plus que n’importe qui sait que l’amour peut durer moins de troisans.

1https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Le-jour-ou-gordon-banks-est-entre-dans-la-legende/988094

2https://www.francefootball.fr/news/1963-lev-yachine/423373

3https://sport24.lefigaro.fr/football/rene-higuita-fete-ses-54-ans-retour-sur-son-fabuleux-coup-du-scorpion

4https://www.youtube.com/watch?v=rtFGpfrdlMI&ab_channel=UEFA

5https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9bastien_Frey

6https://fr.fifa.com/worldcup/news/un-miracle-nomme-thuram-ecarte-la-croatie

7https://www.sudouest.fr/2016/07/06/le-bordelais-jean-francois-domergue-ce-heros-improbable-de-l-euro-1984-2425992-766.php

8https://www.francebleu.fr/sports/football/video-il-y-a-deux-ans-benjamin-pavard-marquait-le-plus-beau-du-mondial-2018-face-a-l-argentine-1593528938

9https://fr.wikipedia.org/wiki/Roberto_Carlos_(football)

10 Jordi Alba et Daniel Alves sont deux des meilleurs passeurs de Lionel Messi.

11 Surnom donné au carton jaune et au carton rouge

12https://fr.wikipedia.org/wiki/Franco_Baresi

13https://fr.wikipedia.org/wiki/Matthias_Sammer

14https://sport24.lefigaro.fr/scan-sport/actualites/quand-le-pere-d-haaland-prenait-un-tacle-assassin-par-roy-keane-996148

15https://www.dailymail.co.uk/sport/sportsnews/article-7147117/Paul-Gascoigne-Vinnie-Jones-recreate-iconic-photo-actor-grabbing-former-England-stars-groin.html

16 Titre d’un poème écrit en son honneur par Vinicius de Moraes : O Anjo de Pernas Tortas.

17 Sir Alex Ferguson, entraineur historique de Manchester United, avait ainsi qualifié Filippo Inzaghi

18 Surnom du meilleur buteur du championnat d’Espagne.

19 Tous deux buteurs passés par l’AS Monaco.

20http://www.cahiersdufootball.net/article-maradona-1994-le-dernier-cri-4614

21 Sir Alex Ferguson, un des plus grands entraineurs de l’histoire, était notamment connu pour son « Fergie Time », car son équipe faisait fréquemment basculer la rencontre lors du temps additionnel.

22https://fr.wikipedia.org/wiki/Ole_Gunnar_Solskjær

23https://www.sofoot.com/maurizio-zamparini-quinze-ans-de-folie-chiffree-439695.html

Pain quotidien

14 On connaît la chanson

Plonger dans un match, c’est mettre les pieds dans le plat. Du chaudron du samedi soir au champêtre du dimanche matin, la mise en bouche est quasiment aussi importante que l’assiette principale. Tous les sens y passent : le goût de la bière ou du sandwich, la vue depuis le siège ou le canapé, l’odeur des fumigènes ou du gazon, la chair de poule d’avant match, et bien entendu l’écoute du chant. Que ce soit Phil Collins24 ou Van Halen25, le son grise nos oreilles et électrise les esprits avant de porter l’estocade. Et lorsque le stade reprend à l’unisson, alors c’est le poil qui se hérisse. Le « ville lumière », le « you’ll never walk alone »26, el « cant del barca »27, des cantiques qui font froid dans le dos ou chaud au cœur, mais ne laissent pas indifférents. Que ce soit dans les stades ou dans les studios d’enregistrement, il est difficile de ne pas mettre en avant nos amis anglo-saxons, spécialistes des reprises chantées par tout le stade, et grands créateurs de parodie à l’humour british pour les coqueluches des supporters28. L’Ajax d’Amsterdam ne s’est d’ailleurs inquiété de rien, et s’époumone en anglais29.

Dans ce domaine, il vaut mieux laisser la main aux amateurs qu’aux professionnels, car le peu de fois qu’un joueur de foot a donné de la voix, le monde de la musique est resté sans la sienne. Jean-Pierre François nous survivra30 tous, mais Basile Boli31 ou encore Youri Djorkaeff ont tenté de vivre dans la lumière32, mais auraient dû rester dans l’ombre. Même le Kaiser33 a poussé la chansonnette, pour produire un beau Waterloo de la chanson. Et non à la manière d’Abba, qui ne souffre d’aucun débat, mais plutôt à la manière d’un Napoléon, qu’on a fini par abattre34.

Autre sujet à débat, l’hymne est une ritournelle que l’on aime chahuter. En France, tous les deux-trois ans le sujet retourne sur la place publique : les bleus doivent-ils entonner ou non la Marseillaise ? Pour les uns, l’esquive est un affront, pour d’autres, l’omission est une forme de respect. Pour nos oreilles, il est certainement mieux de fuir l’affrontement.

Un seul hymne obtient l’unanimité, et c’est le seul qu’on ne peut pas chanter, car personne ne le comprend. Il habille nos mardi et mercredi de septembre à mai, et fait rêver tous les amateurs de ballons. Et malgré la forme de la coupe, pas besoin d’avoir de grandes oreilles pour l’apprécier35.

15 L’enfer du dimanche (matin)

Á chaque dimanche sourit sa peine. Chaque dimanche matin, la grande messe du football a lieu. Chaque dimanche matin, chaque joueur doit porter sa croix. Aux aurores fébriles du matin noir, le footballeur du dimanche paie au prix fort sa fièvre du samedi soir. Le soleil se lève, et il le bouscule, il ne se réveille pas, comme d’habitude. Tout seul, il boit son café, il est en retard, comme d’habitude. Arrivé au stade, en ayant blablacaré avec les coéquipiers, il blablate dans le froid en attendant les autres retardataires. Toujours les mêmes à l’ouest, rien de nouveau. Ces minutes de patience permettent la découverte du terrain de l’affrontement, là où la guerre sera déclarée.