Gens de Gaza - Sarah Katz - E-Book

Gens de Gaza E-Book

Sarah Katz

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Beschreibung

En plein coeur de la bande de Gaza, suivez la lutte d'un peuple en souffrance et en résistance qui souhaite ardemment transmettre au reste du monde leur réalité.

Comme tout peuple en souffrance et en résistance, les habitants de la bande de Gaza, confinés dans leur cage, souhaitent ardemment transmettre au monde la réalité de leur vie. Suite à leurs séjours successifs à Gaza, les auteurs proposent de décrire la société gazaouie dans sa diversité, ses contradictions et sa résilience. Face à l'occupation et au blocus : une société contemporaine normale dans des conditions complètement anormales. Gaza préfigure-t-elle le monde qui nous attend : une population stigmatisée, diffamée, surveillée en permanence, lieu privilégié d'expérimentation des techniques de contrôle des populations, laboratoire pour les fabricants d'armes ? Le film associé au livre met en scène la parole des Gazaouis et participe au récit collectif du peuple palestinien.

Une description prenante de la société gazaouie dans sa diversité, ses contradictions et sa résilience. Gaza préfigure-t-elle le monde qui nous attend : une population stigmatisée, diffamée, surveillée en permanence, lieu privilégié d'expérimentation des techniques de contrôle des populations, laboratoire pour les fabricants d'armes ?

EXTRAIT

Gaza, de l’autre côté de notre Méditerranée, en face de nous, sur les bords du même monde où les hommes restent des hommes dont aucun ne vaut plus qu’un autre. Et pourtant on y perçoit parfois un goût de bout du monde tant les destructions sont à l’œuvre telle une fiction mortelle. Gaza est un chantier permanent de construction, destruction, reconstruction dans tous les sens du mot chantier : concret, idéologique, symbolique ; quand tout est en désordre, quel chantier !
Nous n’avons que le choix de rester debout, le secret de Gaza, c’est de faire d’un problème une solution, je ne sais pas, je n’ai pas appris comment baisser les bras. La population de Gaza n’est ni un peuple en armes triomphant, ni un peuple écrasé qui pleure, ni un peuple de terroristes, on dit que Gaza est un exemple de la résilience…
À Gaza, tout peut arriver, on n’est sûr de rien, quand les droits humains ne sont pas libres d’accès, personne ne sait pour soi ou pour les autres. Tout le monde attend, cela laisse beaucoup de place à l’aléatoire, aux interprétations, aux abus de pouvoir.
À Gaza, ce qui fait l’unité, c’est la famille, la solidarité concrète et quotidienne, regarder autour de soi, ne pas oublier l’autre, la résistance. Tout événement est occasion de fêter cette unité d’un peuple qui vit l’apartheid dont un des visages a été l’occupation et reste le blocus, et qui, pour rester vivant et combatif, s’anime de ce sentiment de résistance autour de l’unité nationale et familiale, la solidarité active, la fête.
À Gaza, rien ne circule, l’économie est en panne, c’est comme cultiver dans la mer, on est condamné à se taper soit contre les autres, soit contre les murs, il faut vivre la nuit. À Gaza, les jeunes ne sont jamais sortis, ils ne connaissent le monde que virtuellement, ils ont connu trois guerres et n’ont pas le souvenir d’un passé heureux, il ne reste que les récits.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sarah Katz est socio-démographe, ancienne du CNRS.
Annie Vera, éducatrice, a travaillé à la Protection judiciaire de la jeunesse.

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Couverture

Page de titre

Préface

Ce livre, précis et factuel, mérite une large promotion et diffusion. Il évoque un sujet dont on ne parle plus guère, celui du drame humanitaire de GAZA. Cette indifférence est probablement liée à sa durée dans le temps (près de 70 ans).

Je crois qu’il n’existe nulle part dans le monde de situation comparable : plus de 2 millions d’êtres humains emprisonnés sur une bande de terre prise en étau entre Israël et l’Égypte. On ne peut en sortir, ni par air, ni par terre, ni par mer. La population n’a pu fuir les bombardements qu’elle a subis à plusieurs reprises ces dernières années. Cela aussi est un cas unique.

Cet enfermement a des conséquences désastreuses sur la vie des habitants : pénurie de tout, impossibilité d’importer ou exporter, coupures d’électricité qui paralysent toutes activités et renforcent un chômage à plus de 60 %. Les maisons détruites au cours de bombardements successifs n’ont pu être reconstruites, faute de pouvoir importer les matériaux nécessaires. Il n’y a plus d’eau potable, problème majeur qui fait prédire par l’ONU que Gaza ne sera plus habitable d’ici trois ans. La présence de l’ONU, depuis 70 ans, est à peu près le seul moyen de survivre, mais ses ressources diminuent. La création de l’UNWRA, son agence chargée de s’occuper des réfugiés palestiniens en 1949, devait en principe ne durer que six mois…

La menace qui pèse sur l’avenir de Gaza m’est insupportable car, derrière les chiffres et les statistiques, il y a pour moi des hommes, des femmes, des enfants aux sourires inoubliables, rencontrés au cours des séjours que Stéphane, mon mari, et moi avons eu le privilège d’y faire depuis 2002. Je dis privilège, car peu nombreux sont ceux qui ont réussi à passer les check points. Notamment, plusieurs amis qui nous accompagnaient ont été refoulés de façon arbitraire.

Privilège aussi parce que nous y avons découvert une population attachante, courageuse, des rencontres chaleureuses et émouvantes. Les enfants, très nombreux, ressemblent à la petite fille qui figure sur la page de couverture de ce livre, par l’intensité de leur regard, leur sourire désarmant, leur beauté aussi.

Malgré la barrière linguistique, nous communiquions parfaitement avec eux. Ils nous habitent toujours et nous nous demandons ce qu’ils sont devenus, notamment après les bombardements et les conditions de vie plus que précaires qu’ils endurent.

À quoi tient notre attachement si profond pour Gaza ? Pourquoi cette nostalgie pour un lieu si ingrat : villes pauvres et ravagées, nature terriblement appauvrie, destruction des arbres, impossibilité de cultiver les terres fertiles sous la menace des tirs israéliens, parce que proches de la frontière ?

Notre attachement tient en un mot : la VIE. Elle sourd de partout. Je l’ai rarement ressentie aussi fortement qu’à Gaza. Ses habitants sont follement attachés à la vie, ils font des enfants, leur vie familiale est intense, ils ont un sens de la fête. Ils se battent pour leur survie et ils croient envers et contre tout en un avenir meilleur. C’est pour cela que nous les aimons, c’est pour cela que nous témoignons, encore et encore.

Christiane Hessel, février 2017.

Prologue

« Gaza est une leçon brutale et un exemple éclatant pour ses amis comme pour ses ennemis, son histoire est à la hauteur de celle d’une véritable patrie », écrit Mahmoud Darwich.

Ce prologue mêle réflexions, ressentis et énoncés de différentes paroles de gens de Gaza – de la société civile aux responsables institutionnels. Ce sont des aphorismes qu’il faut lire comme un manifeste, au sens où ils affirment la dégradation de la vie dans cette partie du monde et l’état d’esprit des femmes et hommes qui y vivent.

« Le monde entier a des responsabilités en rendant les Palestiniens illégaux », déclare le mokhtar de Khuza’a. Aujourd’hui, les dirigeants politiques des grandes nations et les médias internationaux mettent de fait la Palestine en dehors de l’humanité. Combien de responsables politiques palestiniens nous ont expliqué que la situation géopolitique internationale avait fait plonger le sort du peuple palestinien du silence dans l’oubli ! La communauté internationale est complice de ce qui se passe et de ce qui arrivera à Gaza. Un rapport de l’ONU1 signale que, d’ici à 2020, Gaza sera devenu invivable si les tendances actuelles continuent de s’accentuer ou même persistent.

Gaza, de l’autre côté de notre Méditerranée, en face de nous, sur les bords du même monde où les hommes restent des hommes dont aucun ne vaut plus qu’un autre. Et pourtant on y perçoit parfois un goût de bout du monde tant les destructions sont à l’œuvre telle une fiction mortelle. Gaza est un chantier permanent de construction, destruction, reconstruction dans tous les sens du mot chantier : concret, idéologique, symbolique ; quand tout est en désordre, quel chantier !

Nous n’avons que le choix de rester debout, le secret de Gaza, c’est de faire d’un problème une solution, je ne sais pas, je n’ai pas appris comment baisser les bras.2 La population de Gaza n’est ni un peuple en armes triomphant, ni un peuple écrasé qui pleure, ni un peuple de terroristes, on dit que Gaza est un exemple de la résilience…

À Gaza, tout peut arriver, on n’est sûr de rien, quand les droits humains ne sont pas libres d’accès, personne ne sait pour soi ou pour les autres. Tout le monde attend, cela laisse beaucoup de place à l’aléatoire, aux interprétations, aux abus de pouvoir.

À Gaza, ce qui fait l’unité, c’est la famille, la solidarité concrète et quotidienne, regarder autour de soi, ne pas oublier l’autre, la résistance. Tout événement est occasion de fêter cette unité d’un peuple qui vit l’apartheid dont un des visages a été l’occupation et reste le blocus, et qui, pour rester vivant et combatif, s’anime de ce sentiment de résistance autour de l’unité nationale et familiale, la solidarité active, la fête.

À Gaza, rien ne circule, l’économie est en panne, c’est comme cultiver dans la mer, on est condamné à se taper soit contre les autres, soit contre les murs, il faut vivre la nuit.

À Gaza, les jeunes ne sont jamais sortis, ils ne connaissent le monde que virtuellement, ils ont connu trois guerres et n’ont pas le souvenir d’un passé heureux, il ne reste que les récits.

Gaza pourrait être un paysage luxuriant, sa végétation est riche de fleurs, de fruits, d’arbres et de légumes, sa plage est bondée, seul lieu de loisirs en extérieur dans une nature qui n’est pas sauvage tant elle est surpeuplée. Mais Gaza est comme un volcan. À Gaza, ce sont les gens qui font paysage, à Gaza, on n’est jamais seul.

Quand on quitte Gaza, Gaza ne nous quitte pas.

1. Organisation des Nations unies (ONU) : « Gaza in 2020, a liveable place ? », A report by the United Nations Country Team in the Occupied Palestinian Territory, August 2012 : www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf

2. Toutes les citations en italique et non référencées proviennent d’entretiens ou d’échanges vécus à Gaza entre 2011 et 2016 par l’un ou plusieurs des six auteurs.

Cartes

I – Gaza dans l’histoire

De l’Empire ottoman aux frontières de la Nakba

L’Empire ottoman, fondé en 1299 et maître de tout le Proche-Orient à partir du XVIe siècle, était un empire multinational et multiconfessionnel dans lequel cohabitaient, parfois pacifiquement, parfois de façon conflictuelle, de nombreux peuples et de nombreuses religions. En pleine guerre de 1914-1918, Français et Anglais préparent le démembrement de cet empire de plus d’un demi-millénaire d’existence et partagent ses territoires selon les accords Sykes-Picot (16 mai 1916). Ces accords resteront longtemps secrets.

En 1917, les troupes britanniques du général Allenby venues d’Égypte lancent l’offensive vers Jérusalem contre les troupes ottomanes et leurs alliés allemands. C’est à Gaza, entre le 31 octobre et le 7 novembre 1917, qu’elles remportent la victoire décisive. Après la fin de la guerre et l’effondrement prévisible de l’Empire ottoman, effectif en 1923, les Britanniques occupent la région. Contrairement aux promesses faites à de nombreux dirigeants arabes, il n’est plus question d’indépendance, d’autant que, depuis la déclaration Balfour (2 novembre 1917), « un foyer national pour le peuple juif » a été accordé en Palestine par le gouvernement britannique dans une lettre envoyée par Lord Balfour à Lord Rothschild. Les frontières de la Palestine sont dessinées par l’occupant britannique. S’il y a des frontières « naturelles » (le Jourdain, le lac de Tibériade, la mer Morte), les autres sont tirées à la règle au mépris des populations artificiellement divisées. La ville de Rafah (au sud de Gaza), dont l’existence remonte à la haute Antiquité, est ainsi coupée en deux (Palestine et Égypte), division qui subsiste encore aujourd’hui. En 1922, la Société des nations reconnaît le fait accompli et donne au Royaume-Uni un « mandat » sur la Palestine.

Cette « Palestine historique » dont les frontières ont été tracées par le colonisateur est en fait toute petite : environ 27 000 km2 (20 fois plus petite que la France, l’équivalent de la Bretagne – sans la Loire-Atlantique). La moitié de ce petit territoire est un désert. Alors que l’immigration sioniste a déjà commencé, les Juifs ne forment que 12 % de la population en 1920. Il y a très peu d’établissements juifs dans la région de Gaza.

En 1947, l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a succédé à la Société des nations, décide la partition de la Palestine (résolution 181). Suivant ce plan de partage au tracé de frontières pour le moins aberrant3, et alors que les Palestiniens sont majoritaires, leur « État » ne couvre que 40 % de la Palestine historique et est composé de trois morceaux séparés.

L’ONU laisse aussitôt s’effectuer un nettoyage ethnique presque parfait sur les territoires attribués à « l’État juif » (ce sont les termes du plan de partage) naissant4 : avant le déclenchement officiel de la guerre (15 mai 1948), la quasi-totalité des Palestiniens en ont déjà été expulsés par la force et de façon délibérée. Puis cette expulsion se poursuit au-delà, sur les terres conquises par les armes en 48-49 par la Haganah5 et les groupes terroristes Irgoun et Stern qui, en fusionnant, deviennent Tsahal. Sont ainsi chassés de leurs terres, en deux ans, plus de 80 % des Palestiniens qui habitaient originellement sur ce qui est devenu, attribué ou conquis, le territoire d’Israël. L’organe proclamant « Nous, peuples des Nations unies », vieux d’à peine deux années, censé « préserver les générations futures du fléau de la guerre » est ainsi très largement responsable de la Nakba (la catastrophe), transformant les Palestiniens en un peuple de réfugiés.

Les Nations unies avaliseront de fait cette expulsion de masse. Si la Résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée le 11 décembre 1948, demande le droit au retour des réfugiés, elle reste à ce jour lettre morte. Au contraire, dès le lendemain du vote, Israël détruit des centaines de villages palestiniens, et ira jusqu’à faire disparaître leur trace, et leur nom. Aucune sanction donc, mais une mesure provisoire, qui perdure aujourd’hui : la création de l’UNRWA6 (8 décembre 1949), reconnaissant l’urgence du problème créé, mais retirant finalement les Palestiniens du traitement commun : les réfugiés palestiniens sont les seuls réfugiés au monde à ne pas dépendre du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) institué en 1951. En 2017, près de 5 millions de Palestiniens ont la carte de l’UNRWA. Plus de la moitié vivent en Cisjordanie ou à Gaza. Les autres sont en Jordanie, au Liban ou en Syrie.

En mai 1949, les Nations unies n’en admettront pas moins Israël en leur sein, avec le préambule : « Notant que, de l’avis du Conseil de Sécurité, Israël est un État pacifique, capable de remplir les obligations de la Charte et disposé à le faire…, rappelant ses résolutions du 29 novembre 1947 (Plan de partage, ONU, A.G., Résolution 181) et du 11 décembre 1948 (Résolution 194), et prenant acte des déclarations faites et des explications fournies devant la commission politique spéciale par le représentant du gouvernement d’Israël en ce qui concerne la mise en œuvre des dites résolutions… » En contradiction frontale avec ses principes affichés, l’ONU reconnaît le droit du plus fort.

Suivant le plan de partage de 1947, Gaza appartient à un petit territoire qui contient aussi la région d’Ascalon (Ashkélon) au nord et un petit morceau du désert du Néguev (Naqab en arabe) au sud. Après la guerre de 1948-1949, quand l’armistice est signé, ce petit territoire a été réduit de moitié. Ce qui reste (et qui est annexé par l’Égypte) est tout petit : 360 km2. Cela représente moins de la moitié d’Arles, la commune de France la plus grande en superficie. Cela représente aussi 1,3 % de la Palestine historique. La bande de Gaza est 16 fois plus petite que la Cisjordanie, elle aussi surpeuplée. Alors que l’État palestinien prévu par le plan de partage de l’ONU représentait 40 % de la superficie de la Palestine historique, seuls 22 % ont échappé à l’armée israélienne.

Les frontières nord et est de la bande de Gaza sont celles de l’armistice de 1949. Elles coupent souvent les terres agricoles. De l’autre côté de la frontière à l’est, les fermes israéliennes, installées sur les anciennes terres des paysans palestiniens, pompent sans retenue la nappe phréatique et sont luxuriantes. Gaza, au contraire, manque d’eau. Les réfugiés arrivent en 48-49 de tout le sud du nouvel État d’Israël. Ils deviennent nettement majoritaires. Ils forment aujourd’hui 72 % de la population. L’UNRWA a créé huit camps de réfugiés dont certains sont de véritables villes.

Le territoire a 40 km de côte maritime et trois grandes villes : Gaza, Khan Younis et Rafah. Une grande route (la route Saladin) traverse le territoire du nord au sud, parallèle à une route côtière coupée à chaque bombardement du pont sur le Wadi Gaza. Les personnes ne disposent que de deux passages de frontière (Erez au nord, frontière avec Israël, et Rafah au sud avec l’Égypte). Les camions n’en ont qu’un seul, avec Israël, très proche de Rafah : c’est Abou Salem (Kerem Shalom en hébreu).

La population était de 245 000 habitants en 1949. On en est aujourd’hui à deux millions, huit fois plus. La densité de population est de 5 500 hab/ km2. C’est sans comparaison avec la France (118 hab/km2). Gaza était traditionnellement une région productrice de fleurs, de fraises, de poisson. La terre est très riche. La pression démographique – la population augmente d’environ 3 % par an environ –, et l’imposition d’une « zone tampon » interdite de cultures à l’intérieur de la bande de Gaza, ont raréfié les terres agricoles, qui ne forment plus que le cinquième de la superficie, l’essentiel de ces terres se situant le long de la « barrière de sécurité ». Les terres agricoles sont en permanence rognées par la volonté de l’occupant d’interdire de cultiver dans la zone tampon. Faute de possibilité d’exporter, les cultures et l’élevage sont essentiellement destinés au marché intérieur (légumes, poulets, moutons…).

Avant 1967, Gaza et la Cisjordanie dépendaient de deux pays différents (l’Égypte et la Jordanie) et les relations entre ces deux territoires palestiniens étaient difficiles. Après une courte période (avant la première Intifada de 1987) où ces relations ont existé, elles sont aujourd’hui interdites par l’occupant. Faute de possibilité de se rencontrer, beaucoup de réunions (les congrès des partis par exemple) se font par skype. Une des revendications exprimées au moment des accords d’Oslo (1993) était pourtant la possibilité d’une continuité territoriale.

Les colonies israéliennes (notamment Gouch Katif, Kfar Darom ou Netzarim), fondées pendant les 20 premières années de l’occupation israélienne, ont occupé une énorme partie du territoire pour une population très faible : 7 000 colons évacués en 2005. Les principales installations ont été détruites au moment de cette évacuation. Celles que d’âpres négociations avaient préservées n’ont pu être mises en valeur : les colons exportaient l’essentiel de leur production vers Israël. Et les exportations désormais palestiniennes ont été interdites dès leur départ.

3. Résolution adoptée sur le rapport de la commission ad hoc chargée de la question palestinienne, plan de partage avec union économique, deuxième partie, « Frontières, A. l’État arabe », pages 142-146.

4. Voir en particulier : Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, éditions Fayard, 2008.

5. Organisation paramilitaire sioniste créée en 1920.

6. Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA – United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East).

Gaza, carrefour des civilisations

Un estuaire, il y a 6 000 ans, drainait les eaux du Néguev et celles, plus au nord, des collines du versant ouest du bassin fluvial du Jourdain. Puis peu à peu, les apports sédimentaires d’origine fluviale ainsi que la dérive littorale des alluvions issues du Nil comblèrent ce golfe oriental de la Méditerranée en une grande courbe de littoral dunaire qui continua à recevoir les eaux du Wadi Gaza, principalement abondantes en hiver, plus souterraines en été.7

Ainsi, autour de cet estuaire, la région de Gaza, marécageuse pendant la lointaine antiquité, terre d’accueil et d’implantation des premières populations issues de l’Afrique originelle, fut de tous temps naturellement très fertile et ensoleillée. Du temps des comptoirs grecs, le vin et l’huile s’y exportaient au loin ; des amphores de Gaza en ont été retrouvées dans les villes de l’ancienne Europe et de nombreux ports de la Méditerranée. Cette tradition agricole ne s’est jamais démentie : au milieu du XXe siècle, à proximité du littoral, abondaient les orangeraies, les oliveraies et les palmiers dattiers, et, plus à l’est dans les terres, les productions maraîchères et fourragères en abondance.

En termes d’eau et de fourrage, Gaza était une étape essentielle pour les armées dynastiques égyptiennes ayant traversé le Sinaï pour s’étendre vers le nord (par la route de la mer, dite « chemin d’Horus »). Mais ce fut aussi « le port du désert » du commerce transitant depuis l’Arabie et le golfe Persique, notamment celui de l’encens et de la myrrhe.

À partir de 1 200 av J.C., des populations importantes convergèrent vers ces régions littorales de la Méditerranée orientale. Celles qui venaient de la mer ainsi que des terres anatoliennes s’installèrent sur le littoral et devinrent les Philistins, ils donnèrent leur nom au territoire de la Palestine. La région côtière s’appela le pays de Canaan, rural mais parsemé de cités qui florissaient quand les grands empires faiblissaient, mais terres occupées et vaste champ de bataille quand ces empires s’imposaient et s’affrontaient (l’Égypte, la Syrie, Babylone, les Hittites, les Perses, les Grecs, les Romains)8. Davantage dans les terres, les Araméens étaient issus des régions assyriennes. Des conflits récurrents opposèrent les Philistins aux tribus araméennes installées sur les collines de l’ouest du Jourdain et de la mer Morte, tels les Hébreux (Israélites et Judéens).

Ainsi, même si Gaza entretint des liens spécifiques, militaires, commerciaux et culturels, avec les dynasties égyptiennes par sa situation de verrou terrestre entre Afrique et Asie, elle défendit aussi farouchement, et parfois tragiquement, son indépendance. Elle constituait l’une des grandes cités caravanières du pays de Canaan, mais aussi un carrefour stratégique privilégié par les armées conquérantes.

Il est à noter, par ailleurs, que Gaza a toujours été une halte de choix pour les oiseaux migrateurs. « Les oiseaux migrateurs…, qu’est-ce qu’ils sont chanceux, ils sont les seuls à sortir de la Palestine et à y entrer sans demander l’autorisation israélienne. Si j’étais un oiseau ! », écrit Huda Abdelrahman al-Sadi9.

Au premier millénaire avant J.C., la langue araméenne se répandit dans toute la région. Plus tard, après le siège de Gaza par Alexandre le Grand en 323 av J.C., la cité devint une ville de type grec par la langue, la culture et la religion, mais l’araméen se maintint comme langue populaire.

Le brassage culturel (principalement égyptien, mésopotamien, araméen et grec) qui caractérise cette région permet, dans les derniers siècles avant J.C., la fondation par les Hébreux de la première religion véritablement monothéiste, le judaïsme, qui put, en concevant un dieu universel indépendant du temporel, protéger les croyances et les cultures des changements de régime.

En effet, auparavant, chaque peuple, chaque État avait ses propres dieux, ses propres idoles. Quand un peuple était vaincu durablement, cela signifiait que ses dieux ou idoles étaient moins puissants que ceux des vainqueurs. Il arrivait alors fréquemment que la population adopta sans trop d’état d’âme ceux de leur vainqueur.

Les religions monothéistes devinrent ainsi des enjeux de pouvoir et d’indépendance tout en alimentant des mythologies communes ou antagonistes sur de vastes régions. Gaza restera l’une des dernières cités païennes à résister aux monothéismes. Ce n’est qu’en 403 ap. J.C. que ses sanctuaires furent détruits sur ordre de l’empereur chrétien d’Orient basé à Constantinople, l’ancienne Byzance.