Héritage du Silence : L'ADN du Général Dlimi - Hicham Dlimi - E-Book

Héritage du Silence : L'ADN du Général Dlimi E-Book

Hicham Dlimi

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Beschreibung

À travers une quête de vérité haletante, Hicham Dlimi lève le voile sur une histoire occultée, où intrigues du pouvoir, trahisons et secrets d’État s’entrelacent dans un récit explosif.

Témoin silencieux d’un héritage confisqué, il retrace le destin hors normes du Général Ahmed Dlimi, figure redoutée du régime marocain, dont l’assassinat déguisé en accident reste une énigme soigneusement verrouillée. Au fil d’enquêtes personnelles et de confidences troublantes, il expose les tensions explosives entre le Général et Hassan II, les rivalités feutrées du palais et les manœuvres de l’ombre orchestrées pour effacer une vérité dérangeante.

Des champs de bataille du Sahara aux corridors du pouvoir, des menaces silencieuses aux affrontements politiques, ce témoignage incandescent éclaire d’un jour nouveau l’un des plus grands mystères de l’histoire contemporaine du Maroc.

Avec "Héritage du Silence", Hicham Dlimi brise l’omerta et rétablit une mémoire effacée, où l’honneur et la dignité se dressent face aux mensonges d’État.

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Seitenzahl: 397

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

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ISBN : 978-2-38625-903-6

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de titre

Hicham DLIMI

Héritage du silence :

L’ADN du Général Dlimi

Dédicaces

À toi, ma fille, héritière de ma vérité.

À vous, mes deux pères, piliers d’un secret devenu force.

Ce livre est le témoin de notre histoire, celle qu’aucun silence n’a pu éteindre.

Introduction :Héritage du silence – une vérité qui dérange

Il y a des vérités que l’histoire préfère enfouir, des secrets si lourds qu’ils façonnent des générations entières dans le silence et l’oubli. Pourtant, certaines âmes refusent d’être prisonnières du mensonge. Je suis Hicham DLIMI, et ce livre est un acte de révolte contre l’amnésie imposée, une quête de justice pour un nom que l’on a tenté d’effacer.

Le 25 janvier 1983, un homme d’État redouté, le Général Ahmed Dlimi, tombe sous les balles de la trahison. Officiellement, c’est un accident. Officieusement, c’est une exécution déguisée. Derrière cette disparition brutale se cache un complot d’une envergure inimaginable, mêlant les plus hautes sphères du pouvoir marocain à des intérêts occultes. Pourquoi cet homme, loyal serviteur du roi, a-t-il été éliminé avec une telle froideur ? Qui avait intérêt à faire taire un homme dont l’ascension semblait inarrêtable ?

Mon récit plonge au cœur des années de plomb marocaines, là où la loyauté se paie en sang, où les alliances se font et se défont dans l’ombre des palais. J’ai grandi dans le silence, bercé par les non-dits et les regards fuyants. Mais aujourd’hui, je refuse d’être le spectateur d’une histoire tronquée. Je dévoile ici les coulisses d’un pouvoir rongé par la paranoïa, les tensions explosives entre Hassan II et son fidèle général, les intrigues qui ont mené à une fin tragique et préméditée.

Ce livre n’est pas seulement un témoignage, c’est un acte de défiance envers ceux qui pensaient pouvoir enterrer la vérité à jamais. Car, aussi sombre soit le mensonge, la lumière finit toujours par percer l’obscurité.

Naissance à Rabat, 21 février 1974.

1.Enfance, silence et premiers secrets

Une naissance sous le signe du silence : Février 1974

Dans la pénombre de la nuit du mois de février 1974, à l’hôpital des Orangers à Rabat, une atmosphère étrange et presque irréelle flottait dans l’air. Ma mère, épuisée et vulnérable, fut amenée en urgence par des mains anonymes dans cet

hôpital tenu par les bonnes sœurs. Il était 5h du matin, et le médecin de nuit, dans sa routine banale, accueillit ma mère comme une simple patiente parmi tant d’autres. Il ne se doutait pas que la femme en face de lui portait un lourd secret, un héritage enfoui dans les méandres du pouvoir.

Aucune attention particulière ne lui fut accordée au départ. Comme une ombre dans la nuit, elle fut placée dans une chambre quelconque, délaissée. Mais au lever du jour, tout changea. Le bruit s’était répandu dans les couloirs de l’hôpital. L’identité de ma mère fut enfin révélée, et dans une soudaine prise de conscience, le personnel médical réalisa la portée de cette naissance.

Le médecin, jusque-là indifférent, accourut en toute hâte, le visage marqué par l’urgence et la panique. Dans la matinée, on transporta ma mère dans la plus belle chambre de l’hôpital, ornée de fleurs fraîches qui sublimaient la pièce. Les infirmières et le personnel, jusqu’au médecin de garde, courbèrent l’échine avec une déférence inhabituelle. L’atmosphère avait changé. Ce n’était plus un simple accouchement. C’était un événement dont l’importance dépassait les murs de l’hôpital.

Mon père supposé, accompagné du chef de la police de Rabat, fit une entrée remarquée. Son visage, marqué par la gravité, révélait à la fois la fierté et le poids du secret qui l’entourait. Ses gestes étaient mesurés, sa parole rare, mais tout dans son attitude imposait le respect.

À des milliers de kilomètres de là, un autre homme veillait en silence. Le Général Ahmed Dlimi, à l’étranger avec Hassan II, fut informé de ma naissance. Loin des regards, il portait en lui une décision qui résonnerait à travers les âges. Avec une autorité incontestée, il ordonna à Zhara Bousselham, la future veuve noire, de me donner un nom : Hicham.

Ce prénom, simple en apparence, portait en lui la promesse d’un destin hors du commun. Une vie marquée par les mystères, les silences et les ombres de l’histoire. Dès ce moment, je n’étais plus seulement un enfant venu au monde. J’étais celui qui porterait un héritage lourd de sens, celui qui, malgré les apparences, resterait à jamais lié à cette nuit étrange et inoubliable de février 1974.

Ma naissance, chahutée par l’indifférence d’un médecin et transformée par la découverte d’une identité cachée, marqua le début d’un long cheminement vers la

vérité. Une vérité dissimulée sous les fleurs et les courbettes, une vérité qui n’allait se révéler que bien des années plus tard, mais qui ce matin-là, déjà, pesait lourdement dans l’air. À partir de ce jour, ma vie prit un tournant silencieux, enveloppée dans des mystères qui allaient définir mon existence. L’ombre du Général Ahmed Dlimi, bien que loin physiquement, planait constamment au-

dessus de moi. Chaque décision, chaque geste autour de ma naissance semblait guidé par une main invisible, celle d’un homme qui, malgré la distance, dictait une partie de mon destin.

Grandir sous cette ombre ne fut jamais facile. Tout était marqué par une sorte de silence assourdissant. Des regards échangés entre adultes sans que je comprenne, des conversations qui s’interrompaient brusquement à mon approche, des murmures à voix basse que je n’étais pas encore en âge de saisir. Mais même jeune, je savais que quelque chose en moi, ou autour de moi, était différent. On me traitait avec une déférence inhabituelle, et pourtant, il y avait un poids, une attente invisible qui pesait sur mes épaules.

Ma mère, malgré son amour inconditionnel, portait ce secret comme un fardeau. Il était évident que chaque fois que le nom de Dlimi était mentionné, une certaine tension envahissait son regard. C’était comme si, même après tant d’années, elle n’avait jamais pu réellement échapper aux échos du passé, à cette histoire entrelacée avec la sienne, mais qu’elle gardait résolument enfouie.

En 2005, lors de son pèlerinage à La Mecque, elle m’avait confié, avec une étrange gravité dans la voix : « Il viendra un jour où tu voudras savoir des choses sur Dlimi… mais je n’aimerais pas voir ce jour arriver, car tout cela, pour moi, c’est derrière. » Ses mots étaient empreints de fatigue, d’une lassitude émotionnelle qui semblait trahir le poids de ce qu’elle savait, mais ne pouvait partager. Pour elle, ce chapitre de sa vie était clos, scellé derrière les portes de l’histoire, mais pour moi, ces portes étaient encore entrouvertes, laissant échapper des fragments d’une vérité que je devais assembler.

Les années passèrent, mais ces paroles résonnaient toujours en moi. Elles portaient en elles un présage, une sorte d’avertissement. Ma quête de vérité allait m’entraîner sur des chemins complexes, jonchés d’obstacles et de révélations douloureuses. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de sentir que le destin m’y poussait inexorablement. Derrière les sourires de façade, derrière les promesses non dites, il y avait une réalité que je devais affronter, et elle était plus profonde, plus sombre que tout ce que j’aurais pu imaginer.

Le Général, bien que physiquement absent, veillait. C’était comme si son spectre était toujours là, guidant, influençant chaque événement majeur de ma vie. Ma mère m’avait dit, avec une sorte de résignation amère : « Le Général a laissé des milliards à ses enfants, et à toi, il t’a laissé ses problèmes. » Ces mots résonnaient comme une condamnation, une prophétie. Ils me préparaient à une bataille que je n’avais pas encore réellement comprise, mais que je savais inévitable. Le chemin qui s’ouvrait devant moi n’était pas seulement celui d’un enfant cherchant ses racines, c’était celui d’un homme appelé à déterrer des vérités enfouies, à traverser des tempêtes, et à affronter des forces bien plus puissantes que lui. Mais je savais aussi que, tout comme le Général, je ne plierais pas. Sa force coulait dans mes veines, même si son nom restait caché dans les méandres des secrets familiaux.

Ainsi commençait mon voyage, un voyage qui me mènerait non seulement à la découverte de ma véritable identité, mais aussi à celle des alliances et des trahisons qui avaient marqué l’histoire de ma famille, et la mienne.

« L’enfant et l’ombre du Général »

Je n’avais que trois ans, mais ce jour-là à Mechra Bel Ksiri demeure gravé dans ma mémoire, comme une scène sortie d’un rêve, ou plutôt d’un conte mystérieux. Nous étions dans la grande ferme du Général, un domaine vaste et luxuriant qui semblait s’étendre à perte de vue, un royaume en soi, où chaque recoin cachait des secrets. Ce jour-là, un paon, majestueux et scintillant de mille couleurs, attira toute mon attention. Fasciné par la splendeur de ses plumes, j’avais échappé à la vigilance des adultes, me lançant à sa poursuite sans la moindre idée des conséquences.

Le paon, aussi fier que craintif, m’évitait habilement, tandis que je riais, insouciant, dans ma course innocente à travers les allées poussiéreuses de la ferme. De l’autre côté, dans le grand salon, les femmes de la famille discutaient, inconscientes de ma petite escapade. Les hommes, eux, profitaient d’une ambiance festive, bercée par les rythmes envoûtants des danseuses de ventre, sous le regard attentif du Général.

Mais bientôt, un vent de panique souffla sur la maison. Ma disparition, qui n’avait duré que quelques minutes, provoqua l’agitation. Ce fut d’abord un murmure

Inquiet avant de se transformer en un silence lourd et inquiétant. Quelqu’un, peut-être ma mère, avait remarqué mon absence. Et soudain, tout changea. Le Général, impassible comme à son habitude, leva la main dans un geste brusque, arrêtant l’orchestre d’un simple signe, comme si le monde s’était figé à son commandement. Il n’avait pas besoin de parler pour que chacun ressente l’urgence de la situation.

En un instant, tout le monde se mobilisa. La ferme, habituellement si calme, se transforma en un théâtre de recherches frénétiques. Hommes, femmes, domestiques, chacun se lança dans une quête désespérée pour retrouver l’enfant que j’étais, fragile et vulnérable, quelque part dans cette immense propriété. Les murs, les champs, les enclos, tout était fouillé. Il fallait me retrouver.

Et là, au milieu de cette agitation, on finit par m’apercevoir, caché dans un lieu insoupçonné. Parmi les vaches, dans un enclos fermé, je m’étais réfugié, sans doute épuisé de ma folle aventure derrière le paon. L’image devait être étrange et cocasse à la fois : un petit garçon, calme au milieu des bêtes, insouciant de la panique qu’il avait provoquée.

Je ne réalisais pas encore l’ampleur de ce moment, ni l’autorité silencieuse du Général qui, en un geste, avait orchestré cette recherche. Mais ce jour-là, dans la grande ferme de Mechra Bel Ksiri, j’avais pris conscience, même à mon jeune âge, de l’immensité de ce qui m’entourait et de la figure imposante qui veillait, toujours dans l’ombre, sur chacun de mes pas.

Dans cette ferme, j’étais plus qu’un simple enfant. J’étais l’héritier d’une histoire qui me dépassait, d’un homme dont la simple présence pouvait changer le cours des événements, et d’une famille qui, à sa manière, m’offrait un cocon, même si parfois, il était fait d’inquiétudes et de mystères non-dits.

Le patriarche et le secret

Chaque dimanche, c’était un rituel immuable. Nous quittions l’agitation des villes pour retrouver la quiétude de la grande maison de campagne de mon grand-père à Zagotta, perchée sur une colline surplombant des paysages à couper le souffle, dignes des vallées de la Sicile. Le panorama autour de Zagotta avait une sérénité qui évoquait celle de Corleone, comme un refuge intemporel où les secrets pouvaient se murmurer à l’abri des regards. La terre, chaude et accueillante, entourait cette grande bâtisse où régnait la figure silencieuse et imposante de mon grand-père.

Chaque visite était une immersion dans la tradition, une célébration de la famille, et autour du méchoui, les générations se réunissaient. Le fumet de l’agneau rôti flottait dans l’air, tandis que les discussions se mêlaient. Toujours, sans exception, je me retrouvais assis à ses côtés, près du patriarche. Ce n’était pas un hasard. J’étais encore un enfant, mais je sentais que mon grand-père savait, qu’il devinait ce que beaucoup tentaient de cacher.

Ses yeux, profonds et perçants, semblaient contenir des siècles de sagesse, comme s’il portait sur ses épaules le poids d’une histoire non dite. Il me regardait souvent avec cette attention particulière, presque protectrice, comme s’il reconnaissait en moi quelque chose qu’il n’avait jamais prononcé. Autour de la table, entre les rires et les conversations animées, un silence lourd de sens s’installait parfois entre nous. Un silence où les vérités passaient sans avoir besoin d’être dites.

Il n’avait jamais directement évoqué ces secrets, mais son regard, son attitude, son affection spéciale me disaient tout. À chaque bouchée de méchoui, à chaque mot échangé dans cette atmosphère de respect ancestral, je sentais qu’il veillait sur moi d’une manière différente, plus profonde, plus intime.

Les collines de Zagotta, comme des témoins silencieux, entouraient ces moments. Elles semblaient être les gardiennes de ces secrets partagés à demi-mot, entre un grand-père et son petit-fils. Ces dimanches avec le patriarche étaient bien plus qu’une simple réunion familiale. C’était un passage, un héritage invisible qu’il me léguait sans prononcer un mot. Je ressentais ce lien, aussi fort et immuable que la terre sur laquelle sa maison reposait, et je savais qu’un jour, ces non-dits deviendraient des vérités éclatantes.

L’œil vigilant du patriarche

J’étais un enfant turbulent, constamment en mouvement, une véritable tornade. La tranquillité n’était jamais mon domaine, et à chaque instant, j’étais prêt à faire une bêtise, poussé par une énergie débordante. Que ce soit dans la grande maison de campagne perchée sur les collines de Zagotta, ou dans celle de Salé, tout près de Rabat mon esprit vif trouvait toujours quelque chose à explorer, à tester, souvent aux dépens des règles.

Mais à chaque fois, comme par un tour de magie, il était là : mon grand-père. Son regard me suivait, me capturait dans mon élan. Même quand je pensais être seul, prêt à bondir comme un tigre pour accomplir une nouvelle bêtise, je le voyais surgir, toujours présent, presque comme s’il anticipait chacun de mes mouvements. Il n’avait jamais besoin de me dire quoi que ce soit. Un simple regard, une présence silencieuse suffisaient à me dissuader. Sa simple posture me ramenait à la réalité, et je comprenais instantanément que ce n’était pas le moment de faire une connerie.

Dans la maison de campagne, entre les arbres et les vastes espaces, je croyais avoir plus de liberté pour échapper à son regard, mais il était toujours là, à distance, une silhouette familière qui m’observait, me guidait sans un mot. À Salé, c’était différent, plus intime. Quand il faisait sa petite sieste, je restais à ses côtés dans le salon, immobile pour une fois, mais toujours prêt à bondir dès qu’il fermait les yeux. Je profitais de ces moments pour tenter une escapade dans le jardin, chercher une nouvelle aventure.

Et pourtant, à chaque fois, avant même que je ne puisse franchir la porte ou esquisser un geste, je sentais sa présence. Il était là, comme une ombre bienveillante, toujours prête à me rappeler à l’ordre. Mon grand-père avait cette capacité à m’attraper dans mes pensées avant même que je ne passe à l’action. C’était une sorte de télépathie silencieuse entre nous, un jeu de patience où il était toujours gagnant.

Il ne haussait jamais la voix, ne se fâchait jamais. Son calme était sa force, et moi, malgré mes tentatives répétées, je finissais toujours par me rendre à cette sagesse tranquille, respectant l’autorité tacite qu’il exerçait sur moi. Il était mon garde-fou, mon repère dans un monde où l’enfant que j’étais cherchait constamment à repousser les limites.

Sous le regard du Roi – une dynastie sur le terrain

Mon grand-père, Haj Lahcen Dlimi, n’était pas seulement le pilier de notre famille. Il était également un homme influent, respecté dans tout le pays, et surtout, président du club de football USK Sidi Kacem, l’une des grandes fiertés nationales de l’époque. Ce club était bien plus qu’une simple équipe sportive. Il incarnait l’esprit de la ville, une institution qui transcendait les générations et faisait vibrer toute une communauté.

Je me souviens encore des moments où je l’accompagnais au stade. L’excitation qui régnait dans l’air, les chants des supporters résonnant dans les gradins, et l’odeur de l’herbe fraîche coupée avant les grands matchs. Chaque déplacement avec mon grand-père était une véritable épopée. À ses côtés, il y avait souvent mon père supposé, Mohamed Dlimi, toujours droit et imposant, et parfois, le Général Dlimi lui-même, dont la simple présence suffisait à faire frissonner ceux qui avaient le privilège de le croiser.

Ces moments au stade n’étaient pas seulement des événements sportifs, c’était une extension de la grandeur de notre famille. Je n’étais qu’un enfant, mais je sentais déjà ce poids de l’histoire, cette transmission silencieuse des responsabilités, cette aura d’honneur qui entourait chaque membre de ma lignée.

L’un des souvenirs les plus marquants fut celui de la finale de la Coupe du Trône. Le Roi Hassan II, accompagné de son fils, l’actuel Roi Mohammed VI, qui était alors le prince héritier, assistait au match. Le stade était en effervescence. Les regards se tournaient vers la tribune royale où le monarque suivait le match avec une attention particulière. Le Roi, connu pour son amour du football, regardait ce match comme un général observerait une bataille. À ses côtés, le prince héritier, encore jeune, semblait absorbé par l’ambiance, par cette communion entre le peuple et ce sport qui transcendait les barrières sociales.

Mon grand-père, en tant que président du club, avait cette fierté inscrite dans chacun de ses gestes ce jour-là. Il savait que son équipe représentait bien plus qu’une simple formation de football sur le terrain. Elle était le reflet de son engagement, de sa passion, de son amour pour cette terre et ses habitants. Ce match, sous le regard du Roi, prenait des allures d’apothéose. C’était un moment où la fierté familiale se mélangeait à l’honneur national.

J’étais là, moi aussi, jeune garçon, témoin de cette histoire. Assis à côté de mon grand-père, je sentais toute l’importance de ce moment. Mon père supposé, quant à lui, se tenait droit, observant le match avec la même rigueur et la même concentration que s’il s’agissait d’une mission militaire. Le Général, lui, restait en retrait, presque dans l’ombre, mais toujours présent, tel un ange gardien silencieux.

Ce jour-là, la victoire ou la défaite importait peu. Ce qui comptait vraiment, c’était la fierté d’être aux côtés de ces hommes qui portaient l’histoire sur leurs épaules.

Mon grand-père, Haj Lahcen, présidant ce club avec dignité, mon père supposé, fidèle et droit, et le Général, mystérieux et puissant. Tous réunis sous le regard attentif du Roi, dans cette communion où le football devenait un symbole d’unité, de passion et d’honneur.

En septembre 1980, le Comité d’Honneur de l’USK (Union Sportive de Sidi-Kacem) affichait une composition prestigieuse, témoignant du rayonnement du football au Maroc et de son importance sociale et politique. Sous la présidence de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, alors Prince Héritier, ce comité rassemblait des figures influentes telles que le Général Ahmed Dlimi, Mâati Bouabid, Premier ministre de l’époque, et Driss Basri, l’homme puissant du ministère de l’Intérieur. Ces noms, gravés dans l’histoire du royaume, démontrent l’importance que revêtait ce sport au-delà du simple terrain de jeu.

Au cœur de cette scène se trouvait Haj Lahcen Dlimi, un homme de passion et d’engagement. Connu pour sa connaissance approfondie du football, il alliait un amour authentique du sport à un sens aigu de la responsabilité publique. Né avec une vocation de bâtisseur, il entama sa carrière en tant qu’interprète civil (Torjman) entre 1936 et 1956, avant de se tourner vers des rôles de leadership au sein du ministère de l’Intérieur, dans une époque charnière de l’histoire marocaine.

Son parcours politique et sportif fut marqué par des étapes décisives. Entre 1976 et 1984, il assuma de multiples fonctions : président de la Commune rurale de Zegotta, président du Conseil provincial de Kenitra, membre du Parlement et figure influente au sein de la Fédération Royale Marocaine de Football. Son dévouement atteignit son apogée avec le retour triomphal de l’USK en élite en 1984, une victoire qui symbolisait son héritage.

Mais avec son retrait de la scène publique, en même temps que celui du Général Ahmed Dlimi, puis son décès en novembre 1989, c’est une ère de leadership et de vision qui s’éteignit. Haj Lahcen Dlimi laissa derrière lui un vide immense, tant dans la sphère sportive que politique. Aujourd’hui, l’USK, jadis fleuron du football marocain, végète en division amateur, témoignant du poids d’une absence que personne n’a su combler.

La figure de Haj Lahcen Dlimi reste un exemple de dévouement inébranlable et de passion pour une cause plus grande que soi, un modèle d’engagement que le Maroc n’oubliera jamais.

Les silences du patriarche

À chaque instant, mon grand-père semblait incarner une force tranquille, une sagesse qui ne nécessitait aucun discours. Quand il se rendait au stade, c’était comme s’il emmenait avec lui une part de l’histoire du Maroc, un symbole vivant de tout ce que représentait cette terre : la fierté, la loyauté, et un sens du devoir inébranlable.

Je le suivais, et même en étant encore jeune, je ressentais cette aura, cette énergie qui entourait mon grand-père et les hommes de ma famille. À Sidi Kacem, tout le monde connaissait le Patriarche. Son visage était gravé dans l’histoire de la ville, non seulement à travers son rôle dans le club de football, mais aussi par son influence qui s’étendait bien au-delà des terrains.

Ce qui marquait chez lui, c’était cette capacité à rester humble malgré son statut, à se fondre dans la foule tout en étant l’un des plus grands piliers de la région. Mais ceux qui le connaissaient bien savaient que sous cette surface calme, se cachait un homme de fer, dont l’opinion comptait dans les sphères les plus élevées du royaume.

Les dimanches à Zagotta étaient des moments précieux, où toute la famille se réunissait autour de la table, profitant de la fraîcheur de la campagne, loin des tumultes de la ville. Le méchoui cuit à la perfection fumait sur la grande table, et le parfum de la terre après la pluie se mêlait à celui des épices et de la viande grillée. Je me souviens encore du sourire de mon grand-père lorsqu’il regardait tout ce qu’il avait construit. Ses enfants, ses petits-enfants, tous réunis autour de lui, symbolisant la continuité d’une dynastie.

Je me tenais toujours près de lui, fasciné par sa présence. Même dans les moments de repos, sa simple existence semblait réguler l’ordre et l’harmonie autour de lui. Il n’avait pas besoin de parler beaucoup. Un simple regard ou un hochement de tête suffisait à transmettre tout ce qu’il ressentait. Je sentais qu’il savait, qu’il avait cette conscience aiguë de tout ce qui se passait dans la famille, même des secrets que peu de personnes osaient murmurer.

Ce n’est qu’en grandissant que j’ai compris toute la profondeur de cet homme. Son regard posé sur moi lors de nos escapades au stade ou lors de nos dîners à Zagotta avait plus de signification que je ne l’aurais cru. Mon grand-père n’était pas seulement un observateur ; il était un gardien, une figure de protection, qui veillait, silencieux, sur moi et sur l’héritage de notre famille.

Chaque fois que j’étais sur le point de faire une bêtise, c’était comme si je sentais son regard sur moi, bienveillant mais ferme. Dans la maison à Salé, où il prenait sa sieste dans le salon des hommes, je m’aventurais souvent à essayer de me glisser dans le jardin, prêt à bondir comme un fauve pour faire des bêtises. Mais à chaque fois, il me suffisait de tourner la tête pour voir son visage impassible, comme s’il savait toujours où j’étais et ce que j’avais en tête.

Je me souviens d’une occasion où j’avais tenté de grimper dans un arbre à côté de la maison. À peine avais-je mis la main sur une branche qu’un simple toussotement venant de l’intérieur m’avait fait renoncer. Il n’avait même pas eu besoin de me dire quoi que ce soit. Son omniprésence, son autorité tranquille suffisait à me remettre sur le droit chemin.

Mon grand-père n’était pas seulement une figure d’autorité pour moi, il était aussi celui qui m’apprenait, par ses silences, à comprendre la vie. Avec lui, les leçons se faisaient sans mot, simplement par l’exemple. Et quand nous étions au stade, assistant aux victoires et aux défaites de son équipe, je sentais que c’était une leçon bien plus grande que le football. C’était une leçon sur la vie, sur l’honneur, sur l’importance de rester digne et droit, peu importe les épreuves.

L’héritage qu’il m’a laissé n’était pas fait de mots ou de biens matériels. Il était fait de moments simples mais puissants, de leçons silencieuses, de regards partagés, et d’un amour profond pour cette terre et cette famille. Mon grand-père savait. Il avait toujours su. Et il a veillé sur moi, tout comme il a veillé sur chacun de ceux qui portaient son nom.

L’homme de l’ombre : héritage et pouvoir de Haj Lahcen Dlimi

Mon grand-père, Haj Lahcen Dlimi, n’était pas seulement une figure familiale respectée ; il incarnait un homme aux responsabilités multiples, dont l’influence s’étendait bien au-delà des murs de la maison familiale. À Sidi Kacem, il était à la fois un leader et un protecteur, respecté par les siens comme par les puissants du royaume. Mais son engagement le plus marquant fut sans doute son rôle en tant que président du club de football de l’USK Sidi Kacem, qui, à l’époque, brillait sur la scène nationale.

À cette époque, le football n’était pas seulement un sport, c’était un véritable vecteur de fierté régionale. Lorsque l’USK Sidi Kacem, sous la direction de mon grand-père, a atteint les sommets de la compétition nationale, toute la région vibrait d’excitation. La finale de la Coupe du Trône était un événement d’une importance capitale, non seulement pour le club, mais aussi pour la famille. Et lors de cette finale, un événement marquant s’est produit : Hassan II, accompagné de l’actuel roi Mohammed VI, encore prince héritier à l’époque, était venu assister au match. C’était un honneur immense pour la ville et une reconnaissance tacite de l’influence et du respect que mon grand-père avait su gagner.

Ces moments d’honneur, de reconnaissance publique, étaient bien loin de ce qu’il montrait dans l’intimité familiale. Avec nous, il était simple, direct, une force tranquille, un pilier autour duquel la famille gravitait. Mais à l’extérieur, il était un acteur clé, naviguant dans les complexités politiques et sociales de l’époque avec une aisance naturelle. Il était l’incarnation d’un homme qui savait à la fois guider et se faire respecter, que ce soit sur le terrain de football ou dans les arcanes du pouvoir régional.

En plus de son engagement pour l’USK, mon grand-père gérait ses terres et son domaine avec une rigueur exemplaire. Notre fief à chmemna là ou le Général Ahmed Dlimi à vu le jour dans la commune de Zagotta était plus qu’une simple propriété familiale ; c’était un symbole de notre histoire, un lieu où les racines de notre lignée s’enfonçaient profondément dans la terre marocaine. Chaque aspect de la vie à la campagne était réglé avec minutie. Les relations avec les travailleurs, les décisions concernant les récoltes, la gestion des terres… tout passait par lui.

Il avait une capacité unique à comprendre les gens et à anticiper les problèmes avant qu’ils ne surgissent. Cette compétence lui a non seulement permis de maintenir l’ordre dans ses affaires personnelles, mais aussi d’assurer la prospérité de sa région. Son influence dépassait largement le cadre familial, et il n’était pas rare que des figures locales et nationales viennent solliciter son avis, ou simplement rendre hommage à son rôle de patriarche et de leader.

Mon père supposé, Mohamed Dlimi, et le Général Ahmed Dlimi lui-même respectaient profondément la figure du grand-père. Ils le consultaient régulièrement, conscients de l’importance de son avis et de sa sagesse. C’était un homme qui savait faire les bons choix, non seulement pour la famille, mais aussi pour ceux qui dépendaient de lui. Cette responsabilité, il l’a portée avec honneur, faisant en sorte que chaque décision prise soit en accord avec les valeurs de justice et de droiture qui caractérisaient notre famille.

Ainsi, le grand-père n’était pas seulement un chef de famille, il était le gardien d’un héritage, d’une fierté régionale et d’un savoir-faire qui se transmettait de génération en génération. Et pour nous, ses petits-enfants, il représentait l’exemple à suivre, le modèle d’une vie bien vécue, où le devoir envers sa famille et sa terre passait avant tout.

Son influence se ressent encore aujourd’hui, non seulement dans les souvenirs que je garde de lui, mais aussi dans l’impact durable qu’il a eu sur notre famille et sur notre région. Mon grand-père n’était pas seulement un homme de son temps ; il était un pilier intemporel, un homme dont l’héritage continue de résonner à travers les âges.

« Le sacrifice d’une dynastie »

Au lendemain de la mort violente et mystérieuse du Général Ahmed Dlimi, l’émotion était à son comble dans la salle où siégeaient les élus de la nation. Mon grand-père, Haj Lahcen Dlimi, homme de stature imposante, parlementaire respecté et président du conseil provincial, se leva avec la gravité d’un homme qui portait le poids d’une lignée et d’une tribu. Le silence était presque assourdissant, tous attendaient ses paroles, conscients de la douleur qui l’habitait.

Il regarda les élus droit dans les yeux, puis, d’une voix ferme et posée, lança cette phrase qui allait résonner dans l’histoire :

« Mon fils a été sacrifié, pour la tribu des Oulad Dlim. »

Ces mots, prononcés devant les représentants de la nation, avaient une portée bien au-delà du cercle familial. Mon grand-père ne parlait pas seulement de la perte de son propre sang, mais il dénonçait une trahison plus vaste, un sacrifice politique où le nom des Dlimi avait été utilisé comme monnaie d’échange dans les sombres jeux de pouvoir.

Devant l’assemblée figée, il incarnait le courage d’un patriarche qui ne se laissait pas abattre par le chagrin, mais transformait la douleur en une déclaration publique. En une seule phrase, il accusait les forces obscures qui avaient orchestré la chute de son fils, et rappelait à tous que les Oulad Dlim n’oublieraient jamais ce jour où l’un des leurs avait été offert en sacrifice pour des intérêts qui les dépassaient.

La dignité de son discours, face à l’élite politique, renforça l’idée que la tribu des Oulad Dlim, malgré la tragédie, restait debout, prête à affronter les conséquences de ce sacrifice.

Après avoir prononcé cette phrase lourde de sens, mon grand-père se rassit dans un silence pesant. Il ne s’agissait pas d’une simple déclaration, mais d’un acte de résistance face à une nation témoin de la disparition brutale de l’un de ses généraux les plus puissants. Les élus, habitués aux discours politiques bien préparés, étaient bouleversés par la spontanéité et la sincérité du patriarche.

L’atmosphère dans la salle était électrique. Chacun savait que ces mots résonnaient comme une mise en garde. Mon grand-père n’était pas seulement en deuil, il envoyait un message clair à ceux qui pensaient que la mort du Général Ahmed Dlimi marquerait la fin de l’influence de la tribu. Le poids de cette déclaration ne laissait aucun doute : la famille Dlimi n’était pas prête à disparaître dans l’oubli, même après la perte de l’une de ses figures les plus emblématiques.

Au-delà de la tragédie personnelle, il dénonçait une machination plus vaste. Ceux qui avaient manigancé dans l’ombre pour éliminer le Général savaient qu’ils venaient de provoquer une réaction en chaîne. Le sacrifice du Général ne ferait qu’unir davantage la tribu, renforcer ses liens et sa volonté de survie dans un paysage politique où la trahison et les alliances changeantes faisaient partie du quotidien.

Le lendemain, les journaux évoquaient tous le discours de mon grand-père. Sa phrase, répétée en boucle dans les conversations politiques, devenait un symbole de rébellion, un rappel que même dans les plus hauts cercles de pouvoir, il y avait des lignes à ne pas franchir sans en payer le prix.

Hassan II et futur Mohammed VI au stade

Le ballon des Dlimi

Mon grand-père avec Joumani

« Mission de l’ombre : l’exfiltration vers Paris »

L’appartement somptueux que nous avait offert mon grand-père, Haj Lahcen Dlimi, dans le quartier chic de l’Agdal à Rabat, était supposé être un refuge, un lieu de prospérité familiale. Mais sous l’influence de Driss Basri, notre vie y est devenue un véritable enfer. À chaque coin de rue, dans chaque regard échangé avec les voisins, on ressentait l’isolement, comme si nous étions marqués par la peste. Une campagne de médisance insidieuse et perfide avait été orchestrée contre nous, sapant les relations avec nos proches, étouffant toute forme de soutien. Basri, en silence, mais avec un coup d’œil vénéneux, s’était assuré de nous rendre invisibles dans la société.

Face à cette oppression invisible mais étouffante, mon père a pris une décision cruciale : l’exil. Il a compris que rester, c’était succomber au venin de Basri, qui ne cessait d’infiltrer notre quotidien. Alors, en s’appuyant sur des contacts solides du Général Dlimi au sein de la DGSE à Paris, il a élaboré un plan pour nous extraire du Maroc. L’idée était claire : nous protéger tout en veillant à ce que notre départ soit stratégique.

Ma mère, au cœur de cette mission, était téléguidée avec une précision chirurgicale. Le Général avait toujours apprécié ses qualités, cette finesse presque instinctive qu’elle avait acquise au fil des années, semblable à celle des agents de la police secrète. En 1986, nous sommes partis pour Paris, moi à ses côtés, sous couvert d’une simple relocalisation. En réalité, c’était bien plus. Paris était une terre d’exfiltration, un terrain de préparation pour notre avenir loin de l’ombre pesante de Basri. Ma mère, d’un calme impressionnant, jouait son rôle à la perfection, comme une actrice dans une pièce dont les enjeux étaient bien réels.

À notre arrivée à Paris, la transition ne fut pas sans défis. Ma mère, telle une stratège discrète mais redoutablement efficace, commença à tisser des liens et à activer les bons réseaux. La DGSE, avec laquelle mon père supposé avait établi de solides connexions grâce au Général Dlimi, veillait dans l’ombre. Tout était planifié, chaque déplacement, chaque contact, chaque rencontre. Paris ne représentait pas seulement un exil, mais une nouvelle scène où nous devions redéfinir notre existence, loin des trahisons du Maroc.

Pourtant, malgré cette distance géographique, l’influence de Basri continuait de se faire sentir, même de l’autre côté de la Méditerranée. Il avait mis en place une véritable machine de surveillance et d’intimidation, s’assurant que, même loin, nous restions sous son joug. Les proches au Maroc étaient sous pression, évitant tout contact direct, tandis que des échos d’avertissements discrets nous parvenaient. Mais ma mère, toujours lucide, savait garder la tête froide. Elle avait appris à manier les subtilités du renseignement, à naviguer dans ces eaux troubles où chaque mouvement pouvait être mal interprété.

Je voyais en elle cette force héritée du Général, cette capacité à anticiper le moindre coup tordu. Elle me répétait souvent que l’exil était une phase temporaire, un repli stratégique pour mieux revenir. Pour elle, Paris n’était qu’une étape dans un plan plus vaste, bien qu’elle n’en dévoilât jamais toutes les dimensions. C’était comme si, au fond d’elle, elle gardait certains secrets que seule l’histoire révélerait un jour.

À Paris, l’air était lourd, presque palpable, comme si chaque coin de rue cachait un secret. Les journées paraissaient calmes, mais la tension, invisible, planait constamment au-dessus de nous. Chaque coup de téléphone devenait suspect, chaque regard croisé dans la rue, une menace potentielle. Ma mère, habituée à cette vie d’ombre, avançait avec une froide détermination. Elle avait été formée, non pas par des écoles ou des manuels, mais par l’expérience d’une vie où la trahison pouvait venir de partout, même des plus proches.

Nos allées et venues étaient millimétrées, précises. Nous avions nos habitudes dans des cafés discrets, dans les quartiers moins fréquentés où l’on pouvait observer sans être observé. Ma mère, sous ses airs de femme discrète, possédait l’instinct d’une véritable espionne. Elle avait cette capacité à sentir le danger avant qu’il ne se manifeste. Parfois, je l’observais dans ces moments de concentration, où son regard devenait perçant, analysant la moindre anomalie autour de nous. Ce n’était pas de la paranoïa, mais une vigilance constante qui lui avait sans doute sauvé la vie plus d’une fois.

Un soir, en sortant d’un dîner chez un contact de la DGSE, je ressentis cette tension monter d’un cran. Il était tard, les rues étaient presque désertes, mais quelque chose n’allait pas. Nous marchions en silence, jusqu’à ce que ma mère s’arrête net. « Ne te retourne pas », m’avait-elle murmuré. J’obéis, le cœur battant à tout rompre. Elle fit un geste rapide de la main, comme pour signaler quelque chose à l’un de nos alliés invisibles, puis nous continuâmes à marcher d’un pas plus rapide. À cet instant précis, je compris que l’exil n’était pas qu’une fuite. C’était une guerre silencieuse, une partie d’échecs à haut risque, où chaque pion pouvait devenir une cible.

Plus tard, cette nuit-là, en rentrant à notre appartement, ma mère verrouilla toutes les portes avec une précision presque maniaque. Puis elle s’assit face à moi, l’air grave. « Ils nous surveillent toujours », murmura-t-elle. « Basri n’a pas lâché prise. Même ici, à Paris, il a ses hommes. Ils veulent savoir ce que nous savons. Mais nous sommes plus malins qu’eux. »

Je sentais que chaque jour était une victoire contre l’influence tentaculaire de Basri, mais la fatigue morale commençait à peser. Pourtant, ma mère restait imperturbable. Chaque rendez-vous avec ses contacts de la DGSE était une pièce supplémentaire dans un puzzle plus vaste. Les instructions étaient codées, les messages dissimulés dans des discussions anodines. Nous vivions dans un monde où rien n’était jamais ce qu’il paraissait être.

Parfois, nous allions voir des films, et je ne pouvais m’empêcher de remarquer les similitudes avec notre propre vie. Mais contrairement aux héros de ces films, nous n’avions aucun script à suivre, aucune certitude. Seulement une vigilance constante, et cette certitude que, quoi qu’il arrive, nous devions tenir bon, coûte que coûte. Ma mère me répétait souvent : « Le véritable pouvoir n’est pas dans les armes ou les menaces. Il est dans l’information. Celui qui sait, contrôle. »

Elle avait raison. À chaque instant, nous avancions dans l’ombre du Général, avec cette certitude que, malgré la distance, malgré l’exil, sa présence nous protégeait encore. Basri et ses sbires pouvaient comploter autant qu’ils le voulaient, mais ils ne parviendraient jamais à effacer les traces laissées par le Général, ni à briser l’héritage qu’il nous avait transmis.

« Le dernier regard avant l’exil »

Le plan était orchestré dans les moindres détails. Tout était prêt pour l’exfiltration du Maroc, un départ marqué par le poids du silence et l’urgence de la survie. C’était la fin de l’année 1986, alors que les rues de Rabat se préparaient aux fêtes de la Saint-Sylvestre, notre famille se préparait à fuir. Mon père, figure silencieuse et stratégique, avait pris une décision audacieuse : se sacrifier pour nous, utilisant un faux passeport en pleine connaissance des risques. Il savait qu’il allait se faire intercepter, mais cela faisait partie du plan, une diversion orchestrée pour détourner l’attention loin de nous — ma mère, mes sœurs, mon frère, et moi.

Pour rendre sa fuite crédible, il prit soin de se raser la moustache, un clin d’œil au Général Dlimi lors de l’affaire Ben Barka. Comme lui, il se transformait, prêt à tromper l’ennemi, tout comme Dlimi l’avait fait à Paris des années auparavant, se constituant prisonnier sous une fausse identité, dans une démonstration spectaculaire de ruse, face à des centaines de photographes et journalistes au Palais de Justice.

Le cœur battant, nous nous sommes faufilés dans la nuit. Deux taxis nous attendaient, se séparant rapidement dans l’obscurité de la ville endormie. La gare routière de Rabat, vide à cette heure tardive, devint notre premier refuge, notre premier pas vers l’inconnu. Il était près d’une heure du matin. Les visages fatigués mais déterminés, nous sommes restés ensemble, mais toujours sur nos gardes, comme des ombres errantes entre les bancs de la gare.

À deux heures du matin, nous sommes montés discrètement dans deux voitures noires, sans un mot. Direction Tanger, la porte vers la liberté. La route était sombre, interminable, mais nous avancions, poussés par une force invisible. Dans chaque tournant, nous sentions le poids du destin, avec l’ombre du Général Dlimi qui veillait toujours, silencieuse, comme un guide dans cette mission de survie.

Le port de Tanger baignait dans une lumière froide et terne, reflet de l’aube encore lointaine. Dans l’effervescence silencieuse de ce lieu de transit, ma mère était assise à la cafétéria, une tasse de thé à peine touchée devant elle. Elle tentait de dissimuler son anxiété sous un voile de sérénité, surveillant d’un œil mes sœurs et mon frère qui jouaient non loin. Le port, bien qu’animé par les voyageurs pressés et les appels au départ, avait pour nous une atmosphère presque oppressante, comme si le temps s’étirait avant l’inévitable moment de vérité.

Moi, je n’étais qu’à quelques pas de mon père, qui se tenait près de la guérite du contrôle des frontières, dans l’ombre de cette mission périlleuse. Chaque seconde s’écoulait avec le poids du danger, du doute. Mon cœur battait à tout rompre, mais je savais que je devais rester calme, suivre le plan. C’est à ce moment-là que j’ai utilisé le code convenu. Dans un murmure presque inaudible, je lui ai demandé : « Auriez-vous l’heure, Monsieur  ? »

Mon père, impassible, ne laissa rien transparaître. Ses yeux, cependant, trahissaient la tension accumulée. Puis, d’une voix calme, il répondit : «Il est l’heure de partir, mon fils. »

Ces mots résonnèrent en moi comme un coup de tonnerre silencieux. Sans geste brusque, sans attirer l’attention, il fit un signe discret de la main à ma mère, assise à quelques mètres de là. C’était le signal tant attendu. D’un seul regard, ma mère comprit. Elle se leva doucement, rassemblant mes sœurs et mon frère, comme une famille ordinaire en voyage. Mais rien n’était ordinaire. Chaque pas vers le bateau était calculé, pesé, empli d’une tension palpable.

Sans un mot de plus, elle embarqua avec nous, laissant derrière elle l’ombre imposante de mon père, le véritable stratège de cette mission d’exfiltration. Son sacrifice, sa diversion, tout avait été minutieusement orchestré pour que nous puissions franchir cette frontière invisible entre le Maroc et la liberté.

Dans la cabine étroite, une ambiance pesante régnait. Le silence était entrecoupé seulement par le bruit sourd des moteurs du bateau. Ma mère, le visage marqué par la tension des événements, nous demanda doucement de monter sur le pont pour jeter un dernier regard à notre père. Alors que nous nous levions, je l’ai surprise en train d’essuyer discrètement des larmes, comme si elle tentait de masquer la douleur qui la submergeait. C’était la première fois que je voyais cette fragilité en elle, cette souffrance contenue. Une mère, une femme, prise entre la loyauté envers son mari et le devoir de protéger ses enfants.

Sur le pont, l’air marin froid nous enveloppa immédiatement. Je regardai autour de moi, mais mes yeux cherchaient une seule silhouette. Là, au bout du quai, mon père se tenait, cigarette à la main, son regard perdu dans l’aube naissante. À côté de lui, un homme se tenait droit, silencieux, partageant cette scène à la fois banale et pourtant si lourde de sens. Mon père, dans un geste naturel, lui offrit une cigarette, feignant la normalité, comme s’ils n’étaient que deux inconnus attendant simplement la fin d’une nuit.

Le bateau commença lentement à s’éloigner du port, et je ne pouvais détacher mon regard de lui. Chaque mètre nous séparant semblait allonger l’ombre du sacrifice qu’il faisait pour nous. Alors que la distance s’agrandissait, sa silhouette, encore si familière, finit par devenir floue. Et puis, soudain, il se retourna. Avec une lenteur presque douloureuse, mon père commença à marcher, accompagné par cet homme que je devinais être un agent de police en civil. Aucun mot, aucun geste, juste cette marche solennelle vers une séparation qui, à ce moment-là, semblait définitive.

Le froid mordait mes joues, mais ce n’était rien comparé au vide qui grandissait en moi. Mon père, cet homme qui avait orchestré notre exil pour nous sauver, disparaissait dans les méandres d’un système dont il connaissait chaque rouage. Le bateau s’éloignait encore, et je savais que je ne le reverrais pas de sitôt. Il fallut presque vingt ans avant que nos chemins se croisent à nouveau, vingt ans d’incertitude, d’absence, de silence.

Ma mère, silencieuse, nous rejoignit sur le pont. Elle ne dit rien, mais je sentais dans ses yeux qu’elle comprenait. Ce n’était pas seulement un départ, c’était une coupure, un gouffre qui venait de s’ouvrir dans nos vies.

Alors que les premières lueurs de l’aube se levaient sur le port de Tanger, un calme étrange régnait sur la scène. Le Général avait orchestré chaque détail de l’exfiltration avec une précision militaire, mais ce n’était pas lui qui restait à la merci du système cette fois-ci. C’était mon père, Mohamed Dlimi, qui s’était volontairement mis en première ligne pour nous permettre de traverser la Méditerranée en toute sécurité.

Le bateau s’éloignait lentement des côtes, et mon père, debout sous un réverbère vacillant, avait choisi ce moment pour rompre son silence. Durant des heures, il avait gardé un calme imperturbable, un masque impénétrable sur son visage. Il savait que tout reposait sur sa capacité à feindre l’innocence, à dissimuler sa véritable identité, jusqu’à ce qu’il soit certain que nous, sa famille, étions hors d’atteinte, quelque part, à l’abri, en Europe. Quand enfin la distance entre nous et le continent africain devenait insurmontable, il lâcha les mots qui allaient sceller son destin immédiat.

Avec un regard glacial, il se tourna vers les officiers qui l’entouraient et, dans un souffle lourd de défi, déclara : « Je suis Mohamed Dlimi, haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. »

Le choc fut immédiat. Ceux qui avaient cru avoir simplement affaire à un citoyen lambda se figèrent. Les regards se croisèrent, les mains se crispèrent, et soudain, tous se mirent au garde-à-vous. La nouvelle courut comme une traînée de poudre. Le préfet de police de Tanger, reconnaissant immédiatement le nom, accourut en personne. Il connaissait mon père depuis des années et ne doutait pas un instant de la gravité de la situation. Basri, de son côté, reçut la nouvelle avec stupeur. Comment cela était-il possible ? Comment Mohamed Dlimi avait-il pu orchestrer cette évasion sous son nez sans qu’il ne s’en aperçoive ? Où était passée sa famille ? Le mystère planait sur ce départ précipité.

Mon père fut rapidement transféré à Rabat, là où Basri l’attendait pour un interrogatoire minutieux. Durant trois jours, il fut scruté, questionné, testé. Mais rien n’échappa à son contrôle. Les préfets Achaachi et Soussi, connaissant parfaitement la loyauté et l’intégrité de mon père, rédigèrent un rapport favorable, témoignant de son absence de toute trahison apparente.

Finalement, sur ordre direct de Hassan II, mon père fut libéré. Basri, cependant, n’avait pas oublié cet affront. C’était un échec cuisant, un coup qu’il n’avait pas vu venir. Malgré toute sa vigilance, malgré son pouvoir, il avait échoué à empêcher la fuite de la famille Dlimi.

Et comme le destin l’a voulu, des années plus tard, le 27 août 2007, le jour de l’anniversaire de mon précédent mariage, Basri s’éteignit en exil à Paris, emportant avec lui la rancœur et l’amertume de cet échec. Une justice divine, silencieuse mais implacable, venait de s’abattre.

« L’ombre de Patrick : héritage d’une présence inoubliable »

Les années suivant notre arrivée en France, le fantôme de Driss Basri continuait de planer sur nous. Ses hommes étaient