Heures de Corse - Jean Lorrain - E-Book

Heures de Corse E-Book

Jean Lorrain

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Beschreibung

Un Marseille triste et sale sous la pluie, un Marseille terne, dont l’Affaire Dreyfus et les dernières grèves semblent avoir encrassé la claire atmosphère…; la foire des Santons, chère à Paul Arène, y est elle-même en décadence ; à peine compte-t-on, sous les Allées, quatre ou cinq baraques de ces bonnes petites figurines : les dieux s’en vont ; d’affreuses exhibitions les remplacent, de musées anatomiques et de monstres sous-marins, et, sans les aguichantes Bonbonneries provençales (on prononce bombe… onneries), on pourrait se croire sur le cours de n’importe quelle ville du Centre.
L’animation, la gaieté, la foule, l’assent même n’y sont plus ; aussi est-ce sans regret que je le vois s’enfoncer et décroître à l’arrière du paquebot, ce Marseille de décembre et de déception, qui m’a, cette fois, apparu telle une maîtresse vieillie, avec un visage altéré qu’on ne reconnaît plus ; Marseille que j’ai tant aimé et que je quitte presque avec joie, comme j’ai quitté, il y a trois jours, un Paris de politiciens et d’intrigues, empoisonné par la reprise de l’Affaire.

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JEAN LORRAIN

Heures de Corse

 

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385743581

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Heures de Corse

DE MARSEILLE A AJACCIO

LUI !

DIMANCHE CORSE

LES QUAIS

LES PÈLERINAGES

FLEUR D’EXIL

LES VOCERI

LE SEIZE AOUT EN AJACCIO

SOUS LES CHATAIGNIERS

LE VILLAGE

QUELQUES BANDITS

 

HEURES DE CORSE

DE MARSEILLE A AJACCIO

Un Marseille triste et sale sous la pluie, un Marseille terne, dont l’Affaire Dreyfus et les dernières grèves semblent avoir encrassé la claire atmosphère…; la foire des Santons, chère à Paul Arène, y est elle-même en décadence ; à peine compte-t-on, sous les Allées, quatre ou cinq baraques de ces bonnes petites figurines : les dieux s’en vont ; d’affreuses exhibitions les remplacent, de musées anatomiques et de monstres sous-marins, et, sans les aguichantes Bonbonneries provençales (on prononce bombe… onneries), on pourrait se croire sur le cours de n’importe quelle ville du Centre.

L’animation, la gaieté, la foule, l’assent même n’y sont plus ; aussi est-ce sans regret que je le vois s’enfoncer et décroître à l’arrière du paquebot, ce Marseille de décembre et de déception, qui m’a, cette fois, apparu telle une maîtresse vieillie, avec un visage altéré qu’on ne reconnaît plus ; Marseille que j’ai tant aimé et que je quitte presque avec joie, comme j’ai quitté, il y a trois jours, un Paris de politiciens et d’intrigues, empoisonné par la reprise de l’Affaire.

Quelles émotions me donnera la Corse, la Corse odorante et sauvage, à laquelle je vais demander le repos, la santé et l’oubli ?

« Nous allons danser, cette nuit », a déclaré le commandant du bord ; or, on dit les bateaux de la Compagnie Fraissinet atroces, de vieux bateaux inconfortables et volages qui tiennent mal la mer, et je ne suis pas sans inquiétude : la Méditerranée est, ce soir, particulièrement houleuse, ses lames courtes secouent tout le bâtiment, de l’avant à l’arrière, et, étrangement balancée, la Ville-de-Bastia remonte et redescend le vallonnement creusé des vagues, dans un glissement effarant de montagne russe ; elle est pourtant suffisamment lestée, aujourd’hui, la Ville-de-Bastia : les vacances du Jour de l’An ont bondé troisièmes, secondes et premières de permissionnaires de casernes et de séminaires, chasseurs alpins, marins de l’État, artilleurs de forteresse, apprentis prêtres, collégiens avec ou sans famille, il y a de tout, ce soir, à bord, et que de bagages ! Avons-nous assez attendu, pour leur embarquement et leur arrimage, dans ce port de la Joliette ! En sortant des jetées, nous n’avions déjà qu’une heure de retard.

Et voilà que la cathédrale, les drisses, les vergues et les cheminées de la Joliette, déjà, nous ne les voyons plus ; la Bonne Mère (Notre-Dame-de-la-Garde) seule se profile sur sa côte calcaire, au-dessus du quartier d’Endoum ; sur un ciel de limbes, strié de lueurs et de nuages, les collines de Marseille forment une ligne tragique ; la Méditerranée, d’un bleu vitreux et noir, s’enfle et court, démontée : on dirait du rivage à l’assaut du paquebot ; comme ses lames se creusent, précipitées, violentes et courtes ? Nous avons le vent arrière et courons sur les vagues, le mistral nous pousse, mais nous dansons.

Nous faisons mieux que danser, nous roulons et nous tanguons.

Je suis le seul passager demeuré sur la passerelle. Assis sur un banc, le coude à la barre, je me soûle de l’ivresse physique du mouvement et de la vitesse. Comme l’élan vigoureux du bateau se prolonge ! C’est opprimant, écœurant et délicieux, c’est le malaise dans le vide, la griserie d’anesthésie de la ballade de Verlaine : Tournez, bons chevaux de bois ! La Ville-de-Bastia ne chevauche plus la houle, elle se rue à l’assaut des vagues qui l’assiègent, c’est le vertige d’une course à l’abîme… Le vent me fouette, j’ai les mains glacées et les tempes en sueur et le cœur chaviré ; comme flottant avec elle sous les côtes, la tête vide, j’oscille avec la houle, je roule et je plonge, étreint partout d’un horrible délice, qui est, peut-être, le dilettantisme du mal de mer.

Mais la nuit est venue : un malheureux soldat, qui s’était, jusqu’alors, obstiné à demeurer sur l’autre banc, en face, vient de descendre en titubant… Ce chapelet de points de feu, à l’horizon, au pied d’une barre d’ombre, ce sont les réverbères du Prado ; la fumée du paquebot se déroule, funèbre, et semble s’envoler vers la côte : fuligineuse et noire, au lieu de diminuer, mes yeux hallucinés la voient s’accroître et grandir, plus dense à mesure qu’elle gagne l’horizon ; elle y devient des silhouettes de collines connues, des aspects de rivage, une Provence de songe semble surgir de ses volutes. Le paysage devient fumeux lui-même, décor de ténèbres et de nuées, déroulé de la cheminée du paquebot, et créé, tel un mirage, dans la lividité d’un ciel d’hiver. Tout à coup, au ras des lames, une grande masse blême, comme un suaire tendu sur un énorme écueil ; la mer est couleur d’encre, le récif d’une pâleur funéraire ; j’ai la sensation que nous passons tout près, nous sommes loin, pourtant, de l’île de Maïre.

Ici, l’angoisse du vertige devient si atroce que je me lève, et, chancelant, me retenant aux bancs et aux rampes pour ne pas tomber, je gagne l’escalier et me décide à descendre… Dans le salon des premières, les lampes oscillent, balancées odieusement, des femmes gisent, en tas, sur les banquettes, et l’on met le couvert !! Encore un effort, je trouve un escalier, je demande ma cabine, le numéro 18 ! Un garçon de service me reçoit, me guide, me soutient et m’étend, tout habillé, sur une couchette ; il me cale avec des oreillers, me borde comme un enfant, car nous roulons de plus en plus ; oui, nous roulons et nous tanguons… O le vide de ma pauvre tête, mes yeux que je ne puis plus ouvrir, et l’affre de ce cœur, on dirait décroché qui va et vient, et suit le roulis du bateau, ce balancier fou que j’ai là dans la poitrine, ce cœur endolori qui se heurte et se froisse partout aux parois de mes côtes !

On ne m’avait pas menti : ces bateaux de la Compagnie Fraissinet sont horribles, et je n’en suis pas à ma première traversée ! Que d’hivers déjà passés en Algérie, à Tripoli et à Tunis ; je ne compte plus mes escales à Malte, à Naples et à Palerme, mes retours de Syracuse, par Livourne et Gênes, mes départs pour Oran, par Barcelone et Carthagène ! Et je n’ai jamais eu le mal de mer.