Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Les tomes troisième et quatrième de l'Histoire de la Réformation du XVI.eme siècle, d'Henri Merle d'Aubigné, couvrent la période d'une dizaine d'années (1521 à 1531) qui s'étend de la mise à l'écart de Luther, suite à la diète de Worms, jusqu'à la Confession d'Augsbourg et la défaite de Cappel. On y verra la Réforme s'enraciner en Allemagne et en Suisse, éclore en France, pour en être bannie par une persécution cruelle. Voici les titres des sept livres qui composent ces deux volumes : 9.Premières réformes ; 10. Agitations, revers et progrès ; 11. Divisions -- Suisse -- Allemagne ; 12. Les Français ; 13. Protestation de Spire et Concorde de Marbourg ; 14. La Confession d'Augsbourg ; 15. Suisse -- conquêtes ; 16. Suisse -- catastrophe.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 1785
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322481996
Auteur Jean-Henri Merle d'Aubigné. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Un esprit d'examen et de recherche pousse toujours plus les hommes studieux en France, en Suisse, en Allemagne et en Angleterre, à s'enquérir des documents originaux sur lesquels repose l'histoire moderne. Je désire apporter ma pite à l'accomplissement de la tâche importante que notre époque semble s'être proposée. Je ne me suis point contenté jusqu'à présent de la lecture des historiens contemporains. J'ai interrogé les témoins oculaires, les lettres, les relations primitives, et j'ai fait usage de quelques manuscrits, en particulier de celui de Bullinger, qui a été dès lors livré à l'impression. (Frauenfeld, 1838-1840.)
Mais l'obligation d'avoir recours à des documents inédits devenait bien plus pressante en abordant, comme je le fais dans le douzième livre, la Réformation de la France. Nous n'avons, sur cette histoire, que peu de mémoires imprimés, vu la continuelle tourmente au milieu de laquelle a vécu l'Église réformée de ce pays. Au printemps de 1838, j'ai exploité, aussi bien qu'il m'a été possible, les manuscrits qui se trouvent dans les bibliothèques publiques de Paris ; on verra qu'un manuscrit de la bibliothèque royale, jusqu'à ce jour, je crois, inconnu, jette beaucoup de lumière sur les commencements de la Réforme. En automne 1839, j'ai consulté les manuscrits qui se trouvent dans la bibliothèque du conclave des pasteurs de Neuchâtel, collection très riche pour ce qui regarde cette époque, parce qu'elle a hérité des manuscrits de la bibliothèque de Farel ; et j'ai obtenu de l'obligeance de M. le châtelain de Meuron la communication de la vie de Farel par Choupard, où la plupart de ces documents se trouvent reproduits. Ces manuscrits m'ont mis en état de reconstruire toute une phase de la Réforme en France. Outre ces secours et ceux que m'offre la bibliothèque de Genève, j'ai fait, par l'organe des Archives du Christianisme, un appel à tous les amis de l'histoire et de la Réformation qui peuvent avoir à leur disposition quelques manuscrits ; et je témoigne ici ma reconnaissance de diverses communications qui m'ont été faites, en particulier, par M. le pasteur Ladevèze, de Meaux. Mais, quoique les guerres religieuses et les persécutions aient détruit bien des documents précieux, il en existe, sans doute, encore plusieurs ça et là en France, qui seraient d'une haute importance pour l'histoire de la Réforme ; et je demande instamment à tous ceux qui pourraient en posséder ou en connaître, de vouloir bien m'en donner avis. On sent de nos jours que ce sont là des biens communs ; c'est pourquoi j'espère que cet appel ne sera pas inutile.
Peut-être trouvera-t-on que, écrivant une histoire générale de la Réformation, je suis entré dans trop de détails sur les premiers temps de cette œuvre en France. Mais ces commencements sont peu connus ; les événements qui forment le sujet de mon livre douzième, n'occupent que trois ou quatre pages dans l'Histoire ecclésiastique des Églises réformées au royaume de France, par Théodore de Bèze ; et les autres historiens ne racontent guère que les développements politiques de la nation. Ce ne sont pas, sans doute, des scènes aussi imposantes que la diète de Worms que j'ai pu découvrir, et que j'ai maintenant à retracer. Néanmoins, outre l'intérêt chrétien qui s'y rattache, le mouvement humble, mais venu vraiment du ciel, que j'ai essayé de décrire, a eu peut-être plus d'influence sur les destinées de la France que les guerres illustres de Charles-Quint et de François Ier. Dans une grande machine, ce n'est pas ce qui a le plus d'apparence qui est l'essentiel, ce sont souvent les ressorts les plus inaperçus.
On m'a reproché les délais qu'a dû subir la publication de ce troisième volume ; on eût même voulu que je n'eusse pas imprimé le premier avant que d'avoir fini tout l'ouvrage. Il est peut être certains esprits supérieurs auxquels on peut faire des conditions ; mais il en est d'autres de l'impuissance desquels il faut en recevoir, et je suis de ce nombre. Publier une fois un volume, puis une autre fois, quand je le puis, un second, ensuite un troisième, telle est la marche que mes premiers devoirs et la petitesse de mes forces me permettent d'accepter. Des circonstances extraordinaires sont encore survenues ; de grandes douleurs ont, à deux reprises, interrompu la composition de ce troisième volume, et concentré toutes mes affections et toutes mes pensées sur la tombe d'enfants bien-aimés. La pensée que mon devoir était de glorifier le Maître adorable qui m'adressait de si puissants appels et m'accordait de si divines consolations, a seule pu me donner le courage nécessaire pour poursuivre mon travail.
J'ai cru devoir ces explications à la bienveillance avec laquelle on a accueilli cet ouvrage, soit en France, soit surtout en Angleterre, où il va atteindre en anglais sa quatrième édition, outre deux autres en plus petit format, qui, m'écrit-on, se préparent. De là vient sans doute que le Journal des Débats, dans un article signé de M. Chasles, a annoncé, comme un ouvrage anglais, cette histoire de la Réformation. L'approbation des chrétiens protestants de la Grande-Bretagne, représentants des principes et des doctrines évangéliques jusque dans les contrées les plus lointaines de la terre, est pour moi d'une haute valeur ; et j'ai besoin de leur dire que j'y trouve, pour mon travail, un encouragement précieux. Le premier livre du quatrième volume sera consacré, s'il plaît à Dieu, à la Réformation de l'Angleterre et de l'Ecossea.
La cause de la vérité récompense ceux qui l'embrassent et la défendent ; et c'est ce qui est arrivé aux peuples qui ont reçu la Réformation. Dès le dix-huitième siècle, au moment où Rome croyait triompher par les jésuites et les échafauds, la victoire échappait de ses mains. Rome tomba, comme Naples, comme le Portugal, comme l'Espagne, dans d'interminables difficultés ; et en même temps deux nations protestantes s'élevèrent et commencèrent à exercer sur l'Europe une influence qui avait appartenu jusqu'alors à des peuples catholiques-romains. L'Angleterre sortit victorieuse des attaques espagnoles et françaises, que le pape avait, si longtemps, suscitées contre elle ; et l'électeur de Brandebourg, malgré la colère de Clément XI, ceignit sa tête d'une couronne royale. L'Angleterre a, dès lors, étendu sa domination dans tout le monde, et la Prusse a pris un rang nouveau parmi les puissances continentales, tandis qu'un autre pouvoir, aussi séparé de Rome, la Russie, croissait dans ses immenses déserts. C'est ainsi que les principes évangéliques ont exercé leur efficace sur les pays qui les ont reçus, et que la justice a élevé des nations. Que les peuples évangéliques le comprennent bien, c'est au protestantisme qu'ils doivent leur grandeur. Du moment où ils abandonneraient la position que Dieu leur a faite, et où ils pencheraient de nouveau vers Rome, ils perdraient leur puissance et leur gloire. Rome s'efforce maintenant de les gagner ; elle y emploie, tour à tour, les flatteries et les menaces ; elle voudrait, comme Dalila, les endormir sur ses genoux… mais c'est pour couper les cheveux de leur tête, afin que les adversaires leur crèvent les yeux et les lient de chaînes d'airainb.
Il y a là aussi une grande leçon pour cette France, à laquelle l'auteur se sent si intimement uni par le lien des pères. Si, comme l'ont fait ses divers gouvernements, la France penche de nouveau vers la papauté, ce sera pour elle, nous le croyons, le signal de grandes chutes. Quiconque s'attachera à la papauté sera compromis dans sa ruine. Il n'y a, pour la France, de perspective de force et de grandeur, qu'en se tournant vers l'Évangile. Puisse cette grande vérité être comprise des chefs et du peuple !
Il est vrai que la papauté se donne, de nos jours, beaucoup de mouvement. Quoique attaquée d'une inévitable consomption, elle voudrait, par des couleurs éclatantes et une activité fébrile, persuader aux autres et se persuader à elle-même, qu'elle est encore pleine de vigueur. C'est ce qu'un théologien de Turin s'est efforcé de faire dans un écrit occasionné par cette histoire, et dans lequel nous nous plaisons à reconnaître un certain talent à présenter les témoignages, même les plus faibles, avec un ton honnête auquel nous sommes peu habitués, et des manières comme il faut, sauf cependant la triste et coupable facilité avec laquelle l'auteur, dans son chapitre douzième, renouvelle, contre les réformateurs, des accusations dont la fausseté a été si authentiquement démontrée et si hautement reconnuec.
Nous en donnerons un exemple se rapportant aux matières contenues dans ce volume.
Jacques Le Vasseur, docteur de la Sorbonne, chanoine et doyen de l'Eglise de Noyon, a écrit des « Annales de l'Église de Noyon » (1653), où il ne sait trouver assez d'expressions contre notre Réformateur, et ne se console que par la pensée que saint Éloi donna le coup mortel à Calvin (p. 1164). Après avoir dit que le Réformateur avait eu de bonne heure des bénéfices dans l'Église de Noyon, le chanoine rapporte, en la confirmant, une déclaration de Jacques Desmay, aussi docteur en théologie, dans sa « Vie de Calvin, hérésiarque, » qui ayant fait une très exacte recherche de tout ce qui concerne le Réformateur, dit : « Je n'ai su découvrirautre chosedans lesdits registres » (Annales de Noyon, p. 1162). Puis le dévot historien de l'Église de Noyon, après avoir versé toute sa colère sur Calvin et sur tous les membres de sa famille, sans jamais rapporter aucune action du Réformateur contraire à la moralité, et en se contentant de remarquer que, qui dit hérésiarque, dit le comble de tous les crimes (ib.), ajoute un chapitre 96, intitulé : « D'un autre Jean Cauvin, chapelain vicaire de la même Église de Noyon, non hérétique, » dans lequel il dit : « Un autre Jean Cauvin se présenta et fut reçu en notre chœur, à une chapelle vicariale, et fut, peu après, congédié pour son incontinence, après quelques punitions dont il ne tint compte. Il fut vicarier par les diocèses, et la croyance de nos anciens est qu'il décéda en la cure de Trachy-le-Val, en ce diocèse, qu'il desservit en qualité de vicaire et mourut bon catholique. Il ne fut néanmoins battu de verges sous la custode, comme l'écrit Desmay, en son petit livret, p. 39 et 40. Aussi était-il prêtre et non sujet à telle discipline. Il s'est donc équivoqué, prenant cestui-ci pour un autre vicaire, aussi chapelain, nommé Balduin le Jeune, doublement jeune de nom et de mœurs, non encore adonné à la prêtrise ni à aucun ordre sacré. En voici la conclusion capitulaire… » Quod Balduinus, le Jeune, capellanus vicarialis… pro scandalis commissis, ordinarunt prœfati dominiIpsusm Coedi Virgis, quia puer et nondum in sacris constitutus. J'ai cru devoir (continue le doyen de Noyon) ajouter ce chapitre à l'histoire de Cauvin, ad diluendam homonymiam, crainte qu'on ne prenne l'un pour l'autre, le catholique au lieu de l'hérétique. » Ainsi parle le chanoine et doyen de Noyon, pages 1170 et 1171. Maintenant, que font le docteur Magnin et les écrivains de la papauté qu'il cite ? Us annoncent bien gravement que Calvin fut banni de sa patrie à cause de sa mauvaise conduite ; que, convaincu d'un crime horrible, il aurait été condamné à être brûlé publiquement, si, à la prière de l'évêque, la peine du feu n'eût été commuée en celle des verges et du fer chaud, etc. (La Papauté, page 109.) Ainsi, malgré toute la peine qu'a prise le doyen de Noyon, d'ajouter un chapitre, crainte qu'on ne prenne l'un pour l'autre, le catholique au lieu de l'hérétique, les écrivains de la papauté ne manquent pas d'attribuer au Réformateur les méfaits de son homonyme. Ce qui préoccupait le chanoine de Noyon, c'était la gloire de ce Jean Cauvin, mort bon catholique, et il tremblait qu'on ne lui attribuat l'hérésie de Calvin. Aussi il les distingue bien nettement : à l'un les hérésies, à l'autre l'incontinence. Mais le contraire de ce qu'il pensait est arrivé. Ce n'est pas l'hérésie de Calvin » qui a couvert d'opprobre Jean Cauvin ; mais c'est l'incontinence et les châtiments de Jean Cauvin dont on veut faire un opprobre au réformateur. Et voilà comme on écrit l'histoire ! voilà, nous ne dirons pas la mauvaise foi, mais la légèreté et l'ignorance des apologistes de la papauté. Ce sont de telles bévues qui se trouvent dans les écrits d'hommes, du reste, estimables, et qui ne devraient rien avoir de commun avec le nom odieux de calomniateur. On lira dans ce volume la véritable histoire de l'enfance de Calvin.
M. Audin, pour faire suite à son Histoire de Luther, a publié récemment une Histoire de Calvin, écrite sous l'influence de déplorables préjugés, et où l'on a peine à reconnaître les Réformateurs et la Réformation. Néanmoins on ne trouve pas dans cet auteur les honteuses inculpations que nous venons de signaler : il en a fait justice par son silence. Nul homme qui se respecte ne peut plus réchauffer ces sottes et grossières calomnies.
Peut-être que, dans une autre occasion, nous ajouterons quelques mots à ce que nous avons déjà dit dans notre premier livre, sur les origines de la papauté. Ce n'est pas ici le lieu de le faire.
Je rappellerai seulement, d'une manière générale, que ce sont précisément les causes humaines et toutes naturelles qui expliquent si bien son origine, que la papauté invoque pour démontrer sa divine institution. Ainsi l'antiquité chrétienne nous déclare que l'épiscopat universel était commis à tous les évêques, en sorte que les évêques de Jérusalem, d'Alexandrie, d'Antioche, d'Éphèse, de Rome, de Carthage, de Lyon, d'Arles, de Milan, d'Hippone, de Césarée, etc., s'intéressaient à ce qui se passait dans tout le monde chrétien et y intervenaient. Aussitôt Rome s'empare de ce devoir qui incombait à tous, et raisonnant comme s'il ne concernait qu'elle, elle en fait la démonstration de sa primauté.
Citons un autre exemple.
Les Églises chrétiennes, établies dans les grandes villes de l'empire, envoyaient des missionnaires aux contrées avec lesquelles elles étaient en rapport. C'est ce que fit, avant tout, Jérusalem ; puis Antioche, Alexandrie, Éphèse ; puis enfin Rome ; et Rome aussitôt conclut de ce qu'elle a fait après les autres, moins que les autres, pour s'établir au-dessus de toutes les autres. Ces exemples suffiront.
Remarquons seulement encore que Rome possédait seule, dans l'Occident, l'honneur qu'avaient en Orient, Corinthe, Philippes, Thessalonique, Éphèse, Antioche, et, à un bien plus haut degré, Jérusalemd, celui d'avoir eu un apôtre ou des apôtres parmi ses premiers docteurs. Aussi les Églises latines devaient-elles avoir naturellement pour Rome un certain respect. Mais jamais les chrétiens orientaux, qui honoraient en elle l'Église de la métropole politique de l'empire, ne voulurent lui reconnaître quelque supériorité ecclésiastique. Le célèbre concile universel de Chalcédoine attribua à Constantinople, auparavant l'obscure Byzance, les mêmes privilèges (τὰ ἴσα πρεσβεῖα) qu'à Rome, et déclara qu'elle devait être élevée comme elle. Aussi, quand la papauté se forma décidément dans Rome, l'Orient ne se soucia-t-il pas de reconnaître un maître dont il n'avait jamais ouï parler ; et demeurant sur l'antique terrain de sa catholicité, il abandonna l'Occident à la puissance de la secte nouvelle, qui venait de se former dans son sein. L'Orient s'appelle encore par excellence aujourd'hui catholique et orthodoxe ; et quand on demande à l'un de ces chrétiens orientaux, que Rome s'est unis en leur faisant des concessions nombreuses : « Êtes-vous catholique ? — Non, répond-il aussitôt, je suis papistian (papiste). » (Journal du Rév. Jos. Wolf. Londres, 1839, p. 225)
Si cette histoire a subi ainsi quelques critiques parties du point de vue romain, elle semble en avoir rencontré d'autres qui partaient d'un point de vue purement littéraire. Des hommes pour lesquels j'ai beaucoup d'estime, paraissent attacher plus d'importance à une description politique ou littéraire de la Réforme, qu'à une exposition qui prenne pour point de départ ses principes spirituels et ses ressorts intimes. Je puis comprendre cette manière de voir, mais je ne puis la partager. L'essentiel, à mon avis, dans la Réformation, ce sont ses doctrines et sa vie intérieure. Tout travail dans lequel ces deux choses ne sont pas les premières, pourra être brillant, mais ne sera pas fidèlement et candidement historique. On ressemblera à un philosophe qui, voulant décrire l'homme, exposerait avec une grande exactitude et une pittoresque beauté, tout ce qui concerne son corps, mais accorderait à l'âme, cet hôte divin, un rang tout au plus subordonné.
Il manque, sans doute, beaucoup au faible travail dont je viens présenter un nouveau fragment au public chrétien ; mais ce que je trouve le plus à y reprendre, c'est qu'on n'y sente pas davantage encore l'âme de la Réformation. Plus j'aurais réussi à signaler ce qui manifeste la gloire de Christ, plus j'aurais été historique et fidèle. Je prends volontiers pour loi ces paroles, qu'un historien du xvie siècle, homme d'épée plus encore que de plume, après avoir écrit une partie de l'histoire du protestantisme en France, que je ne me propose pas de traiter, adresse à ceux qui se proposeraient de compléter son travail : « Je leur donne pour loi celle que je prends pour moi-même ; c'est qu'en cherchant la gloire de ce précieux instrument, ils aient pour but principal, celle du bras qui l'a déployé, employé et ployé quand il lui a plu. Car toutes les louanges qu'on donne aux princes, sont hors d'œuvre et mal assises, si elles n'ont pour feuille et fondement, celle du Dieu vivant, à qui seul appartient honneur et empire à l'éternité. »
Depuis quatre ans, une ancienne doctrine était de nouveau annoncée dans l'Église. La grande parole d'un salut par grâce, publiée autrefois en Asie, en Grèce, en Italie, par Paul et par ses frères, et retrouvée dans la Bible, après plusieurs siècles, par un moine de Wittemberg, avait retenti des plaines de la Saxe jusqu'à Rome, à Paris, à Londres ; et les hautes montagnes de la Suisse en avaient répété les énergiques accents. Les sources de la vérité, de la liberté et de la vie avaient été rouvertes à l'humanité. On y était accouru en foule, on y avait bu avec joie ; mais ceux qui y avaient trempé leurs lèvres avec empressement, avaient gardé les mêmes apparences. Tout au dedans était nouveau, et cependant tout au dehors semblait être resté de même.
La constitution de l'Église, son service, sa discipline, n'avaient subi aucun changement. En Saxe, à Wittemberg même, partout où la nouvelle pensée avait pénétré, le culte papal continuait gravement ses pompes ; le prêtre au pied des autels, offrant à Dieu l'hostie, semblait opérer un changement ineffable ; les religieux et les nonnes venaient prendre dans les couvents des engagements éternels ; les pasteurs des troupeaux vivaient sans famille ; les confréries s'assemblaient ; les pèlerinages s'accomplissaient ; les fidèles appendaient leurs ex-voto aux piliers des chapelles, et toutes les cérémonies se célébraient comme autrefois, jusqu'à l'acte le plus insignifiant du sanctuaire. Il y avait une nouvelle parole dans le monde, mais elle ne s'était pas créé un nouveau corps. Les discours du prêtre formaient avec les actions du prêtre le contraste le plus frappant. On l'entendait tonner du haut de la chaire contre la messe, comme contre un culte idolâtre ; puis on le voyait descendre et célébrer scrupuleusement, devant l'autel, les pompes de ce mystère. Partout le nouvel Évangile retentissait au milieu des rites anciens. Le sacrificateur lui-même ne s'apercevait pas de cette contradiction étrange ; et le peuple, qui écoutait avec acclamation les discours hardis des nouveaux prédicateurs, pratiquait dévotement ses anciennes coutumes, comme s'il n'eût jamais dû s'en séparer. Tout demeurait de même, au foyer domestique et dans la vie sociale, comme dans la maison de Dieu. Il y avait une nouvelle foi dans le monde, il n'y avait pas de nouvelles œuvres. Le soleil du printemps avait paru, et l'hiver semblait encore enchaîner la nature ; point de fleurs, point de feuilles, rien au dehors qui annonçât la saison nouvelle ; mais ces apparences étaient trompeuses ; une sève puissante, quoique cachée, circulait déjà dans les profondeurs, et allait changer le monde.
C'est à cette marche, pleine de sagesse, que la Réformation doit peut-être ses triomphes. Toute révolution doit se faire dans la pensée avant de s'accomplir extérieurement. La contradiction que nous avons signalée ne frappa même point Luther au premier abord. Il parut trouver tout naturel qu'en recevant avec enthousiasme ses écrits, on restât dévotement attaché aux abus qu'ils attaquaient. On pourrait croire même qu'il traça son plan à l'avance, et résolut de transformer les esprits, avant de changer les formes. Mais ce serait lui attribuer une sagesse dont l'honneur revient à une intelligence plus élevée. Il exécutait un plan qu'il n'avait pas conçu. Plus tard il put reconnaître et comprendre ces choses : mais il ne les imagina et ne les régla pas ainsi. Dieu marchait à la tête ; son rôle à lui était de suivre.
Si Luther avait commencé par une réforme extérieure ; si, aussitôt après avoir parlé, il avait voulu abolir les vœux monastiques, la messe, la confession, les formes du culte, certes il eût rencontré la plus vive résistance. Il faut du temps à l'homme pour se faire aux grandes révolutions. Mais Luther ne fut nullement ce novateur violent, imprudent, hasardeux, que quelques historiens nous ont dépeinte. Le peuple, ne voyant rien de changé dans ses dévotions routinières, s'abandonna sans crainte à son nouveau maître. Il s'étonna même des attaques dirigées contre un homme qui lui laissait sa messe, son chapelet, son confesseur ; et il les attribua à la basse jalousie de rivaux obscurs, ou à la cruelle injustice d'adversaires puissants. Les idées de Luther cependant agitaient les esprits, renouvelaient les cœurs, et minaient tellement l'ancien édifice, qu'il tomba bientôt de lui-même et sans main d'homme. Les idées n'agissent pas d'une manière instantanée ; elles font leur chemin dans le silence, comme les eaux qui, filtrant derrière nos rochers, les détachent du mont sur lequel ils reposent ; tout à coup le travail fait en secret se montre, et un seul jour suffit pour mettre en évidence l'œuvre de plusieurs années, peut-être même de plusieurs siècles.
Une période nouvelle commence pour la Réformation. Déjà la vérité est rétablie dans la doctrine, maintenant la doctrine va rétablir la vérité dans toutes les formes de l'Église et de la société. L'agitation est trop grande pour que les esprits demeurent fixes et immobiles au point où ils sont parvenus. Sur ces dogmes si fortement ébranlés, s'appuient des usages qui déjà chancellent, et qui doivent avec eux disparaître. Il y a trop de courage et de vie dans la nouvelle génération pour qu'elle se contienne devant l'erreur. Sacrements, culte, hiérarchie, vœux, constitution, vie domestique, vie publique, tout va être modifié. Le navire, construit lentement et avec peine, va quitter enfin le chantier, et être lancé sur la vaste mer. Nous aurons à suivre sa marche à travers bien des écueils.
La captivité de la Wartbourg sépare ces deux périodes. La Providence, qui se disposait à donner à la Réforme une si grande impulsion, en avait préparé le progrès, en conduisant dans une profonde retraite l'instrument dont elle voulait se servir. L'œuvre semblait, pour un temps, ensevelie avec l'ouvrier ; mais le grain doit être mis en terre afin de porter des fruits ; et c'est de cette prison, qui paraissait devoir être le tombeau du Réformateur, que la Réformation va sortir pour faire de nouvelles conquêtes et se répandre bientôt dans le monde entier.
Jusqu'alors la Réformation avait été concentrée dans la personne de Luther. Sa comparution devant la diète de Worms fut sans doute le moment le plus sublime de sa vie. Son caractère parut alors presque exempt de taches ; et c'est ce qui a fait dire que si Dieu, qui cacha pendant dix mois le Réformateur dans les murs de la Wartbourg, l'eût en cet instant pour toujours dérobé aux regards du monde, sa fin eût été comme une apothéose. Mais Dieu ne veut point d'apothéose pour ses serviteurs ; et Luther fut conservé à l'Église, afin d'enseigner par ses fautes mêmes, que ce n'est que sur la Parole de Dieu que la foi des chrétiens doit être fondée. Il fut transporté brusquement loin de la scène où s'accomplissait la grande révolution du xvie siècle ; la vérité, que depuis quatre ans il avait si puissamment annoncée, continua en son absence à agir sur la chrétienté, et l'œuvre dont il n'était qu'un faible instrument porta dès lors, non le cachet d'un homme, mais le sceau même de Dieu.
L'Allemagne était émue de la captivité de Luther. Les bruits les plus contradictoires se répandaient dans toutes les provinces. L'absence du Réformateur agitait les esprits, plus que sa présence n'eût jamais pu le faire. Ici, l'on assurait que des amis venus de France l'avaient mis en sûreté sur l'autre rive du Rhinf. Là, on disait que des assassins lui avaient donné la mort. On s'informait de Luther jusque dans les moindres villages ; on interrogeait les voyageurs ; on se rassemblait sur les places publiques. Quelquefois un orateur inconnu faisait au peuple un récit animé de la manière dont le docteur avait été enlevé ; il montrait de barbares cavaliers liant étroitement les mains à leur prisonnier, précipitant leur course, le traînant à pied après eux, épuisant ses forces, fermant l'oreille à ses cris, faisant jaillir le sang de ses membresg. « On a vu, ajoutait-il, le cadavre de Luther percé de part en parth. » Alors des cris douloureux se faisaient entendre : Ah ! disait la multitude, nous ne le verrons plus, nous ne l'entendrons plus, cet homme généreux, dont la voix remuait nos cœurs ! » Les amis de Luther, frémissant de colère, juraient de venger sa mort. Les femmes, les enfants, les hommes paisibles, les vieillards, prévoyaient avec effroi de nouvelles luttes. Rien n'égalait la terreur des partisans de Rome. Les prêtres et les moines, qui d'abord n'avaient pu cacher leur joie, se croyant sûrs de la victoire, parce qu'un homme était mort, et qui avaient relevé la tête avec un air insultant de triomphe, eussent maintenant voulu fuir loin de la colère menaçante du peuplei. Ces hommes qui, pendant que Luther était libre, avaient fait éclater si fort leur furie, tremblaient maintenant qu'il était captifj. Aléandre surtout était consterné. « Le seul moyen qui nous reste pour nous sauver, écrivait un catholique romain à l'archevêque de Mayence, c'est d'allumer des torches et de chercher Luther dans le monde entier, pour le rendre à la nation qui le réclamek. » On eût dit que l'ombre du réformateur, pâle et traînant des chaînes, venait répandre la terreur et demander vengeance. La mort de Luther, s'écriait-on, fera couler des torrents de sangl.
Nulle part les esprits n'étaient plus émus qu'à Worms même ; d'énergiques murmures se faisaient entendre parmi le peuple et parmi les princes. Ulrich de Hutten et Hermann Busch remplissaient ces contrées de leurs chants plaintifs et de leurs cris de guerre. On accusait hautement Charles-Quint et les nonces. La nation s'emparait de la cause du pauvre moine, qui, par la puissance de sa foi, était devenu son chef.
A Wittemberg, ses collègues, ses amis, Mélanchthon surtout, furent d'abord plongés dans une morne douleur. Luther avait communiqué à ce jeune savant les trésors de cette sainte théologie qui dès lors avait entièrement rempli son âme. C'était Luther qui avait donné de la substance et de la vie à la culture purement intellectuelle que Mélanchthon avait apportée à Wittemberg. La profondeur de la doctrine du réformateur avait frappé le jeune helléniste, et le courage du docteur à soutenir les droits de la Parole éternelle contre toutes les autorités humaines, l'avait rempli d'enthousiasme. Il s'était associé à son œuvre : il avait saisi la plume, et, avec cette perfection de style qu'il avait puisée dans l'étude de l'antiquité, il avait successivement, et d'une main puissante, abaissé l'autorité des Pères et l'autorité des conciles, devant la Parole souveraine de Dieu.
La décision que Luther avait dans la vie, Mélanchthon l'avait dans la science. Jamais on ne vit en deux hommes plus de diversité et plus d'unité. L'Écriture, disait Mélanchthon, abreuve l'âme d'une sainte et merveilleuse volupté ; elle est une céleste ambroisiem