Histoire des sciences occultes depuis l'antiquité jusqu'à nos jours - Auguste Debay - E-Book

Histoire des sciences occultes depuis l'antiquité jusqu'à nos jours E-Book

Auguste Debay

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Extrait : "De tous temps et chez tous les peuples, le merveilleux fut un sujet de curiosité, de crainte et de vénération. Par merveilleux, nous entendons les phénomènes naturels dont la cause reste cachée au vulgaire ; phénomènes plus ou moins frappants que beaucoup d'individus considèrent comme des manifestations surnaturelles."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Avant-propos

Donner aux curieux une histoire complète des sciences occultes dans l’antiquité et le Moyen Âge, était un immense travail que nous avions entrepris avec le concours de plusieurs savants versés dans les arts et les sciences. Il s’agissait non seulement de compulser les documents historiques de ces époques, d’en élaguer les puérilités, les absurdités ; mais il fallait, en outre, donner la raison physique des faits merveilleux, des prodiges que pouvaient opérer les magiciens et les thaumaturges. Nous avions péniblement réuni une foule de matériaux pour édifier ce grand ouvrage, lorsqu’une cruelle maladie est venue interrompre nos recherches ; dans la crainte de ne pouvoir achever la tâche commencée, nous publions un travail très incomplet sans doute, mais qui, néanmoins, donnera au lecteur une idée de ce qu’étaient les sciences occultes aux époques d’ignorance et de barbarie. Dans le présent ouvrage, de même que dans celui des Mystères du magnétisme, nous nous sommes appliqués à captiver l’intérêt du lecteur par une série de curieux détails, de descriptions animées et de situations dramatiques. À ceux qui nous reprocheront d’avoir traité légèrement une question sérieuse, nous opposerons la raison donnée plus haut et répondrons que les livres trop sérieux ne sont lus que d’un très petit nombre ; tandis que nous, qui n’avons point la prétention d’obtenir le suffrage des savants, notre but est d’éclairer les gens du monde, les femmes surtout, et de saper, de détruire dans leur esprit, la crédulité, la superstition, sources de tant de malheurs. Pour être lu, il est absolument nécessaire d’intéresser le lecteur ; c’est le but que nous nous sommes efforcés d’atteindre dans cet ouvrage.

Origine des sciences occultes

De tout temps et chez tous les peuples, le merveilleux fut un sujet de curiosité, de crainte et de vénération. Par merveilleux, nous entendons les phénomènes naturels dont la cause reste cachée au vulgaire ; phénomènes plus ou moins frappants que beaucoup d’individus considèrent comme des manifestations surnaturelles.

Dans l’enfance des sociétés, quelques individus, plus intelligents, plus observateurs que les autres, étant parvenus à découvrir certaines lois astronomiques, quelques secrets de physique ou de chimie, voulurent passer aux yeux de leurs semblables pour des êtres privilégiés communiquant avec la divinité. Il ne leur fut pas difficile d’user de leurs découvertes pour s’attirer l’admiration et inspirer le respect à des hommes ignorants et superstitieux. Tels furent les principaux législateurs et conquérants de l’antiquité, Vichnou, Brahma, Moïse, Minos et autres grands hommes qui donnèrent des lois à leur pays.

La raison pure ne saurait être comprise des masses ; il faut au peuple du merveilleux, des prodiges, des phénomènes qui l’émeuvent, l’étonnent, le saisissent et l’effrayent. C’est pourquoi les ambitieux intelligents exploitèrent la crédulité publique comme une mine féconde, inépuisable de richesses, d’honneurs et de vénération pour eux et leurs affidés.

Pour l’homme éclairé tout est merveille dans les opérations de la nature ; mais rien n’est surnaturel. S’il est témoin d’un phénomène extraordinaire, loin d’en être effrayé, il en recherche la cause, et s’il ne peut la découvrir, il attend qu’une intelligence plus avancée que la sienne en trouve la raison. C’est ainsi que le flambeau des sciences, alimenté par le feu du génie humain, a, peu à peu, dissipé les épaisses ténèbres du Moyen Âge.

D’après les plus anciens documents historiques, l’Inde fut le berceau des premiers thaumaturges ou physiciens de ces lointaines époques. De là, cette science à son début, passa chez les Égyptiens où elle fit de très rapides progrès. Ce fut encore la classe sacerdotale qui s’en empara et la tint cachée dans le sanctuaire des temples, avec menace de mort contre quiconque oserait la communiquer aux profanes. Accaparées par la race théocratique, les sciences occultes devinrent bientôt une puissance devant laquelle les Pharaons eux-mêmes durent s’incliner. Les fameux mystères d’Isis et les initiations pratiquées dans les temples des grandes villes égyptiennes, imposèrent un profond respect aux profanes ; les castes populaires courbèrent servilement la tête sous la verge de fer de la caste privilégiée ou théocratique.

Non seulement la peine de mort était lancée contre celui qui aurait eu la témérité de divulguer les mystères ; mais le conseil des hiérophantes avait décidé que les secrets au moyen desquels on étonnait, on effrayait les initiés, ne seraient conservés ni par l’écriture vulgaire, ni par les caractères hiéroglyphiques ; des signes particuliers, connus d’eux seuls, avaient été inventés pour en conserver la tradition.

Les secrets dont se composaient les sciences occultes de ces temps, dérivaient de la physique, de la chimie et de l’astronomie. La découverte en était due, soit au hasard, soit aux recherches des savants de cette époque. La caste sacerdotale attirait à elle tous les hommes remarquables par leur génie, leurs capacités, et les initiait avec empressement à ses mystères. Chaque fois qu’un secret découvert offrait le merveilleux qui éblouit le vulgaire, cette caste s’en emparait et s’en servait au besoin. Ce fut au moyen de ces secrets, habilement exploités, qu’elle dut son empire sur les autres castes, sa position privilégiée et ses immenses richesses. Mais, parmi ces secrets, s’il s’en trouvait quelques-uns d’utiles à la politique, aux sciences et aux arts, on en rencontrait une foule d’autres d’une puérilité naïve ou qui n’étaient que le résultat de la superstition la plus profonde ; c’est ce que nous aurons occasion de démontrer dans le courant de cet ouvrage.

Chapitre premier
SECTION PREMIÈREMagie

SON ORIGINE ET SES PROGRÈS

Ce mot, dans son acception primitive, signifiait science des Mages. – La science des mages se résumait dans la connaissance secrète de divers phénomènes physiques et dans l’art de les reproduire par imitation.

Nous ne nous égarerons point à la recherche du premier homme qui s’occupa de magie ; nous laisserons nos érudits discuter entre eux, si c’est à Hermès Trismégiste, à Seth ou à Jarad, son quatrième descendant, ou à Cham, fils de Noé, qu’il faut en attribuer la première étude, ou enfin à Zoroastre, fondateur de la religion des mages ; il nous suffira de dire qu’à ces époques lointaines, où le génie de l’homme n’avait encore pu pénétrer dans le sanctuaire des sciences physiques, les mages, prêtres répandus en Orient et particulièrement dans l’Inde, s’adonnaient à l’étude de la nature et de la philosophie. Minutieux observateurs de tous les phénomènes qui s’offraient à leurs regards, ils s’efforçaient de remonter des effets aux causes et de trouver, par ce procédé, l’explication de ces dernières. Chaque phénomène reconnu constant, invariable, était soigneusement enregistré dans leurs annales, à côté d’autres faits déjà expliqués. Ainsi marcha de siècle en siècle cette étude, qui n’embrassa d’abord qu’un amas de phénomènes physiques et de combinaisons chimiques, dont la découverte était le plus souvent due au hasard ; mais, qui, plus tard, devaient servir de matériaux pour construire cet admirable édifice des sciences physiques, une des gloires de la civilisation moderne.

De l’Inde la science des mages passa chez les Chaldéens, un des plus anciens peuples du monde, et de là chez les Égyptiens, nation superstitieuse et crédule, courbée sous un gouvernement essentiellement théocratique. Cachée au fond des temples, la magie se concentra dans le sein de la classe sacerdotale, qui fut, pendant si longtemps, la seule dépositaire des progrès de l’esprit humain ; l’histoire nous apprend quel immense parti elle sut en tirer pour dominer les peuples et contrebalancer la puissance des rois.

Le savant Mosès-Maimonidès, versé dans l’étude des sciences, nous apprend que la magie des Chaldéens se divisait en deux parties : la première avait pour but la connaissance des végétaux, des minéraux et des métaux ; la seconde précisait le temps, la saison et l’état de température où les opérations physiques et chimiques pouvaient se pratiquer avec succès. Ces études, première ébauche des sciences naturelles, permettaient à l’homme qui les possédait de prédire les phénomènes de la nature, toujours merveilleux ou surnaturels pour le vulgaire ignorant.

La magie joue un très grand rôle dans les traditions hébraïques : – Les Chananéens encoururent la colère de Dieu parce qu’ils usaient d’enchantements. – Balaam, assiégé par un roi d’Éthiopie, eut recours à la magie pour se délivrer de son ennemi. – L’épouse d’un Pharaon, versée dans la magie, en communiqua les secrets à l’enfant célèbre exposé sur les eaux du Nil, et Moïse, instruit par la reine, élevé par les prêtres égyptiens, surpassa bientôt ses maîtres dans les sciences occultes ; il devint puissant en paroles et en œuvres.

Les plus grands poètes et philosophes de la Grèce, Orphée, Homère, Pythagore, Platon, Lycurgue, Callisthène, etc., parcoururent l’Inde, la Chaldée et l’Égypte, où ils se firent initier à la science des mages, et rapportèrent dans leur patrie les connaissances physiques, astronomiques et théogoniques qu’ils y avaient puisées. Mais les prêtres égyptiens se bornaient à leur donner de simples notions, dénuées de toute théorie. Ce ne fut donc qu’à force de travail et d’observations que Thalès put prédire une éclipse. Ce ne fut aussi qu’à l’aide de son vaste génie que Pythagore trouva la démonstration de l’égalité du carré de l’hypoténuse à la somme des carrés des deux autres côtés du triangle rectangle. Rome, à son tour, emprunta à la Grèce ses arts et ses secrets et les répandit sur le reste de l’Occident.

Si l’on consulte les légendes du Nord, on y voit la magie également ancienne, également puissante. Les druides, dans leurs sombres forêts, les prêtres d’Odin, au fond de leurs antres glacés, employaient des moyens analogues à ceux des Indiens ou des Égyptiens pour opérer des prestiges, et se livraient comme eux à une foule de pratiques plus ou moins bizarres et superstitieuses. Doit-on en conclure que les prêtres gaulois et scandinaves avaient tiré leur science de l’Inde ou de l’Égypte ? Cette question a été résolue affirmativement par les uns, négativement par les autres. Malgré ce conflit d’opinions, il est aujourd’hui généralement admis que les premiers hommes versés dans les sciences furent appelés mages chez les Perses, – gymnosophistes chez les Indiens, – prêtres chez les Égyptiens, – philosophes chez les Grecs, – doctes, érudits chez les Romains, – druides chez les Gaulois… etc., etc.

Mais la magie perdit bientôt son caractère de pureté primitive ; les charlatans et jongleurs de toute espèce s’emparèrent de ce qu’elle offrait de merveilleux, de surnaturel en apparence et, sous le nom de sciences occultes, l’entourèrent d’une foule de pratiques secrètes plus ou moins prestigieuses, dans le double but d’accaparer le pouvoir et les richesses, et de se rendre maîtres, par la crainte, du vulgaire ignorant.

Arrêtons-nous ici un instant pour examiner la magie et ses immenses progrès dans la grande civilisation romaine. Si les Grecs s’adonnèrent publiquement à la magie après les conquêtes d’Alexandre, les Romains, sous le règne d’Auguste, les laissèrent bien loin derrière eux. L’érudit Brucker dit que pendant les dernières années du règne d’Auguste, vanté comme une période de lumières et de calme, plusieurs philosophes donnaient des leçons de magie. – Suétone avoue, à la honte des Romains, que plus de deux mille volumes de magie et de prédictions étaient alors dans les mains des particuliers. – Horace rapporte que les Romains erraient dans les tombeaux, ramassant les ossements et les herbes pour pratiquer des évocations. – Tibère proscrivit les magiciens ; mais il avait des astrologues à sa cour et ne faisait rien sans les consulter. – Néron fit venir à Rome le fameux magicien Tiridate, pour être initié aux secrets de son art. – Vespasien chassait les magiciens par les édits et les rappelait par ses largesses. – Le cruel Domitien en avait attaché plusieurs à sa personne. – Adrien leur accordait sa confiance. Cet empereur, ami des arts, et qui luttait d’éloquence avec les rhéteurs, de sophisme avec les sophistes, voulut aussi lutter de sorcellerie avec les sorciers. – Marc-Aurèle se faisait accompagner de l’astrologue Arnuphis, Égyptien d’origine. – Le père de Caracalla, aussi rusé qu’habile, ne put se défendre de cette folie ; il poussa la crédulité jusqu’à épouser une femme parce que l’oracle avait prédit que cette femme épouserait le souverain du monde. – Alexandre-Sévère, malgré les lumières de sa raison, institua des chaires publiques d’astrologie. – Dioclétien tua de sa propre main, sur la prédiction d’un druide, un malheureux dont le nom réalisait la prophétie qui l’appelait à l’empire. – Constantin, avant sa conversion, avait immolé, d’après les rites magiques, des lions amenés du fond de la Lybie.

Pendant toute cette période de temps, la magie fut la passion dominante. Les villes et villages étaient remplis de magiciens ; chaque localité avait sa statue, sa caverne miraculeuse ; et il n’était d’individus, qui ne possédât son talisman. Les philosophes ne pouvaient entrer dans les riches maisons comme précepteurs qu’en opérant des prestiges. La magie servait de base à toutes les sciences : la médecine n’était plus qu’un vil ramas de formules mystérieuses. Le médecin Xénocrate, d’Aphrodisium, composa un traité sur l’art de guérir, dans lequel il signalait les incantations et les amulettes comme d’excellents remèdes. Les personnes à qui on avait dérobé des objets précieux avaient recours aux magiciens plutôt qu’aux magistrats, pour découvrir les voleurs. Enfin, les chefs de l’État, les gouverneurs, interrogeaient les devins et devineresses sur le sort de l’Empire. Cette étrange maladie, après avoir envahi la société entière, devint féroce, homicide. On fit des sacrifices humains ; on tua des enfants, et leurs membres, dépecés selon les rites magiques, servirent à évoquer les puissances inconnues. Pendant tout le temps que dura cette déplorable maladie, chez les Romains et les peuples conquis, les égarements de la raison arrivèrent à leur comble.

Aux siècles de barbarie, où la religion s’entourait de fanatisme et de superstition, la magie dégénérée fit une foule de dupes et servit parfaitement les projets ambitieux d’une classe déjà puissante. Mais l’art divinatoire ne pouvait rester constamment entre les mains de quelques privilégiés ; les énormes profits qu’il rapportait tentèrent la cupidité, et l’on vit surgir, de toute part une foule de prophètes, de devins, de sorciers, d’enchanteurs et de charlatans qui se mirent à exploiter la crédulité publique avec une incroyable audace.

De ce moment, la magie avait atteint son apogée et devait bientôt tomber en discrédit ; car toutes les choses humaines ont leur degré suprême et leur déclin. Ce fut surtout au Moyen Âge que la magie et la sorcellerie produisirent d’affreux ravages au sein des sociétés imbues de fausses idées religieuses. Pendant cette période, si fatale aux progrès de l’humanité, la fantasmagorie infernale et la superstition portèrent de tous côtés la terreur et l’effroi. Des hommes éminents, soit par politique, soit par conviction, entretinrent ces funestes idées par leur croyance irréfléchie, de telle sorte que les populations timorées vivaient incessamment sous l’empire de la crainte des légions diaboliques, des magiciens et des sorciers. On sait que la frayeur enraye les forces vitales et rend l’homme pusillanime ; on sait aussi que la frayeur peut se propager épidémiquement et envahir une ville, une province entière ; c’est ce qui arriva sur plusieurs points de l’Europe. Les faits les plus authentiques à ce sujet seront relatés dans le courant de cet ouvrage. Fort heureusement pour l’humanité, il se trouva quelques philosophes qui attaquèrent ces abus et ne craignirent pas d’exposer leur vie pour saper et détruire cette absurde croyance à la démonologie. Mais le langage et les écrits de ces philanthropes de cœur et de raison n’étaient compris que de la portion intelligente de la société, tandis que la masse restait ignorante et brutale. Il fallut une grande commotion sociale, une révolution radicale dans les mœurs et les idées, pour extirper en France cette croyance absurde et donner l’essor à la raison. Ce n’est guère qu’à dater de 1793 que la magie tomba complètement en discrédit, et, quoique le peuple soit aujourd’hui plus éclairé qu’autrefois, il existe encore dans les campagnes une foule de bonnes gens qui croient aux sorciers, aux revenants et aux loups-garous.

SECTION IIAltération de la magie

TOMBÉE DANS LE DOMAINE PUBLIC, LA MAGIE SE DIVISE EN DIFFÉRENTS GENRES

La science des mages, fruit d’une longue, d’une incessante étude des secrets de la nature, franchit enfin, après bien des siècles, le sanctuaire des temples pour s’établir dans le domaine profane. Ce mouvement s’opéra le jour où quelques membres du collège sacerdotal, mécontents de leur position, cherchèrent à s’en créer une meilleure en tirant parti de leur savoir. Ces ambitieux se dispersèrent dans les cités populeuses, sous les différents noms de magiciens, d’enchanteurs, goétiens, devins, astrologues, etc., et, au moyen de leurs connaissances physico-chimiques et astronomiques, se firent passer, aux yeux du vulgaire, pour des êtres privilégiés à qui rien n’était impossible. Formés à leur école, une foule de charlatans plus ou moins audacieux, plus ou moins habiles se répandirent bientôt de tous côtés, annonçant avec effronterie qu’ils possédaient la clef des sciences occultes, que le livre du destin leur était ouvert et qu’ils pouvaient à leur gré opérer des miracles.

De ce moment, la science des mages avait perdu de sa pureté primitive et n’était plus qu’un grossier ramas de formules bizarres et de pratiques superstitieuses. Démocrite, qui avait été élevé à l’école des mages et passait pour avoir de profondes connaissances en histoire naturelle, s’engagea dans des luttes fréquentes contre les magiciens de son temps, en opposant à leurs prestiges des phénomènes prodigieux en apparence. Ce philosophe, d’après Lucien, ne croyait à aucun miracle et avait la persuasion que l’habileté des thaumaturges était de tromper les gens crédules ; il professait que la vraie magie se renfermait tout entière dans l’application et dans l’imitation des lois et des créations de la nature.

Le savant Mosès-Maimonidès, qui vivait au douzième siècle, a également fait savoir que la science des vrais mages consistait dans la connaissance des métaux, des plantes et des animaux, c’est-à-dire, dans des notions d’histoire naturelle.

Les Chaldéens passent pour avoir été le premier peuple qui se soit adonné à la magie dégénérée. Ils se rendirent si fameux dans cet art puéril, que les noms de Chaldéens et de magiciens devinrent, plus tard, synonymes. Sous le règne de Nabuchodonosor, le nombre des magiciens s’accrut tellement que, dans l’intérêt du métier, il fallut établir quatre catégories dont chacune comprenait une spécialité.

Les Khartumins ou enchanteurs possédaient exclusivement l’art de fasciner les yeux et de produire des illusions fantasmagoriques.

Les Ashaphins interprétaient les songes : Joseph fut très habile dans cet art ; on sait qu’il dut sa haute position en Égypte à l’interprétation des songes d’un Pharaon.

Les Khasdins ou astrologues prétendaient lire l’avenir dans les astres ; ils étaient particulièrement consultés dans les affaires majeures.

Enfin, dans la dernière catégorie se trouvaient relégués les Meskhafins, espèces de sorciers qui usaient de drogues composées d’herbes vénéneuses, de sang de cadavres et de matières dégoûtantes. On redoutait l’approche de ces êtres malfaisants parce qu’on les supposait en relation avec les divinités ténébreuses.

Les magiciens des trois premières catégories étaient, au contraire, en grande vénération et fréquentaient le palais des grands. Les rois avaient leurs astrologues qu’on regardait comme des personnages très importants.

Au temps de Moïse, les Khartumins avaient acquis une habileté très remarquable, et les différents tours qu’ils exécutaient ne seraient pas indignes de notre physique amusante. L’histoire sacrée dit : que les magiciens de Pharaon, Jamnès et Membrès, luttèrent de savoir-faire avec le législateur des Juifs, et qu’il fallut un miracle pour que Moïse remportât sur eux la victoire. On sait que ces magiciens, pour prouver leurs moyens occultes, jetèrent leurs baguettes sur le sable et qu’aussitôt elles commencèrent à se mouvoir comme des serpents. Moïse opéra le même prodige aux yeux de Pharaon et des Khartumins stupéfaits ; mais ce qui les étonna plus encore, c’est que, dit-on, sa verge dévora les deux autres.

Les prêtres de Memphis, voulant réduire ce fait thaumaturgique à un fait ordinaire, prétendirent que, Moïse ayant été instruit dans les sciences occultes par Jamnès et Membrès, sa victoire se réduisait à la vérité de cet axiome : les disciples, très souvent, en savent plus que les maîtres.

Ainsi que nous venons de le dire, le jour où quelques-uns des secrets magiques sortirent des temples pour se répandre au dehors, ils furent accueillis avec empressement par des gens adroits qui en tirèrent profit. Alors la magie, déviant de sa route naturelle, ne fut bientôt plus qu’un amas de formules bizarres, extravagantes, selon le caprice ou l’intérêt de ceux qui l’exploitaient ; alors, la caste sacerdotale distingua la science occulte en deux catégories : la magie divine ou bienfaisante dont elle seule possédait les secrets, et la magie noire ou goétie, magie absurde et malfaisante. (De nos jours, on a donné le nom de magie blanche à l’art du prestidigitateur, dans lequel ont excellé Comte et surtout Robert-Houdin, homme de génie, qui pratiquaient avec succès la physique et la chimie amusantes.)

Ce fut donc à dater de l’altération de la magie, époque lointaine et fort reculée, que l’on donna le nom de magiciens aux individus qui s’adonnaient à la goétie, tandis que les noms de mages et de devins furent conservés aux savants de la classe sacerdotale. Plus tard, on désigna par les noms d’enchanteurs, nécromanciens, sorciers, démonomantiens, etc., ceux qui se livraient au vain art de la goétie. Nous allons passer en revue ces différents genres de magie, afin d’en donner une idée nette au lecteur.

SECTION IIIMagie divine

THÉURGIE.– THAUMATURGIE

Tous les peuples de l’antiquité ont eu leurs hommes inspirés, leurs magiciens.

L’histoire sacrée les nomma prophètes, c’est-à-dire hommes privilégiés prédisant les choses futures, sous l’inspiration divine.

L’histoire profane les désigna sous les divers noms d’augures, aruspices, devins, horoscopistes, pythies ou pythonisses, sibylles, etc., etc.

Les devins, pythonisses et sibylles prédisaient également l’avenir sous l’inspiration divine. – Les augures et aruspices découvraient les choses cachées, par le vol, le chant, et la manière de manger des oiseaux ; par le murmure des brises à travers les arbres, et celui des eaux sur les cailloux ; par le passage des nuages, le cri des animaux, leur manière de porter la tête et la queue, etc., etc…, par l’inspection du foie et des entrailles d’une victime, etc.

Dans le but de satisfaire les amateurs d’étymologies, nous ferons les distinctions suivantes :

Prophète, mot tiré du grec, vient de πρó, avant, et de φἤμι, parler. – Prophétie signifie prédiction, fait annoncé avant le temps de son accomplissement ; c’est, enfin, la connaissance des choses à venir. Dans ce sens, Samuel prophétisa à Saül. – Le prophète parle sous l’inspiration divine, lorsqu’il prédit ce qui doit arriver.

Le devin découvre les choses cachées, – La divination regarde le présent et le passé, tandis que la prophétie a pour objet l’avenir.

Un homme d’intelligence et d’observation qui découvre les conséquences dans le principe et les effets dans la cause, pourrait être regardé comme prophète.

Un homme instruit qui connaît les rapports des mouvements physiognomoniques avec les affections de l’âme, pourrait passer pour devin.

Aujourd’hui que le temps des prophéties est passé, que les oracles se sont tus devant les progrès des sciences physiques et morales, on ne donne plus que par métaphore le nom de prophète à l’homme d’intelligence et d’observation qui cherche la conséquence dans les principes et découvre les effets dans la cause.

Ainsi, l’homme mûri dans l’étude des sciences politiques et sociales peut prédire longtemps d’avance les évènements qui doivent amener d’inévitables révolutions et changer la constitution d’un peuple. – Le médecin sage et versé dans son art pronostiquera, dès l’invasion d’une maladie, sa marche, sa durée, sa terminaison heureuse ou funeste. – Le vieux paysan qui, dès sa jeunesse, observe chaque jour l’état météorologique du ciel, se trompe rarement lorsqu’il annonce, pour le lendemain, du vent, de la pluie ou du beau temps. Ces prédictions, loin d’être surnaturelles, sont la conséquence logique de la science des probabilités.

Cependant, on a prétendu que certains êtres privilégiés avaient des intuitions, entendaient des voix intérieures qui leur annonçaient qu’un fait se passait loin d’eux et quelquefois à d’incroyables distances ; cette assertion est vraie jusqu’à un certain point ; mais ces intuitions et ces voix intérieures, qui nous semblent d’abord s’éloigner du cours des choses naturelles, reconnaissent une cause purement physique, et nous renvoyons le lecteur à notre petit ouvrage des Mystères du Sommeil et du Magnétisme, où cette intéressante question est traitée avec tous les détails qu’elle exige.

SECTION IVThéurgie – Thaumaturgie

THÉURGIE.– L’antiquité considérait la théurgie comme une science divine, ainsi que l’indique son étymologie (θέος ἐργóν, ouvrage de Dieu). Cette sorte de magie consistait à recourir aux génies bienfaisants pour produire des effets surnaturels ou supérieurs aux forces de l’homme. Le but de la théurgie était de perfectionner l’esprit et de rendre l’âme plus pure, en développant les hautes facultés de l’intelligence au détriment des instincts grossiers.

Aristophane attribue à Orphée les premières formules théurgiques dont il avait puisé la substance dans les temples égyptiens. Ces formules enseignaient comment il fallait servir les dieux et les apaiser lorsqu’ils étaient irrités ; comment on expiait les crimes, comment on guérissait les maladies du corps et de l’âme.

La formule suivante, conservée par Plotin, reste comme preuve de la pureté des sentiments des théurgistes :

« Marchez dans la voie de la justice ; adorez le seul maître de l’univers ; il est un, il est seul, il existe par lui-même ; tous les êtres lui doivent leur existence ; il agit dans eux et par eux ; il voit tout et n’a jamais été vu par des yeux mortels. »

Le prêtre théurgiste devait être irréprochable dans ses mœurs et sa conduite ; avant d’entrer en fonction, il était nécessaire qu’il s’y préparât par des jeûnes, des prières et diverses mortifications ; alors seulement il lui était permis d’entrer dans le sanctuaire du temple, où son esprit, dégagé de toute idée terrestre, s’éclairait aux lumières de la science divine.

Mais à mesure que l’initiation théurgique s’éloignait de son berceau, la pureté des formules primitives s’altérait par la substitution de mots nouveaux qu’on ajoutait pour remplacer ceux qu’on retranchait ; de telle sorte que les formules théurgiques des Grecs différaient notablement de celles des Égyptiens, et que celles des Romains, selon Jamblique, n’étaient plus qu’un monstrueux mélange de mots égyptiens, grecs et latins formant un langage bizarre que les initiés seuls pouvaient comprendre ; plus tard, ces formules devinrent inintelligibles.

THAUMATURGIE.– Le nombre toujours croissant des faits prodigieux que les païens opposaient aux néo-croyants, obligèrent ceux-ci d’établir une distinction entre les prodiges opérés par leurs antagonistes et les prodiges faits par eux, œuvre toute divine. Le mot théurgie ne pouvait plus leur convenir, puisque les païens s’en servaient ; ils créèrent donc celui de thaumaturgie (θαῦμα, miracle, et έργóν, ouvrage), qui devait désormais s’opposer à une confusion entre les prodiges des uns et les miracles des autres. En conséquence, il fut démontré que les païens n’avaient que des prestidigitateurs ou magiciens opérant par prestiges, tandis que les Nazaréens seuls possédaient des thaumaturges, ou êtres privilégiés opérant par miracles. Le prestige n’était qu’une illusion des sens produite par l’habileté du jongleur ; – le miracle, au contraire, ne pouvait s’opérer que par l’intervention d’une puissance surnaturelle ; ce dernier était, en un mot, le bouleversement des lois de la nature, ou, pour le moins, une suspension de ces lois pendant un temps plus ou moins long. Ainsi, le retour à la vie d’un cadavre en pleine putréfaction ; – le soleil arrêté dans sa course ; – Jonas avalé par une baleine dont l’étroit gosier ne peut donner passage qu’à de très petits poissons ; son séjour pendant soixante-huit heures dans le ventre du cétacé, qui, après ce temps, le rend plein de santé à ses amis ; – l’histoire de la fournaise ardente dont trois jeunes hommes sortirent, après une heure d’épreuve, aussi frais que s’ils étaient sortis d’un bain froid ; – le passage de la mer à pied sec, etc., tous ces faits sont des miracles ; car ils nécessitent un bouleversement dans l’ordre de la nature, une suspension des lois éternelles.

Nous ne discuterons point sur l’impossibilité de ces faits ; de plus savants que nous ont déjà traité cette question, qui, d’ailleurs, n’entre point dans notre sujet. Nous ferons observer seulement que l’histoire de tous les peuples renferme de nombreux exemples de magie divine ; et l’on pourrait peut-être avancer que l’ancienne théurgie fut plus féconde en miracles que notre thaumaturgie.

Les Chaldéens disaient aux mages de l’Inde : « Nos prodiges surpassent les vôtres. » – Les prêtres égyptiens tenaient le même langage aux Chaldéens. – Les Grecs répondaient aux Égyptiens, qui vantaient leurs miracles : « Nous avouons que nous tenons de vous la science théurgique, mais vous ne pouvez nier que nous vous ayons surpassés de beaucoup à cet égard. En effet, si vos dieux se montrent de temps à autre à vos regards, les nôtres, plus familiers sans doute, nous visitent tous les jours. – Si vous nous offrez quelques résurrections, nous autres Grecs nous les comptons par centaines. – Quant aux métamorphoses, vous n’oseriez les comparer aux nôtres, ni pour le nombre ni pour la variété. »

Du reste, si l’on soumet à l’examen la plupart des prodiges opérés par les thaumaturges des différents peuples, on s’aperçoit bientôt qu’ils sont les mêmes ou qu’ils offrent une grande analogie entre eux. Ainsi, la source que fait jaillir Moïse d’un coup de sa baguette du rocher d’Horeb, n’était que la répétition de ce que Bacchus avait fait avant lui, en frappant la terre de son thyrse. Atalante avait également fait jaillir une fontaine d’un rocher en le frappant de sa lance. – La verge du législateur des Hébreux, fichée en terre et prenant racine ; – le bâton de Polycarpe, prenant racine et devenant un superbe cerisier, ne sont aussi que des copies de la massue d’Hercule, qui, plantée sur un coteau, s’était transformée en un olivier superbe. Ainsi donc, tous les prodiges des temps anciens se ressemblaient. Si nous passons aux temps plus modernes, nous voyons à peu près les mêmes choses. Les statues qui pleurent, qui suent ; les ânes qui parlent, les âmes des trépassés qui reviennent demander des prières, le sang coagulé qui se liquéfie sans qu’on y touche, etc., etc., ne sont plus aujourd’hui que des tours de physique amusante ; tandis qu’autrefois, et ce temps n’est pas très éloigné de nous, la foule acceptait tous ces faits avec crédulité.

Pendant le temps qu’il faisait subir à son peuple d’importantes réformes, Pierre le Grand, ayant appris qu’une image, peinte sur bois, versait de grosses larmes pour témoigner de son mécontentement des réformes qu’il opérait, fit signifier aux moines possesseurs de l’image qu’ils eussent à faire cesser le miracle, sous peine d’être tous pendus. Les moines savaient que le czar était homme de parole ; ils craignirent pour leur vie, et l’image ne pleura plus.

Sous le premier Empire, le général Championnet occupait la ville de Naples avec un faible corps de troupes. À l’instigation anglaise, une conspiration se trama contre la vie des Français, et devait éclater le jour de Saint Janvier. Le prétexte était celui-ci : – Tous les ans, à la même époque, le sang de saint Janvier, recueilli dans une fiole, est exposé, complètement figé, aux yeux de la multitude. Tous les regards sont fixés sur la fiole ; on attend dans un profond silence… Soudain, le sang se liquéfie sans qu’on y touche, et la foule pousse des cris de joie, car c’est bon signe. Lorsqu’au contraire la liquéfaction n’a pas lieu, c’est mauvais signe ; le ciel est irrité. Or, cette année-là, le saint devait se montrer irrité contre les Français, en laissant son sang congelé. Championnet éventa fort heureusement la conspiration ; il se rendit sur-le-champ au lieu où le sang devait être exposé, et dit tout bas à l’exposant, en lui montrant la gueule d’un pistolet : « Si le sang tarde à se liquéfier, je te brûle la cervelle sur place. Tu m’as entendu ?… »

Le sang se liquéfia presque aussitôt, parce que le général ne parlait jamais en vain, et la conspiration avorta.

Le liquide contenu dans la fiole, passant pour le sang de saint Janvier, est un mélange d’éther sulfurique et de spermaceti coloré en rouge avec de l’orcanette. Ce liquide reste figé à dix degrés au-dessus de zéro ; il se liquéfie à quinze et bouillonne à vingt degrés.

On ferait des volumes fort amusants, si l’on réunissait tous les faits de cette nature ; car, en tous temps et chez tous les peuples, on les retrouve plus ou moins bien habillés. La passion des hommes pour le merveilleux, et les fripons qui s’empressent d’exploiter ce côté faible de l’humanité, ont existé partout et toujours ; ce qui a donné lieu au proverbe : « Les prodiges et miracles modernes sont renouvelés des anciens. »

« Le charlatanisme, l’escamotage, si l’on me permet d’employer ce mot, dit Eusèbe de Salverte, ont certainement joué un grand rôle dans les œuvres thaumaturgiques. Les tours d’adresse quelquefois très surprenants que font sur nos théâtres nos habiles prestidigitateurs modernes, ont souvent pour principe des faits physiques et chimiques. Pour le grossier charlatan, le secret de ces prestiges n’est qu’une série de recettes ; pour les hommes instruits, ces recettes dérivent d’une vraie science : voilà ce que nous retrouvons dans les temples aussitôt que les lumières historiques nous permettent d’y pénétrer… »

Tous les miracles qui n’appartenaient pas à l’adresse ou à l’imposture étaient les fruits de cette science occulte ; c’étaient, en un mot, de véritables expériences de physique. Les formules au moyen desquelles on en assurait le succès durent faire partie de l’enseignement sacerdotal. Si les thaumaturges modernes, entourés de spectateurs trop éclairés, se refusent à opérer des miracles, c’est qu’ils savent que le temps des miracles est passé. Nous sommes aujourd’hui trop éclairés pour y croire. En d’autres termes : ce qui formait une science secrète, uniquement réservée à une classe privilégiée, est rentré dans le domaine des sciences accessibles à tous les esprits.

Enfin, le dernier résultat de la thaumaturgie fut qu’à force de voir et d’entendre raconter des choses merveilleuses, les peuples finirent par s’y habituer et à les regarder comme des choses ordinaires : l’habitude use tout. Alors, les prodiges, les miracles, si fréquents chez les anciens, diminuèrent peu à peu, tombèrent en discrédit, devinrent de plus en plus rares, et la thaumaturgie, qui avait jeté tant d’éclat, s’éclipsa sans retour devant les lumières de la civilisation moderne.

Chapitre II
SECTION PREMIÈREMagie noire ou goétie

Les philosophes Plotin, Porphyre et Jamblique définissent la goétie : l’art d’évoquer les esprits infernaux pour porter la désolation parmi les hommes. Mais on peut embrasser sous cette dénomination tout ce qui se rattache à l’art chimérique des magiciens de tous les âges, de tous les peuples, espèces de fous ou de gens mal intentionnés qui prétendaient tenir leur savoir d’une puissance occulte.

En compulsant les annales des superstitions humaines, on rencontre sur tous les points du globe cette classe de fous, d’illuminés et d’imposteurs dont les pratiques mystérieuses, bizarres, quelquefois infâmes, imposaient au vulgaire ignorant. Selon les époques et les peuples, le nom de ces magiciens change, mais les pratiques et le but sont constamment les mêmes : inspirer la crainte, tromper pour s’enrichir, dominer les hommes en les abrutissant.

C’était pendant les nuits profondes et orageuses, dans les lieux retirés auxquels s’attachaient d’effrayants souvenirs, que les goétiens opéraient leurs incantations. Ils s’entouraient d’un appareil lugubre, propre à inspirer la terreur, et poussaient des cris lamentables ; ils violaient les tombeaux, s’emparaient des cadavres et fouillaient dans leurs viscères pour prendre les ingrédients qui entraient dans la composition de leurs charmes, de leurs maléfices. Ils se servaient d’herbes vénéneuses, de substances plus ou moins dégoûtantes, et allaient même jusqu’à égorger des enfants dont le sang donnait plus de force à leurs incantations. On leur supposait le pouvoir de jeter des sorts sur les hommes et les animaux, de les frapper de maladies ou de mort, d’intervertir l’ordre de la nature, de bouleverser les éléments, les saisons, d’intercepter ou de refroidir les rayons du soleil, de faire sécher sur pied les moissons, de s’opposer à la maturité des fruits, etc., etc., etc.

Où placer le berceau de la magie noire ? Nous pensons, avec l’érudit Tiedemann, que cette magie a pu se développer isolément au sein de toutes les sociétés, par la raison qu’il y eut toujours des ambitieux, d’adroits jongleurs et des gens superstitieux, autrement dit des fripons et des dupes.

Qu’induire de cette croyance générale à la magie, à la sorcellerie, sinon que le consentement unanime des peuples n’est point une preuve infaillible de vérité. Ces êtres étaient profondément redoutés, on craignait leur approche et on satisfaisait à l’instant à leurs exigences dans la crainte d’encourir leur colère.

Nous avons déjà relaté le fait historique signalant, parmi les anciens peuples, les Chaldéens comme particulièrement adonnés à la goétie ; les Égyptiens l’apprirent d’eux et, en peu de temps, devinrent fort habiles dans l’art des évocations et des prestiges. Esclaves des Égyptiens, les Hébreux reçurent des leçons de leurs maîtres, et bientôt la magie fit de tels progrès parmi le peuple d’Israël, que Moïse, effrayé de son extension et pour en arrêter les progrès, ordonna qu’on lapidât hommes et femmes qui se livreraient à cet abominable métier. (LÉVITIQUE, chap. XX.)

La Grèce, l’Italie et les Gaules reçurent de l’Égypte leurs sciences, leurs arts, leur religion, et par conséquent les superstitions qui y étaient attachées. Nous allons voir que l’art divinatoire fit, en Grèce, d’immenses progrès ; le nombre des oracles, des devins, pythies et magiciennes fut réellement prodigieux. On croyait alors que certains hommes privilégiés pouvaient faire violence aux dieux et que le mortel peut châtier l’idole qui refuse d’exaucer sa prière. Lorsque les sacrifices étaient d’un sinistre augure, les Grecs les recommençaient pour contraindre les dieux à leur être favorables. Les Orphiques prétendaient qu’on pouvait non seulement obtenir du ciel le pardon de tous ses crimes, mais encore contraindre les immortels aux volontés humaines. La même croyance existait chez les Romains : Pline, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse ont transmis plusieurs anecdotes qui prouvent que les décrets divins pouvaient être changés ou éludés par le savoir-faire des prêtres. La ruse d’un augure arrêtait ou changeait la volonté des dieux ; c’est ce que Pline démontre, en représentant Jupiter contraint, par les conjurations puissantes de Picus et de Faune, à quitter l’Olympe pour venir sur terre enseigner à Numa Pompilius l’art des prodiges. – Dans Lucain et Stace, on trouve des menaces adressées aux mânes pour accélérer leur obéissance. – Sous le règne de l’empereur Julien, Chrysanthe et Maxime sont invités par ce prince à se rendre à sa cour ; mais, comme ils ne rencontrent que des présages sinistres, obligeons, disent-ils, obligeons les dieux à vouloir ce que nous voulons ; et ils recommencent les opérations théurgiques. Ces idées étaient tellement enracinées dans l’ancienne civilisation, que les hommes les plus éminents y croyaient de bonne foi.

La persuasion que la volonté des dieux peut être brisée par l’énergique volonté de certains hommes, se trouve aussi chez les Perses, les Gaulois, les Germains, les Celtes, les Armoricains et autres anciens peuples. Les druides se servaient de paroles magiques pour se rendre invulnérables, pour arrêter les progrès d’un incendie, pour exciter ou calmer les tempêtes, pour troubler la raison de leurs ennemis. – Les drottes ou magiciens de l’Armorique prétendaient ressusciter les morts au moyen de paroles mystérieuses ; ils assuraient pouvoir donner ou guérir toutes sortes de maladies. On trouve dans l’Havamaal Scandinave ce curieux passage :

« Savez-vous, y dit Odin, comment on doit écrire les runes, les expliquer, éprouver leurs vertus ? Je sais des paroles que nul enfant des hommes ne connaît ; des paroles qui chassent la plainte, les souffrances et les chagrins. J’en sais qui émoussent le tranchant des armes, qui brisent les plus fortes chaînes, qui apaisent l’orage et ramènent la sérénité au ciel ; j’arrête les vents qui poussent les nuages, et d’un regard je puis calmer la mer irritée. Quand je trace des caractères sacrés, les habitants des tombeaux se réveillent et viennent à moi. Si je répands de l’eau sur l’enfant nouveau-né, le fer ne peut plus rien contre lui. Je dévoile la nature des dieux, des génies et des hommes ; j’éveille le désir dans le cœur de la vierge la plus chaste ; je sais inspirer l’amour ou la haine ; rendre les femmes fécondes ou stériles ; je puis redoubler ou abattre le courage des guerriers… »

Chez les peuples du Latium, les augures prétendaient aussi, en se servant de paroles magiques, pouvoir enchaîner les vents, calmer la tempête, diriger la foudre, enlever aux serpents leur venin, et, ce qui est plus fort, décrocher la lune du firmament pour la faire descendre sur terre.

Les Scythes avaient aussi leurs magiciens qui opéraient les mêmes prodiges que ceux des autres peuples ; néanmoins, il faut le dire à leur louange, ces enchanteurs étaient bien moins nombreux chez eux que chez les autres nations.

Si nous remontons les âges, nous voyons, aux temps héroïques de la Grèce, la magicienne Circé composer des breuvages dont le pouvoir métamorphose les compagnons d’Ulysse en animaux immondes ; fait allégorique, dont le vrai sens signifie que Circé composait, avec certaines plantes, un breuvage dont l’action sur le cerveau avait pour résultat la suspension momentanée de la raison et de la volonté. Mais ce fut surtout dans l’art des empoisonnements qu’excella cette magicienne. Le premier essai qu’elle fit de ses compositions fut sur son mari, ce qui la rendit si odieuse dans sa contrée, qu’elle se vit forcée de prendre la fuite. Elle changea, dit-on, Scylla en monstre marin, et Picus, roi d’Italie, en pivert. Ulysse lui-même, plus heureux que ses compagnons, n’échappa aux enchantements de la magicienne qu’au moyen d’une plante nommée moly que Minerve lui avait donnée comme préservatif.

Médée était aussi très savante dans la connaissance des plantes ; elle parvint à rajeunir Éson, ou du moins à prolonger son existence au-delà du terme naturel. De même que Circé, elle devint une célèbre empoisonneuse. Euripide lui attribue différents meurtres, entre autres ceux de Créon, d’Absyrte et de Pélias ; il l’accuse, en outre, d’avoir empoisonné sa propre fille. L’historien Diodore de Sicile nous dépeint Circé et Médée comme deux goétiennes redoutables, inspirant l’épouvante et l’horreur.

Les Romains eurent aussi leurs goétiens et leurs magiciennes taillées sur le modèle de ceux des Grecs, et il n’y avait pas que le vulgaire ignorant qui crût à leur pouvoir : car si Caton, Lucrèce et Cicéron s’en moquaient, Virgile, Ovide, Horace et d’autres poètes semblent y avoir ajouté foi. Horace surtout reproche très amèrement aux magiciennes Hermonide, Sagane et Canidie leurs odieux maléfices. Il fut un moment où les premières têtes de l’empire se montrèrent saisies de cette singulière folie. L’on reproche à Sextus, fils du grand Pompée, d’avoir immolé un enfant dans une de ces horribles incantations. L’empereur Claude eut recours à l’art d’une magicienne pour éteindre la honteuse passion qui s’était allumée dans le sein de son épouse.

Au milieu de leurs sombres forêts, dans les Gaules et les Îles-Britanniques, une certaine classe de druides, surtout de druidesses, se livraient à la divination et à la magie noire ; leurs pratiques étaient à peu près les mêmes que celle des magiciens des autres peuples, c’est-à-dire entachées de superstitions barbares.

La récolte du gui, de la verveine, du sciage ou pulsatille, la recherche de l’œuf serpentin auxquels ils attribuaient de grandes vertus, se faisaient d’une manière mystérieuse et bizarre. Les druides arrachaient le selage avec la main droite recouverte de leur robe, et passaient furtivement cette plante dans la main gauche, comme s’ils faisaient un vol. Il était nécessaire d’avoir la tête et les pieds nus en la cueillant. L’œuf serpentin, selon eux, se formait de la bave des reptiles, pendant la saison de leurs amours. La recherche de cet œuf offrait de grands dangers, car les reptiles poursuivaient à outrance l’audacieux qui la tentait ; c’est pourquoi on ne s’y aventurait que monté sur un coursier rapide, et, aussitôt qu’il s’en était saisi, le cavalier s’enfuyait au galop. Le possesseur d’un œuf serpentin devenait un être privilégié ; il pouvait tout entreprendre, tout lui réussissait ; ce rare talisman jouissait d’un si merveilleux pouvoir, qu’il suffisait de le toucher pour éprouver son heureuse influence ; il guérissait les maladies, donnait la force et le courage, rétablissait les fortunes endommagées, effaçait les haines, ramenait la concorde parmi les ennemis les plus acharnés, etc., etc.

Le don de la divination et des prodiges était particulièrement dévolu aux druidesses ; elles avaient leur temple, leur collège et leurs assemblées où personne qu’elles ne pouvait pénétrer sous peine de mort. Respectées et vénérées des Gaulois, ces femmes jouissaient d’un pouvoir illimité. On croyait qu’elles connaissaient tous les secrets de la nature ; qu’elles pouvaient dispenser le bonheur dans les familles ou les accabler de malheurs ; aussi l’on redoutait leur haine et l’on cultivait leur amitié par des présents et des honneurs. À leur voix, les vents se déchaînaient ou se calmaient ; le ciel se couvrait de nuages et se rassérénait ; elles tiraient des présages du murmure des eaux et des feuillages ; mais elles interrogeaient plus fréquemment, à l’exemple des druides, les entrailles sanglantes des victimes. Enfin, elles avaient le don de lire dans les astres la destinée des hommes, et traçaient l’horoscope des rois et des grands qui venaient les consulter.

Les druidesses adonnées à la magie noire se servaient du sang de hibou, de chauve-souris, d’agneau et de chat noirs pour donner plus de force à leurs enchantements. Comme les magiciennes de Thessalie, elles opéraient dans des lieux sombres et retirés ; les prédictions qu’elles faisaient se réalisaient assez souvent à cause de la terreur qu’elles savaient inspirer. Leur réputation dans les arts magiques et divinatoires eut tant de retentissement, que les empereurs romains, après la conquête des Gaules, les firent souvent consulter de préférence aux sibylles. On dit qu’à l’exemple des druides, qui immolaient des hommes dans leurs sacrifices, les druidesses égorgeaient des enfants et arrosaient le sol de leur sang, pour rendre encore plus terrible l’appareil lugubre dont elles s’entouraient.

Ces sacrifices et ces incantations où figuraient des victimes humaines, avaient encore lieu dans les Gaules au cinquième siècle de notre ère, et ce ne fut que longtemps après la destruction des idoles et des cérémonies druidiques par le Christianisme, qu’ils furent entièrement abolis.

Les civilisations anciennes, admirables sous d’autres rapports, ne furent point assez fortes pour extirper cet amour du merveilleux, véritable maladie qui sévissait sur la presque totalité des nations. Cependant, on s’aperçoit que, pendant la période appelée les beaux temps de Rome, le nombre des magiciens diminuait au fur et à mesure que les esprits s’éclairaient et devenaient moins crédules ; malheureusement l’invasion des barbares et la ruine de l’empire romain arrêtèrent les progrès de la raison humaine ; de profondes ténèbres étouffèrent les lumières naissantes, un immense désordre régna de toutes parts.

Ce fut à ces époques, pleines de dévouements sublimes et rouges du sang des martyrs, qu’une lutte terrible s’engagea entre les sectateurs du paganisme et les apôtres d’une religion nouvelle qui devait changer la face de l’humanité. Les uns et les autres firent des choses si extraordinaires, si prodigieuses, qu’on serait tenté de les nier, si l’histoire n’avait établi ces faits d’une manière authentique. Pendant de longs siècles encore, l’ignorance et les superstitions étendirent leur sombre linceul sur les sociétés, et les magiciens, sous le nom de sorciers, recommencèrent leurs tours et leurs étranges folies.

SECTION IIPratiques et cérémonies religieuses

Les pratiques et cérémonies magiques s’entouraient toujours d’un appareil bizarre et lugubre, afin de frapper l’imagination des consultants et leur inspirer une espèce de crainte, dans l’attente de ce qui allait arriver. Les magiciens et surtout les magiciennes prétendirent que le pouvoir de leurs incantations forçait les âmes des morts à paraître à leur voix, et ils exploitèrent largement cette branche d’industrie.

Ce fut surtout en Thessalie que la magie noire ou goétie établit son empire. Mycale, une des plus fameuses magiciennes de ce pays, était si profondément versée dans son art, qu’elle pouvait, d’après la croyance vulgaire, opérer, à son gré, les plus étranges métamorphoses ; on prétendait même que son pouvoir allait jusqu’à faire descendre la lune sur terre. Du reste, la Thessalie jouissait d’une telle renommée, à cet égard, que souvent les auteurs de l’antiquité emploient le mot Thessalienne pour désigner une habile magicienne.

La description suivante donnera au lecteur une idée des ridicules et dégoûtantes pratiques de ces magiciennes, ainsi que de leur puissance sur l’imagination timorée des sots qui les consultaient. On trouve dans une vieille chronique thessalienne, la préparation suivante dont usait Mycale pour opérer ses enchantements :

La magicienne faisait bouillir dans une chaudière : – trois têtes de hiboux, – trois têtes de chats noirs, – une tête de vipère, – deux crapauds entiers et autant de salamandres, – neuf scorpions et dix-sept araignées, – le fiel d’un bouc, – le placenta d’une hyène, – le cordon ombilical d’une panthère, – l’urine d’une tigresse, – le sang fraîchement tiré des veines d’un enfant de trois ans, – le crâne et les clavicules d’un squelette humain ; elle ajoutait à ces divers ingrédients des herbes plus ou moins vénéneuses, telles que la ciguë, le pavot noir, la jusquiame, l’euphorbe, la mandragore-atropos, etc… Lorsque le liquide avait été suffisamment épaissi par le feu, la magicienne le versait dans des vases qu’elle fermait hermétiquement et s’en servait dans l’occasion pour opérer ses abominables maléfices. La chronique ajoute qu’une troupe d’enfants, passant d’aventure près de la caverne où Mycale préparait ses breuvages, et ayant eu l’imprudente curiosité de la regarder, l’œil de la Thessalienne flamboya de colère, un râle sourd sortit de sa gorge, et les pauvres enfants, aspergés par elle de la liqueur qu’elle composait, furent soudainement métamorphosés en oursons.

Un fait d’autant plus important qu’il a pu passer inaperçu est celui-ci : Lorsqu’après avoir franchi le seuil des temples, la science occulte fut tombée dans le domaine public, les prêtres qui, dans le principe, s’honoraient du titre de mages, de magiciens, décrièrent alors cette science, la poursuivirent et la condamnèrent ; le nom de magicien devint bientôt une injure, un sujet d’accusation. Le collège des pontifes fit poursuivre, comme sacrilèges, plusieurs individus accusés de magie et obtinrent leur condamnation à mort. – Démosthène rapporte que les Athéniens donnèrent la ciguë à la magicienne Théoride, convaincue d’affreux maléfices ; sa fille, versée dans son art, fut bannie et la maison qu’elle habitait démolie de fond en comble.

Nous ne vivons plus, fort heureusement, dans ces temps de ténèbres où les hommes croyaient à de semblables folies ; le bon sens se trouve aujourd’hui chez les enfants même, grâce aux lumières du siècle. Le commentateur de la chronique thessalienne ajoute, par comparaison, que la goétienne Mycale se montra moins impitoyable que le thaumaturge Élysée qui, pour punir une troupe d’enfants moqueurs, les fit dévorer par des ours sortis des forêts à sa voix. Ces deux fables sont une peinture fidèle du caractère des peuples où elles ont été inventées.

Chapitre III
§ 1er – Des oracles, de leur nombre et de leur importance chez les anciens

La réponse des oracles était, chez les anciens, la volonté des dieux, énoncée et transmise par une bouche humaine. Les oracles se rendaient dans les temples ou dans certains lieux sacrés, comme au sommet d’une montagne, au fond d’un bois, d’un vallon et surtout dans les cavernes. L’oracle prenait indistinctement le nom du dieu, de la déesse qu’on invoquait, ou celui de la ville dans laquelle il se trouvait.

Les énormes profits que rapportaient les oracles en multiplièrent extraordinairement le nombre ; on en fit un objet d’industrie et chaque pays voulut avoir le sien. Parmi les oracles les plus fréquentés on citait ceux de :

Jupiter, à Dodone et à Ammon, en Lybie.

Apollon, à Delphes, à Claros, à Didyme, à Héliopolis.

Junon, à Corinthe, à Nysa, à Égine.

Diane, à Éphèse.

Vénus, à Paphos, à Corinthe, à Aphaca, à Byblos.

Esculape, à Épidaure, à Pergame.

Minerve, à Mycènes.

Mars, en Thrace.

Mercure, à Patras.

Hercule, à Athènes, à Cadès.

Pan, en Arcadie.

Sérapis, à Alexandrie, à Babylone, à Canope.

Trophonius, en Béotie.

Amphiaraüs, à Argos.

Amphilochus, à Orope.

De Patare, en Lybie.

De Cumes, en Italie, etc., etc.

Mais les plus fameux étaient les oracles d’Apollon, à Delphes ; – de Jupiter-Ammon, en Lybie ; – d’Esculape, à Épidaure ; – de Trophonius, en Béotie, – et de Cumes, en Italie. – L’oracle de Delphes surtout éclipsa tous les autres ; on venait le consulter de tous les points du monde ; son immense réputation traversa l’antiquité et ne s’éteignit que dans les premiers siècles du Christianisme.

Oracle de Delphes

La ville de Delphes, si célèbre dans les annales de l’histoire, n’était qu’un chétif hameau avant l’installation de son oracle ; ce fut à lui qu’elle dut son développement, ses richesses et la magnificence de son temple. Diodore de Sicile s’exprime, à ce sujet, à peu près en ces termes :

« La ville de Delphes, située sur une colline du mont Parnasse, est entourée d’affreux précipices et de rochers ; la partie du mont qui la domine s’élève en amphithéâtre, et les excavations qu’elle renferme produisent un grand nombre d’échos qui se renvoient l’un à l’autre le bruit des trompettes et des voix humaines, de façon à étonner et même à effrayer les étrangers. »

Au fond de la vallée qui, d’un côté, limite la ville, existait une crevasse à laquelle personne n’avait fait attention. Des chèvres qui paissaient aux environs s’en étant approchées, se mirent soudainement à bondir d’une manière étrange, et à pousser des bêlements tout à fait singuliers. Le pâtre Corétas, leur gardien, étonné de ce qu’il voyait, crut d’abord que l’excavation cachait quelque hideux animal dont l’aspect avait effrayé ses chèvres. Poussé par la curiosité, il voulut regarder au fond de la crevasse ; mais, à peine y eut-il engagé sa tête qu’il fut saisi d’un délirant enthousiasme, se mit à sauter follement comme ses chèvres, et finit par tomber sur le sol, couvert de sueur, épuisé de fatigue. Alors, il se crut transporté dans les cieux ; tout ce qu’il voyait lui semblait merveilleux ; le livre du destin s’ouvrit devant lui, et il y lut l’avenir.

Les paysans du voisinage, accourus en foule pour entendre Corétas, ne manquèrent pas d’attribuer son langage à l’esprit divin sortant de la crevasse ; et chacun voulut éprouver la vertu prophétique des exhalaisons. Tous ceux qui approchèrent de la crevasse furent saisis d’enthousiasme et de transports semblables à ceux du pâtre Corétas. La renommée publia ces prodiges, et la foule accourut de toutes parts pour en être témoin. Plusieurs fanatiques se précipitèrent dans le gouffre, afin de voir de plus près le dieu qui s’y tenait caché. Ces excès se renouvelant assez fréquemment, l’autorité intervint et fit fermer l’ouverture par un grillage de barres de fer, supporté par trois pieds, ce qui lui fit donner le nom de trépied ; c’est sur ce fameux trépied que s’asseyait la Pythie, lorsqu’elle rendait ses oracles.

Les prêtres de Delphes accréditèrent de plus en plus la fable du pâtre Corétas ; ils persuadèrent aux hommes qu’Apollon était caché au fond de la crevasse, et qu’il passait dans le corps de ceux qui en recevaient les exhalaisons. De ce moment, le succès de l’oracle fut assuré ; on se hâta de construire un temple magnifique sur l’antre sacré. Un collège de prêtres s’organisa pour exploiter ce genre d’industrie, qui leur valut d’immenses richesses, et l’on choisit une jeune fille pour transmettre aux hommes les réponses d’Apollon pythien.

Cette jeune fille fut nommée Pythie ou Pythonisse, en mémoire du fameux combat qu’Apollon livra au serpent Python, qui désolait la campagne de Delphes. La peau de ce monstrueux reptile était suspendue dans le temple comme trophée de la victoire, et servait à entourer le trépied sur lequel venait s’asseoir la Pythonisse.

§ II – Oracle de Dodone (En Épire)

Cet oracle, un des plus anciens de la Grèce, ne fut d’abord que la simple interprétation du murmure d’une fontaine qui sourdait au milieu d’un bois de chênes. Une vieille femme nommée Pélias habitait une cabane près de la fontaine, et dévoilait l’avenir à ceux qui venaient la consulter, au moyen de l’hydromancie. Plus tard, un temple superbe s’éleva sur la place qu’occupait la chétive cabane de la sibylle ; on environna le temple de colonnes de marbre sur lesquelles on plaça des vases d’airain. Les branches de chêne agitées par le vent frappaient ces vases et rendaient différents sons que les prêtres interprétaient à leur manière.

§ III – Oracle de Jupiter-Ammon (En Lybie)

Cet oracle, aussi célèbre que celui de Dodone, se rendait de la manière suivante :

Quatre-vingts prêtres plaçaient sur leurs épaules un immense navire, dans lequel était assise la statue de Jupiter, couverte d’or et de pierreries ; ils sortaient du temple et marchaient dans la campagne sans suivre de route tracée, comme conduits par l’esprit divin. Une troupe de jeunes filles accompagnait cette procession, les unes dansant au son des cymbales, les autres chantant des hymnes en l’honneur de Jupiter-Ammon. Au bout d’une heure de marche, la statue fronçait les sourcils ; alors les prêtres s’arrêtaient, et une voix sourde, partant de l’intérieur de la statue, rendait l’oracle. Si les sourcils restaient immobiles jusqu’à la fin de la procession, c’est que Jupiter n’avait pas reçu une offrande digne de lui, et l’oracle restait muet.

Dans cette voix mystérieuse sortant de la statue, il n’est pas difficile de reconnaître un effet de ventriloquie. Parmi les prêtres, il se trouvait un ventriloque et un mécanicien ; le premier faisait parler Jupiter et le second faisait mouvoir les sourcils.

§ IV – Oracle de Trophonius (En Béotie)

Trophonius était un héros selon quelques historiens, et un brigand selon les autres. Ses talents pour l’architecture et la magie le rendirent célèbre, et après sa mort il fut déifié.

L’oracle de Trophonius se rendait sur une montagne de Béotie. Avant de le consulter, il fallait passer trois jours dans les jeûnes et les expiations de toutes sortes, puis on sacrifiait aux dieux et à Trophonius. Le quatrième jour, deux enfants venaient frotter le consultant avec des huiles préparées et lui faisaient boire deux breuvages, l’un semblable aux eaux du Léthé, pour effacer de son esprit toutes les pensées profanes ; l’autre, appelé l’eau de Mnémosyne, ayant la vertu de lui faire retenir tout ce qu’il allait voir et entendre dans l’antre sacré.

Une fois ces préparatifs terminés, on le conduisait à une excavation où se trouvait un trou large comme la bouche d’un four ; il descendait dans ce trou au moyen d’une échelle, et, arrivé au bas, il se trouvait au milieu d’une vaste salle où se dressait la statue colossale de Trophonius. Là, le consultant prenait sur un autel deux pains de miel et se couchait sur le dos : soudain, il se sentait entraîné par les pieds avec une effrayante vitesse. Pendant ce voyage dans les ténèbres, des bruits affreux, des voix étranges se faisaient entendre ; le tonnerre grondait et la foudre illuminait ces sombres demeures. Enfin, les bruits diminuaient peu à peu, un morne silence succédait à cet affreux tapage, et l’homme se retrouvait dans le temple, sans savoir comment il y avait été ramené. On l’asseyait sur la chaise de Mnémosyne ; on l’interrogeait sur ce qu’il avait vu, entendu, et, sur ses réponses, les prêtres établissaient l’oracle.