Histoires de fleurs - Collectif YBY - E-Book

Histoires de fleurs E-Book

Collectif YBY

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Beschreibung

La brise printanière fait tourner les pages de ce recueil aux dix univers florissants. Arrive l’été, et, pour fuir la chaleur oppressante, les personnages s’aventurent dans l’obscurité des sous-bois. Puis les feuilles tombent, emportant les amoureux dans une ronde mélancolique. Alors, il faut affronter le froid mordant de l’hiver ; les sentiments se fanent si facilement au rythme de la lente chute des flocons… Déjà, les rayons du soleil percent de nouveau : peut-être est-il temps que germent de nouvelles passions ?

[Pour public averti]


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Un recueil collectif de dix nouvelles illustrées, aux genres littéraires variés."

"Une grande richesse au niveau des représentations, avec des personnages très divers (queers, mais aussi racisés, handicapés, neuroatypiques, âgés…)"

"Chaque texte possède de belles qualités ! Ils ont chacun une identité, des personnages intéressants et des univers variés (parfois tellement bien établis !) qui nous permettent de voyager à travers les genres et les thématiques les plus diverses. Le tout agrémenté de superbes illustrations qui accompagnent parfaitement les textes et nous permettent de découvrir tout un tas d'artistes de talent"

"C'était un vrai régal de parcourir tant de mondes avec ce point commun fleuri, et je ne peux que vous recommander chaudement de tenter le voyage à votre tour !" - Éloïse Berrodier, chroniqueuse

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COUVERTURE ILLUSTRÉE PAR

Caly

Artiste-auteur, Caly est principalement connu·e pour ses séries manga Hana no Breath et Nova aux éditions H2T, ainsi que sa première bande dessinée, MaHo-Megumi (manga indépendant). Elle réalise également des illustrations, en grande majorité à l’encre ou à l’aquarelle, dans un univers magique au sein duquel l’automne est la plus longue des saisons.

magicaly.frcaly-magicaly.carrd.cofacebook.com/caly.frinstagram.com/magicaly_frtwitter.com/magicaly_fr

La Douceur des ronces

EXTRAIT ET RÉSUMÉ

Lorsqu’Aoi s’élance pour rejoindre le milieu de la salle, je dois lutter pour ne pas coller mon nez à la vitre. Des fleurs naissent sur son crâne. Quelques secondes plus tard, je vois des boutons d’or éclore et s’épanouir timidement. Les amis d’Aoi s’écartent, marquant ainsi le début d’un solo. En quelques pas, Aoi m’a totalement captivé.

Basil a un don : il peut voir les émotions des gens grâce aux plantes qui poussent sur leur tête. C’est dans les cheveux d’Aoi, son ami d’enfance, qu’il découvre pour la ­première fois de magnifiques œillets. Pourtant, lorsque Basil retrouve Aoi après des années de séparation, les fleurs éclatantes de ce dernier ont laissé place à de sombres ronces…

ÉCRIT PAR

Lou Linson

Quand elle ne parle pas avec passion de ses œuvres de fiction favorites, Lou Linson tente de se remettre à l’écriture. Véritable fangirl dans l’âme, elle aime lire des fanfictions, mais rêve aussi de créer ses propres histoires.

instagram.com/lou.linsontwitter.com/Lou_Linson

ILLUSTRÉ PAR

Lilblueorchid

Lilblueorchid est une artiste de développement visuel pour des séries animées pour enfants. Elle est également illustratrice et participe à de nombreux projets sur le côté. Son univers tourne autour de beaux paysages fleuris et des sentiments de nostalgie.

lilblueorchid.cominstagram.com/lilblueorchytwitter.com/Lilblueorchid

AVERTISSEMENT RELATIF AU CONTENU

Cette œuvre comporte des contenus ou passages pouvant heurter la sensibilité du public.

– Principaux : anxiété, souffrance psychique.

– Ponctuels : crise d’angoisse, harcèlement scolaire, parentalité toxique.

NOUVELLE

À Pascaline, Laurine et Sonia, mes précieuses amies Gryffinclaw : c’est grâce à vos encouragements que cette nouvelle a pu fleurir.

Fleur : du latin flos, la meilleure partie de quelque chose.

La première fois que je vis des fleurs éclore sur quelqu’un, j’avais huit ans. De gros œillets jaunes étaient apparus sur la tête de mon meilleur ami, Aoi, alors qu’il riait aux éclats. Les pétales formaient une couronne, ornant comme des bijoux ses cheveux anthracite. Ce spectacle inattendu me laissa sans voix. Au même moment, la sonnerie qui annonçait la fin de la récréation retentit, nous invitant à regagner notre salle de classe.

— Basil ? Pourquoi est-ce que tu me fixes comme ça ? me demanda Aoi, en sentant mon regard appuyé.

— Dans tes cheveux… commençai-je.

Je laissai soudain ma phrase en suspens, réalisant que de jolies plantes multicolores s’emmêlaient aux tignasses des autres enfants.

Je crus d’abord à une fête des fleurs improvisée, puis à un sort lancé par un vieux sorcier… Mais si tous les élèves portaient des couronnes de végétation, je devais également en avoir une ? À cette idée, je me mis à courir en direction d’une flaque.

— Basil ! Reviens ici !!!

Plus la voix de notre institutrice me rappelait à l’ordre, plus mon enthousiasme allait grandissant.

Désobéissant, je m’accroupis afin d’examiner mon reflet dans l’eau. J’espérais y voir des orchidées, mes plantes préférées.

— Basil ! répéta Aoi, qui m’avait emboité le pas. On va se faire disputer par Mme Valérie…

Il scruta la flaque à son tour, curieux.

— Tu cherches des crapauds ?

— Non, des orchidées… ou des œillets comme les tiens.

Mon cœur battait à mille à l’heure alors que je plissais les yeux pour discerner une image nette au milieu des vaguelettes qui composaient mon miroir improvisé. Après quelques secondes, un garçon aux cheveux roux en bataille – moi – m’y rendit mon regard. Notre sourire se fana immédiatement : il n’y avait pas l’ombre d’une fleur sur ma tête. Je clignai des paupières dans l’espoir d’apercevoir un changement. Toujours rien.

— Je vous appelle depuis plus d’une minute, vous deux ! s’exclama notre institutrice en nous rejoignant.

Sans prendre la peine de cacher ma déception, je me laissai entrainer de force en classe.

— Où est-ce que vous les avez eues ? demandai-je à Aoi, tout bas.

Mme Valérie nous tenait par la main et grommelait entre ses dents. Aoi fronça les sourcils, intrigué.

— Eu quoi ?

— Vos fleurs…

Aoi me fixa sans comprendre.

— Quoi ?

— Celles dans vos cheveux… là ?

Je pointai du doigt les œillets chatoyants d’Aoi.

— Et là… ajoutai-je en désignant à son tour Mme Valérie.

Aoi se retourna et commença à scruter notre institutrice, dont les iris manquaient d’éclat, mais restaient reconnaissables.

— Basil, personne n’a quoi que ce soit !

Les végétaux s’agitaient sur son crâne, au rythme de ses paroles. Mme Valérie ne s’énervait pas souvent, mais notre nonchalance la mit en colère. En se sentant observée, elle crut bon d’ajouter :

— La récréation est terminée. Fini les bêtises, maintenant. On retourne étudier !

En voyant ses iris virer brusquement au rouge, je poussai une exclamation de surprise.

— Je ne mens pas, je te jure, soufflai-je à Aoi, avant que Mme Valérie nous sépare, furieuse.

— Je te crois, me répondit mon ami en s’éloignant à contrecœur.

Personne à part moi n’avait ce don : ce fut la conclusion qu’Aoi et moi tirâmes après plusieurs semaines ­d’enquête. Ce n’était pas un « truc de grands » qu’on allait m’expliquer plus tard dans un guide sur le passage à l’adolescence – il n’existait aucun ouvrage sur la capacité à voir des plantes invisibles, j’avais vérifié. Ce n’était pas non plus quelque chose que les adultes pouvaient envisager comme réel. À leurs yeux, mes visions étaient l’équivalent du dernier jeu à la mode dans les cours d’école. C’est tout juste si ma mère m’offrit un livre sur les fleurs et leurs significations, pensant que je développais une nouvelle passion. Même mes camarades finirent par ne plus m’accor­der d’importance. Plus que jamais, Aoi devint un soutien dans cette forêt d’incertitude.

— Quelle fleur est-ce que je porte, aujourd’hui ? me demanda Aoi, curieux.

Il était en train d’essayer de reproduire un enchainement de danse de son clip favori. Allongé sur le bitume, je me redressai afin de mieux l’examiner. Il tourna sur lui-même, tentant une pirouette, ce qui ne m’aida pas à distinguer les bourgeons qui se mêlaient à ses cheveux.

— Aujourd’hui, ce sont des roses… je crois, l’informai-­­je après un temps de réflexion.

— De quelle couleur ? me demanda-t-il en effectuant un pas de côté.

J’entendis quelqu’un pouffer derrière nous, mais je n’y prêtai pas attention. Nous étions habitués. Certains ne voyaient pas d’un bon œil le fait qu’Aoi préfère danser en pleine rue plutôt que de jouer au foot comme tous les garçons. Quant à moi… j’étais obsédé par les fleurs, y avait-il autre chose à ajouter ?

— Je ne sais pas. Elles n’ont pas encore éclos, éludai-­­je. Il n’y a que du vert et des épines…

Aoi s’arrêta d’un coup et me fixa.

— Des épines ? répéta-t-il.

Je lus la curiosité sur son visage et j’eus un mauvais pressentiment.

— Tu crois qu’elles peuvent me faire saigner ?

Je tapotai le bout de mon nez, en pleine réflexion.

— Peut-être ?

Sans surprise, Aoi posa ses mains à l’endroit où il imaginait trouver des bourgeons invisibles. D’un point de vue extérieur, il devait avoir l’air de se recoiffer avec maladresse. Du mien, ses doigts se rapprochaient dangereusement du piquant acéré des épines. C’était un tout autre spectacle. Je me relevai, paniqué.

— Mais t’es fou ?!

Il me répondit d’un sourire amusé.

— Tu m’aides ? Si je ne peux pas les voir, je peux peut-être les toucher ?

Je soupirai et cédai, comme toujours quand Aoi avait une idée en tête. Je saisis sa main et la guidai jusqu’aux boutons de rose. Lorsque nos doigts les frôlèrent, les fleurs s’ouvrirent. Je savourai la douceur des pétales contre ma peau avant qu’une déflagration d’émotions ne me cloue sur place. J’eus l’impression que mon cœur allait exploser. Mon souffle se coupa sous le choc.

— Je ne sens rien, déclara Aoi.

De mon côté, c’était tout l’inverse. Je ressentais un mélange d’excitation et de déception. Les sentiments qui me traversaient n’étaient pas les miens. C’était comme si un courant électrique me reliait à Aoi, insaisissable mais d’une puissance terrifiante. Aoi baissa nos bras et rompit ainsi le contact avec les pétales. Je repris enfin le contrôle. Ce jour-là, je découvris non seulement que j’étais capable de toucher les fleurs invisibles, mais également qu’elles pouvaient me transmettre les émotions de leur porteur.

— Tu es un florilège ! me baptisa Aoi.

C’était un mot-valise qu’il avait composé, entre « fleur » et « sortilège ». Ce surnom, je l’adoptai avec joie : il prouvait que mon don était un secret qui n’appartenait qu’à nous.

D’année en année, je m’accoutumai à mes visions, et ces dernières gagnèrent en précision. La plupart du temps, les pétales se mêlaient aux cheveux, mais quand les émotions ressenties étaient particulièrement puissantes, elles s’enroulaient autour de leur porteur. C’était à la fois magnifique et terrifiant. Quand les humains étaient heureux, leurs fleurs s’épanouissaient et s’élevaient vers le soleil. Quand ils souffraient, elles les contraignaient, prenant la forme de plantes grimpantes. Elles tentaient de les tirer vers le bas avec une force plus redoutable encore que celle de la gravité. J’avais déjà vu des gens en être victimes et saigner à cause d’elles, mais je ne m’étais jamais attardé pour constater l’étendue des dégâts. Plus le lien entre la personne et moi était puissant, mieux je distinguais leur aspect. Les fleurs d’Aoi m’étaient toujours apparues nettes, mais celles des passants beaucoup plus floues.

Avec le temps, Aoi et moi finîmes par de moins en moins aborder le sujet de mes visions. Mon talent avait perdu de sa magie : les apparitions florales faisaient partie de mon étrange quotidien, c’était devenu ma normalité. De plus, si les couronnes des enfants me fascinaient par leurs multiples transformations, celles des adultes, à mesure qu’ils grandissaient, devenaient de plus en plus ternes. Celles d’Aoi ne firent pas exception, sauf lorsqu’il dansait. Alors, de merveilleux bourgeons revenaient orner ses cheveux.

L’été juste avant mes treize ans, Aoi m’annonça que sa famille et lui allaient déménager dans une autre ville de la région. Je fus dévasté par cette nouvelle. Je comprenais bien qu’Aoi n’avait pas son mot à dire sur le sujet, cependant, je ne me voyais pas affronter le collège sans lui. La sixième avait déjà été un calvaire à cause du changement d’atmosphère.

Comment allais-je survivre si mon meilleur ami m’abandonnait ?

— On restera en contact, m’assura-t-il, quelques jours avant son départ. Je te jure que je ne t’oublierai pas.

J’acquiesçai douloureusement.

— Promis ?

— Promis !

Sans Aoi à mes côtés, l’école devint un lieu peuplé de monstres aux corps de lierre. Pour la première fois, j’envisageai mon don comme une malédiction. Les fleurs se faisaient plus rares, plus sauvages et diverses. À ce sentiment s’ajoutait la méchanceté de mes camarades de classe, qui était sans limites. Chaque parole tranchait telle une lame de rasoir ; les couleurs de mon univers s’estom­paient au profit d’une terrifiante haine de l’autre. Plus d’une fois, je me demandai si j’allais parvenir à survivre. Lorsque je rentrais chez moi et que mon père me questionnait sur ma journée, je lui répondais que tout allait bien. Ce mensonge quotidien avait un gout de cendre dans ma bouche.

Je dus apprendre à m’épanouir malgré la solitude. Au lycée, enfin, je fis la rencontre de Nathan, qui devint mon ami le plus proche. Je ne me confiais pas à lui comme j’avais pu le faire avec Aoi, mais sa présence à mes côtés rendait définitivement ma vie meilleure.

À présent, je suis en première année à l’université. Nous sommes à la mi-septembre, pourtant, la chaleur est encore étouffante. Ma résidence étudiante étant mal isolée, je cherche à échapper à l’étuve de ma chambre. D’habitude, je trouve asile chez Nathan, dont l’appartement est entièrement climatisé, mais il n’est pas libre aujourd’hui : sa petite amie lui rend visite pour le weekend. Je suis donc condamné à me réfugier dans le parc voisin.

« Désolé, mec », m’envoie Nathan avant de joindre un lien intitulé « 40 trucs et astuces pour lutter contre la chaleur en été ». Assis à l’ombre sur un banc, j’appré­cie l’effort : qu’il réponde à mes messages alors qu’il est obnubilé par sa nouvelle copine est une vraie preuve d’amitié, le concernant. Je termine ma glace en savourant une canette d’Ice Tea.

« Tu verras, le vingt-et-unième conseil te surprendra ;) » enchérit Nathan, ce qui me fait rire.

« C’est surtout le fait que tu aies lu l’article aussi loin qui me surprend », rétorquè-je.

Je range mon téléphone dans ma poche et laisse mon regard se perdre dans le vague de la foule qui profite du beau temps.

Ici, plantes et humains se confondent et m’apportent un sentiment de paix. J’observe les tournesols des insouciants, les roses que partagent les amoureux, les boutons d’or des enfants… Mon attention est soudain attirée par un attroupement de danseurs de modern jazz. Ensemble, ils forment un arc de cercle large et chamarré. Leurs fleurs sont bien plus éclatantes que celles des autres promeneurs. Ils ondulent avec passion. Les vibrations des enceintes portatives qu’ils ont installées font écho aux mouvements des fleurs perchées sur leurs têtes.

À tour de rôle, les artistes effectuent un solo ponctué d’acclamations admiratives. Les regarder se dépenser malgré la canicule me donne soif. Mes doigts se saisissent de la canette. De loin, le vert luxuriant de leurs plantes a un je-ne-sais-quoi d’apaisant. Leurs gestes souples et étudiés me rappellent Aoi.

Au même moment, mes yeux s’attardent sur un des garçons de la troupe : celui aux traits asiatiques. Ses mouvements sont gracieux et maitrisés. Il émane de lui une énergie qui captive mon regard.

Je vois l’inconnu bondir comme pour se saisir du soleil. Entièrement vêtu de noir, il illumine le parc de sa présence. Ses cheveux anthracite dépassent à peine du bonnet vissé sur son crâne. Ses fleurs, en dessous, doivent étouffer.

Quand le danseur met fin à son solo, les acclamations se font attendre. Le silence est appréciateur. Lorsqu’il effectue une pirouette à la perfection, le sentiment de familiarité que je ressens depuis que j’ai posé mes yeux sur lui s’accentue. D’une nouvelle gorgée d’Ice Tea, je tente de noyer l’incertitude qui me ronge. Il ôte son bonnet et s’éponge le front avec. Je le savais et, pour autant, je ne peux pas y croire. Je le connais.

Aoi.

S’agit-il d’un mirage ? Je le fixe sans ciller. Il semble le remarquer, puisqu’il ne tarde pas à me scruter en retour. Nous nous dévisageons de longues secondes. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Peut-être qu’Aoi ne m’a pas reconnu et qu’il se demande qui est ce garçon aux cheveux roux et aux yeux chocolat qui l’observe avec insistance ? Un fin sourire s’étire sur les lèvres du danseur. Je rougis comme une pivoine. Non, il sait.

Son bonnet à la main, il avance dans ma direction. Je me lève du banc sur lequel j’étais assis et l’imite. Ne pas s’emballer… En moins de cinq secondes, nous ne sommes plus qu’à un mètre l’un de l’autre.

— Basil, c’est bien toi ?

— A… Aoi ?

Lorsqu’il entend son prénom, son sourire s’accentue et devient solaire. Je suis aveuglé. J’essaie de ne pas m’emmê­ler dans mes mots et j’ajoute, le souffle court :

— Comment c’est possible qu’on se reconnaisse ? Ça fait quoi ? Dix ans ?!

— Un peu moins, précise Aoi.

Même si nous nous étions promis de rester en contact, le sort en avait décidé autrement… jusqu’à ce jour. Je déglutis et examine sous toutes les coutures cet inconnu familier. Ai-je changé à ses yeux ? Lui me semble différent.

Ma poche vibre, mais je n’y prête plus attention. Nathan et ses articles – ou que sais-je encore – attendront. Retrouver Aoi met ma vie sur pause.

— Tu danses toujours, à ce que je vois, finis-je par articuler, histoire de dire quelque chose.

Une banalité parmi d’autres. Un terrain sûr.

— Toujours ! Je suis même en section Arts du spectacle !

— Waouh ! Ici ? m’étonnè-je.

Il acquiesce. Nous comprenons que nous sommes dans la même université.

— Depuis cette année. Et toi ?

— Je suis en psycho.

— C’est dingue !

— Comment vont tes parents ? lui demandè-je. Et ta sœur ?

Alors qu’il me répond avec passion, il s’étire à la manière d’un chat. Mon regard s’attarde sur ses bras. Contrairement à ce que je pensais, Aoi ne porte pas un haut à manches longues : il s’agit de plantes. De fines ronces s’entortillent jusqu’à ses poignets et se glissent sous son teeshirt. Elles strient ses membres, recouvrent chaque centimètre carré de sa peau.

À présent que j’ai réalisé l’ampleur du problème, je suis incapable de me focaliser sur autre chose.

La conversation que j’ai avec Aoi se change en monologue.

— Mon père est toujours hyper strict. Il voulait que je garde la danse comme loisir et que je fasse des études en économie, mais j’ai tellement insisté qu’il a fini par céder. Du coup, il m’a fait promettre que…

Où sont passées les jolies fleurs qui ornaient jadis ses cheveux ? Pourquoi n’y a-t-il plus que des épines ?

— Basil ? Tu m’écoutes ?

— O… oui ?

Je reprends mes esprits et l’interroge du regard.

— Tu étais perdu dans tes pensées, m’explique-t-il. Tout va bien ?

— O… oui, répétè-je, ce qui le fait éclater de rire. Et toi ?

Le sourire lumineux qu’il m’adresse me cloue sur place et manque de m’achever. Il ajoute :

— Oui, tout va bien pour moi !

Il s’avère qu’Aoi vit dans la même résidence que moi. Après avoir partagé quelques nouvelles, nous nous séparons.

Je ne garde aucune image du chemin du retour : j’ignore comment j’ai quitté le parc ou gravi les marches d’ordinaire interminables qui mènent à mon étage.

Aoi sans fleurs. Aoi avec des ronces. Aoi, si sincère autrefois, qui me ment avec le sourire. Quel choc ! Mon calme n’est que d’apparence : intérieurement, un tsunami d’émotions manque de m’emporter. J’essaie de me distraire en reprenant le cours de mon existence, comme si de rien n’était, mais je ne suis pas dupe. Lorsque mon père m’appelle au téléphone et que je lui parle d’Aoi, sa joie me met encore plus mal à l’aise.

— Tu étais tellement triste que vous vous soyez perdus de vue. La vie est pleine de surprises !

Je sais ce que cela signifie d’avoir des ronces sur soi, et, à cette seule idée, les battements de mon cœur redou­blent d’intensité.

— Vous étiez inséparables, continue papa. Vous devez être si heureux de vous retrouver, tous les deux.

J’affirme que oui, malgré les doutes qui vrombissent dans ma tête, et raccroche quelques minutes plus tard.

Le soir, quand je ferme les yeux et tente de trouver le sommeil, Aoi hante encore mes pensées. Dans mes rêves, il danse avec grâce, mais ses bras saignent. Il irradie de bonheur avant de se briser.

Depuis que j’ai revu Aoi, mes nuits sont peuplées de cauchemars dont il est le personnage central. Les semaines passent sans que je le croise sur le campus. J’en viens presque à me demander si je n’ai pas rêvé nos retrouvailles. Nous aurions dû échanger nos numéros de téléphone plutôt que des banalités. Je regrette de ne pas y avoir pensé sur le moment : au moins, avec ça, j’aurais eu la preuve qu’il n’était pas un mirage. J’émerge d’une énième nuit agitée, encore plus fourbu que la veille. Naviguant au radar jusqu’à l’université, je me surprends à prêter beaucoup plus attention aux personnes qui m’entourent. Je scrute la foule d’étudiants. Je rationalise comme je peux alors que chaque battement de mon cœur me rappelle qu’il cherche un garçon au corps hérissé de ronces. Je continue mon parcours, qui est tout sauf habituel. Lorsque j’entends de la musique, je ralentis. Je n’ai jamais autant espéré voir des élèves sortir de la section artistique.

— Basil !

Je reconnais sa voix. Aoi m’a trouvé le premier.

— Salut…

Aujourd’hui, ses ronces grimpent jusqu’à son cou, à la façon d’un pull à col roulé.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? me questionne Aoi, intrigué. Tu m’attendais ?

Je détaille son sourire du regard afin d’y déceler une trace de souffrance. Seul le piquant des épines que je vois le trahit.

— Tu fais quelque chose, après les cours ? éludè-je par peur de me mettre à rougir comme une pivoine.

D’ordinaire, je profite de mes soirées pour me ressourcer – trop d’interactions sociales me fatigue –, mais je refuse de laisser passer ma chance. Je veux comprendre.

— On pourrait… se voir, parler… échanger des nouvelles autour d’une bière ? précisè-je face à son air surpris.

— Ah… C’est qu’on a prévu une autre séance d’entrainement après les cours, m’explique-t-il. La chorégraphie qu’on apprend en ce moment est technique, et on aimerait encore la perfectionner.

— Je comprends. Ce n’est pas grave… Ce sera pour une prochaine fois.

Les mots qui roulent sur ma langue ont un gout de déception.

— À 20 heures, sinon ? me propose soudain Aoi.

Mon cœur bondit dans ma poitrine.

— On doit finir à cette heure, donc si ça ne fait pas trop tard pour toi…

— OK. On se rejoint ici à 20 heures, alors.

Il me gratifie d’un sourire lumineux et d’une courte accolade. Des épines frôlent mes bras, et la souffrance que j’éprouve, en ces quelques secondes de proximité, suffit à me faire suffoquer. Je ressens de la haine, de la tristesse. J’ai envie de pleurer, d’appeler au secours. Je suis blessé, personne ne comprend mon mal-être. J’ai besoin qu’on me vienne en aide, sinon… Sauvez-moi…

— Cool. À toute ! me lance Aoi en s’écartant de moi pour rejoindre ses amis.

Je l’observe s’éloigner. Soudain, je me souviens que j’avais promis à Nathan d’aller à une fête avec lui ce soir. Zut ! Je vais devoir trouver un moyen d’annuler sans trop éveiller sa curiosité – sinon, il sera infernal.

Comment Aoi parvient-il à masquer tant de noirceur au fond de lui ? Toute la fin d’après-midi, je continue de me noyer dans cette douleur devenue mienne.

Le soir, j’arrive une demi-heure avant la fin de l’entrai­nement d’Aoi. Aussi, je décide d’attendre à l’intérieur et m’engouffre dans le bâtiment de la section arts. Une odeur de peinture fraiche me chatouille les narines. Elle se mêle à celle du parquet ciré. C’est un univers totalement inconnu pour moi, à mille lieues des couloirs impersonnels et des amphithéâtres poussiéreux. Je découvre avec stupeur que le studio donne sur le corridor grâce à une grande baie vitrée. Malgré l’heure tardive, beaucoup de danseurs sont encore présents. Comme une évidence, je m’arrête et cherche Aoi du regard. Il est au fond de la pièce, près de la barre, et ses sourcils se froncent de concentration. La danse, c’est du sérieux.

La musique reprend et la troupe se met en mouvement, à l’unisson. Lorsqu’Aoi s’élance pour rejoindre le milieu de la salle, je dois lutter pour ne pas coller mon nez à la vitre. Des fleurs naissent sur son crâne. Quelques secondes plus tard, je vois des boutons d’or éclore et s’épanouir timidement. Les amis d’Aoi s’écartent, marquant ainsi le début d’un solo. En quelques pas, Aoi m’a totalement captivé. Les points de lumière jaunes se multiplient dans ses cheveux anthracite et tissent une couronne magnifique et sauvage. Sa façon de danser est ensorcelante, mais la magie se brise aussi vite qu’elle est apparue : d’un coup, l’éclat des plantes se fane. Les ronces remontent dans son cou, et tout le monde se stoppe. Je ne comprends pas.

— Encore une fois, tu n’étais pas en rythme, Aoi ! ­s’exclame le professeur en frappant dans ses mains.

J’éprouve un léger pincement au cœur à la vue des pétales écrasés au sol. Aoi, en sueur, acquiesce et prend à nouveau position au fond de la salle. Les étudiants recommencent la série d’enchainements qu’ils doivent perfectionner. La même scène se répète encore et encore, inlassablement, jusqu’à la fin de la séance.

— Salut, on ne devait pas se rejoindre à l’extérieur ? me lance Aoi en arrivant près de moi.

Il semble gêné. Je le détaille subrepticement : le collier de ronces qui s’enroule autour de son cou n’a pas disparu. Les boutons d’or se sont transformés en soucis orangés. Pas besoin d’être expert en symbolique des fleurs pour en deviner la signification.

— Si…

Je hausse les épaules et lui emboite le pas.

— J’avais envie de voir si tu dansais toujours aussi bien. C’est le cas. Je comprends pourquoi ton père a accepté que tu t’inscrives. Quand tu es sur scène, tu…

Il lève les yeux au ciel, d’un air théâtral, mais les ronces autour de son cou se resserrent. Même les compliments le font souffrir ?

— Ah, merci. Mais tu sais, je suis encore loin d’avoir le niveau…

Il passe une main dans ses cheveux en signe d’embarras.

— Vraiment ?

— Je me trompe souvent. Je dois être plus rapide dans l’enchainement de mes mouvements… Tu verrais les ­deuxièmes années, tu comprendrais. Mais assez parlé danse. Qu’est-ce que tu veux faire ?

Il a besoin d’oublier. Moi aussi.

Être capable de voir les émotions, est-ce un don ou une malédiction ? Aurais-je remarqué le mal-être d’Aoi sans ses ronces ? Même si je fais des études de psychologie, lorsqu’il s’agit de cas réels, je me repose beaucoup sur ce que les fleurs me murmurent. Durant toute la soirée que nous passons ensemble, Aoi donne un change admirable. Nous évoquons des souvenirs d’enfance autour d’un verre avant de nous diriger vers une salle d’arcade située dans le centre-ville. Je ne manque pas de me moquer en voyant Aoi enchainer les fails à la borne de Dance Dance Revolution. Je le bats à plate couture.

Je lui donne des nouvelles de mes parents et lui des siens, puis il me lance, de but en blanc :

— Tu te souviens du jeu qu’on avait, quand on était petits ?

Il termine sa troisième bière de la soirée. Après deux verres seulement, je me sens euphorique. Je demande, sans me méfier :

— Lequel ?

— Le jeu des fleurs.

Je déglutis.

— Des… fleurs ?

— Tu pouvais voir les auras des gens sous la forme de plantes, me rappelle-t-il en haussant un sourcil.

Il laisse le silence s’étirer et soutient mon regard. Pour éluder la question en suspens entre nous, je suis tenté de noyer mon malaise dans quelques gorgées d’alcool.

— Ah oui ? dis-je en rompant le contact visuel le premier. Je pouvais faire ça ?

Je remercie le ciel qu’il fasse sombre dans la salle ­d’arcade. Son air inquisiteur aurait été intolérable, en plein jour. Soudain, je sens ses doigts frôler mon poignet. Ses mains sont chaudes, et pourtant, un frisson m’échappe.

— Aoi… balbutiè-je.

Quand je me noie dans ses yeux si ombrageux et si flamboyants, c’est le monde autour de nous qui se met à tanguer. Aoi ne sourit plus, il me fixe avec une gravité qui ne présage rien de bon.

— Quelle fleur est-ce que je porte aujourd’hui, Basil ?

Je pâlis. Le ton de sa voix n’a plus rien d’enfantin.

— Je peux répondre à cette question, mais tu sais déjà que ça ne va pas te plaire, finis-je par articuler, difficilement.

Les ronces gagnent à nouveau du terrain sur son corps. Elles se resserrent et grimpent jusqu’aux doigts qui emprisonnent ma main. Je romps le contact physique juste à temps, avant que ses émotions ne m’atteignent. Les épines griffent sa peau. Mon souffle se coupe au souvenir du sentiment de détresse que j’ai éprouvé lors de notre dernière accolade.

— Qu’est-ce qu’il y a, Aoi ? Explique-moi.

J’aimerais toucher son visage sans qu’il y ait de conséquences, mais mes doigts s’arrêtent à mi-chemin.

— Je ne peux pas t’aider si tu ne me parles pas.

Je peux ressentir ou deviner sa douleur, mais s’il ne la verbalise pas, personne ne pourra l’épauler. Il doit faire un pas vers moi, me dire ce qu’il attend de moi… Comme s’il avait lu dans mes pensées, Aoi se lève d’un mouvement sec.

— Je dois y aller, il est tard. Désolé.

Impossible de le retenir : mon ami remet ses écouteurs sur ses oreilles et tourne les talons. Il quitte la salle d’arcade comme un ouragan et me laisse seul avec mes regrets – et mes désirs.

J’ai réalisé que je n’étais pas attiré par les filles à la fin du collège, un soir où un garçon aux cheveux noirs m’a adressé un sourire enjôleur. Ce garçon ressemblait à Aoi. Il ne s’est rien passé entre nous : ressentir les émotions des gens quand on les touche ne donne pas envie de sortir avec quelqu’un.

Rien n’a changé jusqu’à aujourd’hui. Mais à présent qu’Aoi est de retour dans ma vie, je comprends que je l’aime depuis l’école primaire et que, depuis tout ce temps, j’étais dans le déni. Super, pour un futur psy, non ?

Aoi ? Est-ce que je peux faire quelque chose… ?

Je compose ce message avant de l’effacer totalement. Je veux aider Aoi, je veux le voir.

Est-ce que tu es libre ce soir ?

Effacé.

Aoi ?

Effacé. Mes sentiments sont en pagaille. Difficile de trouver les mots justes… Dans un grognement de frustration, je finis par laisser tomber.

Je reprends le cours normal de mon existence : les appels réguliers à mes parents, les cours… Mais j’étudie le module de thérapie cognitive et comportementale avec beaucoup trop d’intérêt pour être honnête.

Brusquer Aoi serait la pire chose qui soit : s’il souhaite se confier à moi, je serai là. Je ne peux qu’attendre et le laisser me recontacter quand il sera prêt. Ça, c’est ce que me dicte ma raison, mais mes sentiments, eux, ne sont pas d’accord…

Après une semaine sans nouvelles, je retourne au parc dans l’espoir de l’y trouver. Les danseurs sont bien présents, mais il n’y a aucune trace du garçon aux ronces. Alors, à l’université, mon regard s’attarde à nouveau sur les élèves des autres sections. Le weekend, Nathan me traine à des soirées étudiantes pour me changer les idées. Mon cœur se gonfle d’espoir à l’idée d’y croiser Aoi par hasard… jusqu’au jour où je le vois, près des portes de la cafétéria. Il rit aux éclats avec ses amis : une scène normale, classique, rassurante – sauf qu’Aoi est cerné d’épines et de ronces. Si ses proches savaient à quel point il va mal, continueraient-ils de s’amuser ainsi ? Cette question me hante.

— Tu ne veux pas aller lui parler ? suggère une voix der­rière moi.

Je sursaute. La seconde d’après, Nathan m’a rejoint.

— C’est ton type de mec, en plus ! ajoute-t-il en me sou­riant d’un air goguenard.

Sa réflexion me donne envie de réduire en miettes les tournesols qui bourgeonnent sur sa tête. Pour la forme, je le gratifie d’un coup de coude bien senti. Il me tire la langue.

— J’ai raison, non ? Tu as flashé sur un bel inconnu et…

— On… se connait, dis-je, à voix basse. C’est un ami d’enfance…

— Un ami d’enfance ou L’Ami D’Enfance ?

Je devine les majuscules dans ses paroles. Je lui ai déjà parlé d’Aoi. Lorsqu’il constate que je rougis, les yeux de Nathan se mettent à briller.

— Je vois…

Je me gifle mentalement.

— Non, tu ne vois rien du tout, bougonnè-je en passant une main dans mes cheveux roux.

Le visage de mon ami adopte une expression malicieuse. Il se tourne vers le groupe de danseurs.

— Arrête… !

— Hé, Aoi ! s’exclame Nathan – je manque de m’étouffer. Basil a un truc à te dire !

— Comment tu peux te souvenir de son nom ?!

— Toujours retenir les informations capitales pour ensuite faire chanter ses potes, c’est la base.

Nathan est fier de son coup. Je le foudroie du regard.

— De rien, élude-t-il avant de s’éloigner pour laisser place à Aoi, qui affiche une expression neutre.

— Salut.

— Salut… Euh…

— Je suis désolé, souffle Aoi. La dernière fois, j’ai surréagi. Il y a une différence entre se douter de ce qui se passe et quand… quelqu’un d’extérieur confirme que cette intuition est correcte.

« Quelqu’un d’extérieur », évidemment. Mon cœur tombe dans mes chaussures. Le regard fuyant, Aoi fixe ses baskets. Malgré mon nœud à l’estomac, je le rassure :

— Les fleurs, ce n’était qu’un jeu d’enfant. Tu n’as pas à prendre ce que je dis au sérieux.

— Tu mens toujours aussi mal, Basil.

Je lève les yeux au ciel, pour la forme.

— D’accord. Très bien. Je ne te poserai pas la moindre question sur le fait que tu es totalement cerné par des ronces, mais je suis là pour toi. Ce n’est pas parce qu’on ne s’est pas vus depuis une bonne décennie que…

— Je sais, me coupe-t-il. Merci.

Il va me repousser. J’anticipe son refus – il en a tout à fait le droit –, mais il poursuit :

— En fait, je veux vraiment réussir. Je veux prouver de quoi je suis capable et montrer que j’ai bien fait de m’inscrire dans cette section. Je m’entraine beaucoup pour le spectacle qu’on donnera à la fin de l’année. J’ai le trac, c’est tout.

« Le trac ». Une justification simple, qui parait inoffensive, mais le diagnostic est, à mon sens, beaucoup plus complexe : en repoussant ses limites pour que sa famille soit fière de lui, Aoi fait de l’anxiété de performance.

— Tu aimes danser, mais tu te mets beaucoup de pression, conclus-je, soulagé qu’il se confie à moi.

Je ne développe pas davantage : s’il souhaite un soutien, je serai présent, mais il faut que ça vienne aussi de lui. D’un commun accord, nous prenons la direction du parc. Le soleil automnal a laissé place à une pluie impressionnante. Se promener n’était pas l’idée du siècle. Je sors mon parapluie et avise un kiosque sous lequel il est possible de s’abriter. Aoi se rapproche pour se réfugier près de moi. Même si nous avons hâte d’être au sec, nous ne nous pressons pas. Le temps semble s’être figé.

Nous arrivons à quelques pas du monument quand je suis pris d’une inspiration soudaine. Je m’empresse de la formuler à voix haute :

— Et si tu dansais ? Maintenant. Sans te prendre la tête.

Aoi m’adresse un regard blasé :

— Je viens d’enchainer une heure et demie de répétition, et toi, tu veux que je m’y remette ? Tu cherches à m’achever ?

Un court silence s’installe entre nous. Nous atteignons le kiosque et je referme mon parapluie.

— Ce n’est pas une obligation. On peut aussi s’asseoir ici et discuter…

Aoi reste muet. Il scrute les alentours sans bouger. Je le vois en intense réflexion. Soudain, le danseur dépose son sac à mes pieds et s’élance sous la pluie. Sa silhouette entièrement vêtue de noir tranche avec le gris des nuages. Après quelques pas hésitants, il effectue une pirouette.

— Tu pouvais rester à l’abri ! m’époumonè-je. Idiot !

Il se tourne dans ma direction et salue avec décontraction. J’ai à la fois envie de me moquer et d’arrêter de respirer. Imperturbable et sans autre musique que celle des crépitements de l’averse, Aoi danse. Aoi est un artiste tout en sensibilité. En quelques gestes, il parvient à créer une atmosphère autour de lui. Il affiche un air sérieux, à des années-lumière du sourire de façade qu’il adopte à l’université. Je le préfère ainsi. À chacun de ses pas, Aoi se livre. Il est magnifiquement lui-même. Les gouttes tombent et tombent et tombent et glissent sur lui. Moi aussi, j’ai l’impres­sion de tomber en l’observant.

En guise de final, Aoi lève sa tête vers le ciel et salue de nouveau. De petits bourgeons sont visibles dans ses cheveux. Il semble remarquer mon émoi et me jauge de ses yeux sombres. Je suis au sec, mais un frisson m’échappe quand nos regards se croisent.

— Alors ?

Est-ce toujours la pluie que j’entends ou les battements effrénés de mon cœur ?

— C’était de la danse moderne, m’explique-t-il, prenant mon air choqué pour de l’incompréhension. C’est une de mes chorégraphies favorites.

Je me contente d’acquiescer. Aoi me rejoint sous le kiosque, trempé de la tête aux pieds.

— Tu as froid ? me demande-t-il.

Je réagis enfin.

— Dit celui qui dansait sous la pluie alors qu’il aurait été au sec ici…

— Il n’empêche que ce n’est pas moi qui tremble, réplique-t-il d’une voix trainante.

Il me jette un regard en coin, et les bourgeons s’épanouissent en douceur. Est-ce en me voyant que… Stop. Et pourtant…

— Tu veux venir chez moi ?

Ma désinvolture reste feinte. Elle semble anodine pour des amis de longue date, mais le silence qui suit ma question montre que personne n’est dupe. Les roses dans les cheveux d’Aoi se transforment et continuent d’éclore, même s’il ne danse plus. Elles prennent une teinte rouge carmin. La couleur de l’amour passionnel.

— Tu dégoulines tellement que les cafés ne nous accepteront pas, me justifiè-je en me levant.

Je fais comme si tout était normal entre nous.

— D’accord, finit par répondre Aoi avant de m’emboiter le pas.

Aoi vient dans ma chambre prendre une boisson chaude, en toute amitié, bien sûr. Il ne se passera rien. Rien du tout.

— D’accord, conclus-je en sentant que mon cerveau peine à traiter toutes ces informations.

— Tu voudras venir voir notre spectacle ? demande Aoi.

Je lui tourne le dos, occupé à préparer un thé qui nous réchauffera tous les deux. Mon appartement est petit. De ce fait, Aoi se change à quelques mètres de moi.

— C’est possible ? Je croyais que c’était un examen qui comptait pour vos notes de semestre…

— Oui, mais on peut convier des spectateurs.

Je l’entends se rapprocher de moi. Je me tourne et lui tends une tasse fumante. Il porte les vêtements qu’il met lors de ses cours de danse.

— Merci.

En l’observant baisser les yeux sur son thé, je réalise à quel point ses cils sont longs et fins et sa silhouette gracieuse. D’aussi près, les roses et l’aura d’auto­destruction qui émane de lui deviennent anecdotiques. J’ai envie ­d’oublier que je peux ressentir les émotions des fleurs en les touchant, je veux sentir sa peau sous mes doigts, je veux…

— Basil ?

J’ai surement fixé ses lèvres avec trop d’insistance. Eh merde…

— Oui ?

— Tu serais intéressé… pour le spectacle ?

Merci pour la précision. J’acquiesce avec un enthousiasme un peu trop débordant pour un simple gala de danse. Si je le pouvais, je me donnerais des baffes. Heureusement, le rire d’Aoi me rassure. Je me détends et lui souris en retour, alors qu’il se cale contre le rebord d’un de mes meubles de cuisine.

— On peut inviter sa famille, mais mes parents et ma sœur ne pourront pas faire le déplacement. Ce sera probablement barbant, tu es sûr ?

Comme à son habitude, Aoi masque sa déception derrière un rictus de façade. Il aurait voulu montrer à ses pro­ches toute l’étendue de ses progrès.

— Oui, j’aime te voir danser, donc ça m’intéresse, réponds-je en me servant également une tasse.

Et je l’aime tout court, aussi. Je serai là pour le soutenir.

— Cool. Je t’apporte un billet de spectacle dès que c’est disponible !

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Le thé que nous partageons a un gout différent. Il est plus savoureux que d’ordinaire alors que je ne l’ai pas fait suffisamment infuser. Une délicieuse sensation de chaleur glisse jusque dans mon estomac. Chaque moment passé en la compagnie d’Aoi est un bonheur.

Au fil des semaines, nous passons de plus en plus de temps ensemble. Ses amis apprennent mon prénom, et les miens le sien. Nathan, à ma grande surprise, réussit même à se comporter décemment avec Aoi. Il nous taquine, mais jamais au point de me donner envie de creuser un trou derrière la fac pour me débarrasser de son corps, une nuit sans lune. Malgré son air moqueur, il sait quand s’arrêter à temps – l’instinct de survie.

Le temps file, mais les angoisses d’Aoi demeurent… Je le devine même s’il tente de masquer les épines des ronces sous le bonnet qu’il porte en quasi-permanence. Parfois, Aoi est tellement obnubilé par ses chorégraphies qu’il est difficile de le croiser, mais notre amitié tient bon. Même quand il est débordé, j’arrive à lui rappeler qu’il faut qu’il relâche la pression. Je veille sur lui du mieux que je peux. Les jours passent, puis les mois, jusqu’au moment où, fidèle à sa promesse, Aoi m’apporte un billet pour son gala. Il doit sentir mon regard sur lui, car il me lance :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Aujourd’hui, il ne porte aucun chapeau. Au milieu des ronces, de discrets boutons rouges ont éclos et s’accro­chent dans ses cheveux.

— Rien. Je…

— Je connais cette expression, Basil. Qu’est-ce que tu ne veux pas me dire ?

Qu’est-ce qu’il pensera, si je lui parle de ses fleurs ? Comme je reste silencieux, Aoi lève les yeux au ciel et me fait signe de le suivre. Docile, je lui emboite le pas.

— Aujourd’hui, tu portes des roses dans tes cheveux, finis-je par lui avouer.

Il coule sur moi un regard circonspect.

— Et c’est une mauvaise chose ? demande-t-il, intrigué.

Machinalement, je le vois passer la main de son front à sa nuque, à la recherche d’une couronne invisible.

— Au contraire, c’est plutôt rassurant.

Je ne lui dis pas que les roses rouges symbolisent les sentiments amoureux. N’importe qui, même sans s’intéresser au langage des fleurs, connait cette signification. À l’inverse, une question me brule les lèvres :

— Tu ne me trouves pas bizarre ?

Parler de mes talents de florilège avec quelqu’un me semble encore tellement surréaliste ! Est-ce que je m’y habituerai ? Grâce à ce secret que je partage avec Aoi, je me sens moins seul. Et si Aoi se lassait et décidait de s’éloigner ? Cette idée me terrifie.

La réponse fuse :

— Pas plus qu’avant.

Ses roses s’épanouissent davantage quand je gonfle mes joues en une moue boudeuse.

— J’espère même que tu vas les voir longtemps autour de moi, ces fleurs… me lance-t-il, l’air de rien.

— J’espère aussi, m’entends-je lui murmurer, d’une voix tremblante.

Nous poursuivons notre route ensemble jusqu’à l’université. La bulle de silence qui se forme autour de nous n’est pas pour me déplaire. Elle est annonciatrice de changement.

— Et comment va Aoi ? me demande un soir ma mère, au téléphone.

Affalé sur mon lit, je scrute le plafond en quête de réponse.

— Bien, fais-je de mon ton le plus assuré.

Même si nous sommes séparés par les kilomètres, je devine son sourire.

— Tu veux en parler ?

Son intonation sibylline me rend hésitant.

— En fait… je ne sais pas trop. Qu’est-ce que tu ferais si tout allait bien en apparence, mais que tu t’inquiétais quand même pour un proche ?

— Comme lorsque tu me dis que tu révises suffisamment et que je te vois tagué sur des photos de soirées sur les réseaux sociaux ?

J’hésite entre rire et pleurer.

— Par exemple, oui, ironisè-je.

À force de chercher par où commencer, je finis par en perdre mes mots. J’entends ma mère soupirer.

— C’est une bonne chose, que tu sois là pour Aoi, Basil, et que tu t’inquiètes pour lui. Je ne sais pas ce que ton ami traverse, mais il arrive que l’amour que l’on ressent pour ses proches ne suffise pas. Parfois, certaines personnes préfèrent donner le change, et on ne peut que respecter leur décision et attendre.

— C’est tellement frustrant…

— Je sais, souffle ma mère avec tendresse. Mais il faut se montrer à l’écoute et patient. Comme tu le feras une fois devenu psychologue.

J’acquiesce, pensif.

— Par contre, ça n’arrivera pas si tu échoues à tes examens. Donc arrête de poster tes records de salle d’arcade avec Aoi et concentre-toi sur tes révisions, d’accord ? Interdit de redoubler, sinon, ce sera pour toi qu’il faudra que tu t’inquiètes !

J’éclate de rire. Ma mère est géniale : elle trouve toujours les mots pour me remonter le moral… et me terrifier.

— Merci, maman. T’es la meilleure.

Quand les bars ou la salle d’arcade ferment, ma cham­bre devient notre refuge favori, à Aoi et moi. Nos soirées se terminent devant la console ou la télé.

— Comment est-ce que tu te sens ?

Nous sommes chez moi. Une vidéo défile sur mon ordinateur : le héros du film s’apprête à se sacrifier pour sauver la Terre, mais son monologue larmoyant ne me passionne pas plus que ça. Visiblement, c’est aussi le cas d’Aoi, puisqu’il me répond :

— Je stresse.

Il ne reste plus que quelques jours avant le fameux spectacle, et les ronces d’Aoi gagnent du terrain. Il éprouve l’envie de se confier.

— Je ne suis pas au niveau.

Les épines commencent à étouffer les superbes iris bleus qui ont poussé dans ses cheveux ces derniers jours. J’adore ces fleurs : elles symbolisent l’espoir, le courage, et je souffre rien qu’en les voyant se faner… C’est plus fort que moi, je m’empresse d’objecter :

— Si c’était vraiment le cas, ils ne t’auraient pas donné le rôle principal.

Mauvaise réponse : les ronces se resserrent.

— Désolé.

— Ce n’est rien.

Aoi se détourne de l’écran et me demande avec une désinvolture feinte :

— J’ai toujours mes roses ?

— Pas en ce mom…

Je me stoppe net en découvrant des bourgeons vermillon fleurir au milieu des épines, dès l’instant où il pose son regard sur moi. Pas besoin d’acquiescer : le rouge qui me monte aux joues est une réponse suffisante. Je donnerais cher pour lui faire ravaler le sourire goguenard qu’il m’adresse.

— Intéressant…

Je lui envoie un coussin dans l’estomac. Il éclate de rire.

— Merci, Basil.

Ce « Merci » ronronne à mes oreilles comme la plus douce des mélodies. Le film continue de défiler, le personnage principal est surement sauvé de justesse par son fidèle sidekick, mais nous ne prêtons attention qu’à l’un et à l’autre. J’aimerais figer le temps pour toujours.

Le jour J est arrivé. Le gala d’Aoi a lieu en début d’après-midi, dans une salle de spectacle proche de l’université. Sur le programme distribué à l’entrée, je lis que son groupe passe en dernier. Moi qui pensais qu’il n’y aurait pas grand monde, je suis surpris de voir les gradins se remplir peu avant l’extinction des lumières.

Les chorégraphies s’enchainent, et j’attends avec impatience celle du numéro d’Aoi. Même si je n’y connais rien, je devine que le niveau est élevé. Les artistes se déplacent sur scène avec fluidité. Je suis également étonné de voir ce que peuvent endurer d’aussi bons danseurs au cours de leur performance : le stress, la douleur physique… C’est une véritable valse de fleurs et de plantes vivaces qui se mêlent à leurs mouvements. Ce garçon, au dernier rang de ballet, par exemple : ses pas sont légers malgré le poids des lianes grimpantes accrochées dans son dos. Sur scène, la souffrance et la passion sont les deux facettes d’une même pièce.

Quand Aoi apparait enfin, il porte un maquillage qui met en valeur l’intensité de son regard, et, immédiatement, je ne vois plus que lui. J’ai envie de crier « Vas-y, Aoi ! » à la manière d’un cheerleader, mais je ne suis pas sûr que ce soit apprécié.

Un chassé, deux chassés, puis viennent les premiers sauts. Aoi s’envole, et des iris jaunes sèment des pétales autour de lui. Ses mouvements sont gracieux comme lors de ce fameux jour d’averse. C’est magnifique. Il s’en sort très bien. Sauf que je vois les ronces qui l’entourent grandir, et grandir et grandir…

J’ai envie d’y croire. Aoi dépassera son stress, comme le garçon au lierre. Aoi s’élance, mais les branches résistent et le font trébucher. Il s’arrête en plein vol et chute.

Pour autant, il parvient à regagner le rythme et continue comme si de rien n’était. Il combat brillamment ses entraves. J’ai envie de l’applaudir, de dissiper ces épines dont il est maintenant cerné. Les iris étouffent, mais ne meurent pas. Je fais tout mon possible pour me concentrer uniquement sur la danse d’Aoi. De toute façon, je dois attendre la fin de la musique avant de pouvoir faire quoi que ce soit pour lui. Les secondes se changent en d’interminables minutes.

Je me lève dès le retour des lumières. Les applaudissements explosent dans la salle, on me jette des expressions agacées quand je me fraie un chemin hors de ma rangée. Je quitte ma place de spectateur et pousse la porte de sortie.

Et maintenant ?

Ma réaction me dépasse : je ne connais pas les lieux, Aoi et moi, on ne s’est pas retrouvés depuis si longtemps… qui suis-je, pour lui ? Mais je sais que je dois le rejoindre.

Aoi, où te caches-tu ?

Je marche, en quête de l’entrée des coulisses. Soudain, au détour d’un couloir, j’aperçois des ronces lézarder les murs défraichis. Les plantes viennent à ma rencontre. Je retiens mon souffle et m’élance. Je les suis pour retrouver Aoi. Plus je vais de l’avant, plus les lianes sont vigoureuses. Entre elles et les personnes que je heurte, j’avance à contrecourant.

Et puis il est là, devant moi, recroquevillé dans un coin désert des coulisses. Je ne parviens presque plus à distinguer la silhouette d’Aoi tant les branches sont épaisses. Mais le plus effrayant reste le bruit qui émane de lui à chaque respiration. Je m’approche de lui comme d’un animal blessé.

— Aoi ?

Ma voix tremble un peu quand je l’appelle. Un moyen de lui signaler ma présence. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, les ronces s’écartent pour que je me fraie un chemin parmi elles. Aoi cache son visage entre ses bras. Je m’abaisse pour me mettre à son niveau, prends une grande inspiration, et passe mes doigts dans ses cheveux.

Automatiquement, mon souffle se coupe : son sentiment de panique me frappe de plein fouet. Je suis happé par la violence de ces sensations étrangères. L’envie de vomir me saisit, mais je tiens bon et pose mon front contre celui d’Aoi. Les émotions qui le traversent restent fortes, tout comme sa respiration dont il a clairement perdu le contrôle.

— Aoi…

Ma voix est basse, plus assurée. Je le sens réagir : la vague de souffrance qui parcourt mon corps s’atténue et devient un peu plus supportable.

— Basil… Je ne… peux… plus… articule-t-il douloureusement.

Il se met en mouvement, et ses bras s’enroulent autour de ma taille. En silence, j’attends que la crise passe. Je veux être là pour lui, même dans les moments difficiles. Son cœur bat jusque dans mes tempes. Je l’aide à reprendre un souffle régulier, l’encourage à caler sa respiration sur la mienne. Ma vision, rendue floue par la violence de ses émotions, gagne en netteté à mesure que je le sens se détendre contre moi.

— Toute cette pression que je me mets, j’ai l’impression qu’un jour, elle me tuera. Je ne peux plus… chuchote Aoi, si bas que je me demande si j’ai bien compris. J’ai tout gâché.

— C’est faux. Tu n’as pas entendu les applaudissements, à la fin ? Tu es trop doué pour renoncer.

— Non. Je ne me sens pas de taille. Je suis tombé sur scène, j’ai gâché tout le spectacle.

— Tu es tombé et tu t’es relevé…

Il se redresse et croise enfin mon regard, signe que je suis parvenu à capter son attention.

— Ce n’était pas un spectacle parfait, mais c’était un beau spectacle, dis-je, sincère.

Aoi est trop fatigué pour objecter quoi que ce soit. Aussi, j’ajoute, pour lui changer les idées :