Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Histoires extraordinaires d’un prof ordinaire décrit le quotidien professionnel de Jamal Ghafla. Ce dernier relate avec tendresse et humour ses rapports avec ses élèves, des duels bienveillants. Au fil des pages, des anecdotes se succèdent, mêlant sincérité et efficacité. Voici le parcours d’un enseignant aux journées surprenantes et incroyables…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Professeur de mathématiques-sciences, Jamal Ghafla exerce cette passion depuis une vingtaine d’années. Avec Histoires extraordinaires d’un prof ordinaire, il partage ses expériences aussi attachantes que singulières.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 145
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Jamal Ghafla
Histoires extraordinaires
d’un prof ordinaire
© Lys Bleu Éditions – Jamal Ghafla
ISBN : 979-10-377-7520-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pensée à toi, Somia, qui aurait aimé ces lignes à venir.
Il n’y a pas d’erreurs dans la vie, il n’y a que des leçons. Il n’existe pas d’expériences négatives, il n’y a que des occasions de mûrir, d’apprendre et d’avancer le long de la voie de la maîtrise de soi.
Robin S. Sharma
« Je viens de lire votre anecdote et je l’ai adorée ! Il me semble avoir de vagues souvenirs de cette histoire sur la pomme de pin que vous nous aviez racontée en cinquième. Elle est fidèle à ce que je me souviens de vous et de vos heures de cours. J’avoue n’avoir jamais été une grande passionnée de mathématiques, encore aujourd’hui, ce mot suffit à me donner des migraines ! Toutefois, j’appréciais vos leçons pendant lesquelles aucun élève n’était laissé à l’écart, et où je me sentais capable d’affronter cette matière et même de réussir.
Aujourd’hui encore, nous évoquons parfois les plaisanteries que vous faisiez en classe, sans jamais vous moquer, comme pour l’épisode de la luge avec ma sœur Clémance (je vous rassure, elle a arrêté) ou des jeux de mots sur le nom de Simon Levent.
Merci beaucoup de m’avoir envoyé cette anecdote, j’ai hâte de lire les quatorze suivantes lorsque votre livre sera achevé. »
Louise Bruyère,
Étudiante en psychologie et photographe
Le travail n’est pas bien fait, mais très bien fait. Une fois de plus, je dois me diriger vers le bureau pour récupérer un bon point. Dix bons points pour une image, dix images, et c’est le Graal, la grande image. Elle me tend ce bon point, elle attend, moi aussi. Rien ne peut sortir.J’entends ma petite voix intérieure : Tu es bloqué, eh bien, débloque-toi ! Tant de fois j’ai espéré, tant de fois je me suis déçu. Cinq lettres, deux syllabes, un mot : Merci. Pourquoi ce blocage ?
Elle dut s’y résoudre. Elle doit penser : Il est sûrement mal éduqué, on ne lui a pas appris la politesse ? Elle décide de convoquer ma mère. La maîtresse, elle et moi, un trio réuni dont je suis l’élément central.
Ma mère est intimidée d’être là. Elle comprend le français, l’a appris en regardant la télé quand le temps lui en laisse l’occasion, ou avec son amie, Clémence. Désormais, elle est capable de suivre ou de participer à une conversation. Qu’il est loin ce temps où pour choisir des viennoiseries elle devait les désigner du doigt. Elle n’a pas d’autres choix. Parfois, la boulangère double généreusement la quantité pour le même prix.
Ma mère, c’est une bonne et belle personne. Elle est mon héros. L’homme, c’est elle. On n’a pas de quoi rouler, on n’a pas d’or. Bref, on ne roule pas sur l’or, mais elle nous rend riches de valeurs. Comme elle se plie en quatre pour nous, on ne manque de rien. On a de tout, mais une seule fois.
Lorsque j’ai eu mon premier ballon de foot, elle m’a dit : « Tu l’as voulu, je te l’ai offert, car tu l’as mérité. Il est à toi, tu n’en auras qu’un, prends-en soin, car quand tu ne voudras plus jouer avec, il sera à ton petit frère. »
Elle est « une tueuse », ma mère. Elle a inventé un nouveau concept : Il est à toi, mais c’est à tout le monde.
Simplement, à sa manière, sans paroles extravagantes, avec des gestes tendres et sincères, elle nous rend heureux. Si j’avais eu le goût de l’écriture à cette époque, voilà ce qu’elle m’aurait inspiré.
Tu nous as élevés avec le même amour
Tu nous as vus grandir jour après jour
Qu’elles étaient belles nos assiettes
Pour toi, il ne restait que des miettes
Tu as entendu nos cœurs pleurer
Des larmes en toi se cachaient
Pour nous l’enfance l’insouciance
Pour toi des souffrances l’indifférence
Les années passées tu es la même
Je m’incline bien bas je te dis je t’aime
Étudier à l’école correctement n’est pas pour moi un droit, mais un devoir envers elle. On a faim, on mange. On a soif, on boit. On est à l’école, on travaille. J’ai compris cela dès mon plus jeune âge. La faire venir à l’école, ça m’énerve un peu, car je sais qu’elle a d’autres chats à fouetter, enfin plutôt des chatons, mes frères et ma sœur. La maîtresse prend alors la parole :
— Bonjour, madame. Je tiens d’abord à vous dire que vous avez un charmant petit garçon avec de beaux yeux.
Mon regard se porte sur elle. Des formes uniques qui m’attirent malgré moi. Une sensation que je n’ai jamais connue.
— Il est le meilleur élève de la classe. Il est bien intégré et très gentil avec ses camarades.
De ma place, je la vois de loin. De près, elle est irrésistible.
— Par contre, je le trouve réservé. Il doit s’exprimer davantage. Ça va l’aider pour plus tard. Moi, si j’étais timide, je n’aurais jamais pu devenir maîtresse.
Elle est comique quand même. Plus tard, c’est tout, sauf prof !
On est toujours debout et on parle beaucoup.
— À la maison, il est comme ça. Il est calme et s’entend bien avec ses cinq frères et sa sœur. Il ne me pose aucun souci, mais madame, c’est quoi le problème avec Jamal ?
— Comme il travaille très bien, il doit venir au tableau pour prendre un bon point.
— Il travaille très bien donc ? Je ne comprends pas ce qui ne va pas.
Je continue à la dévorer des yeux. Ma mère semble embarrassée, car elle craint une mauvaise nouvelle.
— Le problème c’est qu’il ne me dit pas merci quand il en reçoit un.
— C’est bizarre ça, c’est un garçon poli. Quand je lui donne quelque chose, il me répond toujours « merci, maman ». Peut-être que vous lui faites peur.
Là, ma mère m’a tué. J’ai failli exploser de rire. La maîtresse n’est pas Miss Univers, mais je ne la trouve pas si horrible que ça. Je ne peux détourner mon regard d’elle. Elle semble m’appeler : « Viens me chercher, je suis à toi ».
— Jamal, tu n’arrêtes pas de regarder cette barre chocolatée. Je l’ai achetée en Suisse. Tu la veux ? Prends-la.
— Merci, madame.
Je la désire tant, et elle aussi. Maintenant, elle est à moi à jamais. Je n’ai pas attendu longtemps pour la savourer. C’est la première fois que j’ai du chocolat d’une telle qualité dans ma bouche. Je suis en extase. J’habiterais la Suisse plus tard, ça doit être forcément un beau pays.
— Alors là, le « merci » est sorti tout seul. Tiens, un bon point, tu l’as bien mérité.
— Merci, madame.
— J’ai eu deux « merci » en deux minutes. Vous avez vraiment un bon petit gamin, il sera quelqu’un de bien. Je vous remercie d’être venue.
Je regarde ma mère et je la vois enfin soulagée. Elle qui craignait le pire. Comme on dit, « tout est bien qui finit bien ».
J’ai gardé cet entretien en moi, il ne m’a jamais quitté. Avec un élève, il faut toujours y aller progressivement. Madame Blanchard a réussi à nous mettre en confiance, ma mère et moi. Je n’aurais jamais imaginé qu’une barre chocolatée puisse me débloquer. Depuis ce moment, je sais qu’entre le chocolat et moi, c’est love for ever. La légende naît ce jour-là. Je comprends que j’ai deux faiblesses, le chocolat et le chocolat.
Cette maîtresse m’a marqué à jamais. Quelques années plus tard, deux professeurs ont eu un impact sur le collégien que je devins : mademoiselle Toursel et monsieur Caron.
Elle est une jeune prof de mathématiques, avec tous les réflexes d’une roublarde, à l’accent du Sud-Est qui me fait rire. J’aime l’imaginer dans une histoire de Pagnol. De taille moyenne, plutôt menue, elle nage dans sa blouse blanche. Ses tenues ne sont pas tape-à-l’œil. Elle ponctue souvent ses phrases par un sourire en coin. Elle a cette manie de faire tourner sa craie. C’est quelqu’un de simple qui fait son métier avec passion. À chaque cours, elle a une blague ou un jeu de mots qui nous donne envie d’écouter attentivement. Durant mon année de quatrième, je me suis dit : C’est ça que je veux faire.
Monsieur Caron, professeur de français, est le croisement du sergent Garcia et d’un militaire allemand. Quand il est entré dans la salle, la classe a eu le sourire en coin et on s’est dit : « Les gars, les vacances sont prolongées, ça ne nous changera pas de l’ancien ».
Il a commencé à parler, d’une voix grave et posée, puis un frisson s’est propagé d’élève en élève.
Le silence s’est imposé de lui-même, ça ne mouftait plus. En quelques mots, il a refroidi les ardeurs de quelques-uns.
Il faut dire qu’avec l’ancien prof on travaille à l’ancienne, les méthodes de pédagogie datent de la préhistoire. Tous les vendredis, il copie un texte long, très long. On doit le recopier sur la feuille. Pourquoi n’a-t-il pas eu la présence d’esprit de nous le photocopier ? Il y a des questions qui restent sans réponse.
— Chers élèves, voilà une fiche de renseignements à me rendre pour demain. Si on l’oublie, c’est une heure de retenue. Vous êtes sans professeur depuis deux semaines. On va rattraper le retard, démarrer de suite en préparant des affiches à coller au mur sur Louis XlV. Chaque groupe présentera son travail à l’oral.
En deux minutes, il nous a mis au travail et cela a duré trois mois, jusqu’au jour de son départ. Être en groupe, cela ne nous est jamais arrivé auparavant. Les fiches ? Il n’y a eu aucun oubli.
Le lundi matin est consacré à la dictée. Un jour, il s’est présenté pratiquement sans voix. On s’est dit : « Les gars, aujourd’hui on va l’esquiver. » Il sort un magnétophone, l’ancêtre du dictaphone, et le pose sur la table. D’une voix légère, il nous dit : « Prenez une feuille, la dictée va commencer dans trente secondes. » Il s’est enregistré le week-end !
Il a pris le soin de nommer quelques élèves : « Dylan, arrête de discuter, Mohamed ne panique pas, je vais répéter. » Et il a bien vu pour eux. Je me suis dit : Je veux surprendre comme lui plus tard. Un moment unique pour les collégiens que nous sommes. Lors de son départ, on est très tristes, car l’Allemand, surnom affectueux qu’on lui a donné, nous quitte, et l’ancien revenait surtout. C’est la double peine. Sa pédagogie active, humoristique et humaine mettait des paillettes dans nos yeux d’apprenants.
Madame Blanchard, mademoiselle Toursel et monsieur Caron étaient captivants, créatifs et passionnés. Ils m’ont tant apporté.
Je rêve alors secrètement d’être un mix des trois plus tard. Ma vocation vient d’eux.
Comme dit John Joss, « Il me faut plus de temps pour me rapprocher de moi-même que d’aller au bout du monde ».Le voyage vers le moi intérieur peut commencer. Je ne sais pas comment y aller, mais je sais où aller.
C’est le rôle essentiel du professeur d’éveiller la joie de travailler et de connaître.
Albert Einstein
À 25 ans, vêtu d’un jean, chemise bleue, baskets blanches, me voilà lâché dans la cage aux lions pour un remplacement de sept mois dans un collège de Sambre Avesnois. Ma barbe de trois jours à la George Michael me donne un air de beau gosse. Cela me permet surtout de paraître plus âgé.
Il est 14 h 40, un jeudi 6 décembre. C’est ma toute première heure de cours. Un puceau de l’Éducation nationale. À quelle sauce vais-je être dégusté ? Suis-je fait pour ce métier ?
Je me tiens tel un roc à la porte. Je lance à chaque élève, d’une classe de niveau quatrième, un bonjour sincère et franc. Certains me répondent, d’autres fuient mon regard. Quelle étrange sensation d’entendre un vouvoiement ! Une impression d’avoir pris dix ans en quelques secondes.
J’entre dans l’arène. Je fais dans le classique avec une prise de contact. Je prends mon temps pour leur faire remplir une fiche de renseignements.
Le silence règne dans la salle. De nature méfiant, je m’inquiète un peu. Je me faufile dans les rangs. Je les scrute du coin de l’œil et eux aussi. On m’avait prévenu : « Fais attention à toi, il y en a trois ou quatre, ce sont de sacrés ! » Je mets mes lunettes, je n’aperçois que des chatons.
La mémorisation est une de mes qualités. Elle va devenir une alliée en cette heure si particulière. Toutes les cinq minutes, je choisis cinq élèves qui me donnent leurs prénoms afin de les mémoriser. Il m’a fallu quinze minutes pour en retenir vingt.
— Sérieux, monsieur, vous êtes fort !
— Vous croyez que j’ai fait cela juste pour vous impressionner ? Maintenant je peux vous nommer personnellement. Je pense que c’est une forme de politesse, une marque de respect. J’ai pris peu de temps pour m’intéresser à vous. J’ai fait cela pendant un quart d’heure. Je ne me suis pas précipité. Lorsque l’on va travailler en classe, on va le faire progressivement. Manon, peux-tu m’apporter ton carnet ? Peux-tu également prendre celui de Marc ? Je peux ramasser vos carnets quand je le veux. Des fois, ce sera pour voir s’il y a des observations, vos attitudes dans les autres cours. D’autres fois, je pourrais y mettre une remarque positive.
J’ai préféré ne pas parler des heures de retenue dès la première heure de cours. Le côté sanction s’imposera de lui-même, en temps voulu. Je décide, après une lecture rapide de leurs fiches, de débuter une discussion avec les élèves dont les passions ont attiré mon attention.
— Manon, tu veux faire du mannequinat ?
— Oui, j’aimerais bien !
— Tu sais que dans ce domaine la beauté est importante.
La classe est hilare, et Manon aussi. Rire avec un élève et rire sur un élève, la nuance est de taille.
— Ahmed, as-tu une passion ?
— Oui, le football !
— Tu joues à quel poste ?
— Attaquant.
— Combien de matchs joués cette saison ?
— Dix.
— Et combien de buts ?
— Zéro.
De nouveaux rires éclatent. L’appréhension du prof débutant laisse place à une confiance qui grandit en moi. Je les ai dans ma poche, en espérant qu’elle ne soit pas trouée. Je devais être naturel avec eux, ne pas jouer un rôle. Je veux que mes élèves soient sincères avec moi, je dois l’être avec eux.
Je quitte le fond de la classe. À ce moment précis, une pomme de pin passe au-dessus de ma tête pour atterrir près du bureau.
— C’est bête, car la chute et la trajectoire des projectiles ne sont abordées que l’année prochaine en troisième.
Mon humour avait-il sa place à ce moment ? En tout cas, cela m’a permis de dédramatiser la situation. Rapidement, je propose aux élèves de prendre un quart de feuille pour y noter le nom du coupable. Je ne savais pas où cela allait m’emmener. Ça passe ou ça casse. Une seule chose était primordiale : qu’ils répondent avec sérieux et sincérité.
L’option détective se déclenche instinctivement. Je peux éliminer les deux premières rangées, car elles étaient dans mon angle de vue. Mon intuition se dirigea vers trois élèves au fond de la classe. N, une fille discrète au regard d’ange, et les deux autres, M et A, deux garçons, deux têtes de winners. Le coupable est parmi eux. Trop facile pour moi !
Dans mon corps se mélangent Sherlock Holmes, Columbo et le Mentaliste. L’auteur de ce jet, je le tiens. Il est dans mes filets, il ne peut plus m’échapper.
Au moment où je synthétise les réponses, il reste cinq minutes avant la récréation. Je dois faire vite par peur de voir le coupable prendre la fuite. C’est lui ou moi. Il ne peut en rester qu’un. Cinq noms apparaissent : M, A, N, Rambo et Superman. J’ai tout vu, et surtout bien vu.
— Je pense que je peux enlever deux noms, car je ne vois ni Rambo ni Superman.
C’est la sonnerie. Les élèves se lèvent pour quitter la salle. Je ne peux pas me résoudre à laisser partir ma proie. D’un ton ferme et incisif, j’ordonne aux élèves de reprendre leurs places.
— Monsieur, c’est la récré !
Je venais de trouver leur faiblesse, leur talon d’Achille. La récréation semble essentielle et vitale pour eux.
— Les personnes citées restent. Elles partiront dès que la personne se dénoncera. Le reste de la classe, vous pouvez sortir calmement.
Une discussion s’instaure avec les trois élèves. J’attendais avec impatience l’aveu d’un des deux garçons.
— Si des excuses sont présentées, je suis prêt à passer l’éponge.
— Monsieur ! c’est pas nous !