Histoires singulières - Jean-Luc Rogge - E-Book

Histoires singulières E-Book

Jean-Luc Rogge

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Beschreibung

Une religieuse angoissée à l'idée de perdre la foi ; le paradis espéré qui se révèle être un enfer ; une mère loin d'être idéale ; un fils faussement éperdu d'admiration pour son père ; un adolescent fou de foot victime d'un prêtre ; un coup de foudre inattendu ; la mort au bout du chemin : Quelques-uns des thèmes variés des vingt-trois histoires singulières de ce recueil de nouvelles courtes dans lesquelles des êtres de tous horizons dévoilent leurs failles et tentent de vivre ou de survivre dans notre monde imparfait. "Histoires singulières": un univers particulier où la légèreté côtoie la gravité ; la drôlerie, la tristesse ; le réel, l'imaginaire ; la vie, la mort.

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Seitenzahl: 116

Veröffentlichungsjahr: 2022

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À toi qui partages ma vie et sans qui je ne serais rien

Du même auteur :

Histoires à vivre avec ou sans vous

Histoires fâcheuses

De bien curieuses histoires

Dérapages inattendus

Fractures familiales

Rien de grave, je t’assure

Table des matières

Je m’appelle Louis

Une confidente pour sœur Isabelle

Papa est formidable

L’adieu

Ondes mystérieuses

Carte rouge pour l’abbé

L’horoscope

Isabelle se lâche

Ils avaient donc raison

Un pari malheureux

Le journal intime de Clothilde

Dernière promenade

Les six dernières heures

Une nuit agitée

Un remède radical

Le monde a basculé un jour pluvieux

L’humour de l’oncle Hubert

Un cri dans la nuit

La folie me guette

Les naufragés

Le vagabond

Coup de foudre

L’apocalypse

Je m'appelle Louis

Je m’appelle Louis, j’ai douze ans et je veux mourir. J’ai commis ce soir un acte irréparable. Ma douleur est insupportable, mon remords infini. C’en est trop, je vais en finir. Adieu. Pardonnez-moi et surtout prenez soin d’elle. Je l’aime tant.

Tout avait pourtant commencé comme dans le plus beau des contes en cette fin d’après-midi de printemps : la journée avait été magnifique, je m’étais amusé comme un fou avec les copains du quartier et, le soir tombant, j’étais occupé à rêvasser dans le jardin à d’improbables aventures teintées d’exotisme lorsqu’une succession de petits cris plaintifs m’avait sorti de ma somnolence.

Presque aussitôt, avant même d’avoir eu le temps de m’inquiéter, une minuscule chatte blanche, au bout de la queue et au contour des yeux parsemés de poils gris lui procurant un air fripon, était sortie des fourrés bordant l’extrémité de notre domaine.

Après m’avoir observé longuement, elle s’était approchée sans hésitation et elle était venue me caresser le bas des jambes tout en commençant à ronronner joyeusement.

En un instant, elle m’avait séduit.

***

Mon plaidoyer auprès de papa et maman pour adopter cette pauvre petite bête abandonnée et, sans aucun doute, condamnée à mourir de faim, s’ils ne se décidaient pas, bien vite, à l’accepter parmi nous fut, et j’en fus le premier surpris, couronné de succès. Ayant, eux aussi, succombé au charme de la jeune demoiselle, elle put, avec leur bénédiction, s’installer confortablement à la maison et y vivre parfaitement heureuse.

L’irruption de minette – pas très original, j’en conviens, comme prénom pour une chatte – bouleversa mon quotidien. Très vite, elle me choisit comme compagnon et prit l’habitude de me suivre partout dans la propriété et de bondir sur moi à chaque occasion en ronronnant. Au fil des jours et des siestes prolongées, nous apprîmes ainsi à nous connaître, à nous apprécier, à nous aimer. Je lui confiais mes joies, mes peines, mes secrets d’enfant ; elle partageait avec moi la sagesse de sa vie de chatte et m’apportait régulièrement de petites musaraignes vivantes en guise d’offrande : « Vas-y, amuse-toi, elle est à toi » semblait-elle me dire.

Puis un soir, alors que mon amie, au ventre devenu énorme, rêvassait confortablement installée sur mes genoux et que nous étions, maman et moi, occupés de dîner tranquillement, papa, d’une voix menaçante, nous demanda si nous avions déjà imaginé une solution pour nous débarrasser des futurs chatons de minette. Avant que nous ayons eu le temps de bien saisir le sens de ses paroles, il reprit de plus belle et nous asséna, en guise d’avertissement, que de toute manière, lui ne s’occuperait de rien mais qu’il voulait que les nouveau-nés disparaissent dès la naissance, sans quoi leur mère succomberait avec eux !

En pleurs après le départ de papa, maman me fit comprendre que les mots de celui-ci n’avaient rien de paroles en l’air. Elle se mit donc en quête de solutions radicales et, après avoir consulté maints livres et magazines et demandé l’avis de mille et une personnes, elle en vint à la conclusion que la meilleure issue pour les chatons était la noyade. Après avoir été déposées quelques minutes sur de la ouate imbibée d’éther afin qu’elles s’assoupissent, les pauvres bêtes devaient être plongées dans une bassine d’eau recouverte d’un couvercle. Le simple énoncé de ces horreurs à commettre réussit à désespérer maman et, tout en tremblotant, elle se mit à gémir à n’en plus finir.

Je ne pus supporter bien longtemps de voir maman prostrée et, du haut de mes douze ans, comme un homme responsable – je suis quand même celui qui a trouvé minette – je lui dis que ce sale boulot, j’allais m’en charger.

Comment ne me suis-je pas rendu compte de suite des conséquences désastreuses de mes paroles ?

En fait, à cet instant précis, deux choses seulement comptaient à mes yeux : faire cesser les pleurs de ma douce mère et trouver, coûte que coûte, un moyen de sauver minette.

— C’est arrangé chéri, Louis va s’en occuper.

Si, quelques heures plus tard, l’annonce de maman eut l’air de satisfaire pleinement mon paternel, elle me fit alors prendre pleinement conscience que mon cauchemar allait bientôt débuter !

***

Ils sont nés une fin d’après-midi peu avant dix-huit heures. Minette a diablement miaulé avant de réussir à expulser le premier chaton. Un instant, j’ai pris peur car j’ai cru qu’elle allait y rester. Heureusement, les trois autres ont ensuite suivi facilement.

Ah ! il fallait la voir s’agiter autour de ses progénitures ; les lécher à n’en plus finir pour leur ôter toute impureté ; les cajoler ; les inciter à commencer à téter…

Perdu dans ma contemplation, j’en oubliais presque la sombre besogne qui m’attendait lorsque mon père – comme je l’ai haï à cet instant – me rappela d’un simple regard à mes obligations. Un simple regard lourd de sens : « Bourreau, fais ton office… »

***

Ils sont morts !

Morts et enterrés.

J’ai agi machinalement, méthodiquement. Sur les conseils d’un camarade qui m’avait vanté ce procédé efficace, garanti sans souffrances, je les ai arrachés sournoisement à la protection de leur génitrice et je les ai envoyés, l’un après l’autre, de toute la force de mon bras droit, à la rencontre du mur blanc de la cour de la maison.

L’horreur !

J’en suis malade, malade de honte.

Je pensais ne pas avoir le choix mais, pourtant, je l’avais.

Pourquoi ne me suis-je pas révolté ? Pourquoi ai-je accepté sans sourciller le diktat de mon père ? Pourquoi ?

Même si mon unique intention en accomplissant ce geste était de la sauver, il m’est impossible à présent de supporter encore le regard de minette, moi qui suis seul responsable de la mort de ses petits.

J’ai douze ans et je suis un assassin, rien d’autre qu’un vulgaire assassin.

***

Sur le coup de huit heures, en traversant le passage à niveau situé sur la route qui devait le mener à l’école du village, Louis, douze ans, a été happé par un train. Le malheureux est décédé sur place. Il s’agirait d’un acte volontaire.

Une confidente pour sœur Isabelle

— Vous avez entendu, sœur Marie-Louise ? On aurait dit un miaulement.

— Mais non, sœur Isabelle, vous rêvez. Pressez donc plutôt le pas, nous allons manquer le début des vêpres et vous savez que la prieure est très stricte quant au respect de l’horaire des offices.

— Mais si, là, regardez, près du chêne. Un chat, un chat noir. Oh ! mon Dieu, comme il est mignon.

— De grâce, sœur Isabelle, venez. La cloche a déjà cessé de sonner.

— Allez-y, allez-y, je vous rejoins tout de suite. Cette pauvre petite créature du Seigneur a besoin d’aide.

***

— Eh bien, petite, car tu es une petite femelle, n’est-ce pas, comment as-tu pu réussir à t’introduire dans le jardin du couvent ? Méfie-toi, ma jolie, il est plus facile d’y entrer que d’en sortir. Et il te faudra bien réfléchir avant de prononcer tes vœux. Oh ! comme tu sembles fatiguée. Allez, suis-moi, viens vite que je te montre ma cellule. Ne t’inquiète pas, elle est assez spartiate mais tu n’auras qu’à te reposer sur le lit. Et ne crains rien, quand tu le souhaiteras, tu pourras aisément sortir car je loge au rez-de-chaussée et la fenêtre, bien que minuscule, donne directement sur le jardin. Pour tes repas, je m’arrangerai pour t’apporter en catimini du réfectoire de quoi boire et manger. On ne manque de rien ici, sais-tu. Attention cependant, motus et bouche cousue, pas de miaulements intempestifs. Personne ne doit savoir que tu t’es installée chez moi.

— Ah ! tu ronronnes. Comme je t’aime déjà, brave minette.

— Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te baptise ; dorénavant, tu t’appelleras chatte Véronique. Oh ! le merveilleux blasphème. Pardonnez-moi, mon Dieu.

***

Ne me fixe pas ainsi pendant ma toilette Véronique, cela me gêne horriblement.

Je ne supporte plus ce corps usé prématurément, cette peau qui se dessèche, ces cuisses, autrefois rebondies, devenues flasques, ces seins inutiles qui reluquent le sol. Que je le veuille ou non, j’ai plus de soixante ans à présent, chérie, et il faut que je l’accepte, que je m’accepte. Ah ! je voudrais tant être présentable encore.

Quelle coquetterie, quel orgueil pour une sœur, me diras-tu. Oui, je sais, chérie, c’est un péché mortel contre lequel je lutte mais, bon, je ne suis qu’humaine et loin d’être parfaite.

Tu n’en as rien à faire, tu m’apprécies telle que je suis, merci ma jolie mais quand même. Ah ! si tu m’avais vue, il y a vingt-cinq ans. Non, attends, plutôt trente-cinq, lors de mon entrée chez les bénédictines. Un beau brin de fille que j’étais, tu sais. Et je leur plaisais aux garçons avant mon renoncement. Entre nous, je crois que je leur faisais de l’effet. Oui, oui, je t'assure. Il y en a d’ailleurs un qui m’attirait particulièrement. Il s’appelait Marc. Et je peux te l’avouer, celui-là m’a même embrassée sur la bouche. Et aussi un peu plus… si tu peux imaginer ce dont je veux te parler. Mais rassure-toi, je suis toujours vierge. Notre Seigneur m’a appelée à lui avant l’irrémédiable.

Zut ! avec le recul, je me dis que j’aurais quand même bien voulu le connaître cet irrémédiable, moi, ne fût-ce qu’une seule fois. Ah ! Marc, pourquoi ai-je écouté maman lorsqu’elle m’a parlé de ces ridicules histoires de famille. Tout ce qu’elle souhaitait, en fait, était que je prenne le voile au plus vite. À y réfléchir, le Seigneur s’est donc adressé à moi via maman. Ah ! sacré Seigneur, va. Sacré farceur. Mieux vaut en rire, non, minette ?

Je me suis quand même toujours posé la question : qu’aurais-je fait si Marc s’était présenté au couvent et avait tenté de me dissuader de m’engager dans la vie religieuse ? Ma foi aurait-elle été assez forte pour résister à l’appel de la chair, de l’amour, de la vie ?

***

Mais arrête donc de jouer avec mon chapelet, ma puce, tu vas me le mettre en pièces et je ne voudrais pas être obligée d’aller tenter d’expliquer ce drame à notre chère prieure qui veille constamment, et avec une telle sollicitude, sur tous les biens de notre communauté.

Tu en as de la chance, toi. Pas de vie de groupe, pas d’horaires, pas d’offices. Oh ! je ne me plains pas, tu sais, mais il n’est tout de même pas toujours évident de cohabiter 365 jours par an avec 16 autres bonnes femmes avec lesquelles, hormis l’amour inconsidéré du Christ, on ne partage pas forcément grand-chose. On a beau prôner l’amour du prochain, l’égalité, la fraternité, je t’assure, entre nous, que j’ai parfois très envie de gifler certaines de mes consœurs qui arrivent à m’exaspérer profondément, ou même la Prieure lors de ses crises d’extrême autorité. Le problème, vois-tu, c’est que nous ne sommes que des femmes, qu’on le veuille ou non. « Seigneur, pardonne-nous nos faiblesses. »

As-tu constaté, douce Véronique, que nous ne sommes plus très nombreuses ? Actuellement, notre communauté ne compte plus que dix-sept sœurs, douze Belges, dont l’âge varie de cinquante-six à quatre-vingt-sept ans, deux Rwandaises, d’une bonne trentaine d’années, ayant échappé dans leur jeunesse au génocide qui a ensanglanté leur beau pays, et trois Haïtiennes, d’un peu plus de vingt ans. Ah ! il n’y a pas de doute, la crise des vocations nous a frappées de plein fouet. Pense qu’il n’y a pas si longtemps, il était de bon goût que chaque famille nombreuse compte au moins un prêtre et une religieuse en son sein. À l’époque, les appels du Seigneur étaient les bienvenus dans les chaumières. Aujourd’hui, ils sont devenus la hantise de tout parent qui se respecte.

Les églises se sont vidées. Les méthodes ont changé. Nos jeunes recrues actuelles sont presque toutes des étrangères arrachées à une misère infinie. Pour elles, la découverte de l’amour du Christ peut être assimilée à une planche inespérée de salut. Hélas, elles se retrouvent ensuite cloîtrées chez nous et subissent un train-train quotidien, une monotonie effrayante, pas nécessairement à leur mesure.

Mais ne t’enfuis pas minette, tu ne risques rien, la Prieure est allergique aux poils. Elle ne voudrait en aucun cas t’accepter dans la communauté. De toute façon, ne l’oublie quand même pas, tu es une chatte.

Dieu, je divague.

***

Tu vois Véro, je râle mais, en fait, je n’ai pas à me plaindre. Ma vie, consacrée à la recherche de Dieu comme l’a voulu Saint Benoît, fondateur de notre communauté des bénédictines, est parfaitement huilée. Ni soucis, ni tracas.

Jeune fille, j’ai répondu à l’appel de Dieu et je me suis, dès cet instant, engagée à vivre pour et avec le Christ dans une réelle solitude, dans une relation privilégiée avec lui. J’ai accepté la vie commune : prier ensemble, travailler ensemble, prendre les repas en commun dans le partage et l’écoute mutuelle. Mon choix fut délibéré. Pourquoi devrais-je le regretter maintenant ?

Te rends-tu compte, adorable chatte, que depuis ma prise de voile, à raison de sept offices par jour, j’ai participé à près de quatre-vingt-dix mille célébrations. Renversant, non ?