Hymne à la vie… Aux morts - François de Combray - E-Book

Hymne à la vie… Aux morts E-Book

François de Combray

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Beschreibung

Le parcours de François est une véritable odyssée à travers les tumultes de l’existence. Son adolescence est marquée par des pertes déchirantes, plongeant son monde dans une crise profonde. Toutefois, au lieu de succomber à la tourmente, il décide de s’engager sur le long chemin de la psychologie, une aspiration intrépide vers la rédemption. Au fur et à mesure, François réintègre les codes sociaux, tissant des liens inattendus avec des âmes compatissantes. Mais le mystère qui demeure est de savoir si cette reconstruction le mènera enfin vers la quiétude tant recherchée. Plongez dans cette histoire émotionnelle et captivante, où chaque page révèle un nouvel épisode de sa quête passionnante vers l’équilibre.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pour François de Combray, la littérature est un moyen de libération. Fils d’un ouvrier et d’une mère au foyer, sa jeunesse agitée l’oriente vers la psychothérapie sociale. À travers ses écrits, il souhaite partager son expérience et rendre hommage aux professionnels de la santé qui l’ont accompagné.

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François de Combray

Hymne à la vie…

Aux morts

© Lys Bleu Éditions – François de Combray

ISBN : 979-10-422-1154-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

I

En cette fin de matinée, le soleil inondait les champs d’une lumière chaleureuse. Des maraîchers s’activaient sur leurs terres à ramasser des poireaux. Une légère fumée se dégageait par la cheminée du tracteur rouge, une femme emmitouflée jusqu’aux oreilles était au volant. Des hommes chargeaient méthodiquement les bottes de poireaux sur la remorque. Une voiture bleue passa sur la route, instinctivement les paysans relevèrent la tête. François rentrait de l’école comme chaque midi pour déjeuner à la table familiale. Sa maman ne travaillant pas, François avait l’opportunité de ne pas manger à la cantine scolaire et ainsi de déguster un repas de choix. François était un grand garçon brun, au corps fin, avec une voix déjà grave pour ses presque six ans. À cet âge, l’école rythmait son existence par ses contraintes et ses joies. Comme il le découvrait, la vie n’était pas aussi exaltante que son imagination débordante.

Le véhicule continua sur sa route et s’engouffra dans le lotissement résidentiel. Le dernier virage effectué, François aperçut toute de suite cette voiture verte, ô combien familière : celle de ses grands-parents. Son cœur se remplit de joie et il sauta, à peine arrivé, pour se précipiter vers eux. D’un geste brusque, sa mamie arrêta son élan. Il ne comprit pas, se retourna vers sa maman pour trouver l’explication à ce comportement étrange. Et cette phrase qui tomba venant entacher cette belle journée au ciel bleu : « Mémé Hélène est morte ce matin ! » Sa maman fondit en larmes, tandis que ses grands-parents maîtrisaient mal leur émotion. Ceux-ci expliquèrent que mémé, se sentant fatiguée, avait demandé à une religieuse de la maison de retraite pour se recoucher et qu’elle ne s’était plus réveillée.

Les parents de François, durant le repas, lui donnèrent plus d’informations sur la mort. « Mémé était la mère de ta grand-mère, elle était âgée. Seules les personnes âgées décèdent, ce n’est pas parce qu’elle est morte que tout le monde va mourir. » Ses parents avaient un sourire forcé. Sa maman ne pleurait plus ; François sentait bien que l’atmosphère était moins triste, mais que l’ambiance n’était pas normale. Les explications lui semblaient importantes pour mieux saisir l’instant et le comprendre.

Son père reprit après un moment de réflexion : « la vie se compose de quatre phases comme la nature avec les saisons. Au printemps, la végétation renaît après le long sommeil de l’hiver, les feuilles poussent aux arbres, je sème et plante dans le jardin. Le soleil est plus chaud, le temps est moins souvent gris, les nuits sont plus courtes, tu peux jouer de nouveau dehors en ayant plus chaud. Puis l’été vient, la végétation est à son paroxysme, nous récoltons dans le jardin les légumes et les fruits. C’est la période de l’année où nous profitons le plus de la vie. Ensuite l’automne arrive, entraînant une chute des températures, pour toi c’est le début d’une nouvelle année scolaire. Les arbres perdent leurs feuilles, la nature se fane. Nous arrachons les derniers légumes du jardin pour les mettre à l’abri du froid et des intempéries. Finalement, quand la végétation s’est endormie l’hiver survient avec quelquefois son grand manteau neigeux. Tout paraît mort et triste.

Eh bien, la vie, elle est identique ! Tu es au printemps de ta vie, tu te construis comme une jeune pousse, tu grandis, tu grossis, tu apprends à vivre. De ta naissance jusqu’à l’âge adulte, tu es au printemps de ta vie. Après tu es un adulte comme ta maman et moi-même, à l’été de ta vie, tu cherches à construire un couple pour avoir des enfants. De même, les oiseaux édifient un nid et donnent naissance à leurs petits durant cette saison. Tu obtiendras un travail pour subvenir à tes besoins, t’installer chez toi et fonder un foyer. Puis comme tes grands-parents, tu atteindras l’automne de ta vie, tu ne travailleras plus, tu disposeras de plus de temps. La vie te laissera du répit. Finalement, inexorablement, l’hiver surviendra, et comme mémé, tu t’endormiras pour toujours avant de ressusciter dans le royaume de Dieu. Dans ce lieu, tu seras heureux, joyeux ; tu ne souffriras plus. »

François pensa longtemps durant les jours suivants à cette discussion. Malgré la joie qu’apportait une nouvelle journée, il réalisait que nous nous retrouvons toujours plus près de l’hiver de notre vie. Peut-être était-il beau ce royaume ? Mais il était l’inconnu, l’étrangeté ; cela lui faisait peur… Dans sa propre réalité, François ne souhaitait pas croire à l’absence éternelle de sa mémé. Le soir, il structurait sa vision des faits tout en y mélangeant ses rêves. Comme les adultes lui disaient : sa mémé s’était recouchée, endormie et jamais réveillée. Un peu comme Blanche Neige ou la Belle au Bois Dormant, un sort effroyable les avait emportées dans un sommeil éternel. Pourquoi alors un prince ne déposerait pas un baiser sur les lèvres de mémé pour lui insuffler de nouveau la vie… Non, cela était impossible, car elle était vieille, au bout de son cycle de vie, à l’hiver de son existence. Car les princes ne se préoccupaient que de séduisantes et charmantes jeunes demoiselles. Son prince à elle, il était mort depuis longtemps et devait s’ennuyer seul dans le royaume de Dieu sans sa bien-aimée. Elle avait été mariée, son époux était décédé quelques années avant elle. Donc cette histoire, elle se terminait bien, elle rejoignait enfin son amour qui la précédait au Paradis.

François reprit le cours de sa vie. Il était heureux d’avoir découvert une nouvelle phase de la vie : la mort. Il en tira sa propre morale. Ce cycle, avec cette lumière naissante chaque jour, vous décompose au fur et à mesure. Chaque matin le soleil se lève : dans le désert, il assèche la terre ; sur la peau, il provoque un assèchement qui donne des rides à long terme. D’ailleurs, sa mémé en avait beaucoup, car elle avait vécu la naissance d’un nouveau jour maintes fois. Alors au bout d’un certain moment, il comprit que pour combattre cet état de fait, il fallait vivre pleinement et qu’à chaque époque de la vie suffisait sa peine. Pour vivre le plus longtemps, l’homme a besoin d’eau, de nourriture, de lumière et d’air. Il était important pour lui de prendre soin de son corps. Grâce à cela l’homme vit, mais surtout il atteint l’hiver de sa vie.

Quelques jours plus tard, l’enterrement eut lieu. Ses parents ne l’emmenèrent pas. Mais ce qui surprit le plus François, ce fut de constater que son papa ne travaillât pas ce jour-là. De plus, il mit un costume, le moment devait être exceptionnel, car son papa n’en mettait jamais, même pas le dimanche. Son costume c’était sa cotte de travail verte.

« La mort d’une personne est très importante pour nous, c’est l’ultime fois où l’on peut lui dire au revoir avant qu’elle ne parte pour le royaume de Dieu, qu’elle entre au Paradis », lui expliqua sa mère. Malgré tout, la mort devint pour François une irréalité, car sa mémé était toujours présente dans son esprit. Et malgré tout pour lui, elle n’était pas morte spirituellement, seulement partie dans un monde meilleur comme les adultes l’appellent le Paradis : le meilleur des mondes !

II

Quel plus beau jour que le mercredi ! François aimait énormément cette journée. Non pas, qu’il détestait l’école d’ailleurs il l’appréciait, mais il pouvait s’amuser et laisser libre cours à son besoin de défoulement. Davantage, le mercredi après-midi était synonyme de joie avec la visite à ses grands-parents. L’excitation était à son comble lorsque l’heure du départ sonnait. La voiture, conduite par sa maman, l’emmenait vers un instant de bonheur et de joie. De plus le trajet n’était pas ennuyeux, le véhicule empruntait la voie sur berge.

François se pressait à la vitre pour apercevoir les péniches, les pousseurs sur la Seine. Il imaginait la cargaison qui se cachait dans le ventre de chaque bateau. Il savait que grâce à eux, Paris était ravitaillé en divers produits indispensables à la vie. Après avoir longé le fleuve, sa maman prenait le pont pour passer sur l’autre rive. De celui-ci, le véhicule dominait le théâtre de la Seine. Les péniches étaient imposantes même s’il les voyait de haut. Sur la route, François aimait observer les imposants semi-remorques, les camions. Il s’amusait à essayer de deviner leur marque au fur et à mesure que sa maman les doublait.

Ses grands-parents habitaient de l’autre côté de la Seine, ils étaient aussi sur l’autre rive de la vie. Ils étaient à la retraite. Sa mamie avait été couturière à domicile. Elle confectionnait des vêtements à la demande et suivant les goûts de ses clients. Un métier magique pour François, car d’un tissu – elle le découpait, elle l’assemblait – naissaient des habits qui enveloppaient et protégeaient du froid. Même à la retraite, elle continuait à coudre. Elle créait de merveilleuses robes ou des tailleurs pour habiller des poupées qui étaient vendues lors de kermesses catholiques. Ces poupées rappelaient à François de fabuleux contes tels que la Belle au Bois Dormant ou Cendrillon.

Cela entraînait François dans son imaginaire d’enfant. Certaines poupées n’avaient pas la peau blanche, elles représentaient les quatre coins du monde, et leurs vêtements étaient particuliers. Sa mamie aimait le côté cosmopolite de ses créations. Pour elle, le soleil brillait sur la terre et pour tous les hommes. Les différences de culture ne devaient pas empêcher de connaître et d’apprécier son prochain même si celui-ci avait une autre couleur de peau. Donc il était normal de le représenter et ainsi de lui rendre hommage.

Son papy avait été ouvrier à la chaîne dans une usine automobile à la fin de sa carrière professionnelle. Il s’occupait chez lui en jardinant dans son potager, mais à l’inverse de son papa, son jardin était moins propre. De mauvaises herbes poussaient entre les légumes et retiraient beaucoup d’attrait à la beauté de l’endroit. Mais aussi, il bricolait dans son garage au fond de la cour. Il avait toujours une occupation grâce à l’entretien de sa maison. À l’inverse de son papa, il prenait soin de son apparence vestimentaire. François constatait ainsi la différence entre son papy issu d’un tissu urbain et son papa sorti de sa campagne à cause de l’exode rural. Son papy portait un chapeau, alors que son papa mettait une casquette. Mais surtout le dimanche, son papy revêtait un costume tandis que son papa gardait une cotte verte. Car celui-ci bricolait à la maison ou jardinait dans son potager. Son papa lui disait souvent qu’il ne pouvait pas le faire en semaine comme son papy qui était à la retraite. Néanmoins, François comprit que son papy respectait le jour du Seigneur par le repos et pas son papa. Cela lui paraissait très important d’obéir à ces principes de vie.

Un des moments féeriques de l’après-midi était le goûter. Suivant l’ordre de sa mamie, François courait chercher son papy pour l’avertir que tout le monde l’attendait pour une collation. Avec plaisir, François dégustait un bol de chocolat qui était un régal. De leur côté, les adultes discutaient autour d’une tasse de café. Inexorablement l’heure du départ arrivait. Ce retour était plein de mélancolie. François aurait souhaité voler un instant d’éternité au temps. Car il aimait ces instants de bonheur. Ses grands-parents étaient pour lui un havre de tendresse. François était toujours heureux de passer quelques jours de vacances chez eux. Ainsi il vivait à leur rythme, loin de l’empressement de ses parents en activité.

Les saisons se succédaient les unes aux autres. François grandissait, apprenait à l’école toujours de nouvelles choses qui le passionnaient. Il vivait en harmonie dans ce milieu grâce au foyer parental de ses grands-parents. Ces personnes lui permettaient de se structurer pour mieux affronter la vie, son avenir.

Lors du début d’un hiver, une nouvelle banale arriva. Son papy avait des problèmes de mémoire, il avait du mal à s’exprimer, à trouver ses mots. Sa mamie disait à tout le monde qu’il était fatigué. Finalement il avait juste besoin d’un peu de repos. Mais la détente ne suffit pas, sa mémoire ne revenait pas. De plus en plus, son papy perdait la logique cohérente de ses phrases et ne parvenait plus à en prononcer certaines parties. Les visites médicales se succédaient. Mais les résultats étaient minimes, le problème n’était absolument pas résolu. François comprenait bien que son papy entrait dans l’automne de sa vie. Et à ce moment-là, des maux pouvaient surgir.

François continuait à se motiver à l’école et à y obtenir des résultats honorables. La vie se déroulait, le temps ne s’était pas arrêté, le monde tournait toujours même si son papy était de plus en plus malade. Les choses, les éléments évoluaient vers l’avenir. François voulait vieillir de quelques mois pour connaître la destinée de son papy. Il souhaitait le retrouver en pleine forme à l’aube du printemps de cette nouvelle année qui s’annonçait. Malgré ce dur hiver, son papy serait revenu à une forme totale, aurait retrouvé toutes ses possibilités, sa joie, son rayonnement.

Cependant les médecins ordonnèrent des examens à l’hôpital. François était heureux de rendre visite à son papy. Ainsi cela rompait avec la monotonie de sa vie scolaire. Il découvrait un nouvel univers : l’hôpital. Le bâtiment blanc de celui-ci était imposant, il s’élevait sur six étages. La façade n’était qu’une baie vitrée, le balancement des arbres par le vent se reflétait dessus. Dans le hall d’accueil, il y avait un fourmillement continuel. Des malades en robe de chambre s’y promenaient. Des visiteurs y passaient les bras chargés de fleurs ou de paquets pour s’engouffrer ensuite dans un des ascenseurs. Différents magasins et leurs clients donnaient une animation atypique au sein de ce lieu médical. Un brouhaha continuel s’échappait de la cafétéria. Celui-ci amplifiait encore plus la vie de l’endroit. Puis François et sa maman prenaient l’ascenseur pour se rendre au chevet de son papy. Plus ils montaient dans les étages, moins ils entendaient de bruits, juste le chuintement du mécanisme de l’ascenseur.

Dans le couloir, des infirmières en blouse blanche circulaient, poussant des chariots remplis de médicaments et de piqûres. François aimait rendre visite à son papy, mais l’ambiance ne lui plaisait pas. Cette chambre ne respirait pas la vitalité. Les murs étaient blancs sans décoration, comme les draps du lit. Finalement cela dégageait une impression de propreté impressionnante. Seul un objet cassait l’austérité de l’endroit : une télévision diffusait les émissions d’une des chaînes programmées en couleur. François enviait beaucoup son papy pour cela, car chez lui la télévision était en noir et blanc. Le son qui s’en dégageait était difficilement audible. Il ne fallait pas que le bruit dérange le calme dont les malades avaient besoin pour se reposer.

Comme les adultes de la famille, François avait confiance dans le corps médical et dans leurs possibilités. Il attendait des médecins la guérison de son papy. Son papa lui avait malgré tout expliqué que l’homme n’est pas construit aussi simplement qu’une machine. Il ne suffisait pas de remplacer une pièce pour que tout fonctionnât de nouveau. Faisant exception de certaines paroles, François se forçait à croire que son papy n’irait pas plus mal maintenant qu’il était à l’hôpital ; car cela était le lieu où les hommes étaient le mieux soignés.

Le temps s’écoulait, les mois passaient ; son papy sortait de l’hôpital puis y entrait de nouveau. François ne comprenait plus. Pour lui, il fallait effectuer une opération, retirer le mal comme pour son appendicite, et qu’après tout irait bien. D’ailleurs, son papy n’était pas arrivé blessé comme un accidenté de la route. La découverte matérielle de l’hôpital avait été de pair avec la compréhension de son fonctionnement. Selon François, une personne pouvait être admise à l’hôpital soit en urgence à cause d’un sérieux accident soit pour remédier à divers maux. Si à cause d’un accident, la personne arrivait en saignant avec des plaies apparentes, François comprenait qu’elle puisse mourir. Mais son papy n’avait que de petits problèmes de mémoire, donc les thérapeutes devaient le guérir, car ils possédaient le savoir médical. Il suffisait de lui retirer son mal. Dans tous les cas, les médecins avaient juré par le Serment d’Hippocrate de soigner le mieux possible tous leurs malades. Son papy ne pouvait que guérir, car il n’était pas au crépuscule de son existence et n’était pas près de s’éteindre.

Avec le retour du printemps, seul le climat s’améliorait, la santé de son papy restait identique. Toute la famille était fatiguée par ce combat. Sa mamie se rendait chaque jour à l’hôpital. Mais la lutte contre la maladie devenait vaine et le perdant semblait être son papy. Les docteurs ne pouvaient plus rien pour lui. Ils avaient finalement informé la famille que leur papy avait une tumeur au cerveau. Aucun chirurgien ne souhaitait tenter une opération de peur d’échouer. Son papy entra dans une maison de repos à la campagne. C’était un endroit en pleine nature, rempli d’arbres et de végétation – où il faisait bon vivre – mais son papy ne reprenait pas le dessus et malheureusement continuait à perdre ses facultés. François était désespéré par la logique des faits, le manque de savoir des médecins était de plus en plus évident. La vie humaine n’était pas aussi schématique que l’on avait pu lui dire. Et elle n’était pas comparable à la vie végétale dictée par les saisons. La seule vérité était qu’une personne était mortelle. La mort avait du pouvoir sur chacun de nous. Elle donnait libre cours à sa force quand elle le voulait.

Le sort de la destinée s’acharnait sur sa famille. Un dimanche soir, sa mamie eut un malaise. Elle fut transportée d’urgence à l’hôpital dans une ambulance. Cet événement détruisit toute la logique de François. Finalement les urgences ne concernaient pas seulement les autres. Mais dans ce cas, c’était sa mamie. François avait souvent vu ces véhicules sanitaires arriver sur les chapeaux de roues aux urgences. Grâce à leur gyrophare et à leur sirène hurlante, ils dépassaient toutes les autres voitures. Il s’imagina bien le slalom de l’ambulance dans la circulation, et sa maman et son oncle suivre ce rythme endiablé dans leur voiture. À l’approche de la ville, François voyait bien souvent un véhicule blanc ou une voiture rouge des pompiers doubler à toute allure sa voiture lors du trajet vers l’hôpital. La vivacité de la vie citadine entraînait beaucoup d’accidents corporels ou de maux. L’existence mettait hors-jeu un individu quand elle le souhaitait. Elle se vengeait à sa manière contre le mauvais comportement de cette personne, selon François. Heureusement les secours et les hôpitaux étaient là pour essayer de sauver ce personnage. L’être humain pouvait ainsi se racheter de ses fautes et repartir. Sa mamy avait eu une belle vie, sage, et elle obéissait à une morale catholique. Alors pourquoi le sort la prenait-elle en grippe : se demandait François ?

Les examens de sa mamie confirmèrent la réflexion de François. La vie lâchait ses grands-parents doucement. Les thérapeutes rendirent le même diagnostic que pour son papy, elle avait une tumeur au cerveau. Au contraire, la sienne pouvait être opérée. Les chirurgiens tentèrent l’opération avec l’assentiment de la famille. Cette décision avait donné du baume au cœur à tout le monde. François croyait dur comme fer à la guérison de sa mamie, une fois le mal ôté. L’intervention fut un échec cuisant pour le professeur. Le manque de forme de sa mamie entraîna une chute de la tension et un arrêt du cœur. Un électrochoc dont les marques se voyaient sur ses bras la ramena à la vie. Sa mamie en sortit changée. D’une part elle n’avait plus de cheveux, cela devait faciliter l’opération. Elle blaguait facilement en prônant que cette coupe lui évitait de se coiffer. De même, elle avait moins chaud et mettait juste un bonnet quand le temps était frais. D’autre part, son moral devint mauvais suite à cet échec, elle comprenait que sa fin approchait…

Maintenant que l’hôpital ne pouvait plus rien pour elle, l’administration médicale décida de la transférer à l’Hôtel Dieu. Les faiblesses et la médiocrité de la science médicale face à certaines maladies étaient flagrantes. Les médecins jouaient aux apprentis sorciers sur des cobayes humains. Ils étaient à l’école comme François et apprenaient sur le tas. Ils avaient les moyens techniques de gommer une erreur. Ils avaient tenté et perdu, mais sa mamie n’était pas morte sur la table d’opération. L’électrochoc l’avait ressuscité. Donc l’honneur du professeur était sauvé. À croire que cet homme se prenait pour Dieu. Il avait un pouvoir de décision sur la vie d’un patient.

III

À l’aube de l’été, ses grands-parents étaient en sursis, rongés par un mal invisible, mais irrémédiable. François s’enferma sur lui pour échapper à la réalité. Il se construisit un monde imaginaire dans sa tête où l’homme s’accomplissait dans le bonheur. Il s’acharna à travailler à l’école, à décrocher de bonnes notes pour s’occuper l’esprit. Ainsi, il pensait moins à ses grands-parents moribonds. Il trouvait cette vie trop dure. Il ne voulait plus souffrir dans son âme et y accumuler des bleus fatals.

L’Hôtel Dieu ne ressemblait en rien à l’hôpital. Ce bâtiment du XVIIIe siècle relevait plus des monuments historiques et ne donnait absolument pas une impression de lieu de santé. La cour carrée avec un jardin à la française ne permettait à aucun véhicule d’y entrer, même pas à une ambulance. François crut que les malades entraient d’eux-mêmes à pied pour y être soignés et en ressortaient quelque temps plus tard. Néanmoins cette vision ne corroborait pas l’image de sa mamie. Selon François, elle était incapable de se déplacer seule et il ne croyait plus à sa sortie et à son retour à une existence avec son papy chez eux. Car lui aussi était toujours malade dans sa maison de repos. Le bâtiment était construit en pierre. De très grandes fenêtres à petits carreaux donnaient une drôle de forme à la façade. Celle-ci était grise, salie par la pollution des ans.

Dans l’entrée, un escalier tournait autour d’une cage d’ascenseur en fer forgé. François fut étonné de voir l’ascenseur, à nu, monter et descendre grâce à des cordes venant du grenier. Une forte odeur d’humidité et d’éther régnait dans ce lieu. Elle prenait à la gorge tout de suite. Le bâtiment était vieux et en mauvais état. Les peintures cloquaient et s’écaillaient. Le carrelage était cassé à certains endroits. Rien ne ressemblait à l’hôpital moderne et propre d’où elle sortait. Dans le couloir, les portes des chambres des malades étaient ouvertes. François apercevait des personnes très âgées sur leur lit. Elles avaient des rictus effrayants, elles gémissaient, elles criaient, voire pour certaines, elles hurlaient. Au fur et à mesure des visites à sa mamie à l’Hôtel Dieu, François croyait plus apercevoir des morts-vivants que des êtres humains. D’ailleurs sa mamie entrait de plus en plus dans cette catégorie.

Finalement cet ensemble de pierre portait bien son nom d’Hôtel Dieu. D’après François, Dieu n’avait pas le temps de s’occuper de tous les hommes mourants. Alors Dieu créait des hôtels sur terre où les futurs défunts attendaient leur dernière heure. En conclusion, cet endroit devait être l’antichambre du purgatoire, où les malades commençaient à expier leurs fautes.

Les infirmières étaient comme absentes lors des heures de visites. Elles devaient intervenir seulement quand les visites se terminaient, à l’inverse de l’hôpital, où le personnel soignant œuvrait à tout moment. François comprit que sa mamie était vraiment à la porte de l’autre monde. Si le personnel de santé ne se battait pas en continu contre les maux des malades, cela voulait certainement dire que ceux-ci devaient être condamnés.

Malheureusement, sa mamie prit conscience rapidement de son état désespéré. François assistait à des conversations entre sa mamie et sa maman qui lui glaçaient le sang. Sa mamie partageait l’héritage entre ses enfants. Elle communiquait à sa maman les meubles qu’elle obtiendrait à sa mort. Sa mamie avait remis sa confiance en Dieu comme elle le disait, sans plainte, sans désespoir, inexorablement elle se séparait de sa vie terrestre.

Un jour de ce merveilleux été, sa mamie tomba dans le coma. Elle fut transférée dans la même maison de repos que son papy. Personne ne sut pourquoi : la médecine avait ses mystères. Cela amplifiait encore plus l’incapacité des hôpitaux de ville à soigner les hommes et à les remettre sur pied suite à une longue maladie. Les thérapeutes luttaient contre l’envahissement de la mort en l’homme. Ce combat était ridicule, car perdu d’avance selon François. Puis au coma, le décès de sa grand-mère suivit. Il ne restait plus qu’à effectuer l’enterrement. Celui-ci eut lieu peu de temps après.

Ce jour-là, François se leva de bonne heure. Ses parents s’habillèrent de vêtements stricts et sombres. François se rendait bien compte que cet enterrement ne serait pas une partie de plaisir. Il était néanmoins heureux, car il verrait ses cousins à cette occasion. La voiture filait dans la campagne, la radio couvrait le vrombissement du moteur. Malgré l’heure matinale, le soleil chauffait et donnait une ambiance chaleureuse à l’intérieur de la voiture en ce moment morose. Les parents de François ne s’exprimaient pas et ce calme démontrait à lui seul la dimension de l’instant présent. À travers la vitre, François contemplait les champs cultivés et la nature verdoyante. Il se demandait pourquoi le temps n’était pas en osmose avec la tristesse du moment présent. Il aurait mille fois préféré un climat pluvieux et humide reflétant l’intérieur de son âme. Il prenait doucement conscience que cet enterrement et la mort de sa mamie changeraient beaucoup de choses dans l’avenir.

Le véhicule s’arrêta enfin. François connaissait l’endroit, car son papy y résidait. Mais ce matin, personne ne voulait lui rendre visite. François était déçu, il aurait aimé le voir. Ses parents lui demandèrent de rester près de la voiture. Ils ne voulaient pas que François assistât à la mise en bière et vît sa mamie morte. François put à peine saluer les membres de sa famille et ses cousins. Ceux-ci étaient consternés comme François par cette fin tragique et se protégeaient en s’enfermant sur eux-mêmes et se coupaient ainsi de ce monde. Finalement aucune communication ne s’établit comme lors des autres rencontres familiales. Peu de temps après, tout le monde remonta dans son véhicule. Un corbillard noir passa devant et la file indienne d’automobiles s’organisa derrière. Sa maman avait les joues rouges, pleines de larmes. François était heureux de ne pas avoir suivi ses parents à la morgue. Il n’avait pas envie de pleurer en cette belle matinée. Le trajet jusqu’à l’église fut silencieux. Malgré tout François demanda des explications et les obtint. Il voulait savoir ce qui s’était passé dans la morgue. Sa maman essuya ses larmes, s’éclaircit la voix et lui raconta. « Les adultes de la famille se recueillirent un instant autour de la dépouille mortelle. Puis des hommes en noir fermèrent le cercueil. » François ne comprenait pas comment sa mamie pouvait monter au ciel si elle était enfermée dans cette boîte. Sa maman lui précisa : « l’âme et le corps étaient deux choses différentes. Lors de la vie terrestre, le corps abritait l’âme. Celui-ci à la mort d’une personne libérait son âme qui était immatérielle et elle seule arrivait auprès de Dieu. » Dans le cercueil en bois, il n’y avait finalement que l’enveloppe charnelle de sa mamie. Ce corps ne lui servait plus maintenant qu’elle résidait au Paradis et il était enterré. Sa maman ajouta : « il fallait se réjouir de sa montée au ciel, car elle serait maintenant heureuse pour toujours ». François trouvait dur de se remplir de joie alors que cette disparition le désespérait. Cela était une sacrée foutaise, car François souffrait au plus profond de lui-même. Dieu prônait le bonheur des hommes et pas leur malheur, leur désespoir. Alors ! Sa mamie serait donc absente à tout jamais au quotidien de sa vie.

L’arrivée à l’église fut pathétique. François eut le droit à des embrassades et des baisers inhabituels. Sur le parvis, les femmes pleuraient et les hommes avaient la tête basse à la vue du corbillard. François reconnaissait beaucoup de personnes et dut continuer à subir encore des salutations larmoyantes. Un maître de cérémonie des pompes funèbres installa les membres de la famille sur les premiers bancs dans l’église. François s’assit au premier rang et contempla un magnifique spectacle. Le soleil éclairait les vitraux et des rayons lumineux traversaient le chœur de l’église. Il voyait la poussière danser lorsqu’elle passait dans un des rayons du soleil.

Pendant ce temps, l’église se remplissait doucement. Des hommes en noir disposaient des fleurs dans le chœur. Elles parfumaient de leurs mille senteurs. Ces bouquets étaient superbes, épanouis, pleins de vie. C’était un antagonisme pour une messe d’enterrement. Peu à peu, un silence mortel s’installa. Puis quatre porteurs, cercueil sur l’épaule, l’amenèrent et le déposèrent devant l’autel. Ils mirent des gerbes dessus et autour. Le tableau était superbe. Cet hommage permettait ainsi à ce corps de libérer l’âme de sa mamie et de la laisser monter au ciel, portée par les essences de fleurs. Sa mamie était amenée à se réconcilier avec cette nature qui lui retirait la vie. Les fleurs prenaient tout à coup une importance phénoménale aux yeux de François depuis qu’il avait trouvé une utilité à leur présence. Elles le choquaient moins ainsi. François reconnut le déroulement classique d’une messe sauf que deux prêtres la célébraient. Mais aussi, le sermon rendit un hommage à sa mamie en évoquant les grandes lignes de sa vie, ses actes en s’appuyant sur les textes des lectures bibliques.

À l’issue de la cérémonie, l’assemblée défila devant le cercueil pour le bénir. Ce défilé déclencha une montée de sanglots et de chaudes larmes coulèrent sur les joues de François. Ce geste d’adieu était l’ultime, comme si la vie s’arrêtait là. Le désespoir l’envahissait, le hantait et l’étranglait. Puis le tour de François vint pour bénir. Il le fit d’un geste automatique et de façon mimétique comme les autres et il alla se rasseoir. Il cacha sa tête dans ses mains et continua à pleurer chaudement. Ensuite, les porteurs sortirent les fleurs et remirent le cercueil dans le corbillard. Le maître de cérémonie invita les membres de la famille à regagner leur véhicule pour se rendre au cimetière.

À l’arrivée, le véhicule funéraire attendait, moteur au ralenti, devant la grille pour que la famille se regroupât derrière. Au rythme des pas, tout le monde suivit le corbillard dans les allées du cimetière. Soudain François aperçut un tas de terre et le trou où le cercueil irait. Le temps semblait être figé pour tous, mais l’action continuait. Les porteurs descendirent le cercueil dans la terre. Certains membres de la famille jetèrent une fleur dessus. En quatre mois, sa mamie était passée d’un état dynamique – elle soutenait son mari dans sa maladie et se battait avec lui – à six pieds sous terre. Le soleil brillait toujours et séchait les larmes sur toutes les joues. Dans ce silence pesant, seul le bruit de la pelle du fossoyeur et de la terre tombant sur le bois du cercueil était perceptible.

François avait voulu vieillir il y a quelque temps et voilà que l’avenir était mauvais. Sa mamie était morte et enterrée, son papy était au plus mal dans sa maison de repos. La série noire ne s’arrêta pas là. Son papy décéda quelques jours après. Cette chienne de vie était implacable. Néanmoins, elle n’avait pas séparé son papy et sa mamie qui s’aimaient. Il y a toujours un peu de joie dans le plus grand des malheurs.

Pour l’inhumation de son papy, le même scénario se répéta : le départ pour aller assister à la mise en bière, le trajet en suivant le corbillard, les bonjours larmoyants sur le parvis de l’église et l’enterrement dans le même trou au cimetière. Le personnel des pompes funèbres était identique, il était toujours aussi placide et inexpressif. Le déroulement fut identique. François éprouvait une drôle d’impression. Un enterrement suivait un autre et lui ressemblait étrangement. Il pensait à certains moments revivre éveillé celui effectué quelques jours avant. Néanmoins, la personnalisation fut différente pour lui rendre hommage. Son papy était un ancien prisonnier de guerre. Des porte-drapeaux étaient présents, un drap tricolore fut mis sur son cercueil. Son papy avait combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement comme beaucoup, il fut capturé lors de l’offensive allemande dans la tenaille de cet envahisseur. Il fut emprisonné en Autriche à Vienne. Ses cinq années furent difficiles pour lui. Sa femme et sa fille vécurent chez mémé Hélène durant cette période. Son papy se battit pour conserver sa vie et revenir auprès de sa famille. Il ne voulait pas les abandonner et les laisser seules. Il était fier d’être sorti sain et sauf des mains des Allemands. Même en ces derniers temps, il ne semblait pas résigné alors que sa mort approchait. Il possédait encore l’énergie de combattre. Il pleurait souvent lorsque François lui rendait visite avec ses parents. Il affrontait de nouveau la mort, mais perdait, et cela l’énervait profondément. Selon François, il semblait avoir du mal à abandonner la vie pour gagner un repos éternel ô combien mérité !

François réfléchit longuement durant la cérémonie à la douleur qu’engendraient ces deux décès. Son analyse aboutit à une conclusion très claire, mais irréelle. Sa maman était née avant que son papy parte à la guerre. S’il était mort dans sa prison, il eût été possible que rien de tout cela ne se passât ainsi. Il suffisait bien souvent qu’un élément change pour que l’histoire humaine soit bouleversée entièrement.

Finalement cette redistribution des cartes aurait plu à François. Égoïstement, il voulait ne pas avoir à souffrir et à pleurer en ce jour. Grâce à son imagination, il rêvait à une réalité tout autre. Il pensait à une autre vie pour sa mamie et sa maman malgré la mort de son papy à la guerre. Mais tout cela ne servait à rien, le cercueil de son papy était là, orné d’un drap tricolore pour rendre gloire au soldat qu’il fut. Des porte-drapeaux compagnons d’armes étaient présents pour rappeler qu’ils survécurent à l’ennemi. Surtout ils revinrent au pays et reprirent leur place dans leur vie familiale.

Au cimetière, François constata lui-même que le trou était moins profond. Sa mamie était déjà dessous. Son papy prenait le dessus sur sa mamie dans la terre alors qu’il ne l’avait jamais eu sur la terre. Sa mamie dirigeait leur couple ; son papy était trop docile et trop obéissant selon les observations de François. Ce retournement de situation lui plaisait malgré son absurdité.

Les événements furent violents lors de ces derniers mois pour François. Il dut les digérer tant bien que mal avant de reprendre son chemin de vie. Il essaya d’imaginer que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Mais il n’allait plus sur l’autre rive le mercredi et il avait beaucoup de difficultés à l’admettre. Cet élément lui rappelait en permanence la dure vérité. La vie lui avait ôté ses grands-parents. Il comprenait ainsi l’amertume de la séparation par la mort. Le temps s’écoula, il enferma cette souffrance dans son cœur sans la guérir, il souhaita l’oublier et reprit sa vie. Sa scolarité lui permettait de se construire et d’espérer en son avenir. De grands moments de cafard lui rappelaient à certains instants la futilité de la vie. Il se battait pour construire un lendemain, il vieillissait donc pour le bâtir et finirait par mourir tout simplement. Pourquoi alors ne pas abréger les choses ? Il souhaitait devenir vieux avant l’âge, brûler les étapes de la vie et quitter ce monde au plus vite. Cependant chaque seconde, chaque jour, chaque saison devaient être vécus, il n’était qu’au printemps de sa vie. Alors il se résigna et mordit à pleines dents dans les joies et les tristesses que lui apportait son existence.

IV

Deux ans plus tard, la mort et donc la perte d’un être cher ébranlèrent de nouveau la famille. Grégoire l’un des cousins de François mourait subitement en une seule nuit d’une fièvre hémorragique virale. La médecine ne put rien. Cela confirma sa nullité face à de graves maladies. Deux jours après, l’enterrement eut lieu. François comprit mal qu’une messe fût célébrée. Il avait de la haine dans son cœur contre ce Dieu créateur et tout puissant qui n’avait rien fait pour sauver la vie de Grégoire. Il se sentait mal à l’aise dans cette église. Le chagrin était immense, la douleur était horrible. La disparition de cet enfant de quatre ans laissait un vide gigantesque dans la famille. Bien qu’il habitât plus en aval dans la vallée de la Seine, François et lui s’appréciaient beaucoup même s’ils avaient une différence d’âge. Ils aimaient tous deux l’imaginaire de certains jeux et partageaient des passions communes. Cet événement détruisit totalement la logique de vie humaine de François. Même au printemps de sa vie, un homme pouvait mourir. Donc lui aussi, il était mortel malgré sa bonne santé. N’importe quand, la mort s’invitait dans votre existence et vous emmenait loin de la vie terrestre. Ses grands-parents étaient bien décédés à l’automne de leur vie.

Mais à son âge, François se croyait fort, indestructible et un peu immortel. La mort de Grégoire devint rapidement injuste aux yeux de la famille et ingérable. François avait beau retourner les faits dans tous les sens, la réalité était implacable. La Dame Noire avait encore triomphé de la vie d’un être. Les causes de la mort de Grégoire furent mises sur le compte de la pollution. Dans cet aval de Seine, la pétrochimie était une des activités nocives pour l’espèce humaine. François connaissait pleinement la force de la mort maintenant. Il chercha longtemps un but pour se motiver et continuer à vivre joyeusement. L’école fut une réponse, néanmoins des vagues de blues violents apparaissaient quelquefois. Malgré tout, il aimait son existence même si les peines devenaient de plus en plus nombreuses. Des moments de bonheur et des satisfactions lui permettaient de se construire et de s’accomplir. Surtout quand deux fois par an, François et ses parents se rendaient en Bretagne pendant les vacances scolaires dans sa famille paternelle. Là, il retrouvait une terre de légende, la joie d’une communion avec la nature. Il aimait cette halte loin de la ville, en pleine végétation.

Ici, les paysans vivaient au rythme des bêtes, des vaches et de leur traite. Le temps s’écoulait différemment, l’homme jouissait pleinement de sa vie en cette campagne verdoyante et boisée. François se ressourçait et emmagasinait des forces pour mieux affronter la dureté de la vie citadine à son retour. La vie de sa mémé Clémentine était dure, sans aucun confort. Elle vivait dans une grande pièce dans laquelle se trouvaient son lit, son coin cuisine, une grande table et trois armoires. Cet endroit était spartiate. Une pendule, comportant un balancier décoré, trônait entre deux armoires. Elle était plus grande que François. Elle comptait le temps à sa manière en produisant un bruit singulier. Dans cette demeure, il n’y avait ni eau chaude, ni toilettes, ni radiateur. Seul un robinet, d’eau froide, apportait l’eau courante depuis peu à l’évier. Celui-ci servait comme lavabo le matin pour la toilette. Une cabane au fond du jardin tenait lieu de cabinet d’aisances. Pour se chauffer, sa mémé brûlait du bois dans la cheminée ou dans un poêle. Sur celui-ci, une bouilloire chantait, elle permettait à sa mémé d’avoir de l’eau chaude. Durant leurs séjours, François et son papa abattaient, coupaient et débitaient des arbres dans une forêt. Ainsi à l’hiver, sa mémé obtenait la chaleur nécessaire à sa survie. François apprit par cette activité de bûcheron de nombreuses choses sur la nature grâce à son papa, aussi bien dans le bois lors de l’abattage que lors du fendage sous le hangar. Tout cela amusait beaucoup François et l’émerveillait.

Dans ce village, les personnes vieillissaient bien sûr ; mais elles semblaient devenir éternelles puisque la mort ne venait pas les chahuter. François finissait par croire que le temps n’avait pas d’emprise en cette contrée sur les habitants et sur sa mémé. Seul le poids du travail de la terre la marquait. Elle s’était voûtée à cause des durs labeurs dans les champs et par le fait que la terre était bien basse comme elle le disait. Dans ce théâtre, François était heureux, ravi. Son âme, son esprit s’unissaient et se réconciliaient avec la vie et la nature.

Sa mémé était veuve. Son mari et elle avaient possédé une petite ferme. Son activité apportait de faibles revenus au foyer. Maintenant, elle était à la retraite et vivait toujours dans le même lieu. Les vaches n’étaient plus présentes et leur absence donnait une ambiance indéfinissable à l’étable vide. François croyait à certains moments revoir cette vie passée en imaginant très fortement et en fermant les yeux.

Sa mémé vivait au gré de la nature sur cette terre loin de la ville et de ses pollutions industrielles et mortelles. À chaque saison, elle avait une activité bien précise. Car elle devait élever des poules et des lapins et cultiver son potager pour vivre décemment. Elle fêtait le réveil de la végétation en labourant son jardin et en l’ensemençant. L’été, elle récoltait légumes et fruits. François était heureux de manger des produits aussi sains et si délicieux. Chaque jour, sa mémé nourrissait ses poules et ses lapins. François aimait l’aider dans cette tâche. Il aimait observer, contempler ces animaux. Il les enviait, car selon lui, ils avaient une existence calme et paisible sans les affres de la vie. Eux au moins ne se rendaient pas compte des difficultés. Surtout ils ne pensaient pas et donc ne souffraient pas.

À l’automne, tous les paysans du village comme sa mémé se préparaient à la venue de l’hiver en entreposant des réserves alimentaires. Les carottes, les pommes de terre étaient arrachées et mises au sec dans les divers celliers. À cette époque, une boisson merveilleuse était produite : le cidre. François l’adorait. Tout le monde se mobilisait pour réussir le meilleur breuvage. Du choix des plus belles pommes jusqu’à la dégustation finale ; mille attentions étaient apportées à son élaboration.

Cette contrée bretonne donnait un sens à sa vie et lui prodiguait énormément de joies. Elle remplaçait et compensait la disparition de ses grands-parents. Même si ces haltes en Bretagne étaient courtes, elles permettaient à François de continuer à se construire et à se réconcilier avec la nature, avec la vie et avec Dieu. En conséquence, doucement, mais sûrement, il prenait goût aux joies et aux peines de son enfance.

Malgré les apparences, l’être humain prenait une année de plus chaque année. François comme sa mémé vieillissait. Il atteindrait bientôt son adolescence et le passage à l’été de sa vie. Par contre, sa mémé aboutissait à la fin de son cheminement terrestre, cependant elle avait toujours une bonne santé. À l’inverse de ses grands-parents, la vie épargnait à sa mémé la maladie. Selon François, le confort citadin apportait un bien-être, mais il détruisait par ses pollutions. François pensait souvent à la mort de Grégoire et à celle de ses grands-parents. Il exultait en constatant le panache des anciens dans cette bourgade. En vivant dans une nature opulente et si belle, mais surtout en la respectant sans la modifier comme les hommes le faisaient en ville, il était possible d’atteindre le seuil de la maison de Dieu en profitant de chaque étape de son existence. Et puis, tout bien réfléchi, le sort de sa mémé et de ses grands-parents avait été aussi dur même si le confort de la ville masquait une réalité au quotidien identique. Il fallait se battre pour vivre.

Au cours d’un hiver, sa mémé Clémentine tomba chez elle et ne se releva plus. Elle fut transportée à l’hôpital. Elle s’endormit doucement dans le coma puis dans la mort. François perdait le dernier être de son paradis terrestre. Il ne possédait plus de havre de paix et de tendresse le mercredi après-midi et maintenant il n’avait plus d’échappatoire sur cette terre bretonne pour croire à l’immortalité terrestre. Non ! Maintenant ils étaient tous morts. Les lieux de bonheur étaient inexistants. Il n’avait plus de refuge en dehors du nid familial. La maison de ses grands-parents avait été vendue donc il n’y allait plus. En Bretagne, les bâtiments de la ferme, sans présence vivante, lui rappelaient sa mémé en permanence ; seul son souvenir les hantait. Le vide effectué par la mort.

Le corps de sa mémé fut ramené en son domicile. Les adultes de la famille, les voisins la veillèrent. François ne put la voir. L’enterrement fut bien différent des précédents vécus par François. D’une part, la dépouille mortelle était revenue au village, dans sa demeure, dans son lit. D’autre part, beaucoup de personnes intervinrent dans le déroulement de l’hommage. Le menuisier du village conçut le cercueil. Les paysans du coin firent les porteurs. Lors de la cérémonie, l’église était comble. Tout le village était présent, personne ne travailla cet après-midi-là. Les respirations fortes des hommes rythmaient, comme les chants et les prières, l’hommage à sa mémé Clémentine. Le curé était vieux et sa parole inaudible, noyée dans les bruits de l’assemblée.

Le cimetière était autour de l’église. Mais la coutume voulait que personne n’assistât à la descente du cercueil en terre. L’adieu s’effectua auprès du monument aux morts par une bénédiction. François ne trouva aucun rapport entre la vie de sa mémé Clémentine et la mémoire des soldats morts durant les deux guerres mondiales. Le dernier hommage s’organisa ainsi sans que François en comprît la finalité. François et sa famille bénirent en premier. Après avoir effectué ce geste d’adieu, les amis vinrent présenter leurs condoléances. François avait à peu près retenu ses larmes durant cet après-midi. Mais à cet instant, l’émotion fut trop forte et les sanglots éclatèrent dans sa gorge et des larmes se mirent à couler sur ses joues. Le cercueil fut laissé sur les tréteaux devant ce monument aux morts. Cet abandon fut difficile à vivre. François souhaitait accompagner sa mémé jusqu’à la sépulture, mais les adultes lui interdirent. François voulait être sûr qu’elle soit bien inhumée dans la bonne sépulture. Cet enterrement était douloureux, car François perdait encore un être cher à ses yeux. La révolte couvait dans son esprit contre ce monde de merde. Beaucoup d’interrogations se bousculaient dans sa tête.

Pourquoi la vie était-elle si exécrable, aussi irrespectueuse des étapes de l’existence de l’homme ? Pourquoi la vie ne respectait pas la logique végétale ? Pourquoi la mort s’invitait-elle n’importe quand ? Pourquoi l’homme mourait-il à l’hôpital ? Pourquoi ne s’endormait-il pas tout simplement dans les bras de la Dame Noire sans souffrir ? Tant de questions hantaient sa tête, mais les réponses ne venaient pas. François trouvait son existence dénuée de sens. Il n’avait plus de repères. Ce dernier décès était de trop, inadmissible à ses yeux. Cette souffrance lui retournait l’estomac à en vomir. Il souhaitait fortement sa mort, ainsi il rejoindrait les membres de sa famille perdus à tout jamais. Pourquoi vivre si le combat contre la Dame Noire était tellement inégal ? Elle collectionnait les têtes comme elle le voulait dans l’ordre qu’elle souhaitait. Il était impossible de lui échapper. Pourquoi attendre de vieillir pour s’unir à elle ? Que faire sur cette terre ? Telle était la question à laquelle François cherchait une réponse.

 

 

 

 

 

V

 

 

 

Le moral de François reflétait le climat. Le matin, la joie arrivait avec les rayons du soleil ou la tristesse avec la pluie. Sa vie était maintenant bercée par la nature et les conditions climatiques. François ne guidait plus son moral. Il était dépendant de la forme du ciel et du baromètre. Il passait de la gaieté à la mélancolie comme le ciel bleu d’été à l’orage. Il n’avait plus d’emprise sur lui-même, d’ailleurs François ne le voulait plus. Il était dégoûté par la victoire de la mort, de la Dame Noire sur la vie. Dans sa tête, le glas de la cloche sonnait pour marquer ce triomphe. Mais indépendamment de son moral, son être entier se laissait guider par les saisons. Plein de vivacité au printemps, plein d’entrain à l’été, il coulait dans l’abandon à l’automne et dans le sommeil éternel de la mort à l’hiver en devenant une marmotte hibernant. Ainsi, loin des pensées noires de son âme, il confiait son corps à Morphée. La mort s’intégrait pleinement à la vie, François le savait et le comprenait, mais ne l’acceptait pas.

 

À l’aube de son adolescence, François était perplexe, car il continuait à apprendre à l’école pour développer son esprit et soi-disant obtenir un métier ainsi. Mais il aurait eu tant besoin des anciens de la famille pour se construire. Eux aussi auraient été nécessaires à sa croissance. Mais pourquoi s’instruire et donc peiner si l’homme était mortel ? Alors François attendait son heure calmement en s’y préparant pour ne pas être surpris. Chaque saison, il survivait sans que la mort ne vînt le taquiner. D’ailleurs, il finit par se croire immortel. Cette idée le tranquillisait et le rassurait énormément les soirs de blues et lui permettait d’envisager le réveil du lendemain.

 

Son excellente santé, sa vigueur donnait à François un enthousiasme étrange. Néanmoins, les souffrances sentimentales de ces dernières années le ramenaient en permanence à la dure réalité et cassaient son élan dynamique social. À présent, il évitait de se lier d’amitié et de trop aimer les personnes de son entourage pour pallier toute séparation douloureuse. Mais cela n’évita pas les ruptures dues aux circonstances de la vie. Il finit même par haïr les vivants qui ne lui apportaient rien de bon à ses yeux. Son éducation religieuse et parentale lui enseignait l’immortalité de l’âme, de l’esprit, de l’imaginaire. François admit et intégra cette survivance de l’être. Il se persuada que les morts de la famille étaient au Paradis et y étaient heureux. Alors ! Pourquoi attendre pour connaître ce bonheur ? Voilà une des interrogations qui hantait François.

 

La vie était une lutte incessante, selon François. Pendant l’enfance, il fallait conquérir de bonnes notes. En cette période, des espoirs étaient nés, il avait rêvé à son avenir professionnel. Il était persuadé que tout était possible, il suffisait juste d’apprendre pour savoir-faire selon lui. François avait une attirance particulière pour les travaux publics. De tout son cœur, il souhaitait être chef de chantier. Il aimait construire et créer des maisons, des bâtiments. Au final, il voulait transposer son occupation favorite à une échelle réelle. Sa passion, en ces jeunes années, était de reproduire à l’identique de grands chantiers avec ses « Playmobil ». Ce loisir devenait peu à peu sa vocation : devenir un bâtisseur.

 

À l’adolescence, il était primordial d’appartenir à un groupe et d’y être estimé. Néanmoins, François était devenu un solitaire dû à sa réflexion sur les déboires générés par l’amitié. Il avait des distractions individuelles comme la lecture, le cyclisme, les puzzles. Il avait bien quelques amis au collège, mais vivait en marge d’une existence sociale excessive. François ne côtoyait aucun copain en dehors du milieu scolaire. Ce temps fut aussi celui d’une prise de conscience, il avait beaucoup plus de capacité pour le français que pour les mathématiques. Cependant, il ne réalisa pas que cela était un obstacle à son vœu quand sa candidature fut refusée pour une scolarité dans le génie civil. Malgré son peu d’amour et d’intérêt pour les mathématiques, François continua dans un cheminement technique en étudiant l’électronique et la productique. Finalement il ne comprit pas parfaitement les choses face aux difficultés dans cette voie. Mais d’un échec scolaire surmontable, il lui suffisait de se réorienter vers des études plus littéraires, François intégra ceci comme une défaite cuisante qui allait l’entraîner dans une chute vers… l’enfer. François ne vit que les points néfastes de cette étape de vie. Il ne sut pas s’arrêter pour analyser les événements. François glorifiait tellement l’école qu’il ne comprenait pas son incapacité à étudier les mathématiques et la physique et ne cernait pas plus ses aptitudes pour le français malheureusement. Cet ensemble le perturbait dans ses repères. Dans sa famille, ses cousins et ses oncles travaillaient dans le domaine technique dans des usines de production. Dans ces lieux, les mathématiques étaient mille fois plus importantes que le français. François savait qu’à l’adolescence, il fallait fourbir ses armes pour affronter le monde des adultes. Et pour l’instant, François pensait ne rien posséder entre ses mains et son destin ne se dessinait pas dans son esprit.

 

À l’âge adulte, la conquête d’une place sociale, d’un travail, d’un salaire devenait prioritaire pour exister. Mais son avenir était flou, voire utopique par rapport à son vécu actuel. Seules les étapes de la vie s’inscrivaient dans son mental, mais à aucun moment il ne pensait à des moyens pratiques pour passer à la phase suivante. François était désolé par la matérialité de l’existence. Tout était dirigé en ce monde par le travail et l’argent qui en découlait. L’économie conduisait l’homme vers le néant vers un vide psychologique et spirituel. François trouvait cela dénué de sens et irrespectueux par rapport aux valeurs humaines.

 

Ce ras-le-bol commençait à l’étrangler. François souhaitait sortir du manège de la vie et le regarder tourner. Il souhaitait devenir spectateur du monde et ne plus être acteur. Ainsi il serait tranquille et non plus soumis à la pression de l’obtention d’un avenir. Celui-ci l’effrayait surtout à cause de la misère et du chômage en constante augmentation. Pourquoi se battre si à la fin l’homme n’aboutissait à rien ? D’ailleurs, François était pessimiste sur le devenir de l’humanité ; seule la solitude lui permettait de vivre sans souffrance, sans trop d’attaches sentimentales. Il désirait ne plus vivre en permanence dans le souvenir des morts. Il se donnait sans compter dans des activités prenantes. Il occupait son esprit à l’école et son corps par le sport pendant ses temps libres. Il fonçait tête baissée vers un mur infranchissable, dans une réalité ; sa vie n’avait pas de sens, pas de but. François se levait chaque jour sans trouver d’épanouissement dans les heures vécues. Le temps s’écoulait, ainsi la fatigue – des efforts psychiques ou corporels – l’épuisait et Morphée le berçait chaque soir. Celui-ci l’emmenait dans des rêves merveilleux et par conséquent il fuyait la dure vérité.

 

Mais plus encore, il désirait se créer un paradis imaginaire en continuité et y être heureux tout simplement. En se construisant un havre de paix, de sérénité – sans souffrances physiques ni morales –, François ambitionnait que son esprit triomphât de la réalité du monde matériel. Malgré la puissance de sa pensée, sa présence humaine au jour le jour le ramenait à la raison du quotidien. François ne trouvait aucun espoir dans la vie, s’échapper était la seule possibilité qui lui restait. En se fabriquant une coquille imperméable aux agressions extérieures, il essayait de vivre dans sa propre utopie. Mais les gens le perturbaient beaucoup dans sa quête du nirvana.

 

Le suicide était aussi une des alternatives pour aboutir à une fuite vers un autre monde. Selon François, l’esprit était emprisonné dans l’organisme humain. L’âme était esclave du corps jusqu’à sa mort, elle le servait constamment. Toute la vie, l’homme se dévouait à nourrir, à protéger, mais surtout à combler les désirs de son corps, à défaut il devrait s’occuper à accroître la richesse de son âme seulement. En disposant de sa vie, François devenait un Dieu. Il disposait enfin d’un pouvoir extraordinaire. Mais la peur panique de l’inconnu de la mort le bloquait dans ses intentions. Selon François, par le suicide l’homme se donnait un pouvoir bien supérieur à celui qu’il avait. L’être humain agissait sur son destin pour évoluer vers son avenir. Mais Dieu ne permettait certainement pas à sa créature de se détruire elle-même. Le Tout-Puissant avait doté l’homme de deux mains, de deux jambes, de cinq sens et de la raison pour influer sur la vie. Ainsi chacun pouvait gouverner sa barque dans les eaux tumultueuses de l’existence. Finalement l’analyse de François l’amena à la conclusion suivante. En jouissant de la destruction de son corps, l’être humain devenait un spectre coincé entre une vie terrestre non finie et un paradis non gagné. Alors quelle alternative restait-il à François pour moins souffrir sentimentalement des pertes humaines accumulées durant son enfance ?

 

Brusquement au cours d’un été, l’inconscient de François l’emporta dans une bouffée délirante loin de la réalité du monde quotidien. Ce délire cachait en réalité un mal très profond. Une révolte contre l’ensemble de son monde grondait dans son âme. La seule chance de salut était un virage brutal. François cherchait une issue de secours, loin de son univers quotidien. Ses vacances aoûtiennes ne firent que renforcer sa furie, même si le décor changeait, son malaise cérébral persistait. Son échec dans le domaine technique, les morts de la famille, François n’en voulait plus dans son esprit. Sa solitude humaine et psychologique devenait insupportable même en cette campagne : terre de légende. D’habitude, la nature le réconciliait toujours avec lui-même ; ces séjours au vert étaient au plus haut point bénéfiques pour François. Mais depuis le décès de sa grand-mère, même ici la mort avait vaincu la vie verdoyante de cet endroit rural. Telle une plante, il espérait renaître sans aucun souvenir des saisons passées. Cependant, ce vœu semblait irréalisable. Alors inconsciemment, son mental entraîna son être dans un merveilleux rêve fou loin de la réalité.

 

Tel le fou de l’échiquier, François déviait en diagonale. Le camp des blancs ne le maîtrisait plus. Le roi était désespéré de perdre son fou le plus drôle. Les noirs tenaient le jeu, le maître de cet univers distribuait les coups. François perdait le contrôle de son existence, il était persuadé que son destin ne lui appartenait plus et qu’une force occulte le conduisait vers le néant. François prit conscience qu’il était bien possédé par l’être suprême des abysses. Il s’isola dans un coin de la plateforme de jeu sans repères. Un tel changement de dimension, il ne le souhaitait pas, cependant il n’y pouvait plus grand-chose. Son destin, il ne le maîtrisait plus du tout. Un orage phénoménal se développait autour de lui, les éléments extérieurs se liguaient contre lui, François se sentait perdu, l’adversaire implacable le bouterait hors de l’espace de vie, hors du manège de l’existence. Il tremblait au plus profond de lui d’avoir perdu son avenir et de devenir un spectre social en restant un des fous de l’échiquier jusqu’à sa propre mort. Le temps s’égrenait, mais n’apportait aucune solution aux blancs, l’échec se pointait. Le roi se battrait jusqu’au bout et sacrifierait ces congénères.

 

Qu’adviendrait-il si l’échec et mat était prononcé ? Les noirs – donc la mort – ravageraient la vie – les blancs –. L’amour et le désespoir se livraient un combat titanesque pour une issue inconnue. Le sol se mariait à cette lutte, il se composait de carreaux blancs et noirs. François était emprisonné sur une case blanche : contraint de respirer, de manger pour grandir, de se marier, d’aimer une personne afin de procréer des pièces pour les parties futures à la plus grande joie de l’Être Nécessaire qui dirigeait le monde.