Il fallait qu'on m'oublie - Alain Maillard - E-Book

Il fallait qu'on m'oublie E-Book

Alain Maillard

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Beschreibung

« Plus rien à me mettre à la sortie de la douche. Il doit faire moins vingt, je trouve quelques vagues nippes qui traînent dans le jus. C’est en arrivant au Block, vers cinq heures, qu’un moment de désespoir m’étourdit. »

Sur un banc face à la mer, à Biarritz, un ancien général raconte son parcours à son petit-fils de 15 ans. Il a survécu à deux guerres mondiales et à la déportation. Il a connu De Gaulle, Pétain, Laval, n’était ni vichyste ni gaulliste. Il a commandé la moitié de l’armée en zone libre mais a disparu des livres d’histoire.

« D’autres, plus malins peut-être, auraient trouvé le moyen de se défiler. Quand j’ai reçu la convocation au tribunal, tout l’état-major m’a entendu pousser un grand soupir. La tuile ! Je savais que ça aboutirait à une condamnation à mort, puisque De Gaulle était accusé de désertion. »

Un témoignage puissant, de l’enfance basque au camp de concentration de Dachau. Une réflexion sur l’histoire et l’évolution des mentalités. Ce roman vrai, écrit par son petit-fils, est fondé sur les mémoires du général Etcheberrigaray.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Alain Maillard est arrivé à l’écriture par le journalisme (trente ans de presse écrite et radio). Il a publié plusieurs essais et fictions, et accompagne depuis dix ans les apprentis écrivains dans la formation à distance Désir d’écrire. L’histoire le passionne, qu’elle soit récente, médiévale, antique. Il partage son temps entre la Suisse, pays de son père et la côte basque, celui de sa mère.

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Seitenzahl: 282

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Alain Maillard

Il fallait qu’on m’oublie

Le roman vrai d’un général déporté et disparu de l’Histoire

Introduction

Mon grand-père avait un sens aigu du devoir. On le lit presque à chaque page de ses mémoires militaires jamais publiées. Un sens qui consiste, selon le site internet du Ministère des armées, à faire « ce que l’on doit, non ce qu’on veut, sans rechercher les honneurs ». Il l’a fait jusqu’à participer au conseil de guerre qui, le 4 juillet 1940, condamna le Général De Gaulle à mort pour trahison. Et pourtant il le connaissait personnellement, ils avaient suivi des formations ensemble, Charles de Gaulle lui avait même confié ses tourments au sujet de sa fille handicapée. Mais Jean-Marie Léon Etcheberrigaray, « Etch » pour ses camarades, n’a pas refusé sa convocation pour ne pas « se défiler ». Et il n’a jamais compris que les Gaullistes lui en veuillent pour ça. Ni au camp de concentration de Dachau, où la plupart des détenus français le tenaient à l’écart, ni après la libération du camp en 1945, quand on refusa de le recevoir à Paris afin, peut-être, de ne pas avoir à le fusiller.

Tout cela, je ne l’ai découvert qu’en lisant ses mémoires tapuscrites, bien après son décès. Jusque-là, mon grand-père était ce héros familial qui m’intriguait d’autant plus qu’il ne racontait rien. J’ai découvert un personnage inclassable, ni gaulliste, ni vichyste. C’est peut-être ce qui explique son étrange absence des livres d’histoire, alors qu’il a occupé quelques positions-clés - de quoi s’interroger aussi sur les tris qu’opère l’Histoire. Il faisait, écrit-il, ce qu’il avait à faire en ces temps difficiles. S’il a accepté de commander la moitié de la petite armée de Vichy en zone libre, c’était dans l’espoir d’une revanche, tôt ou tard, contre « le Boche ». S’il n’a pas rejoint la Résistance ou Alger fin 1942, quand cette petite armée a été dissoute, c’était pour protéger sa famille… « sans rechercher les honneurs ».

Pour ma génération déjà, et peut-être plus encore aujourd’hui, ce sens du devoir parait vétuste. Je crois qu’il est d’autant plus intéressant de tenter de le comprendre là où il a pu paraitre ambigu. C’est pourquoi j’ai choisi de lui donner la parole. Il me raconte son étonnant parcours pendant le dernier été que j’ai passé avec lui à Biarritz, adolescent, en1975.

Prologue

« Oui, approche ton museau. Comme tu me fixes, n’aie pas peur. Reste immobile, comme moi, s’il te plait ne fais pas de bruit. Moi qui dois m’interdire de tousser, d’éternuer, tu n’imagines pas ce que c’est dur, par moments. Regarde-moi, Jeanne ma compagne, tâche de lire dans mes pensées, petite souris.

Il n’y a pas de raison qu’un kapo soit là, ou le Stubenälteste, comprends-tu l’allemand ? Je te parle du chef de chambre. Qu’il en passe l’un ou l’autre et qu’il entende tes pas, tes crissements sur les planches, il va peut-être se demander s’il y a quelque chose là-haut. Je ne sais pas s’ils me cherchent, tu vois ? S’il guigne par les fentes entre les planches, il pourrait soupçonner la présence d’un planqué. Et il serait fier de le découvrir.

Oui, évidemment, je vois ton regard perplexe, tout ça ne veut rien dire pour toi. Tu as sans doute un gîte, tu trouves à manger dans ce baraquement, le reste ne te concerne pas. De quoi te nourris-tu dans ce camp ? Te promènes-tu d’un bloc à l’autre, par des tunnels ou des chemins discrets jusqu’aux cuisines ? Ou du côté des poubelles ? J’envie ta liberté. Tu ne vois pas ce qui se passe, ces êtres gigantesques que tu évites, peu t’importe qu’ils se maltraitent, qu’ils s’entretuent. Ce ne sont jamais pour toi que des géants imprévisibles, des menaces à éviter. Sans doute ne sont-ils pas plus dangereux pour toi que des citadins ordinaires.

Si seulement je pouvais, comme dans un conte, me transformer en rongeur quelques heures, t’accompagner hors du Block, traverser les barbelés puis retrouver forme humaine. Mieux encore, ma vraie forme humaine. Celle d’avant. Faribole ! Comme si je pouvais aller loin, dehors, fussé-je en bonne forme, avec cette tenue rayée pour proclamer mon évasion. Comme si j’avais la moindre chance de marcher deux ou trois cents kilomètres jusqu’à la frontière la plus proche, aussi affaibli et mal chaussé. Sans même savoir si les Suisses me laisseraient passer, je peux m’imaginer qu’ils refoulent tout le monde pour ne pas indisposer Hitler.

J’aimerais tant que les heures passent plus vite et qu’ils rentrent enfin, dessous. Il y aura alors assez de bruit pour que je me risque à remuer un peu. J’ai besoin de tendre la jambe, de tourner la tête, de me désankyloser.

Au moins ne cours pas, s’il te plaît. De légers grattements sur le bois, ça paraîtra naturel, des pas rapides peuvent attirer l’attention. Tout le monde n’ignore pas qu’il y a ce mince espace entre le plafond et letoit.

Combien faudra-t-il de jours jusqu’à qu’ils m’oublient ? Je me demande comment on m’a mis sur cette liste de détenus à fusiller. J’ai beau réfléchir, rien n’est certain. A-t-on dénoncé mon rang de général, averti Berlin ? Que craignent-ils, que je témoigne contre eux ? Croient-ils vraiment pouvoir cacher tout ce qui s’est passéici ?

Ils m’auraient eu par surprise si le préposé aux registres n’avait pas prévenu le jeune Jean École. Sans doute ne serais-je déjà plus, à cette heure-ci, qu’un corps en décomposition, là-bas derrière les barbelés. Tous ces corps qu’ils ne brûlent plus et laissent pourrir, entassés, comme s’ils voulaient que se répande cette odeur insupportable, témoignage de leur pouvoir tant qu’ils l’ont. Ici je la sens moins, par manque d’air. Respirer lentement pour ne pas suffoquer. Manque d’air et manque de lumière. J’ai des bouffées de vertige, j’ai peur de devenirfou.

Il est tentant de tambouriner, de sortir, courir, comme d’autres l’ont fait, me laisser tirer dessus et être enfin libéré de cette épreuve. Je refuse cette idée et m’en nourris. À force de me la répéter, je suis sûr que je ne le ferai pas. M’imaginer en train de mourir me libère des douleurs et m’aide à résister, en restant inerte.

« Il faut vous cacher tout de suite, mon général », m’a lancé Ecole le regard enfiévré. M’y serais-je résolu s’ils ne m’avaient entraîné dans le tourbillon de leur panique ? Pas le temps de réfléchir, de douter. Au-dessus du plafond, la seule solution. Avant l’appel. Un compagnon de chambrée dont je ne connais pas le nom m’a aidé à écarter une planche afin de me glisser dans cet espace maigre, sous le toit. Mon complice m’a fourré un demi-pain en poche avant de refermer le passage, et me voilà perdu dans l’obscurité. À la merci de mes alliés. Je crois que je peux compter sur eux, mais je prends la mesure angoissante de ma vulnérabilité. J’ai basculé dans un brouillard et tu as surgi, ma petite Jeanne, je t’en remercie, te parler en pensée me fait dubien.

La fin est proche, si j’en sors vivant, dans quel état serai-je ?

1

« Si ma mémoire parvient à la postérité,

peut-être un jour elle apprendra ce que j’avais àdire.

Alors on saura pourquoi je me tais. »

Jean-Jacques Rousseau

Les Confessions

Seigneur, comment pourrai-je lui raconter tout ça ? Moi qui ai fui ces souvenirs. En passant mon temps à jouer aux cartes ou à m’enivrer d’embruns atlantiques. A me taire pour que les mots et les maux dorment.

Son air ingénu quand il m’a lancé de but en blanc :

–Petit-père, j’aimerais que vous me racontiez. La guerre, le camp...

C’était direct comme on peut l’être à son âge. Je l’étais aussi, quand j’avais quinze ans et comme lui l’appétit de manger le monde.

Il m’intrigue, ce petit-fils chevelu. Souvent nonchalant, parfois impertinent. Mais je me reconnais dans sa maladresse, sa réserve, et bien sûr sa curiosité. Puisqu’il a sous la main un grand-père qui a traversé tant d’événements marquants, il est tellement plus simple de réclamer sa parole que de fouiller des archives et librairies ! Oui, j’aime bien ce garçon malgré tout, et sa franchise candide. Elle me désarme. Je n’ai pas pu dire non. Je n’ai pu que répondre :

–Et comment voudrais-tu faireça ?

La nuit dernière, il m’a paru évident qu’il tombait juste. Trente ans ayant passé, il est temps. Sa demande directe me change de ce silence respectueux qu’on m’accorde partout, comme à un ancêtre qui aurait oublié de rejoindre sa tombe. Au fond, je devais même espérer que ça vienne un jour. Quand j’y pense, c’est presque insensé : Verdun, mai 40, Vichy, De Gaulle, Dachau... Je ne sais qui m’a concocté ce programme cinq étoiles de visite dramatique du siècle, je ne cesse de m’étonner de cet étrange privilège.

Peut-être aussi avais-je besoin de prendre à rebours sa mère qui, entendant se demande, l’a immédiatement prié de me laisser en paix. Maïté, ma fille si soucieuse de bien faire et de couver ses enfants... J’ai regardé Alain, il n’a pas bougé, il a soutenu mon regard avec insistance. Une fois de plus, il n’écoutait pas sa mère et je ne devrais pas l’y encourager. Enfant effronté, produit de son temps. D’une heureuse époque où l’on peut s’épanouir dans le confort, le divertissement, loin des brutalités du passé. Je trouve qu’on y perd le sens des convenances, ma foi, ce n’est plus mon temps. Mais je lisais aussi dans son attitude une obstination qui me ressemble et me plait.

–Ch’ais pas, comme vous voudrez... je peux vous accompagner en promenade ?

–Je vais réfléchir, ai-je conclu.

Il avait si l’air content de ma réponse, comme s’il croyait déjà la victoire acquise. Il avait raison. C’était tout vu, il proposait la bonne méthode, j’avais seulement besoin de digérer ce séisme dans mon quotidien.

Maintenant il a réveillé cette mémoire enfouie. J’ai beau m’efforcer de détourner l’attention, depuis qu’il m’a fait sa demande, tout remonte. Les visages éteints de mes voisins dans le Block. Les froques fouillées. Les hurlements à déchiffrer. Ces pestilences qui ont déniché quelques recoins stagnants dans mes narines.

Inspirer. Le bon air marin. Du vent, qu’Éole m’accorde davantage de vent pour chasser ces tristes effluves. L’océan, regarder l’océan, mon bonheur inépuisable. Vert-gris ce matin, plutôt houleux. Ces voiliers feraient bien de rentrer au port. La marée monte rapidement. Cher océan immuable, puissant, indéfectible ami de nos contrées basques. Masse mouvante qui m’apaise et me vivifie à la fois. Que j’aime marcher sur ce joli chemin qui serpente entre les tamaris, à la vue intermittente sur le cône blanc du phare, ma destination quotidienne. Marcher tranquille, et non aupas.

Ne pas me faire remarquer, jamais. Ne pas regarder le SS, garder les yeux baissés. Pauvre Badie, mon improbable compagnon d’infortune, quand ils ont repéré sa tenue non réglementaire. Son air plus choqué que souffrant, malgré le sang qui dégoulinait après les coups. Ce réflexe d’en boire, comme s’il s’agissait d’un supplément de ration. Badie, toi si gourmand, toi que j’ai eu tant de mal à persuader de donner à Anton cette plaque de chocolat, ce cadeau du ciel acheminé par la Croix-rouge. Et pourtant, quelle jolie revanche à savourer : nous, les déchets de l’ordre hitlérien, nous pouvions donner une friandise au kapo pour sa femme que nous ne connaissions pas. Une délicatesse saugrenue, un petit triomphe sur notre sort. Il le méritait, ce cher Karl Anton, et son air ahuri disait bien combien il mesurait le sacrifice. Oui, Badie, ça valait la peine. C’était si bon pour le moral.

M’y voilà de nouveau. Ce flux de mémoire est donc incompressible, il relève obstinément le défi des années écoulées. Ces images grises, ces mots obsédants n’ont jamais cessé d’errer aux tréfonds de mes souvenirs. Comme des soldats d’une infanterie d’occupation qui ont dû poser les armes, mais refusé de capituler.

Faire comme là-bas : focaliser.

Le temps est donc venu d’essayer à nouveau de raconter tout ça. Ne pas m’imaginer que ce sera moins difficile qu’il y a trente ans. Avais-je suffisamment essayé alors ? La force me manquait, je crois que c’était surtout ça. Comme un essoufflement immédiat. Je manquais de réserves morales, épuisées là-bas pendant cet hiver sibérien. Combien ai-je fait de tentatives dans les semaines qui ont suivi mon retour, à table, en famille, trois, quatre, peut-être cinq ? A table : c’était déjà incongru, devant cette vaisselle argentée, ces assiettes généreuses que j’avais de la peine à finir, ou plutôt que j’entamais à peine. C’était trop. Comme une blessure à la langue. Le vertige d’un monde devenu étranger à lui-même.

Je me souviens de ces regards ronds quand je leur ai parlé de nos bouillies d’eau chaude, où baignaient quelques rutabagas et des raclures terreuses de pommes de terre. Ronds de compassion gênée. Puis leurs yeux baissés. Les mots se sont vite garés sur mes lèvres. Nous venions de manger une soupe de légumes. C’est peut-être cette fois-là que je me suis tu. Les mots étaient devenus des obstacles. Des mots insuffisants, des mots faibles sonnaient déjà trop forts à leurs oreilles. Ou peut-être au contraire trop banals. Toujours trop ou pas assez. Toujours dérangeants. Face à leurs regards incrédules, j’en arrivais à me demander si elles avaient du mal à me croire ou du mal à me reconnaître. Ma pauvre Mad, et les filles tout autant, elles me scrutaient comme un étranger. Ou elles voyaient peut-être en moi un homme un peu secoué dont on ne sait pas trop s’il sait ce qu’ildit.

Avais-je tant changé ?

Oui, sans doute. Me souvenais-je moi-même encore de qui j’étais avant ?

Les mots, il faudrait les redéfinir l’un après l’autre. Leur ajouter une dimension, une profondeur. Comment expliquer la faim, la peur ou le froid à qui n’en a été habité pendant des mois ? Et l’absurde ? Comment donner du sens à ce qu’on a vécu, quand on n’en trouvait soi-même aucun sur place ?

Hier soir aux nouvelles télévisées, on parlait de camps de travail forcé que les Khmers rouges ont apparemment ouvert au Cambodge. Des communistes formés à la Sorbonne ! Ce monde peut changer à pas de géant, aucune cadence ne suffira à lâcher ses ombres.

Nous étions des animaux. En rangs, les têtes flottantes, les épaules en dedans pour donner à nos gardiens l’image qu’ils voulaient avoir de nous. Jouer aux bêtes soumises. Un théâtre pathétique, sans fin, comment une telle mascarade avait-elle pu durer si longtemps ? La seule sortie accessible s’appelait le Himmelfahrtkommando. Ce mot extravagant que je me répétais, je crois que c’était pour tenter de les comprendre, pour imaginer comment ils ont pu en arriver à des formulations pareilles. Le commando vers le ciel, qui peut trouver ça naturel ? On aurait aussi bien pu donner ce titre aux cosmonautes qui ont été sur lalune.

Je ne sais pas si les jeunes idéalistes comme mon petit-fils mesurent à quel point le monde a changé en trente ans. La télévision, les supermarchés… la place des femmes, de la foi… Ces jeunes qui écoutent des musiques bruyantes, des guitares électrisées, ces « hippies » ou je ne sais quel autre nom ils se donnent. Il faudrait qu’ils en aient conscience, mais le souhaitent-ils, eux qui veulent faire table rase du passé pour changer cette société encore davantage ?

Même à mes filles, mes expériences étaient difficiles à transmettre. Pourtant elles avaient connu l’Occupation, elles savaient de quoi l’ennemi était capable. Mais cela venait de moi aussi, dame, je n’avais pas trop la force d’y replonger. J’avais peut-être peur de perdre la parole comme là-bas. Surtout, je crois que je craignais de noircir l’âme généreuse de mes filles. Quand maintenant elles restituent les quelques bribes que j’ai pu formuler, ça me gêne chaque fois. Toujours les poux, la pomme de terre quotidienne, la cachette au plafond. Je n’aime pas trop les entendre, ces épreuves converties en anecdotes. Je préfère quitter la conversation. Je déserte les lieux, tant pis si on me regarde de travers. On n’a pas à m’imposerça.

Oui, c’est vrai, j’ai dû écraser méthodiquement les poux, plusieurs fois par jour. Oui, il faisait moins dix, moins quinze degrés, et je le supportais nu pendant l’épouillage, en principe cela durait dix ou quinze minutes. Comment je le supportais ? Que puis-je répondre, je n’en sais rien moi-même. La force de la volonté, d’autres anciens déportés l’invoquent volontiers, je trouve que c’est facile à dire. Et qui vais-je convaincre, ou non, en affirmant que nous avons des ressources insoupçonnées quand nous en sommes aux dernières extrémités ?

Pas tous, non, il est vrai que nous ne les avons pas tous. J’avais la chance d’être endurci, moi, si on peut dire une chose pareille. Quand on a des décennies de carrière militaire derrière soi, quand on a connu deux guerres, ça ne peut pas ne pas vous endurcir le cuir. Même si l’âge m’a tout de même valu quelques déconvenues aucamp.

Je ne leur ai jamais raconté ça, je crois, comment je n’arrivais même plus à soulever la pelle, avec ou sans neige, quand nous devions déblayer le chemin pour le confort personnel d’un jeune SS. Cruelle humiliation ! Je me serais bien passé de ce rappel qu’à 58 ans, j’en avais au moins le double de la plupart des autres. Mais que faisais-je là, moi ? Je crois que la colère m’a envahi ce jour-là aussi. Que faisait là un général de corps d’armée, à creuser une piste de trois kilomètres dans la neige pour qu’un sous-officier mal dégrossi et plein de morgue puisse aller déjeuner chez lui à bicyclette ?

Ah, le froid ! Ils doivent en avoir le caractère marqué, en Bochie, des rigueurs de leurs hivers. Les Russes aussi, ils m’ont parfois laissé pantois. Résistants, combien ils l’étaient, mais si durs entre eux ! Je me demande ce qu’est devenu le Polonais Mitros. Un vrai jésuite, lui, trop cultivé pour accepter le bolchévisme, cette nouvelle malédiction, encore une, que subit son pauvre pays. Évidemment, quand on est coincé entre deux peuples impériaux et qu’on n’a qu’une vaste plaine à défendre, et encore avec des troupes à cheval...

Je m’égare.

Il voudrait que je lui raconte « comment c’était au camp ». Mais comment le raconter pour que ça ne se déforme pas d’une bouche à l’autre ? Quand j’entends mes filles raconter de quelle manière j’ai pu échapper à l’exécution, pitoyablement coincé entre des planches, dans leurs bouches ça devient épique. Ce récit-là, elles s’en sont volontiers appropriées parce qu’il est simple, pas besoin d’en savoir beaucoup plus sur le quotidien du camp. Et il fait de moi un héros.

C’est justement ce qui m’effraie. Je ne veux pas qu’elles fassent de moi un héros. Je ne veux pas de cette image-là. Quelle gloire y a-t-il à seulement survivre comme on peut ? Ce dont je suis fier, c’est de m’être conduit comme il convenait à un chef de mon rang, en partageant le sort des détenus ordinaires, avec eux, parmi eux, tout en m’efforçant de remonter le moral des plus atteints. Voilà ma fierté.

C’est en renonçant à parler, peut-être, que j’ai été un peu lâche. C’était taire les crimes, exonérer les SS. Leur œuvre de destruction ne s’est d’ailleurs pas arrêtée en 1945. Combien de suicides et de dépressions parmi mes anciens camarades déportés ? Nous avons tous continué à porter une croix. Il y a aussi les blessures infligées à nos liens familiaux, j’en ai rudement souffert à cause de cette difficulté à se parler, à se comprendre. Ce deuxième fossé, je crois qu’il a peut-être commis plus de dégâts à la famille que mon absence physique d’un an etdemi.

Cependant, après cette longue épreuve, qui m’avait demandé une volonté de fer, ne pouvais-je m’accorder ce renoncement-là ? Si j’ai pu me taire, n’est-ce pas aussi parce qu’on a vite cessé de m’interroger à l’époque ? Par respect pour mes souffrances, bien sûr, il y avait de ça, mais je crois que c’était surtout par crainte de ce qu’on aurait à entendre. A digérer.

Je les comprends. La guerre n’a pas été drôle pour mes filles non plus. Je comprends qu’elles aient tant désiré tourner la page. Je comprends même que certains aient pu nous blâmer, nous, ceux qui avions survécu, de porter la mémoire vivante de ces laideurs qui, au fond, déshonorent toute l’espèce humaine.

Cela dit, les années ont passé, et voilà maintenant mon petit-fils qui pose des questions. Très bien. Je crains de ne pas pouvoir continuer à me taire. Puisque ma vieille carcasse persiste à tenir bon, il faut faire face. La génération de mes filles a abandonné le questionnement, la suivante a le droit de savoir.

Cela dit, ça ne va pas être simple.

Là il me demande de raconter le camp, bientôt sans doute il posera d’autres questions. Ce que je faisais là, moi, ni communiste ni gaulliste. Comment j’ai pu y survivre à mon âge, à deux ans du seuil fatal de soixante ans qui valait d’être traité sans autre forme de procès comme une bouche inutile : Himmelfahrt.

Il voudra sans doute savoir pourquoi je m’abstiens de ces récits effroyables qu’on trouve dans l’abondante littérature concentrationnaire. L’autre jour encore, à la radio, j’entendais un rescapé décrire des événements auxquels j’ai pris part ; non qu’il fabulât, mais le choix des mots teinte les faits de couleurs qui les qualifient de manière bien différente. Ma description de ces mêmes événements serait toute autre.

Mon petit-fils semble avoir hérité de l’esprit critique de son père, j’en mettrais ma main au feu qu’il va se demander si j’ai quelque chose à cacher. Il va se faire de fausses idées sur mon compte. Comme tant d’autres, hélas. Comme sans doute mes autres petits-enfants. Pourquoi leur grand-père, ce vénérable rescapé, n’est-il pas un héros de la république ? Moi qui ai bien connu une bonne partie d’entre eux, à commencer par le grand Charles…

Comme si tout devait être simple, blanc d’un côté, noir de l’autre ! Les vainqueurs, en réécrivant l’histoire à leur convenance, compliquent singulièrement la tâche de ceux qui ont à transmettre un autre vécu. Pour qui se prennent-ils donc, ceux qui ont le jugement facile, ceux qui oublient les circonstances de ces temps difficiles ?

J’aurais pu y couper, à cette expérience concentrationnaire. Oui, j’aurais pu faire appel à Pierre Laval, au nom du temps que nous avons partagé sur les mêmes bancs scolaires à Bayonne. Ce Laval qui n’était pas pour autant mon ami, mais que je ne vais pas faire semblant de ne pas avoir connu parce qu’il incarne aujourd’hui la collaboration avec l’Occupant. Ou j’aurais pu en appeler à Bridoux ; nos ministres à Vichy étaient des pantins, c’est entendu, mais le Boche leur accordait des miettes. Ou bien encore j’aurais pu agiter mes galons auprès des SS au cours des interrogatoires. D’autres l’auraient fait à ma place. D’autres l’ont fait. Je n’ai pas voulu manger de ce pain-là, et si c’était à refaire, je ne dévierais pas d’un pouce.

De même que je n’ai pas voulu battre la grosse caisse à mon retour. Ai-je eu tort ? Quand je pense à la muflerie de ce nouveau pouvoir gaulliste qui se targuait de tous les mérites et qui n’a pas même daigné me recevoir, moi, général déporté, après avoir voué sa carrière à la patrie ! Alors que Delestraint, qui a cru bon de signaler son rang de général à l’attention des SS de Dachau, et qui l’a payé de sa vie, serait, lui, digne de tous les éloges !

J’enrage encore, ça ne passe pas. Se croient-ils donc si vertueux, ceux qui ont semé la discorde entre compatriotes en temps de guerre, et qui ont ensuite toléré tous les égarements de l’épuration ? Dire que la seule lettre officielle que j’ai reçue, à peine trois jours après mon retour de déportation, c’était une menace de saisie du percepteur pour impôts en retard !

Le temps se couvre, pressons.

Aïe, cette cheville est de nouveau un peu enflée.

«Schnell, schnell, los !» Ces voix qui aboient toujours les mêmes « vite, vite, allez ! » et me hantent. Combien de fois les ai-je entendues là-bas ? Des milliers ? Au rythme où vont maintenant mes pas, j’aurais été bon pour la schlague. Mieux vaut renoncer à aller jusqu’au phare. Dommage, il y aurait sans doute de belles gerbes d’écume à contempler.

Est-ce ma faute si je n’ai jamais été frappé ? Nos gardiens n’avaient pas besoin d’en rajouter, la seule vie au camp et le typhus suffisaient pour nous détruire ou nous mater. Du moins ceux parmi nous qui n’avaient pas la chance d’être soutenus par un idéal indestructible. Et par quelques bons camarades. Ma volonté n’a jamais flanché, Dieu merci. J’en ai quelque mérite, oui, je le crois. Non : je l’affirme. Il ne me déplairait pas qu’on me le reconnaisse. Mais je ne vais pas le revendiquer. Ce ne serait pas digne. Ce n’est pas à moi de le faire. Le problème, c’est que la surenchère dramatique des témoignages est telle qu’on vous soupçonne de compromissions si vous ne rapportez pas les pires épreuves dans vos récits.

Il l’avait bien deviné, ce vieux curé de Pau, comment s’appelait-il déjà ? Monseigneur, il tenait à se faire appeler Monseigneur. Ah oui, Daguzan. Vicaire général, il avait donc droit à ce titre pompeux, on n’allait pas le lui contester, on avait encore le respect absolu des hiérarchies en ce temps-là. Quand je pense qu’il est revenu en France dans un costume rayé qu’il n’a jamais porté sur place ! J’en suis sûr, il ne quittait jamais le camp, il n’avait donc pas à le porter. « Ah, je n’oublierai jamais mon impression quand je l’ai vu revenir dans ce costume », voilà à peu près ce que sa gouvernante a déclaré à l’ami Berthaud, quand il est allé rendre visite à Daguzan après-guerre. Voilà comment on se forge une légende...

Aurais-je dû m’en forgerune ?

Tiens, on dirait des Boches, ce groupe de jeunes touristes, là, sur la falaise. Oui, à coup sûr. Nos bons amis les Allemands. Ils sont presque nus et bien en chair. Leur rire qui perce le bruit des vagues. Ils ne riaient pas beaucoup, les nôtres. Ils ricanaient, parfois. Ils se saoulaient le soir, paraît-il. Ils devaient en avoir besoin. Cela devait leur permettre de lâcher les masques. Quel âge peuvent-ils avoir, ces jeunes-ci ? Ils ont dû naître juste après la guerre. Savent-ils que leurs pères étaient peut-être ici, en uniforme, à patrouiller en pays conquis ? Ou peut-être leurs oncles, ou leurs instituteurs ? Ont-ils vu les fortifications sur la plage ? Oh, c’est un garçon sous cette longue chevelure, je ne m’y fais pas, à cette mode. On l’aurait sans doute traité d’homosexuel et bastonné, à l’époque.

Trente ans, pour moi c’était hier. Pour eux, ce n’est plus que de l’Histoire.

Ils ont de la chance, ces jeunes, parce que cette guerre aura sans doute eu le mérite de nous en épargner d’autres, il semble qu’il soit devenu raisonnable de l’espérer. Il avait vu juste, Jean Ecole, il prédisait que cette fois ce serait vraiment la der des der. J’avais tant de plaisir à discuter avec ce jeune abbé, certains dimanches, sur la Lagerstrasse... Cette allée centrale qu’Edmond Michelet, pour son livre sur Dachau, a rebaptisé Rue de la Liberté. Drôle de choix... Quel besoin ont-ils tous de donner des titres pompeux à leurs récits de la déportation, comme « L’Univers concentrationnaire » ou « L’Espèce humaine » ? Sont-ce les éditeurs qui les leur ont imposés ? Celui de David Rousset, je l’ai trouvé assez intéressant, quand même, avec sa peinture des luttes entre clans, à Buchenwald, entre les communistes et les détenus de droit commun. Celui de Robert Antelme, je n’ai pas pu me résoudre à le lire, j’en avais ma dose. Et maintenant c’est troptard.

Jean École, c’était un rayon de soleil, celui-là. Un des rares à ne pas perdre sa lucidité, sa maîtrise. Il en dénichait de toutes sortes, des livres, à la bibliothèque du camp, cette espèce de marché aux puces si cosmopolite. Combien a-t-il voulu m’en passer, m’en faire lire ? C’était un peu trop me demander. Mais parler avec lui, aussi bien l’abbé que le professeur de philosophie, cela m’aidait à garder l’esprit en éveil.

Comment disait-il ? Qu’il fallait aller au bout de cette folie de puissance pour en purger nos sociétés européennes. Je n’aimais pas trop cette idée. Je n’aimais pas trop qu’on mette tous nos pays dans le même sac. Je n’aimais pas trop non plus qu’il questionne le patriotisme. Comme si l’adoration d’Hitler était de la même nature que le service à son pays ! Enfin quoi, nous n’allions pas, ici, en attendant que nos armées nous libèrent, mettre en question notre fidélité à la mère patrie ?

Pour ce qui est d’aller au bout de nos rivalités nationales, sur ce continent si dense, si serré, je me demande si finalement il n’avait pas raison. C’est peut-être par l’épuisement de l’orgueil national qu’on peut expliquer ce qui se construit maintenant, cette communauté européenne qui a l’air de marcher assez bien. Et sans doute aussi la décolonisation. La fin de nos empires dont nous étions si fiers, et qui sont si vite oubliés.

Assez divagué, regardons les choses en face : du temps pour raconter, il en faut et il ne m’en reste pas beaucoup. Dieu merci, j’ai toujours la tête à peu près claire à près de quatre-vingt-dix ans. Pas trop de moments d’assoupissement, quelques accès de fatigue de l’âme, oui, mais je peux bien lui accorder une bonne conversation par jour. Je crois que je vais pouvoir encore convoquer des souvenirs assez précis. Il est temps de m’y appliquer. Pourquoi en éprouverais-je de l’amertume alors que j’ai, n’en déplaise aux mauvaises langues, la conscience tranquille ? Je sais que mes enfants n’ont nullement à rougir de moi. Il n’y a pas de récompense plus magnifique que celle-là, à l’approche du dernier rivage.

Mais encore faut-il qu’ils le sachent, aussi.

Tiens, on croirait que ce grondement d’orage survient pour sonner la fin de ma tranquillité. Le plus simple sera que je donne la parole à mes souvenirs comme ils viennent. Que ce petit-fils si curieux m’accompagne et m’écoute pendant l’aller-retour au phare, voilà. Sans poser de questions, je vais mettre cette condition. Pas de questions avec les mots de maintenant, avec les explications à donner. Qu’il me laisse voyager dans ma mémoire. S’il a la patience de m’écouter, tant mieux. S’il comprend, et s’il parvient un jour à porter plus loin ce témoignage, je ne serai sans doute plus là pour m’en apercevoir, mais au moins je lui aurai laissé cette possibilité. Je l’aurai laissée à mes descendants.

Sinon, ma foi, c’est comme sur la plage, les vagues effaceront les traces et la terre ne cessera pas de tourner.

2

Le jour est levé depuis des heures, c’est juillet, mais comme toujours, il n’y a guère de monde ici, le long des allées au-dessus de la falaise. A Biarritz comme ailleurs, les touristes se lèvent tard. Mon petit-fils aussi, habituellement. Ce matin il était là au petit-déjeuner. Il s’est contenté de me sourire. Je me suis contenté de lui dire que nous partirions tout de suite après. Nous avons grimpé l’avenue de l’Impératrice en silence. Après une brève halte en arrivant sur la falaise, je n’ai plus qu’à me lancer… je pourrais dire à l’eau.

« Ce qui me revient d’abord, c’est la fin. Je revois cette irruption soudaine des jeeps américaines, l’étonnement qui redonne peu à peu vie aux visages indistincts. Un réveil qui dure des heures. Cette vague et tenace sensation de vide. Il n’y aura donc plus d’appels ? Oui, plus besoin de rester sur le qui-vive, les yeux baissés. Je me souviens aussi de la faim, terriblement ravivée par l’espoir. Nous étions parvenus au-delà de la faim. Une fois revenu cet espoir de l’apaiser, elle ne se laisse plus dompter. »

Je me tais. Il ne réagit pas, tant mieux. Il sait y faire, le bougre.

Oui, continuons comme ça. Comme ça me revient. S’il veut des précisions sur le système concentrationnaire, il n’a qu’à lire ces livres dont le flot ne semble pas vouloir tarir. Ce que ce fut pour moi, il l’entendra comme je l’ai vécu, sans en rajouter, sans en retrancher, et peu importe ce qui a été dit ou écrit ailleurs.

Satanée cheville. Une pause sur l’allée qui mène au phare. Il attend les mains dans les poches, vilaine manie.Bah !

Que sait-il à quinze ans, que peut-il comprendre ? Il a dû lire des livres scolaires, peut-être des revues aguicheuses. Évidemment, hier, quand je lui ai fait part de mon accord, il a déjà voulu savoir si j’ai vu une chambre à gaz. Oui, il y en avait une à Dachau. Devant son regard insistant, j’ai ajouté : « Et un four crématoire pour brûler les piles de cadavres. » Il s’est tu.

Je crois que je n’ai pas eu tort d’ajouter ça. Il semble avoir bien compris le message. Que ce n’était pas le moment, qu’il devait faire preuve d’un peu de patience. La leçon de savoir-vivre du grand-père. Il n’a pas insisté sur la chambre à gaz, ainsi je n’aurai pas peur de le décevoir. Aurait-il été désappointé de savoir qu’elle n’a pas servi ? Que cette industrie de la mort fonctionnait ailleurs, que Dachau n’était de loin pas le pire des camps ?

–Les SS n’ont pas résisté ?

Ah, voilà ! C’était sans doute trop lui demander de mettre comme condition qu’il ne pose pas de questions. Enfin, il a attendu pendant mon silence, il se retient, c’est encourageant. Du moment qu’il ne m’interrompt pas trop... Le droit au silence, c’est un privilège appréciable de l’âge.

–Ils étaient dépassés… maintenant laisse-moi retourner à mes souvenirs.

Je reprends la marche.