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« ‘‘La maison adossée aux souvenirs’’, venait à nouveau se glisser dans mes rêves. Elle m’invitait à repenser à la petite fille de 5 ans. Car, quand on a mal à son âme, on redevient l’enfant qu’on était. Et ma mère, elle aussi, avait toujours eu mal à l’âme. »
À PROPOS DE L'AUTEURE
Issue de parents immigrés espagnols,
Maria Bernabeu née en 1966, revient sur les fragments marquants de son existence.
Un partage de ses rêves d’enfant, une invitation au voyage, un regard sur le temps qui passe et un cri d’amour à sa famille. Une narration qui fait écho et interpelle notre propre vécu.
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Seitenzahl: 339
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Maria BERNABEU
IL N’Y A PAS D’ÂGE POUR ÊTRE PETITE
Séquence Expresse
Il vit ma tête garnie de cheveux noirs sortir du sanctuaire velu et agrippa mon crâne, puis mes épaules, pour me libérer de ma tanière. Il me souleva comme un trophée, glorifié par mes pleurs, puis me posa délicatement, dans les bras chauds de ma mère. Mon père fut félicité par le médecin. Il reprit des couleurs, dans ces jours brumeux du 9 mars 1966, alors que quelques flocons de neige, allaient tomber deux jours plustard.
Séquence héroïque
9 mars1966
Depuis le 8 mars 1966, la pleine lune enveloppe la France et la belle bâtisse de la famille de Brion, inaugurée en 1934, comme maternité de La Voulte/Rhône.
Le 9 mars 1966 à 9 heures 30, la visite matinale du médecin de famille, le Docteur Comte et son acolyte Mme Jean, sage-femme, avait rassuré ma mère, sur l’avancée du travail. Elle n’accoucherait pas avant l’après-midi. C’est pourquoi, ils vaquèrent chacun à leurs occupations, en laissant une maternité presque vide, avec seulement deux naissances, depuis le début dumois.
A 9 heures 45, les contractions continues de ma mère vinrent subitement activer le travail. Elle ressentit le besoin impérieux de marcher, de s’accroupir et de pousser. Tout en suppliant, d’appeler rapidement la sage-femme, mon père l’aida à regagner sonlit.
Il hurla dans le couloir dépeuplé de toute âme et ses paroles firent l’effet d’un écho acoustique : « Veneeeez, maaaa femmeee accouuuuuche… »
Mais envain.
Alors, il retourna seul et blême dans la chambre, où l’accouchement était imminent.
Mon père devint blanc comme un linge. A la vue de ma mère, assaillie de douleurs, il retroussa les manches de sa chemise et se lava les mains.
Mon père agrippa ma tête chevelue et cireuse et dégagea mes épaules, ainsi que le reste de mon corps, recouvert de matière blanchâtre et visqueuse, le vernix caseosa, dont l’excès le marqua. Il s’empressa de donner une petite tape sur mes fesses et mes parents furent soulagés d’entendre mon premier cri, à 10 heures du matin.
« ¡ Es una chica ! » c’est une fille ! dit mon père.
En symbole d’un accouchement héroïque, ma tête allait présenter pendant plusieurs jours, une bosse en forme d’amande.
Les premiers bras tendus et regards, furent donc ceux de mon père, acclamés par les pleurs de ma mère, devant un travail si admirable.
Il me déposa sur son ventre chaud et moelleux, en me recouvrant hâtivement d’un drap. Encore liées l’une à l’autre par le cordon ombilical, je sentis son odeur et ses larmes couler, après tant d’efforts et ses mots en espagnol, me prédisposèrent déjà à aimer l’Espagne.
Ce fut notre première rencontre, un trio unique, pour un moment exceptionnel.
***
J’ai toujours aimé raconter et même enjoliver ma naissance. Aujourd’hui, maman de ma petite Carla, je réalise combien l’accouchement a dû ressembler davantage à un moment de grande agitation.
Mais, néanmoins, j’ai apprécié l’originalité de ma venue, au sein même d’une maternité sans sage-femme où, mon père a dû en tenir lerôle.
Je m’accordais à croire que ma naissance, animée, me donnait une place singulière dans le cœur de mon père, parmi mes frères et sœurs.
On coupa le cordon ombilical qui me reliait à ma mère pour nous détacher pour toujours, mais un lien particulier, indéfectible se noua avec lui, comme un pont d’amour.
Nous étions une fratrie de cinq enfants, dont mon ordre de naissance me plaçait avant-dernière.
Dans mes yeux d’enfant, deux clans distincts se distinguaient nettement, celui des plus grands et celui des plus petits.
Au-delà d’être nés en Espagne, les trois plus grands, Antonio, Térésa et Lolita, avaient seulement un an de différence. Inversement, le repos gestationnel maternel prolongé, avait creusé l’écart entre les aînés, en mettant au monde les plus petits, en France.
1966, fut la meilleure année des Nathalie en France et le médecin suggéra à ma mère de m’appeler ainsi. Espagnole dans l’âme et dans le corps, elle me baptisa Maria Mercedes. La cote de popularité de Nathalie, ne fit donc pas basculer le cœur de ma mère, ni la chanson de Gilbert Bécaud, un chant d’amour et un hymne à la femme russe.
Ce qui détermina le choix de mon prénom, provenait d’une histoire d’amour passionné, désapprouvée, puis tragique, entre l’Infante Maria de Las Mercedes d’Orléans et le futur roi Alphonse XII d’Espagne, entre autres, cousins germains. Ce pan d’histoire royal toucha profondément ma mère et me fut souvent conté.
Malgré les oppositions royales, familiales et gouvernementales, le roi Alphonse XII et l’Infante Maria de Las Mercedes, follement amoureux, parvinrent à se marier le 23 janvier 1878. Cette belle romance émut le cœur des espagnols et l’attachement à cette idylle passionnée, s’intensifia à la mort prématurée de l’Infante, atteinte de typhus, à tout juste 18 ans, cinq mois après son mariage. L’Espagne la pleura et le désespoir du roi, éperdu d’amour, suscita beaucoup d’empathie.
Leur passion inspira des œuvres cinématographiques et vocales tels ¿ Dónde vas, Alfonso XII ? en 1958 avec Paquita Rico etla Romance de la Reina Mercedes interprétée par Marife de Triana.
Le Général de Gaulle se souciait peu de la cote de popularité des « Nathalie » et il préféra marquer en cette année 1966, le retrait de la France de l’OTAN.
En pleine conquête de la lune, la sonde soviétique Luna 9, venait de se poser en douceur sur le sol de la Lune, le 3 février 1966, avant les premiers pas de l’Homme, trois ans plus tard, le 21 juillet 1969, par l’américain Neil Alden Armstrong.
En France, on sentait un nouvel air de liberté précurseur de mai 1968, l’un des mouvements sociaux français les plus importants de son histoire.
Les femmes de tous prénoms confondus, s’émancipaient davantage, en portant, cheveux courts, jupes ultracourtes ou pantalons.
La conscience s’élevait sur la ségrégation et discrimination envers le peuple noir, aux États-Unis et sur le conflit vietnamien. Les images de carnage franchissaient l’océan, à travers le petit écran, pour se répandre dans les foyers, à l’heure de grande écoute.
Si ces actualités avaient marqué profondément l’histoire mondiale des années 60-70, à mes yeux, seule l’exclusivité parentale, à ma naissance, avait marqué la mienne avec fierté et une indicible chaleur, en cette période de guerre froide.
J’en étais la protagoniste. Je me sauvais de l’indifférence.
Mais ce que je ne savais pas, c’est que le passé de mes parents allait s’accorder au présent et au futur.
Juin 2016, cinquante ans plustard
Depuis mon arrêt de travail en juin 2016, pour capsulite rétractile « épaule gelée », je regarde régulièrement une émission qui se nomme « Mille et une Vies », présentée par Frédéric Lopez et tout naturellement, je me suis remise à l’écriture.
J’écoute avec grande émotion, toutes sortes d’histoires et d’itinéraires invraisemblables et rocambolesques. Ces personnes viennent à l’émission raconter leur vie extraordinaire ou bafouée, en toute simplicité et sincérité. Ils ont su surpasser des secrets ou des fêlures, pour en faire une force.
Il y a une grande humilité et sobriété, dans chaque témoignage et Frédéric Lopez, le présentateur, montre beaucoup d’empathie, une qualité qui prédispose à la confidence.
La « maison des aveux » et non celle des lamentations, se veut conviviale, « loin du tumulte » offrant des pièces de vie, chaleureuses, à l’image d’un nid douillet. Le thé se mêle aux odeurs du café et des gâteaux et les photos, à ceux des livres et des crayons de couleurs. Un jardin arboré et luxuriant, laisse entrevoir un chat placide, nous invitant à un état de plénitude et de compassion.
A sa demande, les invités doivent apporter diverses photos, les parcourir dans l’atelier, pour se retrouver ensuite tout émus, dans un patio verdoyant ou dans un salon feutré. C’est alors que la caméra se fige sur un de leurs portraits, agrandi pour l’occasion.
La phrase anecdotique et culte de l’animateur nous parvient, comme si elle nous était destinée.
« Là, c’est vous enfant, si par magie, l’adulte que vous êtes aujourd’hui, avait eu la possibilité d’aller souffler quelque chose à l’oreille de cet enfant, vous qui connaissez la suite de l’histoire, que lui diriez-vous ? »
Cette invitation à parler à l’enfant que l’on a pu être, m’a toujours fait écho. Un souhait cher, de longue date.
Avant même le désir d’avoir un enfant avec Marc, je scrutais souvent un portrait de moi en noir et blanc.
Puis, son refus radical d’être à nouveau papa, raviva en moi, de vieux souvenirs douloureux.
Voici quelques courtes phrases écrites en 2006 sur ordinateur, en parlant de l’enfant que j’étais et le désir concomitant d’avoir un enfant :
Valence, Rue Madier Montjau
Année 2006, 40 ans
Un jour où un besoin irrésistible d’écrire me gagne, pour accoucher la peine de ne pas pouvoir un jour enfanter.
« A toi mon enfant que je ne connaîtraipas.
Mon petit cœur. J’aurais tant donné pourtoi.
Marc, mon homme, je suis en colère contre toi, qui me refuse d’accéder à cette plus belle joie de lavie.
Tu parles d’argent, tu parles de ton âge et moi, la femme de 40 ans, n’a plus le temps d’attendre et d’entendre ces mots-là. Je ne sais pas quoi te dire. Je me sens bien seule, face à ce dilemme de femme, qui n’a pas d’enfant […] Et depuis, je rêve à nouveau à cette petite fille, celle que j’étais à 5 ans […] Je voudrais revenir à mon enfance, accompagner l’enfant que j’étais, inquiète de la vie et me glisser comme une ombre, dans ses rêves. Pouvoir la rassurer, la consoler et lui dire les mots d’amour, que j’aurais souhaité crier à ma propre fille[…]
Je l’encouragerais à laisser sa maman tranquille, le temps d’aller mieux, car il est parfois le meilleur remède de tous les maux. Après l’accalmie, je l’inciterais à ouvrir son cœur fragile et pudique, jusqu’à ce que des mots d’amour jaillissent, comme une source impérissable ».
Sur cette photo, mes yeux d’enfant de 3 ans, sont sombres et éteints, contrastant avec mon visage pâle. Je fixe craintivement l’objectif. Je porte un vêtement confectionné par ma mère, dont elle me dira plus tard et à ma demande, qu’il était de couleur bleu. Mes cheveux attachés sont fins et de couleur châtain clair. Ma bouille est ainsi dégagée, avec un regard énigmatique. J’ai beaucoup de compassion pour cette petite fille, qui n’est autre que moi.
Il me semblait que mon cou arborait un collier de perles fait à la main. Pourtant, après avoir revu la photo, ces derniers temps, je m’aperçois que mes souvenirs s’entremêlent, car il est dénué de tout ornement. Il s’agit d’un autre cliché, de moi avec mon petit frère, en classe de Maternelle.
Comment faire confiance à ma mémoire défaillante ? Le traitement anti comitial administré depuis l’âge de mes 18 ans, n’arrange en rien ma vivacité mémorielle.
Fort heureusement, animée par la curiosité de mon histoire personnelle et transgénérationnelle, mes souvenirs familiaux se tissent comme une toile d’araignée. Je questionne, requestionne toujours, en quête d’un souvenir peut-être disparu, qui ne demande qu’à renaître et à voir le jour, pour broder une nouvelle vérité. En revanche, d’autres sont usés, ressassés par les années et délavés par les pleurs.
Ma plus grande sœur Térésa, a une mémoire surprenante. Ses récits ont considérablement éclairé mes souvenirs brumeux et emmaillotés.
Comme ma mère, elle me déconcerte, à détailler ces événements anciens de sa vie, telles ces comptines fredonnées au mot près. Ma fille Carla, prend le même chemin.
A 44 ans passés, Marc ne voulait plus d’enfant, il se disait trop âgé, avec son fils Christopher de 16 ans et sa fille Inès de 9 ans.
A 40 ans, résignée, je renonçai donc au rêve d’accéder aux joies de la maternité et de fonder une famille.
Je tenais délicatement cette photo dans mes mains fébriles et parlais à cette gosse de 3 ans. Je ressentais cette renonciation d’enfanter, comme un deuxième abandon. Désespérée, cela me rappela l’été de mes cinq ans, où je fus momentanément confiée à une famille d’accueil et où l’éloignement familial, me marqua à tout jamais.
En effet, la santé fragile de notre mère et ses hospitalisations, nous amenaient parfois à quitter la maison, pour d’autres foyers. Aussi, pour permettre à papa de continuer à travailler et en raison de notre jeune âge, l’assistante sociale de l’usine, se chargea de nos placements temporaires.
Avant ma naissance, mon frère et mes deux sœurs aînées furent hébergés neuf mois chez Mamica, une famille espagnole située vers Saint Lager Bressac en Ardèche, le temps, pour maman, de pouvoir partir en convalescence à Hauteville-Lompnes,au sanatorium « Le Sermay », pour récidive de sa tuberculose.
En raison, cette fois, d’une rechute de sa dépression, la menant à être hospitalisée à l’hôpital de Privas, mon escale chez Monsieur et Madame Boissier, à Alissas, aura approximativement duré deux mois, entrecoupée, de visites familiales.
Le premier jour, ma sœur Térésa avait tenu à nous accompagner, avec la peur de ne plus jamais nous revoir. La fois suivante et accompagnée de notre maman, elle eut l’impression de nous voir livrés à nous-mêmes. Nous nous trouvions seuls à l’extérieur, moi inexpressive, tandis que Joseph jouait avec des morceaux de bois, sur une butte de terre.
Ce fut naturellement son appréciation de grande sœur, protectrice et attristée, de nous laisser chez des étrangers, qui ne nous ressemblaient en rien et dont la cuisine crasseuse et pleine de mouches collantes, ne la rassurait pas. Son petit cœur débordait de tristesse, à écouter les rires des adultes émanant de la cuisine, tout en buvant lecafé.
Une autre fois, à la suite d’une intervention lourde à la tête en février 1975 et pour la soulager des plus petits, nous partîmes, cet été-là en colonie de vacances, à Le Monastier sur Gazeille.
Sinon, en toute autre occasion, nous restions sagement sous la bienveillante protection « des plus grands ».
A 29 ans, après un échec amoureux, je me lançai dans une psychothérapie. Ce détonateur sentimental, aux apparences banales, avait réveillé ce souvenir assoupi. J’avais pensé, à tort, que l’amnésie pouvait être une bonne arme, contre ces vieux démons.
Rapidement, les séances avec ma psychiatre furent éprouvantes. Mais la volonté d’améliorer ma vie et d’aller de l’avant, en faisant un travail sur moi, me permirent d’aborder énergiquement l’origine de mon vrai malaise, la peur de l’abandon.
Comme un arbre fruitier, je passais par divers stades de maturation. Chaque période, avait son importance et il fallait être vigilant, pour ne pas aller trop vite ou stagner dans l’une d’elles, à défaut de pourrir sur la branche, comme un fruit avarié.
Depuis, je ne cessais de questionner mes proches sur mon enfance et notamment, cette période confuse de mes 5 ans. En revanche, un souvenir précis d’un long tunnel débouchant sur une ferme, me revenait distinctement, comme une vieille rengaine.
C’est donc à l’âge de 30 ans, au cours d’un repas familial, que cette histoire de placement prit une autre ampleur. Un détail n’avait jamais été évoqué au cours de mon existence, celui de leur départ en Espagne.
Térésa évoqua la tristesse de ce voyage sans nous, los pequeños, les petits et notamment, le passage à la frontière espagnole, qui provoqua un tel chagrin, qu’ils se mirent tous à pleurer. D’habitude si fébriles, l’arrivée en Espagne fut ressentie pour le coup, comme un point de non retour, avec le sentiment de nous avoir abandonnés. D’ailleurs, lorsque maman s’acheta une médaille représentant la Vierge et l’enfant, Térésa ne l’entendit pas de cette oreille.
Elle lui rétorqua sans détour « J’aime pas », comme pour mieux lui dire aussi « Maman, j’aime pas ce que tu fais à Maria et à José, comment peux-tu te faire ce cadeau ? »
J’imagine que pour ma mère, en-dehors de représenter l’amour maternel infini qu’elle nous portait à tous, elle lui permettait de pallier notre absence.
Ce soir-là, à table, je posai davantage de questions sur leur virée impromptue en Espagne, car je n’avais pas eu connaissance de ce petit détail.
Vraiment ?
« ¡ Cállate ! » tais-toi, dit ma mère à ma sœur Térésa. Cette injonction, traduisait un malaise et laissait planer un doute, sur cette période estivale de ma vie, à 5ans.
Ma sœur estimait qu’il n’y avait rien à cacher et semblait même surprise, de la méconnaissance de leur échappée hispanique.
Par mécanisme de défense, j’avais refoulé ce pan de vie, pour atténuer les effets psychiques liés à cet événement intolérable, de l’abandon et de l’insécurité.
Cette ombre intentionnellement bienveillante de mes parents, fut le maître silencieux de mon destin pendant trente ans et ce retour, me fit l’effet d’une puissante claque.
Ce secret à mi-mot toxique, m’autorisa à toutes sortes d’élucubrations, mais provoqua en moi, des symptômes bien réels, mon anxiété, mon isolement, ma timidité, mon manque d’assurance émotionnelle, toute une vie, à redouter la mort de mes parents et plus tard, ma tendance à prendre des distances, de peur d’être abandonnée et ma difficulté à faire des projets à long terme.
Depuis ce repas, tout devint évident.
Mon petit frère, ne se souvenait de rien. Mais moi, je me souvenais pourlui.
Je ressentis une colère incommensurable.
Dans cette maison, à l’âge de 5 ans, cet abandon, fut une vraie petite mort.
***
1971, 5 ans
Oui, maintenant, je me souviens :
J’ai cinq ans. Je suis à la maison, aux HLM Camp Hannibal. Je ne vois personne, en-dehors de papa, Il n’y a pas maman, c’est sûr, je ne la vois pas et ne l’entends pas. Où est-elle ? D’habitude, papa travaille et quand il est à la maison, on ne fait pas de bruit, pour qu’il se repose. Mais cette fois ci, c’est lui qui crie et il s’énerve contre une dame. Papa, tu cries trop fort, tu fais peur à mon p’tit cœur. Et moi, je pleure, à entendre tout le monde crier. Méchante dame ! Papa veut nous récupérer de la ferme, pour partir. Partir où ? Pourquoi la dame ne veut pas ? Je crois que c’est une assistante sociale, de l’usine, où travaille papa.
« Monsieur Bernabeu ! Votre femme est encore bien trop fatiguée. Maria et José sont trop petits. Laissez-les encore quelques semaines chez Mme Boissier à Alissas et partez avec les plus grands, ça lui fera du bien. Et puis, c’est compliqué Monsieur Bernabeu, vous ne pouvez pas les enlever comme ça et les replacer ! »
Alors, je m’accroche à papa et je le suis partout, comme son ombre. Il finit par se calmer, je crois qu’il n’a plus de choix, que de céder.
A présent, cette femme souhaite me parler seule à seule, comme une grande. Je savais que j’étais grande, tu vois Maman ? Je ne suis pas petite.
Elle prend ma main, m’emmène dans la cuisine et ferme la porte vitrée, derrière nous. Seule la lumière du séjour me parvient et me tient reliée à ma famille. Attentionnée, elle me prend dans ses bras, pour m’asseoir sur la table en formica rouge. Dorénavant, elle est en face de moi et s’exprime d’une voix douce. Finalement, elle n’est pas si méchante que ça. Elle dit que Maman est encore très fatiguée et que l’on doit rester à la ferme, comme des grands. Je l’écoute et je hoche de la tête pour acquiescer. Ai-je, seulement, vraiment le choix ?
En face de moi, alors qu’elle me parle, se trouve la réserve de nourriture, où les cafards se cachent. Je déteste ces bêtes couleur marron, avec leurs têtes ridicules et fines antennes, avec leurs crochets aux fesses, Berk !! Ils me dégoûtent, tant il y en a dans les maisons HLM.
J’écoute encore la gentille dame et je comprends que si on aime notre maman, on doit rester dormir quelques nuits de plus à la ferme, sanseux.
Par déduction, dans mon âme d’enfant de 5 ans, j’ai bien vite compris que nous devenions une charge pour Maman.
Le premier jour de notre arrivée à la ferme :
Maintenant, nous arrivons dans cette maison, après avoir franchi un tunnel sombre et étroit, il fait chaud. Ça doit être l’été. Une jeune fille joviale m’extirpe des jambes de mon père, pour me montrer la chambre, alors que nous nous trouvons près d’un poêle. Je n’ai jamais vu ce genre d’objet, à quoi ça peut servir ? Puis, je découvre une grande pièce de nuit remplie de lits. Ils sont nombreux dans cette famille ! Cinq enfants ! Comme nous à la maison ! La jeune fille joyeuse, me dirige vers un grand matelas recouvert d’un drap blanc à même le sol. A droite, je perçois une fenêtre ouverte, où des rideaux, caressés par le soleil, ondulent au rythme des courants d’air. Elle me dit que je dormirai avec elle et me laisse décider du côté. Timidement, je dis « ici ! » car c’est le côté où il y a le lit à barreaux blancs de mon petit frère. Je me dis, dans ma tête, que je pourrai le surveiller et être là, s’il a besoin de moi.
Puis, je ne me souviens plus de rien, plus derien.
Des semaines plustard
Je crois que c’est aujourd’hui que papa et maman nous ramènent à la maison, c’est sûr ! Il est trop tard maintenant ! Ils ne sont jamais restés aussi longtemps. Je suis trop contente, j’ai envie de rentrer à la maison !
Je me souviens du feu de bois qui crépite dehors, j’ai froid maintenant. Je ne veux pas rentrer, car toute ma famille est là. Mais mes parents remercient Mr et Mme Boissier et viennent me dire au revoir. Puis, je vois les feux de la voiture de papa avec maman, Térésa, Olita et OO, s’éloigner à la tombée de la nuit, pour ne devenir qu’un point lumineux. Je ressens un vide et une grande tristesse m’envahir. C’est ma famille qui s’en va, mais sans nous. Pour moi, ils sont venus me dire Adieu.
Ça fait longtemps maintenant, qu’ils ne viennent plus nous voir. C’est sûr, ils nous ont oubliés. Ou alors, peut-être, sont-ils morts ? Non, je crois qu’ils nous ont abandonnés.
Heureusement que mon petit frère est né après moi, sinon je serais morte seule, de chagrin.
Ce fut ma première grande peine d’enfant.
En mai 1996, si l’heure sonnait depuis deux mois mes 30 ans, les dictons de mai foisonnaient en ce mois, propice au réveil de la nature et de la mémoire rebelle.
Si j’avais loupé « Mai 68 », je me rattrapai avec mon « Mai 68 à moi ».
En mai 1996, je partis en voiture, en quête de cette petite fille que j’avais été à 5 ans, dans la plaine d’Alissas.
Forte du slogan personnel « il est interdit d’interdire ma vérité », je revendiquais ma place dans cette famille, alors que la nature, serviable me soutenait, avec sa beauté et sa richesse des environs, entre les collines calcaires des Grads et les pentes volcaniques du Coiron.
Je roulais sur ces belles routes sillonnées ardéchoises, à la recherche d’un pont, qui m’évoquerait ce tunnel. Soudain, j’aperçus, de loin, des ombres humaines et je stoppai ma voiture, aux abords de cette première ferme. Sans aucune frilosité, j’allai à leur rencontre pour les questionner, dans l’éventualité qu’ils puissent connaître une famille d’accueil, dans les environs.
Je fus agréablement surprise de constater, que cette ombre était une alliée généreuse et attentionnée de tous les jours, une collègue de travail, depuis l’âge de mes 19 ans. Bernadette allait rendre visite à sa sœur, qui avait racheté, il y a des années, la ferme familiale. Bienveillante et enjouée, comme à l’accoutumée, elle m’expliqua que la maison que je recherchais, se trouvait juste plus bas à gauche, à côté de la leur et me fournit des détails précieux. Autrefois, voisins de cinq enfants dont trois filles et deux garçons, le foyer se nourrissait de leurs œufs de poule, de leurs fromages et de toute autre denrée, mais jamais de leur lait, alors que leur ferme possédait de belles vaches. Elle ne consommait que du lait en poudre et cela les avait toujours interloqués.
Elle m’expliqua aussi qu’un des fils, timide et célibataire, n’avait jamais quitté la maison.
Nous nous quittâmes, interpellées par cette incroyable coïncidence, jusqu’au lendemain matin.
Mon « Mai 68 à moi » prenait des couleurs d’espoir, avec cette rencontre rocambolesque.
Finalement, je retrouvai sans peine, le logement jouxtant une ancienne voie ferrée reliant autrefois le Pouzin à Privas.
A la vue du tunnel, sombre et étroit, je fus saisie par une grande émotion, comme s’il m’avait été accordé, de faire un retour au passé. Même si je frémis, je traversai ce petit passage souterrain en pierre, situé sous un petit pont. Certes, s’il me paraissait plus long dans mes souvenirs, il gardait néanmoins toujours, cette atmosphère inquiétante.
Il s’ouvrait directement sur la cour de la maison, avec une vue imprenable sur les champs de blé et le plateau des Gras, au nord et les contreforts du massif du Coiron, au sud.
La maison, simple, ressemblait à cette famille nombreuse, qui nous avait accueillis autrefois, comme des enfants parmi tant d’autres. J’expliquai les raisons de ma venue à cet homme, qui vivait là, depuis son enfance. Timoré et surpris, il accepta de me laisser rentrer. Mais je sentis que je l’embarrassais dans ma démarche, car son silence en devenait bruyant. Je préférai m’éclipser, tout en le remerciant chaleureusement.
En-dehors du poêle à bois situé à côté de la chambre, avec la répartition des pièces principales, la maison ne réveilla pas d’autres souvenirs.
Au niveau du passage souterrain toujours aussi obscur, je me baissai, à la hauteur approximative de la taille que pourrait avoir une petite fille de 5 ans. Je regardai dans les recoins d’un pavé du mur souterrain, à la recherche d’un papier gribouillé laissé volontairement ou d’un trésor m’appartenant.
Si je n’ai pas trouvé la plage sous les pavés « sous les pavés, la plage ! » et qu’il fallait être réaliste, je demandais l’impossible « soyez réalistes, demandez l’impossible », je mis en pratique les slogans de mai 68 et mon « Mai 68 à moi », fut fabuleux.
Tout en dispersant quelques brindilles de fleurs ramassées à la hâte, j’honorai l’âme de la petite fille malheureuse, tout en libérant la femme contenue, qui ne demandait qu’à s’épanouir.
Extrait journal-thérapie
Mercredi 8 mai 1996, 30ans
« J’abandonne la petite fille sans défense que j’étais. Tu sais, je ne veux pas te faire du mal, mais je dois m’en aller et donner un sens à ma vie. Les fantômes qui nous accompagnent, nous emmènent aux portes de la folie. J’ai voulu te sauver et te protéger, mais je crois qu’il est temps de te quitter, car c’est toi, qui me pousse dans cet abîme. Je ne te dois plus rien. Il faut que tu me laisses tranquille et en paix. Aide-moi, dis-moi que c’est la bonne la décision.
Aujourd’hui, je veux être une femme et non plus cette enfant. Laisse-moi me révéler, vivre et respirer… »
Pourtant la colère et l’injustice allaient encore me ronger.
Je me revois dans ma vieille maison isolée à Chassagne, un hameau près de Privas, décidée à ne plus répondre aux appels téléphoniques de ma mère. Mon père, lui, avait tenté l’impossible, dans ce rouage administratif. Inconsciemment, mon corps s’en souvenait. Ma mère, dans mes yeux d’enfants, n’avait rien tenté. Elle devenait même responsable de mon abandon et j’en voulais même, aux aînés, de ne pas avoir fait partie de mon clan, des plus petits.
A 30 ans, il m’arrivait de venger la petite fille de 5ans.
C’est pourquoi, pendant des semaines, j’adoptai un silence inhabituel, pour l’accabler d’être partie sans nous, en Espagne.
Ma mère, inquiète par mon absence et mon silence, prenait des nouvelles, par l’intermédiaire de mon petit frère, sans comprendre le sens réel de ma désinvolture.
A quoi bon lui expliquer cette peine infligée. Néanmoins, elle prenait tout son sens depuis le début de ma psychothérapie.
Tous les soirs, en revenant du travail, le téléphone sonnait sans interruption. Je n’avais pas de mal à résister.
Je voulais vraiment la faire souffrir.
Des semaines plus tard, j’éclatai en sanglots seule chez moi, en hurlant :
« Alors ! Ça fait quoi de ne plus avoir de nouvelles ? Ça fait quoi ? Ça fait quoi ? Ça fait mal ? Ça fait mal, hein ! »
Extrait journal-thérapie
Dimanche 9 février 1997, 30ans
Mes rêves, mes alliés de nuit…
« La petite fille » qu’on laissa seule à la ferme, sans nouvelles, est venue à nouveau me rendre visite, cette nuit. Elle se sent si triste et abandonnée. Je ne sais plus quoi faire pour elle et comment la consoler.
Ensuite ce deuxième rêve : En accord avec ma mère, je la couvre partiellement de terre. Je dois l’oublier, car à un moment, je m’aperçois que le sol est recouvert de neige, ce qui me fait revenir à cet ensevelissement. J’avertis mes frères et sœurs de m’aider. Personne ne réagit. J’enlève cette neige, la terre. Mon cœur bat, je suis affolée, j’ai peur qu’elle ne soit morte étouffée. Elle respire. Elle respire. Il a suffi de si peu.
Et puis, il y a cette peur irraisonnée de la mort prochaine de monpère.
Pour me défaire de ces rêves récurrents et oppressants, Mme E., psychiatre, m’invitait à réfléchir sur leurs significations symboliques. Ils ne pouvaient être liés, qu’à la peur de la mort de ma famille, me laissant seule, en charge de mon petit frère.
Ensuite, il y eut le décès le 10 janvier 1975, de mon grand-père José Belén Pomares, non pas la peine procurée par sa mort, mais par le départ prompt de ma mère en Espagne, pour ses obsèques et le choix en catimini, de partir, avec mon inséparable petit frère.
Début Janvier 1975 (deux mois avant mes 9 ans) :
Comme à l’accoutumée, à midi, j’arrive à la maison. Je suis surprise du silence et de ne pas voir maman.
« Où est maman ?
–Maman a dû partir en Espagne, pour l’enterrement del abuelo.
–Et Pépito ? Il estoù ?
–Maman est partie avec lui. Tu sais, Pépito est bien trop petit, pour rester sans maman. »
Subitement, une grande peine envahit mon corps, me faisant vaciller.
Hébétée et blême, je m’isolai dans la chambre de mon grand frère Antonio, derrière une armoire murale ouverte et je tirai le rideau, pour cacher ma grande peine et mes sanglots.
Comment pouvait-on ne pas me dire au revoir ? Et pourquoi avait-t-elle décidé d’emmener mon petit frère ?
La réponse de mon grand frère ne m’avait jamais convaincue et mon cœur d’enfant, a toujours été blessé, par ce nouveau départ fortuit : une fois, pas assez grande et une autre fois, pas assez petite ?
Je me dis « alors, je ne suis plus petite ? Mais alors pourquoi, je ne me sens pas grande, non plus ? »
Le choix de mon petit frère, rendit fatalement leur lien plus fort à mes yeux et leur relation profonde réveilla en moi, une grande douleur.
Maintenant, la jalousie et la haine germaient dans mon corps, comme une mauvaise graine et allaient chambouler la grande timide et fragile que j’étais. Mon petit frère devint souvent, la cible de ma colère.
J’eus du mal à sortir de mon refuge improvisé.
Et ce fut surtout ma deuxième grande peine d’enfant. Car je savais qu’à son retour, elle repartirait aussitôt pour un mois à l’hôpital La Timone, se faire opérer de latête.
Cette maison fut ma complice d’un douloureux parcours, d’une quête fructueuse sur moi-même et d’une poignante victoire sur ma vie.
Elle se situait à Chassagne, un hameau de Coux, dans le département de l’Ardèche, à 2.5 kms de Privas et de mon lieu de travail.
Mais avant, il fallait traverser un des plus anciens villages d’Ardèche, Le Petit Tournon, un hameau pittoresque, avec son majestueux pont construit sous Napoléon III en 1866 et sous lequel, coulent le Charalon et le Mézayon. Ce village, menant à mon « âme-nid », avait des allures médiévales et légendaires, avec son mythique « Rocher de la Sorcière ». Sur ce bloc, une femme aurait été condamnée pour faits de sorcellerie et enchaînée, avant de disparaître sans laisser de trace, la nuit venue.
Cette prédiction chimérique, avec la succession de virages audacieux en temps de pluie et de verglas, s’avérait annonciatrice d’un long travail individuel, exigeant. Mais, comme cette sorcière enchaînée, j’allais me sauver de mes chaînes. Dans cette épreuve volontaire et personnelle, je me ressourçais dans ces montagnes arrondies, offrant des points de vue exceptionnels sur le massif du Coiron, la Vallée du Rhône, le Vercors et plus encore, lorsque le temps le permettait.
Par ailleurs, le château de Liviers, ancienne place forte des chevaliers de Malte du XIIIe siècle, semblait veiller sur mon hameau et ma surprenante maison.
En outre, elle me ressemblait, atypique, retirée et secrète. Malgré sa vétusté, je lui avais apporté une ambiance chaleureuse et « routarde », aux couleurs de mes voyages.
Elle fut aussi le témoin de confidences et de mutisme, d’amour et de désarroi, de fous rires et de déchirement, de création et d’expiation, de rêves et de renoncements, mais aussi, de reconstruction et de merveilleux projets.
Un cocktail d’émotions concentrées, intenses et extrêmes.
Encore aujourd’hui, cette maison vient se glisser dans mes rêves, pour me rappeler ce que je m’étais promise.
Journal-thérapie, Lundi 4 mars 1996, 1 heure du matin
30ans
« Ce soir, je comprends mieux la valeur du bonheur...
Je veux vivre dans un monde qui se touche. LeVrai.
Le bonheur est juste là. Il me tend ses bras. C’est à moi de le recueillir. Je ne dois plus avoir peur. C’est tellement facile d’attendre, d’espérer, de croire. On se fait une raison. Les beautés de la vie ne sont pas là-bas, je ne sais où. Elles sont au fond de moi. J’aspire à la connaissance, à cette soif de vivre, d’apprendre et d’aimer. Les vraies valeurs. Je les sens pour la première fois, tout autrement. Une soif de me reconstruire et de quitter mes habits d’épouvante. Un gâchis. C’est l’abîme que j’aperçois derrière moi, ce monde que je vénérais tant et devenu un univers de naïveté incroyable. C’est presque une sorte de pitié que je ressens pour celle que j’étais, celle qui m’est encore si proche et si familière […] J’ai failli mourir d’esprit […] mon regard n’est pas encore glorifiant, mais prometteur. C’est pourquoi, aujourd’hui, je me bats, j’utilise mes vraies armes. Je veux vivre pour moi d’abord et non plus à la recherche d’une reconnaissance d’autrui. Je trébuche encore, mais je me relève. Je n’ai plus peur de tomber et je n’ai plus mal […] La vie n’est pas finie, elle prend jour, je lui offre cette lueur et c’est moi qui décide de lui donner de la lumière. Ma vie ne stagne plus, au contraire, elle s’épanouit. C’est moi qui décide aujourd’hui. Je prends les rênes de ma vie et de mon avenir, avec plus d’assurance et de légèreté. Je vis. Jevis…»
Cette maison mémorable ne subissait pas que les aléas de mon humeur, mais aussi ceux des caprices du temps, du vent, de la pluie et de la neige. Après être restée deux ans, une nouvelle famille s’installa, un mois après mon départ, en février. Elle dut aussitôt quitter les lieux en urgence, car une partie du toit s’effondra, par le poids de la neige.
Certes, aux premiers abords, cette maison ne payait pas de mine. Seule la solitaire-sociable que j’étais, en appréciait sa sensibilité et son hostilité domptable. Les fenêtres n’avaient pas de double vitrage et les portes d’entrée invitaient les rafales de vent à se faufiler. Le Mistral s’engouffrait aisément dans mon salon, me ramenant des feuilles mortes aux couleurs flamboyantes de l’automne. Le froid glacial, dans ce hameau perché, m’obligeait à molletonner les portes. Pourtant, j’aimais mon petit nid, où je m’abandonnais à l’écriture, la lecture et le théâtre et modestement, je m’initiais à la peinture ou à la sculpture.
Elle présentait une petite terrasse simple et cimentée, qui menait au salon. La porte d’entrée, en bois, avait une serrure à clenche. Ses deux fenêtres avaient la particularité d’être petites, procurant un effet mystérieux et féerique, au séjour. D’autre part, l’allège située entre le sol de la terrasse et ces deux ouvertures, mesurait tout au plus trente centimètres.
Je me souviens d’un jour où il neigeait, au-dessus de cet espace. La pièce resta dans le noir, car je ne pus ouvrir, ni mes volets, ni ma porte en bois. Fort heureusement, dans la cuisine, il y avait autre porte d’entrée, constituée de deux parties, le haut en verre et le bas en bois.
Pour fermeture, elle disposait de deux ventaux en bois, disposés sur la partie supérieure, avec des crochets crémaillères en fer. On pouvait aisément passer la tête sous ces derniers et les ôter, aisément. Je pensais que les cambrioleurs n’auraient pas de difficultés à entrer, mais durant ces deux ans, il n’y eut aucune effraction.
Le contraste de la grande cheminée du salon avec les deux fenêtres lilliputiennes et mes chaises bancales en paille, donnait une atmosphère de conte, notamment celui de « Boucle d’Or et les Trois Ours ».
J’ai appris tout récemment que ce conte aborde la question de la place de l’enfant dans la fratrie et celle de la quête d’identité. Inconsciemment, le choix de cette maison correspondait à un lieu idéal, pour traiter de ces questions fondamentales.
Je n’utilisais pas cette cheminée hors d’usage. J’y entreposais ma télévision, mes livres et diverses décorations personnelles.
Pour accéder à ma cuisine et à ma grande chambre, il y avait deux marches que j’avais repeintes, en bleu turquoise. Avec ses murs blancs, cette pièce m’évoquait la Grèce. Dans des moments vaporeux, les ressacs du poêle à mazout et son long cou émaillé par son vieil âge, se transposaient en un fond de toile méditerranéen, avec cris de mouettes et vieux phare balayé par les vagues incessantes.
Cet ancien appareil de chauffage instable et capricieux, arrivait en fin de ressources. Il m’épuisait, avec ses soucis d’allumage, de suie intempestive, d’émanation de fioul. Je le maudissais. Il le savait et jouait avec ma patience.
Pourtant le soir, je faisais un effort. J’allais lui chercher à boire et je remplissais son breuvage de fioul pour le réalimenter. Il avait été un fin-gourmet. Une cuve lui avait été confectionnée dans la cave.
Mais non, il était trop tard, en plus de son vieil âge, le syndrome de Calimero l’avait gagné. Imperturbable, râleur et blasé, la bête rougissait de colère, sans prévenir.
A la hâte, j’enfilais mon manteau et m’extirpais de la maison, le cœur battant, le téléphone à la main. J’appelais le propriétaire, qu’il vienne à mon secours, mais souvent, c’était peine perdue.
Je décidais alors de faire comme mes anciens colocataires. Pour laisser tranquille Calimero, je boycottais les fils électriques, pour ma survie hibernale.
Toutefois, le propriétaire finit par venir à ma rescousse, après lui avoir parlé de la découverte d’un nid de guêpes, dans les sorties de fil d’un plafonnier.
Je rentrai le soir à la maison, comme à l’accoutumée, après une journée de travail à l’Hôpital.
Une ambiance mystérieuse, dont je ne connaissais pas encore l’origine, avait gagné mon salon. Je fermai les volets avec l’impression d’un vrombissement insistant. Je cherchai la raison à ce bourdonnement, jusqu’à les voir s’agglutiner autour de mon lustre et je compris vite qu’il s’agissait d’un nid de butineuses. Depuis la diffusion gracieuse de chaleur électrique, la température intérieure s’apparentait désormais à celle du printemps. Alors, les guêpes s’extirpaient de leur engourdissement hivernal, pour rejoindre un climat clément, qui n’était autre, que mon salon chauffé.
Le propriétaire arriva aussitôt avec des insecticides, pour les bercer d’un nouveau sommeil profond et éternel. Affolée et pour ne pas subir le même sort, je fus contrainte de sortir à l’air libre, à sa demande.
Puis, après le carnage, je regagnai ma grande chambre et mon lit pour un sommeil illusoire, après avoir ôté celui de centaines de butineuses. Préalablement, je fermai la fenêtre qui donnait sur une bâtisse en ruines et un vieux lavoir désaffecté au bas de ma maison. Il avait encore plein de charme, j’imaginais ces femmes rincer leur linge, autrefois.