Itinéraire d'un enfant de Kabylie - Mohamed Haddad - E-Book

Itinéraire d'un enfant de Kabylie E-Book

Mohamed Haddad

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Beschreibung

Portrait de l’enfance en Algérie

À la Nouvelle Ecole, dans le centre d’Ighil Ali, c’est le premier jour d’école pour Mohamed. Il ne le sait pas encore, mais il s’agit là du début d’un long parcours scolaire qui l’emmènera jusqu’à l’université d’Alger. Ses années de primaires sont douces mais néanmoins ardues, car chaque élève se bat pour être le meilleur de la classe, et Mohamed ne fait pas exception. Il termine sa primaire avec des résultats honorables et se lance alors à l’assaut d’un tout autre milieu : le collège...

Un autobiographie au plus près de la réalité kabyle

EXTRAIT

Il faisait un temps de curé, une très belle journée ensoleillée, le jour où j’entrai à l’école pour la première fois. J’étais bien habillé et même plutôt élégant dans la belle chemise blanche que mon grand-père avait rapportée de France. Ma mère avait préparé des gâteaux sucrés pour l’occasion. Accompagné de mon père, je quittai la maison pour rejoindre l’école primaire baptisée « Nouvelle École », située au centre d’Ighil Ali. J’étais excité et heureux de croiser dans la rue tous les autres enfants de mon âge, mais j’avais aussi le cœur lourd de me séparer de mes parents et de quitter la maison pour la première fois.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Mohamed Haddad est né en Kabylie en 1984. Originaire d’Ighil Ali, après des études de pharmacie à l’Institut Parnet, il passe deux années au Centre hospitalier universitaire Pierre et Marie Curie d’Alger, spécialisé en cancérologie. En septembre 2013, il s’installe en France pour devenir délégué pharmaceutique. Et c’est en 2014, qu’il décide d’écrire cet « itinéraire d’un enfant de Kabylie », témoignage sincère et émouvant d’un enfant de ce siècle aux prises avec les hauts et les bas d’une vie pleine de surprises.

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Seitenzahl: 118

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Mohamed Haddad

Itinéraire d’un enfant de Kabylie

Morceaux d’enfance

Il faisait un temps de curé, une très belle journée ensoleillée, le jour où j’entrai à l’école pour la première fois. J’étais bien habillé et même plutôt élégant dans la belle chemise blanche que mon grand-père avait rapportée de France. Ma mère avait préparé des gâteaux sucrés pour l’occasion. Accompagné de mon père, je quittai la maison pour rejoindre l’école primaire baptisée « Nouvelle École », située au centre d’Ighil Ali. J’étais excité et heureux de croiser dans la rue tous les autres enfants de mon âge, mais j’avais aussi le cœur lourd de me séparer de mes parents et de quitter la maison pour la première fois.

La cour de l’école était noire de monde. Il y avait là beaucoup d’enfants, tous accompagnés de leurs parents. Comme moi, ils étaient bien coiffés et bien habillés pour cette occasion très spéciale. Nous étions entassés dans la cour principale, tellement nombreux que nous étions pressés contre les murs des salles de classe. Certains des enfants pleuraient, d’autres au contraire riaient à perdre haleine. Les parents chuchotaient entre eux. Soudain parut un homme maigre, l’air sévère, qui tenait à la main une feuille de papier. C’était le directeur M. Dimane. Il commença aussitôt à faire l’appel. En entendant son nom, chaque élève s’extrayait de la foule pour venir rejoindre les rangs qui s’étaient formés devant le directeur : une rangée pour les filles, une autre pour les garçons. Soudain, j’entendis mon nom. Mon père m’accompagna jusqu’à la file déjà bien formée puis retourna à sa place. Lorsqu’il eut terminé l’appel, le directeur nous présenta notre instituteur, M. Bencherif. De haute taille, il avait un visage aimable et dégageait une impression de calme. Il nous guida pour rejoindre notre classe qui se trouvait dans la seconde cour de l’école, tandis que chacun de nous adressait un signe d’au-revoir à ses parents. J’avais les larmes aux yeux, conscient d’entrer dans un nouveau monde. Car pour nous tous, cette rentrée scolaire représentait notre premier vrai contact avec l’extérieur. Nous n’avions connu ni crèche, ni école maternelle, n’avions fréquenté aucun club sportif ou culturel qui aurait pu développer notre sociabilité. Nous nous retrouvions plongés directement en première année d’école primaire. Un silence total régnait dans les rangs tandis que nous marchions vers la classe. Celle-ci était la troisième au fond de la seconde cour. À peine entré dans la salle, je me précipitai pour choisir un pupitre au premier rang, suivant en cela les conseils que m’avait prodigués ma mère qui tenait à faire de moi un élève exemplaire. Hélas, j’avais été devancé, toutes les tables du premier rang étaient déjà occupées ! Tout à coup, j’aperçus une place libre – c’étaient des tables à deux places – et fonçai pour en prendre possession. Aussitôt, une fille qui se trouvait de l’autre côté du pupitre me lança un regard noir et sévère, si bien que je pris peur et lui abandonnai la place. Finalement, je réussis à m’asseoir à une table du deuxième rang, au milieu de la salle de classe qui comptait trois rangées. Le mobilier était rudimentaire : une armoire, placée au fond de la salle, et quelques photos d’oiseaux et de fleurs sur les murs beiges.

Depuis notre entrée dans la classe, l’ambiance s’était dégradée. Certains élèves pleuraient, un autre avait même pris la fuite, refusant d’être séparé de son père. Celui-ci ne tarda cependant pas à le ramener en classe en le suppliant d’y rester. La situation n’était pas facile pour nous qui avions toujours vécu dans un monde fermé et protégé. Nous avions du mal à nouer un contact avec des personnes extérieures à notre environnement familier.

Pourtant, petit à petit, au fil des semaines, notre instituteur, grâce à son affabilité, réussit à gagner notre confiance et à nous apprivoiser. Nous avions fini par le considérer presque comme notre deuxième père. Il faut dire qu’il était très gentil avec nous, toujours souriant, compréhensif et il possédait un vrai tempérament d’éducateur. Dans cette classe où se côtoyaient tous les milieux, le seul critère d’uniformité était celui de notre année de naissance. À cette exception près toutefois que les enfants des enseignants bénéficiaient du droit d’entrer à l’école à l’âge de 5 ans au lieu de 6 ans pour tous les autres, moi le premier. Je m’interrogeais sur ce privilège. Pourquoi en était-il ainsi ? Existait-il une loi en ce sens ou était-ce simplement du favoritisme ? Pourquoi n’étions-nous pas tous égaux ? Cela signifiait-il que nous étions inférieurs, que nous n’avions pas les mêmes droits ? Il est vrai que nous étions tous différents, par le sexe, la morphologie, le caractère, l’origine sociale, les capacités physiques et intellectuelles, ce qui n’était pas sans conséquence sur le degré de motivation des uns et des autres, et générait des degrés de performance plutôt disparates.

Peu à peu se nouèrent des liens d’amitié entre les élèves, plus ou moins profonds selon le degré d’affinité éprouvé. Ce n’était pas toujours facile au premier abord car il fallait déconstruire un certain nombre de barrières et passer outre certaines croyances qui entravaient notre comportement naturel en présence d’inconnus. Si devenir sociable n’était pas si difficile, c’était la peur de déplaire, de ne pas parvenir à se faire apprécier qui nous limitait dans notre expression personnelle. S’ouvrir au monde, c’était prendre conscience que chaque personne rencontrée avait quelque chose à nous apporter, c’était développer des interactions, engager des discussions, apprendre à manier l’humour, mais sans pour autant se laisser manipuler ou s’interdire d’être qui nous étions vraiment. J’avais ainsi noué des relations d’amitié avec quatre camarades : Youcef, Yacine, Hamza et Badar. Mais j’avais aussi d’autres camarades qui étaient mes voisins de table. En classe, bien entendu, il n’était pas question de parler à ses voisins. Les contacts s’établissaient entre nous dans la cour de récréation. J’avais une réelle volonté de tisser des liens sociaux avec mes camarades, avec quelques réserves envers quelques-uns, bien sûr, on ne peut s’entendre de la même façon avec tout le monde. Si nos principaux sujets de discussion tournaient autour des leçons, nous parlions aussi des dessins animés que nous aimions, d’autres camarades appréciés… ou pas, et même de l’instituteur. Il existait aussi entre nous une forme de compétition, chacun désirant à tout prix être le meilleur, le premier de la classe.

Aristote disait : « Tous les hommes désirent naturellement savoir » et il avait raison. N’importe quel élève est capable de se lancer dans des apprentissages scolaires et d’y trouver le désir de réussir. Pourtant, ce n’est pas si simple car cette curiosité, cette envie de comprendre peuvent rapidement se muer en cauchemar si l’enfant ne trouve pas de plaisir dans sa quête de savoir. Démotivé, il devient apathique, fermé. Chez un enfant, le cerveau est comparable à une éponge absorbant et stockant les informations. La mémorisation est d’autant plus efficace que le cerveau de l’enfant est stimulé, notamment dans le cadre scolaire, et entre en interaction sociale avec les autres. Il faut savoir que notre cerveau est composé de deux hémisphères cérébraux : celui de gauche contient des neurones spécifiques à la reconnaissance visuelle des formes tandis que celui de droite renferme ceux qui sont dédiés au langage. Et c’est grâce à des stimuli extérieurs que des connexions s’établissent entre ces régions corticales pour permettre les apprentissages. Plus intéressant encore, lorsqu’il survient une lésion des cellules nerveuses dans l’une de ces zones, d’autres neurones peuvent prendre le relais en assurant les mêmes fonctions. Tout se passe comme s’ils étaient déjà inscrits sur une liste d’attente, prêts à fonctionner lorsque les premiers deviennent défectueux. Cet apport essentiel des neurosciences a confirmé une chose : tous les enfants sont capables d’apprendre, quelles que soient leurs déficiences, à condition bien entendu de prendre en compte la spécificité de chacun et de trouver les stimulations qui leur sont nécessaires car l’apprentissage de l’enfant se fait grâce à sa faculté de mémorisation mais aussi grâce à ses facultés cognitives. Les facultés cognitives concernent l’ensemble des processus mentaux qui se rapportent à la fonction « connaissance », tels que la mémoire ou le langage. C’est ce qui explique la très grande facilité qu’a l’enfant à apprendre plusieurs langues étrangères jusqu’à l’âge de 7 ans. En effet, l’enfant s’approprie une langue étrangère de manière intuitive, simplement en l’entendant. Au-delà de 7 ans, il est déjà trop ancré dans sa langue maternelle pour pouvoir en acquérir une autre de manière intuitive et l’apprentissage devient plus laborieux car moins naturel.

Le soir, lorsque je rentrais à la maison après l’école, ma mère me préparait mon goûter : une galette kabyle avec un grand verre de café au lait. Je retirais mes habits d’écolier et elle me questionnait sur les leçons de la journée. Elle voulait savoir absolument tout ce que j’avais fait à l’école. Je me pliais de bonne grâce à ce rituel, trop heureux de lui détailler ma journée, m’efforçant de ne rien omettre.

Notre maison était pour moi un lieu privilégié, un havre de paix et de chaleur humaine. Nulle part ailleurs je ne me sentais aussi bien, aussi aimé, choyé, entouré, protégé. La bonne humeur y régnait en permanence. Je passais des heures interminables et joyeuses à jouer avec mes frères et mes cousins. Nous partagions avec ces derniers la même cour, notre maison jouxtant celle de mon oncle et celle de mes grands-parents.

Je passais d’ailleurs la plupart de mon temps chez ma grand-mère. Je pouvais y faire toutes les bêtises possibles sans crainte d’être réprimandé, ma grand-mère me donnant toujours raison. Il faut dire que, de toute notre grande famille, j’étais son préféré. Elle vivait au premier étage et sa fenêtre surplombait notre porte d’entrée. Quand je rentrais de l’école, elle m’attendait à sa fenêtre, m’invitant à monter chez elle pour boire un café, manger des friandises en forme d’œuf et des bonbons que mon grand-père rapportait de France.

Le reste du temps, surtout le weekend, je retrouvais mes amis du quartier pour jouer au ballon. Celui-ci était en caoutchouc dur et épais. Pas question donc de faire des têtes ! Nous composions deux équipes équilibrées en tenant compte de la morphologie et de l’âge de chacun. Les rues les plus larges comme « thahriqth » à Ath djemaa constituaient notre terrain de jeu. Sur le sol de béton, nous délimitions les buts au moyen de deux gros cailloux. Nos matchs ne duraient jamais longtemps car les voisins ne tardaient pas à nous chasser, ne supportant pas nos cris incessants. Il faut dire que des disputes éclataient régulièrement entre nous à propos de la validité d’une action, et un tir trop énergique nous contraignait parfois à aller chercher le ballon sur le toit d’une maison. Un autre de nos terrains de jeu était Amdoune ath belaid. C’était une grande étendue qui servait de parking aux voitures. Mais là aussi, notre présence était mal vue des voisins. Nous avions élaboré au fil du temps des règles du jeu très précises. Par exemple, ce qui était équitable, les meilleurs joueurs ne pouvaient pas jouer dans la même équipe. Chaque capitaine choisissait à tour de rôle ses propres joueurs. Autant dire que si tu étais choisi le dernier, c’est que tu n’étais vraiment pas considéré comme un bon joueur ! Si l’un de nous était blessé, il jouait le rôle d’arbitre. Sinon, nous nous passions d’arbitre. Le plus gros faisait toujours office de gardien de but. En cas de penalty, le meilleur joueur de l’équipe se chargeait de le tirer tandis que le meilleur joueur adverse prenait la place du gardien. Si le ballon sortait des limites du terrain, c’était le tireur qui devait aller le récupérer. Le match ne se terminait que lorsque tous les joueurs étaient fatigués et, quel que soit le score, c’était la dernière équipe qui marquait qui remportait le match. Sauf quand le propriétaire du ballon se fâchait et s’en allait avec celui-ci, mettant du même coup un terme à la partie !

En dehors du football, nous jouions à plusieurs jeux, parfois violents. Voici quelques-uns des jeux qui ont accompagné mon enfance :

La tire-boulette. Au moyen d’une fronde fabriquée par nos soins, nous faisions la chasse aux oiseaux, notamment aux pigeons, ce qui occasionnait parfois des dégâts collatéraux. Combien de carreaux cassés, d’ampoules de l’éclairage public explosées par nos tirs maladroits ! Face à ces débordements, le comité de quartier sévissait et mettait régulièrement en garde nos parents sur les conséquences de nos actes irresponsables.

Le cerceau. Ce jeu se pratiquait avec un cercle de métal – généralement une roue de vélo privée de ses rayon – ou de plastique – un simple tuyau d’arrosage plié en rond faisait l’affaire. Le jeu consistait à faire rouler le cerceau à travers les ruelles du quartier en le poussant à l’aide d’une petite baguette de bois ou de métal. Comme nous étions censés rester à la maison pour faire nos devoirs, nous nous cachions dès que nous apercevions un de nos enseignants. Puis, fatigués, nous allions nous reposer à « thighzerth outhaâravth », près de la fontaine où poussaient des cactus qui nous fournissaient le prétexte à un autre jeu. Nous découpions de petits dés dans les « raquettes » de cactus et, répartis en deux équipes de chaque côté de la place, nous lancions une attaque sur l’adversaire au moyen de ces projectiles improvisés. Le combat durait jusqu’à ce qu’une des équipes dépose les armes ou, le plus souvent, qu’une bagarre éclate entre deux coéquipiers pour un motif futile.

Nous jouions aussi au jeu de jambes, « Thiqqar » en Kabyle, un jeu qui se pratique avec les pieds et qui se joue à deux. Quand nous étions nombreux, nous nous répartissions en équipes homogènes (selon la morphologie des joueurs) pour que ce soit équitable. Les deux équipes se faisaient face et chacun se mettait à frapper son vis-à-vis avec les pieds, et uniquement les pieds. Coups de pied directs ou croche-pieds, je vous assure que nous y allions allègrement ! Bien entendu, chacun de nous défendait aussi ses coéquipiers en difficulté. Nous jouions jusqu’à l’épuisement. Le jeu s’arrêtait lorsque les vaincus déclaraient « forfait ». Nous nous asseyions alors pour nous reposer. C’était un jeu violent et douloureux.