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Après une quête jalonnée d’ombres et d’espérance, Lucas avait retrouvé ce qu’il croyait à jamais égaré : l’amour, incarné en Mai. Ensemble, ils avaient rebâti, pierre après pierre, un univers à leur image — tissé de regards brûlants de tendresse et de silences qui apaisaient l’âme.
La naissance de leur fils, Léo, scella cette promesse d’éternité murmurée entre les battements de leurs cœurs.
En lui résonnaient les échos d’un passé tourmenté, mais surtout, brillait la lumière douce d’un avenir serein.
Il était l’incarnation même de l’espoir, de la résilience, et de cette force.
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Seitenzahl: 236
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Publishroom Factory
www.publishroom.com
ISBN : 978-2-38625-983-8
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Fabrice GILLANT
J'ai traversé la terre pour toi
Une fugue vers des retrouvailles à travers les vagues du destin
Ce livre est né d’un élan sincère, d’une envie profonde de raconter ce que vivent souvent les jeunes dans le silence : des émotions brutes, intenses, qui bouleversent tout un monde intérieur.
À travers Lucas, j’ai voulu parler d’amour, oui, mais surtout de quête de soi, de courage, et de cette voix intérieure qu’on finit un jour par écouter envers et contre tout.
J’espère que ce voyage touchera votre cœur autant qu’il a habité le mien pendant son écriture.
Fabrice
Le départ
Le soleil n’était même pas levé quand Lucas ferma sa valise. Il bâilla, jeta un dernier regard à sa chambre, puis descendit les escaliers en traînant les pieds. Il n’avait pas vraiment envie de partir, mais ses parents étaient surexcités depuis des semaines. Le Vietnam : pour eux, c’était l’aventure d’une vie. Pour Lucas, c’était juste loin.
Loin de ses amis, loin de ses habitudes, et surtout loin de tout ce qu’il connaissait. Dans la voiture qui les emmenait à l’aéroport, il mit ses écouteurs et regarda défiler les rues de Paris encore endormie.
Il n’avait aucune idée que, là-bas, à des milliers de kilomètres, quelque chose allait bouleverser sa vie. Le vol avait duré plus de dix heures. Entre les repas étranges servis dans de minuscules barquettes et les films en version anglaise sous-titrée, Lucas avait à peine dormi. Quand il sortit enfin de l’aéroport d’Hanoï, une vague de chaleur humide l’enveloppa. Il avait l’impression de respirer dans une casserole d’eau bouillante.
— Bienvenue au Vietnam, dit son père en souriant. T’as vu cette lumière ?
Lucas leva les yeux. Le ciel était d’un bleu presque blanc, écrasé par le soleil. Les klaxons, les odeurs de nourriture, les scooters qui circulaient dans tous les sens… tout lui semblait trop. Ils prirent un taxi pour rejoindre un petit village près de Hải Phòng, au bord de la mer, là où ils passeront les deux prochaines semaines.
Le paysage changeait peu à peu : les immeubles laissaient place aux rizières, aux collines couvertes de palmiers et aux petites maisons colorées. Le village était calme, bordé d’une plage où les barques dormaient, alignées comme des coquillages. Leur maison de location était modeste, mais charmante, avec des murs jaunes et des ventilateurs qui tournaient lentement au plafond.
Lucas aida ses parents à récupérer leurs bagages dans le coffre du taxi. À peine arrivés, ils s’installèrent rapidement. Il déposa ses affaires dans sa chambre, et celles de ses parents dans la leur.
Une fois tout en ordre, il se tourna vers eux :
— Je vais faire un tour à la plage, dit-il.
— D’accord, mais fais attention, répondit sa mère avec un sourire.
Lucas quitta la maison, poussé par une impatience douce. Il suivit un petit sentier de sable bordé de buissons secs et d’arbres tordus par le vent. Le parfum salé de la mer lui parvenait déjà, mêlé à celui des pins chauffés par le soleil. Après quelques minutes, il déboucha sur une crique sauvage. La plage s’étendait, paisible, baignée d’une lumière dorée. Le ressac régulier des vagues semblait l’appeler. Il enleva ses chaussures et laissa ses pieds s’enfoncer dans le sable tiède. Le vent effleurait sa peau, comme une caresse venue d’ailleurs. Il avança lentement, laissant ses pensées se dissoudre dans l’immensité. L’eau brillait sous le soleil de fin d’après-midi, et il se sentit soudain libre, comme si ce lieu lui appartenait déjà. C’était là, il le sentait, quelque chose allait commencer.
Mais en même temps, il s’ennuyait déjà. Lucas marchait sans but, les mains dans les poches, le regard traînant sur les vagues. Le voyage lui avait laissé un goût fade : le décalage horaire, les sourires forcés de ses parents, les odeurs étranges, le bruit… tout lui paraissait lointain, différent, presque hostile. Il avait l’impression d’avoir été arraché à sa vie, jeté dans un décor de carte postale sans légende. Il poussa un soupir et s’éloigna un peu plus, espérant trouver un coin tranquille pour tenter de dissiper cette sensation de vide. Et puis, il la vit.
Assise sur un rocher, les pieds dans l’eau, une silhouette fine, immobile. Ses cheveux noirs flottaient dans le vent comme des algues dans le courant. Elle dessinait, concentrée, le visage penché vers un carnet. Elle semblait ne pas l’avoir remarqué. Ou alors, elle l’ignorait.
Quelque chose, en elle, fissura la grisaille en lui. Lucas ralentit. Son cœur battait un peu plus fort, sans raison apparente. Il y avait dans cette scène une forme de paix qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps. Une sorte de beauté silencieuse. Il s’approcha, sans vraiment y penser, attiré malgré lui. Comme si le monde, soudain, avait changé de rythme.
— C’est beau ici, dit-il à mi-voix, presque pour lui-même.
Elle ne répondit pas tout de suite. Le crayon continuait de courir sur le papier. Puis elle souffla doucement :
— Surtout le soir. Quand tout se calme.
Sa voix n’était pas comme les autres. Elle ne résonnait pas, elle glissait, comme un murmure porté par le vent. À cet instant, Lucas sentit quelque chose se desserrer en lui. Il ne savait pas quoi. Peut-être la solitude. Peut-être ce vide qu’il traînait depuis des mois sans le nommer. Il s’assit non loin, hésitant, comme un invité dans un rêve. Le ciel se teintait de rose et d’or. La mer, elle aussi, semblait les écouter. Il l’ignorait encore, mais ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, il commençait à se sentir vivant.
Elle était si belle, ses cheveux noirs flottant dans le vent. Elle tenait un carnet dans les mains et dessinait.
Lucas ne savait pas pourquoi, mais quelque chose chez elle l’intriguait. Elle ne leva pas les yeux. Alors il s’approcha, juste un peu, comme attiré. Il ne savait pas encore qu’elle s’appelait Mai. Il ne savait pas encore qu’elle allait bouleverser son monde.
La rencontre
Lucas hésita un instant, puis s’avança sur le sable humide. Le bruit des vagues couvrait le son de ses pas. Il s’arrêta à quelques mètres d’elle.
— Salut, dit-il doucement.
La jeune fille releva la tête, un peu surprise. Ses yeux sombres le fixèrent, curieux, mais pas hostiles.
— Salut, répondit-elle avec un léger accent.
Lucas s’assit à une distance respectueuse, ne voulant pas la déranger.
— Tu dessines ?
— Oui. J’aime dessiner. Elle bouge toujours, mais elle reste la même.
Lucas hocha la tête, impressionné. Il ne savait pas trop quoi dire. Elle semblait calme, sûre d’elle. Pas comme lui.
— Tu es d’ici ? demanda-t-il.
Elle sourit doucement.
— Oui. Enfin… du village, un peu plus loin. Je viens ici souvent. C’est tranquille.
— Moi, je suis en vacances. Je viens de France.
Elle hocha la tête.
— Je sais. Ça s’entend.
Ils rirent tous les deux. Le silence qui suivit ne fut pas gênant. Juste… paisible.
— Je m’appelle Lucas, dit-il.
— Moi, c’est Mai.
Il répéta son prénom dans sa tête plusieurs fois pour ne pas l’oublier. Ce soir-là, ils restèrent assis longtemps à parler. De tout, de rien. Des différences entre leurs pays, de leurs rêves, de ce qu’ils aimaient.
Lucas sentit quelque chose naître doucement. Il ne savait pas encore ce que c’était, mais cela lui réchauffait la poitrine. Un frémissement, léger, mais puissant, qui dissipait l’indifférence qu’il ressentait depuis son arrivée. C’était comme s’il avait trouvé un petit coin de ciel où se réfugier. Et cela le déconcertait, car il n’avait jamais cherché à se sentir ainsi. Heureusement, elle ne semblait pas remarquer son trouble.
Ils marchaient côte à côte, à un rythme imperceptible, comme deux ombres perdues dans le crépuscule. Les vagues chantaient leur mélodie infinie, et la chaleur persistait, lourde, enveloppante, comme si le monde autour d’eux n’était qu’une brume de silence. Elle leva les yeux vers lui. Ses traits étaient délicats, presque irréels dans la lumière dorée du soir. Lucas remarqua alors un petit sourire en coin, discret, presque imperceptible.
Mai brisa le silence d’une voix calme et douce.
— Tu veux savoir ce que je dessine ? demanda-t-elle.
Lucas hésita.
Pourquoi lui proposait-elle ça ? Pourquoi lui parler, alors qu’il s’était simplement perdu dans ses pensées ? Il se sentit hors de son élément, comme s’il n’était pas censé être là, dans ce coin du monde avec elle. Mais il répondit, d’une voix plus faible qu’il ne l’aurait voulu :
— Oui. Qu’est-ce que tu dessines ?
Elle baissa les yeux sur son carnet, puis le lui montra, le sourire toujours aux lèvres. Ce qu’il vit le surprit : ce n’était ni un paysage ni un portrait classique. C’était une esquisse de lui, dessinée en quelques traits légers, juste assez pour capturer sa silhouette perdue dans le sable. Lucas ne saisit pas tout de suite. Il fixa le dessin, puis releva les yeux vers elle, interrogateur. Mai restait sereine, comme si tout cela avait un sens pour elle, comme si ce moment appartenait à quelque chose de plus vaste qu’il n’arrivait pas encore à comprendre.
— Pourquoi moi ? demanda-t-il, un peu perdu.
Elle haussa les épaules, avec une grâce tranquille.
— Parce que tu semblais perdu, au début. Comme quelqu’un qui cherche quelque chose sans savoir où le trouver.
Lucas se sentit à la fois vu et invisible. Un mélange étrange de vulnérabilité et de chaleur. Comme si elle avait mis des mots sur ce qu’il ressentait, sans qu’il ait eu besoin de parler. Il baissa les yeux, incapable de répondre tout de suite. La chaleur dans sa poitrine se propageait doucement, comme une brise effleurant une peau nue.
— Je ne sais pas ce que je fais ici, dit-il enfin, d’une voix presque étrangère. Je suis venu pour mes parents, mais tout ça…, c’est trop différent. Je ne me sens pas à ma place.
Mai le regarda, le silence entre eux comme une brume légère. Puis, avec un sourire plus large, elle posa sa main sur le coin de son carnet.
— Peut-être que, parfois, on se perd pour se retrouver.
Lucas ne répondit pas. Il ne le pouvait pas. Mais ces mots résonnaient en lui bien plus fort qu’il ne l’aurait imaginé. Peut-être que ce n’était pas seulement le voyage qui le dérangeait, mais quelque chose en lui-même. Peut-être était-ce cette quête intérieure, ce besoin de comprendre pourquoi il fuyait ses propres limites. Et peut-être, juste peut-être, Mai savait quelque chose qu’il n’avait pas encore découvert. Lucas resta silencieux un long moment. Les mots de la jeune fille flottaient dans son esprit comme une vérité ancienne qu’il avait toujours connue, mais oubliée.
« Parfois, on se perd pour se retrouver. » Cette phrase tournait en boucle dans sa tête, comme une clef qui cherchait sa serrure. Il s’était souvent senti à côté de sa propre vie, comme si tout se déroulait derrière une vitre. Les autres semblaient savoir ce qu’ils voulaient, avançaient avec assurance. Lui, il avait toujours suivi les lignes tracées : l’école, les amis, les sorties…
Mais rien ne l’avait jamais fait vibrer vraiment. Et là, dans ce village inconnu, à des milliers de kilomètres de ce qu’il appelait « chez lui », une fille qu’il venait à peine de rencontrer avait mis le doigt sur ce vide qu’il portait depuis si longtemps.
— Est-ce que, toi aussi, tu t’es perdue ? demanda-t-il soudain.
Mai tourna légèrement la tête vers lui. Elle semblait réfléchir, les yeux fixés sur l’horizon où la mer embrassait le ciel.
— Oui… mais pas de la même manière, répondit-elle doucement. Moi, je suis née ici. Mais parfois, j’ai l’impression d’être étrangère à ma propre vie. Comme si je regardais le monde avec les yeux de quelqu’un d’autre. C’est pour ça que je dessine. Ça me ramène à moi.
Lucas baissa les yeux, touché par ces mots. Il comprenait. Peut-être, pas tout, mais assez pour sentir que leurs blessures parlaient la même langue, même si elles venaient de mondes différents. Il s’autorisa à sourire pour la première fois depuis des jours.
— Moi, j’écris parfois. Mais je ne l’ai jamais fait voir à personne. C’est comme… trop fragile.
Mai hocha la tête, sans surprise.
— Peut-être qu’un jour, tu me montreras.
Elle n’avait pas posé une question. Juste une possibilité, lancée dans l’air, sans pression. Mais dans cette simplicité, Lucas sentit quelque chose changer. Il n’avait plus envie de fuir.
Ni ce moment, ni elle, ni lui-même. Un vent léger fit danser les feuilles des palmiers, et la mer chuchotait toujours. Peut-être qu’il ne s’était pas retrouvé là par hasard. Peut-être que le vrai voyage commençait maintenant.
Non pas à travers les paysages du Vietnam, mais à l’intérieur de lui.
La nuit était tombée sur le village de Hải Phòng, non loin de la grande ville d’Hanoï. Les grillons chantaient leur mélodie dans l’obscurité, et la brise marine rafraîchissait l’air encore chargé de chaleur. Dans la petite maison louée pour les vacances, Lucas était allongé sur le lit, les mains croisées derrière la tête, les yeux fixés au plafond. Il songeait à chaque mot échangé avec Mai.
À son sourire, à ses silences. À cette sensation étrange qu’elle avait éveillée en lui, comme si elle avait rallumé une lumière oubliée. Il se redressa lentement, ouvrit sa valise, et en sortit un carnet abîmé, à moitié rempli de pensées jetées à la va-vite. Cela faisait des mois qu’il n’y avait rien écrit. Trop de doutes. Trop de peur que ses mots ne vaillent rien. Mais ce soir, c’était différent. Il s’installa sur le balcon, face à la mer noire éclairée par la lune. Il tourna une page, prit son stylo, et sans réfléchir, laissa sa main écrire :
Je ne sais pas ce que je ressens exactement. C’est flou, mais chaud. Doux et un peu effrayant. J’ai l’impression d’avoir trouvé un endroit que je ne cherchais pas, mais qui m’attendait. Elle est différente. Elle ne parle pas trop, mais chaque mot compte. Elle me voit, je crois. Et ça me fait peur. Parce que je ne me suis jamais vraiment vu moi-même. Peut-être que je suis venu ici pour fuir quelque chose. Ou pour oublier. Mais ce soir, j’ai envie de me souvenir. De ce que je ressens. De ce que je suis quand je ne prétends rien.
Il s’arrêta un instant. Le bruit des vagues semblait répondre à ses pensées. Il tourna la page, et écrivit encore. Les mots venaient, fluides, sincères, comme s’ils l’attendaient depuis toujours. Ce soir-là, Lucas ne dormit presque pas. Mais pour la première fois depuis longtemps, il ne se sentait plus vide. Il avait l’impression de commencer à exister pour de vrai. Et dans un coin de son cœur, une pensée persistait, discrète, mais insistante : demain, il la reverrait.
Les jours heureux
Le lendemain, Lucas se leva tôt. Le soleil n’était encore qu’une promesse orangée à l’horizon, et le village s’éveillait à peine. Il n’avait presque pas dormi, mais il ne se sentait pas fatigué. Quelque chose battait en lui : une attente douce, fébrile.
Il prit son carnet, le glissa dans son sac, et sortit. Il marcha jusqu’à la plage, le cœur un peu serré, sans savoir s’il la reverrait. Peut-être qu’elle ne viendrait pas. Peut-être qu’il avait rêvé un peu trop fort. Mais elle était là, assise au même endroit, sur le même rocher, les pieds dans l’eau. Le vent jouait encore avec ses cheveux noirs. Elle leva les yeux en l’entendant approcher, et un léger sourire éclaira son visage. Un sourire qui disait : je t’attendais peut-être aussi. Lucas s’installa près d’elle, sans prononcer un mot. Il ne souhaitait pas briser la magie du silence.
— Tu es revenu, dit-elle simplement.
Il hocha la tête. Il sentit que c’était important. Pas seulement pour elle, mais pour lui aussi.
— Je voulais te montrer quelque chose, murmura-t-il.
Il sortit son carnet et, sans réfléchir, le lui tendit. Mai le prit avec délicatesse. Elle tourna les pages lentement, silencieuse, attentive. Le vent faisait claquer les feuilles contre ses doigts, mais elle ne se laissait pas distraire. Lucas, lui, fixait l’horizon, le cœur battant. C’était comme se mettre à nu. Quand elle referma le carnet, elle resta un instant sans parler.
— C’est beau, dit-elle enfin. Vrai. On sent ce que tu ressens. Et c’est rare, quelqu’un qui ose ça.
Lucas ne répondit pas. Il ne pouvait pas. Il avait la gorge serrée, mais il souriait. Elle posa délicatement le carnet entre eux, puis ajouta, les yeux dans les siens :
— On a le droit de ne pas savoir où on va. Mais c’est plus doux quand on est deux à chercher.
Ce jour-là, ils restèrent longtemps assis ensemble. Ils discutaient un peu, se taisaient beaucoup. Mais dans leurs silences, tout se disait. Le vent, la mer, leurs souffles, tout semblait parler à leur place. Et dans le regard de Mai, Lucas ne voyait plus seulement le Vietnam. Il voyait une promesse. Quelque chose qui commence.
Quelques jours plus tard, Mai proposa à Lucas une promenade vers les collines, à l’écart du village. Il n’hésita pas une seconde. Elle connaissait un sentier qui menait à un ancien temple abandonné, caché dans la jungle, là où plus personne ne venait vraiment. Il y avait là, disait-elle, un silence rare. Un silence qui écoutait. Ils partirent tôt, chacun avec un petit sac, quelques fruits, une bouteille d’eau. La température montait déjà, mais la marche à l’ombre des grands arbres était douce. Les palmiers se balançaient lentement au-dessus de leurs têtes, et les cigales accompagnaient leurs pas de leur chant strident.
— Tu viens souvent ici ? demanda Lucas.
— Pas vraiment, répondit Mai. Juste quand j’ai besoin de retrouver un peu de moi.
Lucas acquiesça. Il comprenait ce besoin. En haut de la colline, le temple apparut au sommet de la colline, ruine silencieuse abandonnée aux griffes du temps, où les racines s’entrelacent comme des bras d’ombre, et la mousse recouvre les pierres d’un linceul d’oubli. Ils s’assirent sur les marches, en silence, face à la vallée. Le vent soufflait doucement. Lucas sentit que c’était le bon moment.
— Tu sais, je crois que je n’étais pas vraiment moi avant de venir ici.
Mai tourna vers lui un regard doux, mais sérieux.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Avant, j’étais toujours… ailleurs. Dans ma tête. Avec mes parents, mes amis, je jouais un rôle. Je riais quand il fallait rire, je parlais pour qu’on m’écoute, mais à l’intérieur, c’était flou. Vide, parfois.
Elle ne répondit pas tout de suite. Puis elle exprima :
— Moi, j’ai souvent l’impression d’être invisible. Comme si personne ne voulait vraiment me voir. Alors j’ai appris à dessiner pour me retrouver. Pour exister quelque part.
Un silence, encore. Pas un silence gênant. Un silence plein de vérité. Lucas baissa les yeux, puis les releva vers elle.
— Mais moi, je te vois, dit-il.
Elle sourit. Un vrai sourire. Celui qu’on offre quand on sait qu’on a été entendu. Ils restèrent là longtemps, côte à côte, sans se toucher, sans brusquer ce qui naissait. Ce jour-là, au sommet d’une colline oubliée, sous le regard endormi d’un temple ancien, quelque chose bascula. Lucas sentit que sa vie venait de se teinter d’un avant, et d’un après.
Ils se retrouvaient presque chaque jour au bord de la mer. Parfois, elle l’emmenait à vélo dans des coins qu’il n’aurait jamais trouvés seul : un vieux temple abandonné, un marché flottant, un champ de lotus caché derrière une colline. Elle lui faisait goûter des plats étranges, mais délicieux. Il riait en essayant de manger avec des baguettes, maladroit, pendant qu’elle se moquait gentiment de lui. Un jour, ils prirent une petite barque avec un pêcheur du village. Ils passèrent l’après-midi à dériver lentement entre les îlots. Elle lui apprit à dire quelques mots en vietnamien.
— Anh yêu em, lui dit-elle en souriant.
— Ça veut dire quoi ? demanda Lucas.
Elle haussa les épaules, malicieuse.
— Devine.
Il n’osa pas insister. Mais ce soir-là, en recherchant la phrase sur son téléphone, il traduisit ce qu’elle voulait dire : je t’aime bien.
À partir de ce jour, tout changea un peu. Leurs regards duraient plus longtemps. Leurs silences étaient plus profonds. Et leurs rires, plus légers. Mais, au fond de lui, Lucas sentait une ombre qui grandissait. Le retour approchait. Il évitait d’y penser, mais les jours défilaient trop vite. Il aurait voulu que le temps s’arrête, que ces vacances durent toujours, qu’elle et lui n’aient jamais à se dire au revoir. Et le soir même, Lucas se rapprocha de Mai. Pour la première fois, il l’embrassa.
Puis il la quitta pour rejoindre ses parents. La nuit tombée, Mai resta sur le rocher, au bord de la plage. Le cœur battant comme un fou de joie, Lucas s’éloignait, une étincelle d’éternité dans la poitrine.
Le mal du cœur
Le retour en France fut brutal. Le soir même, alors que Lucas rentrait de la plage, les cheveux encore humides d’eau salée, il aperçut ses parents attablés dans la petite maison.
Une lumière dorée baignait les lieux, et leurs visages étaient illuminés par un sourire qu’il ne connaissait que trop bien : celui qu’ils réservaient aux bonnes nouvelles.
Sa mère lança avec une joie tranquille dans la voix :
— Tu tombes bien, Lucas, on vient d’avoir une super nouvelle.
Il s’arrêta net, fronçant les sourcils. Ce ton léger, presque trop léger, éveilla une inquiétude soudaine.
— On va repartir plus tôt que prévu, ajoute-t-elle. Ton père a eu une opportunité pro, une belle proposition à ne pas laisser passer… On décale notre vol. On rentre dans quatre jours.
Lucas resta figé un instant. Quatre jours. Le mot résonna dans sa tête comme une alerte. Il avait encore tant de choses à vivre ici, tant de silences à combler avec Mai, tant de moments à partager loin des valises et des au revoir.
— Quatre jours ? répéta-t-il, le ton plus bas, presque incrédule. Mais… on devait rester encore deux semaines…
Son père haussa les épaules avec un sourire rassurant, comme s’il s’agissait d’un simple détail.
— Je sais, fiston, mais c’est une belle opportunité. Un poste à responsabilités, en plein Paris. Je ne pouvais pas dire non. Et puis, tu pourras revenir plus tard si tu veux… tu es grand maintenant.
Lucas acquiesça lentement, mais une boule s’était déjà formée dans sa gorge. Le goût salé de la mer semblait s’être transformé en un goût amer subitement. Il pensa à Mai, au peu de temps qu’il leur restait, à toutes les choses qu’il souhaitait encore lui dire, lui montrer, lui promettre.
Lucas ne répondit pas. Il monta dans sa chambre sans dîner, et s’allongea sur le lit, les bras derrière la tête, les yeux ouverts sur le plafond silencieux. Le ventilateur au-dessus de lui tournait lentement, égrenant les secondes comme un métronome paresseux. Il songeait à elle, il répétait en boucle dans sa tête : « Mai. Quatre jours. » C’était tout ce qu’il leur restait. Les heures s’étiraient avec lenteur et les pensées virevoltaient dans son esprit.
Le compte à rebours avait commencé : quatre jours. Ce n’était pas assez. Pas pour ce qu’il ressentait. Pas pour ce qu’il avait trouvé ici, avec elle. Pas pour une histoire qu’il n’était pas prêt à laisser s’effacer. Lucas ne parvenait pas à fermer l’œil. Allongé sur son lit, il entendait les bruits étouffés de la nuit, le souffle régulier de la maison endormie et, plus loin, le murmure des vagues.
Il se retourna plusieurs fois, incapable de trouver le calme.
Son esprit tourbillonnait, traversé par mille pensées. Ce départ précipité… ces quatre jours qui fileraient comme un battement de cils… et Mai, qu’il allait devoir quitter sans avoir eu le temps de tout lui dire. Il se leva sans faire de bruit, enfila un pull et sortit de la chambre à pas feutrés. La petite maison était silencieuse, baignée d’une lumière blafarde.
Une fois dehors, l’air nocturne lui caressa le visage, frais et chargé d’embruns. Il prit la direction de la plage, attiré par le chant régulier de la mer comme par un appel. Le sable était tiède sous ses pieds. La lune, haute dans le ciel, baignait les vagues d’une lumière argentée. Il marcha longtemps, les yeux perdus sur la ligne d’horizon, laissant ses pensées couler au rythme du ressac. Ici, tout semblait plus clair. Plus vrai. Il songea à Mai. À son rire cristallin, à sa façon de l’écouter sans juger, à ses silences qui parlaient plus fort que bien des mots. Ce qu’il vivait avec elle n’était pas un simple épisode d’été.
C’était plus fort. Plus profond. Il en était sûr, maintenant.
Alors, face à l’immensité de la mer, Lucas prit une décision. Il ne rentrerait pas. Il resterait au Vietnam. Peu importe les réactions, peu importe l’inconnu. Il suivrait ce que son cœur lui criait. Il suivrait Mai.
Après de longues heures à errer le long de la plage, Lucas finit par rebrousser chemin. Le ciel commençait à pâlir lentement, annonçant l’arrivée du jour. Ses pas étaient lents, presque lourds, comme si chaque pensée lui pesait un peu plus sur les épaules. Le sable collait à ses chaussures, le sel lui tirait la peau, mais il n’y prêtait plus attention.
Il poussa doucement la porte d’entrée de la maison, monta à l’étage, ouvrit la porte de sa chambre et sans même retirer ses vêtements, il s’allongea sur le lit. Le jour s’immisçait lentement par la fenêtre entrouverte, diffusant une lumière douce et dorée sur les draps froissés. Son regard resta fixé au plafond un moment, les paupières lourdes, les pensées encore pleines de vagues et de décisions. Tout à l’heure, j’irai la voir, coûte que coûte.
Quelques heures plus tard, les rayons du soleil traversaient la chambre, réchauffant légèrement son visage. Lucas ouvrit les yeux, encore engourdi, la gorge sèche, les muscles lourds. Il mit quelques secondes à se souvenir de l’endroit où il se trouvait… puis tout lui revint. La plage, la décision, l’aube naissante… et Mai. Il se redressa lentement sur le lit, frotta ses yeux, puis se leva sans hésiter. Cette fois, il n’y avait plus de doute, plus de peur.
Ce qu’il devait faire était clair. Il prit une douche rapide, enfila une chemise légère et un pantalon propre. Il se regarda un instant dans le miroir : il avait l’air fatigué, mais une lumière nouvelle brillait dans son regard.
Dans sa poche, il glissa un petit carnet qu’il remplissait depuis le début du voyage. Il savait qu’il aurait des mots à lui offrir, des choses qu’il n’arriverait peut-être pas à dire à voix haute, mais qu’il voulait qu’elle lise, qu’elle sente. Il descendit les escaliers à grandes enjambées, traversa la maison sans un mot.
Tout semblait l’accompagner vers elle. Aujourd’hui, je la retrouve, pensa-t-il. Et rien. Ni le temps ni la peur ne m’en empêchera. Lucas marcha d’un pas rapide à travers les ruelles encore fraîches du matin. Chaque coin de rue du village de Mai lui rappelait un souvenir, un éclat de rire partagé, un regard volé.
Il connaissait le chemin par cœur. C’était celui qui menait à la maison de Mai. Non loin de leur maison de location de vacances. Le quartier s’éveillait lentement. Des femmes balayaient devant leur porte, des enfants couraient pieds nus, des odeurs de soupe flottaient déjà dans l’air. Mais Lucas ne s’arrêtait pas.
Il avançait, le cœur battant, les mains moites. Enfin, il arriva devant la petite maison aux murs blanchis, recouverte de bougainvilliers. Là, il s’immobilisa un instant. L’émotion lui serrait la poitrine. Il inspira profondément, puis leva la main et frappa doucement à la porte.
Un silence. Puis des pas. La porte s’ouvrit lentement. C’était elle. Mai. Elle portait une robe légère, les cheveux attachés simplement. Lorsqu’elle le vit, ses yeux s’agrandirent, d’abord surpris, puis brillants d’une douceur mêlée de trouble.
— Lucas… murmura-t-elle, presque comme si elle doutait de sa présence.
Il fit un pas vers elle, le téléphone serré dans sa main.
— Je voulais te voir, dit-il d’une voix un peu rauque. Il faut que je te parle.