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Sabrina, atteinte d'un mal réel mais invisible...
Sabrina est une toute jeune femme lorsqu’une première crise la frappe. Elle a mal aux cervicales, et la douleur se propage dans ses bras. Une batterie de tests médicaux plus tard, on lui parle de surmenage, mais elle n’y croit pas. En attendant, la maladie devient plus forte et ne lui laisse que peu de répit. Sa vie de famille est chamboulée, tout comme son équilibre professionnel. Elle subit les attaques de l’« autre » qu’elle sent se déployer dans son corps, et perd peu à peu tout espoir de savoir ce qui grignote son existence. Ce n’est que bien des années plus tard qu’un nom est enfin prononcé : fibromyalgie. Beaucoup n’y croient pas, et les remarques désobligeantes pleuvent. Pourtant, Sabrina n’est pas seule et elle découvre une communauté bienveillante, de femmes et d’hommes, atteints comme elle de ce mal invisible. Aujourd’hui, elle prend la plume pour raconter son parcours de vie, et son combat : faire connaître la fibromyalgie au plus grand nombre, un itinéraire qui la conduira des réseaux sociaux aux plateaux de télévision.
Découvrez le témoignage bouleversant d'une femme qui livre un combat quotidien contre la fibromyalgie et contre la méconnaissance de cette maladie.
EXTRAIT
Elle passe la porte et me voit allongée sur le divan. Maman lui a préparé les affaires. Je lui donne le numéro de ma Topine pour qu’elle s’organise. Elle est un peu décontenancée et me pose plein de questions. Je ne peux répondre, ma tête est vide. Je n’ai qu’une envie qu’elle s’en aille et que je puisse aller au lit. Je comprends que ça la perturbe mais j’ai fait le maximum pour pallier mon absence. Après les crises que j’ai subies, que j’ai encaissées, que j’ai essayé de canaliser, celle-ci est celle de trop. Je n’en peux réellement plus. Elle me fait telle et telle réflexion mais je ne bronche pas, je suis anéantie physiquement et moralement. Elle sort avec son garçon, ma mère est abasourdie. Pour le moment je prends comme je peux l’équilibre sur mes jambes, m’appuie au mur, le longeant, je fais une pause au WC. Je veux vomir mais je n’y parviens pas. Je vais dans ma chambre et me laisse tomber sur le lit. Maman reste à mes côtés. Je ne me suis jamais sentie aussi mal. Mon cerveau tourne dans tous les sens sauf le bon, je me promène entre un sommeil et un état de conscience. J’entends les mots autour de moi mais ne peux répondre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Sabrina Dagonneau est née en 1977 en Normandie. Elle passe son enfance à la campagne, où elle connaît de tendres moments, mais également des déboires qui la marqueront à jamais. Mariée, mère de famille, et épanouie dans son travail, elle va devoir du jour au lendemain se battre contre un mal encore méconnu.
J’étais, je suis, que serai-je ? est son premier ouvrage.
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Seitenzahl: 536
Veröffentlichungsjahr: 2018
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J’étais, je suis, que serai-je ?
« Celui qui n’a pas le courage de se rebeller, n’a pas le droit de se lamenter. »
Che Guevara
Âgée de quarante ans, mariée et maman de trois enfants, je ressens le besoin d’écrire mon parcours. Non pas que ma vie soit plus importante que la vôtre mais juste pour témoigner.
Avant ma venue sur terre et puis mon enfance, ce qui m’a construite. De beaux et tendres moments et d’autres un peu moins joyeux.
Et puis le destin va changer mon devenir et aujourd’hui encore je me demande :
« Que serai-je ?! »
La fibromyalgie a petit à petit grappillé ma vie.
Aujourd’hui, je m’évertue à vivre avec.
J’ai un temps cru qu’elle faisait désormais partie de moi MAIS.
Vous allez découvrir au fil de votre lecture ma famille, mes amies et bien d’autres intervenants.
Des personnes chères à mon cœur, des liens parfois plus forts que ceux du sang…
Une voiture roule depuis près d’une demi-heure sur une route reliant deux villes du même département. À bord, côté passager, une femme enfoncée dans son siège respire en soufflant très fort. À ses côtés, l’homme conduit rapidement mais prudemment en jetant de temps en temps un coup d’œil en biais. Vont-ils arriver à temps à la maternité ? Ils parcourent 60 kilomètres pour voir naître leur second enfant.
Pourquoi avoir choisi d’accoucher si loin de chez eux ? Il y a pourtant une maternité à 5 minutes de leur appartement.
Ma sœur aînée a vu le jour en décembre 1975 et sa naissance a bouleversé leur vie.
Mes parents se sont mariés en avril 1975 sous dix centimètres de neige. Tous les convives sont habillés aux couleurs du printemps. En ouvrant les fenêtres ce matin-là, beaucoup sont surpris par cette neige. Maman a d’ailleurs dû utiliser le four à pain du boulanger pour sécher ses cheveux, le coiffeur n’ayant plus d’électricité.
Les petits souliers, les talons aiguilles flirtent avec la poudreuse. Les femmes coquettes ont les pieds gelés. Cependant le mariage est célébré comme il se doit avec une très bonne ambiance et beaucoup de joie. La neige est présente sur toutes les photos et maman dans sa robe blanche ne tranche pas beaucoup, par contre mon papa brun, avec sa barbe et son costume noirs, ressort sur les clichés.
Le contraste des photos est là. Figeant le souvenir pour l’éternité.
Mes parents ont emménagé dans un appartement. C’est un bel immeuble dans une résidence avec des voisins sympathiques. Mes parents créent vite des liens avec eux. La cousine de papa a aménagé deux étages au-dessus avec son mari. Ils organisent souvent des soirées jeux : cartes, Scrabble. Ils se sentent très bien dans cette partie de la ville. Papa a décroché un poste au sein de la mairie. Maman travaille à la préfecture. Elle a en charge le ménage du logement du sous-préfet, la préparation des repas et s’occupe des enfants. Une relation cordiale et amicale s’établit.
Dans les premiers mois de grossesse, maman se rend chez son médecin inquiète de ne pas prendre beaucoup de poids. Elle a contracté une rubéole. Le médecin a signalé à ma maman que pendant une grossesse cela peut être très dangereux pour le bébé. Sur les conseils du sous-préfet et de sa femme, mes parents ont pris rendez-vous avec une sage-femme. Ma maman expose son état de santé en émettant les doutes sur la suite de cette grossesse. En 1975, la société n’est pas la même qu’aujourd’hui. Beaucoup ont un esprit étroit. C’est pourquoi, voyant les soucis que peut engendrer cette rubéole, ma maman pose la question d’une éventuelle interruption volontaire de grossesse. La sage-femme la toise alors du regard et d’un air méprisant lui dit :
« Ce n’est pas parce qu’une loi vient d’être votée que l’on va vous faire une IVG… »
Maman comprend alors qu’elle mènera jusqu’au bout cette grossesse avec à l’esprit les soucis de santé que ce futur bébé peut déjà avoir.
En septembre, mes grands-parents paternels et mes parents se rendent dans le sud de la France. Maman a le ventre un peu arrondi. Étant non loin de Lourdes, ils y font une halte. Maman en visitant ce lieu sacré fait une prière pour le petit bébé qui grandit en elle. Elle continue de travailler jusqu’à son congé maternité, le sous-préfet lui a dit : « Vous retrouverez votre place après la naissance du bébé ! »
Ma sœur voit le jour le 12 décembre 1975 à terme. Elle pèse un kilo cinq cent. Elle est toute petite.
Maman n’a même pas le temps de prendre sa petite fille dans ses bras. Vu l’état fragile dans lequel ma sœur se trouve, le personnel médical la met directement en couveuse. Les soins qu’elle doit recevoir se font dans un autre service de la maternité. On doit sortir de l’hôpital pour emmener le nourrisson en service prématuré. Maman après tout ce chambardement se retrouve face aux infirmières et à la sage-femme qui commencent par lui infliger un interrogatoire. De suite on lui demande si elle est fumeuse ou si elle consomme beaucoup d’alcool. Personne ne veut admettre que la rubéole a pu interagir sur le poids et la santé de cette toute petite fille surnommée déjà « la crevette ». On préfère infliger une souffrance supplémentaire à cette toute jeune maman. Elle ne peut pas voir, ni toucher sa fille, ces moments sont traumatisants. Mon papa a suivi ma sœur chez les prématurés. Maman ne doit pas quitter la chambre en ce premier jour. Elle est seule face à toutes les questions qui tournent dans sa tête et avec la fatigue de l’accouchement, les larmes se mettent à couler, intarissables. Aucune oreille attentive au sein du service maternité face à sa détresse, aucun mot de réconfort, aucun soutien, sauf les quelques appels téléphoniques de la famille et des amis. Mais à chaque fois le scénario malheureux repasse dans sa tête et toujours avec autant de tristesse. Personne ne sait quel sera le devenir de ce petit être qui vient de naître. Ma sœur doit dans un premier temps prendre du poids. C’est la priorité. Maman décide de tirer son lait pour nourrir sa petite fille. Mais le premier biberon elle ne peut le donner comme beaucoup d’autres à venir. Quant à mon papa, je ne pense pas qu’il ait pris réellement conscience de la situation dans laquelle ils se retrouvent. Contrairement à maman qui ressent un manque, qui se pose beaucoup de questions face à la situation, lui est empli de joie et de bonheur. Il frappe aux portes de ses amis et de la famille pour annoncer la naissance de sa fille, et il fête sa naissance avec tous. Maman ne voit sa petite « crevette » qu’en photo, le lendemain de sa naissance. Et ce n’est pas sa fille Angélique qu’elle voit en premier, mais une grosse boîte transparente avec deux gros « hublots ». Cette couveuse paraît immense par rapport à la taille du nourrisson. Ma sœur est branchée à des machines et très peu de gens peuvent la toucher. Pour le moment seul le personnel soignant est habilité à la prendre. Le peu de contact humain qu’elle a est pour lui prodiguer des soins. La fin décembre arrive avec les fêtes mais elles ne sont pas célébrées. Mes parents passent leur temps entre le travail, la maison et l’hôpital. Un rituel s’est instauré. Aller voir toujours à travers ces parois de verre la petite. Tirer le lait de son giron pour la nourrir. Début janvier 1976, ma sœur commence à prendre du poids et les examens n’annoncent aucun « gros handicap ».
Il s’avère qu’à part son petit poids aucun autre « souci » n’est détecté.
Les jours passent, le temps de pouvoir prendre leur bébé dans leurs bras arrive pour mes parents. Ce jour, comme le dit encore maman quarante ans après, fut la « vraie » naissance d’Angélique. Ce jour-là, elle ne se sent plus mère nourricière mais MAMAN.
Là enfin, elle sent la chaleur qui se dégage de ce petit corps qu’elle a attendu non pas neuf mois mais onze. Dans les jours qui suivent, mes parents rentrent enfin dans leur appartement avec Angélique. Leur vie de famille commence ici. Ma maman qui a repris son travail au sein de la préfecture doit trouver une assistante maternelle pour ma sœur. Papa travaille dans un bureau, il a de nombreux collègues et beaucoup connaissent l’histoire de la naissance de sa fille. La femme de l’un d’eux a une place de disponible pour accueillir ma sœur. Rendez-vous est pris. Mes parents se rendent à leur domicile. Sa femme sait que ce petit être a déjà connu bien des épreuves en ces quelques mois de vie. La nounou est une femme qui dégage calme et sérénité. Elle parle posément et couve déjà du regard la « crevette ».
Maman sait de suite que cette nounou saura apporter un nid douillet, un confort et une attention particulière à sa petite fille. Ma sœur a quatre mois et la vie reprend son cours. Le matin, maman donne le biberon. Ma sœur n’est pas une grosse mangeuse et met deux fois plus de temps que d’autres bébés à prendre son repas. Des bébés « copains » sont nés dans l’entourage. C’est elle la plus âgée mais elle reste la plus petite de toute l’équipe. Malgré cela elle est très vigoureuse. Les mois passent et ma sœur évolue. Quelques signes interpellent mes parents. En particulier le son de ses « pleurs ». Ma maman s’étant occupée dans sa jeunesse de nourrissons, trouve que sa petite crevette ne pleure pas normalement. Ma sœur a un suivi régulier avec le pédiatre. Tous les mois il l’ausculte, et au cours de la visite du sixième mois, maman fait part de son ressenti au médecin. Toujours dans la diplomatie du milieu médical, il trouve que maman en fait des tonnes et que les « petits cris » du bébé n’ont rien d’inquiétant. Ma mère sort de ce rendez-vous un peu mécontente et surtout pour une deuxième fois incomprise. Après son accouchement et les réflexions qui lui ont été faites voilà que le pédiatre ne la prend pas au sérieux. Quand elle retourne au travail le lendemain, la femme du sous-préfet vient l’accueillir. Comme à chaque fois que maman emmène ma sœur chez le médecin, celle-ci s’enquit des dernières nouvelles du bébé. Maman, qui est toujours un peu vexée de l’accueil du pédiatre, explique son ressenti à cette femme. Elle l’écoute attentivement. Et là enfin, elle trouve une oreille attentive à ses préoccupations. Aussitôt la femme du sous-préfet va frapper à la porte du bureau de son mari. Maman est un peu gênée et n’ose pas se mettre dans l’entrebâillement de la porte. Le sous-préfet est assis derrière son grand bureau et l’appelle.
« Ma femme vient de me rapporter la discussion que vous venez d’avoir au sujet de votre petite Angélique. Elle m’a dit combien vous étiez inquiète des sons que votre bébé émet, ces petits cris ! Nous connaissons un professeur à Paris qui exerce à l’hôpital Trousseau. Je peux prendre rendez-vous, pour vous. Un bilan complet sera effectué. En attendant, essayez de bien observer le comportement et les réactions de votre bébé. De cette façon, le jour de votre entretien avec le professeur, vous pourrez répondre au mieux à toutes les questions qu’il vous posera ! » dit M. le sous-préfet.
Il sort un petit agenda, le consulte, décroche le téléphone. Il est mis en relation directe avec le professeur. Ils échangent les politesses d’usage. Devant ma maman muette de stupeur et en même temps remplie de gratitude et de respect, un rendez-vous est posé. Mes parents et Angélique iront à Paris dans quelques mois, le sous-préfet salue le professeur et raccroche.
« Voilà mon petit, le rendez-vous est pris », dit-il.
Il sort un bloc de papier et fait un bref courrier adressé à son ami. Il le confie à maman et lui indique qu’elle devra le remettre au professeur lors de la future entrevue.
« Bien entendu, je vous donne votre journée pour vous y rendre », ajoute le sous-préfet.
Maman sort du bureau, beaucoup d’émotions se bousculent dans sa tête. Elle est ravie de voir que quelqu’un la prend au sérieux. A contrario, elle a aussi très peur. Ce qui ressortira de ce rendez-vous peut changer l’avenir de cette petite fille mais aussi celui de ses parents. Ma maman fait les lits, prépare le repas pour la famille, tout ce qui se rapporte à l’entretien d’une maison. Le soir elle est pressée d’aller chercher sa fille chez la nounou et de lui expliquer son entrevue. Elle fait part de la vigilance qu’il leur faut accorder aux réactions de ma sœur. Elle réitère les mêmes propos auprès de mon papa. Le soir en rentrant maman place ma sœur dans son transat. Elle lui parle en la regardant. Angélique réagit, gesticule et sourit. Elle pousse toujours des petits sons aigus. Maman doit préparer le repas. Elle se place devant son plan de travail, commence à éplucher des légumes. Elle continue de parler à ma sœur et là aucune réaction. Ma sœur joue avec son hochet mais ne capte pas son regard. Les premiers soupçons arrivent. Ma maman en discute avec papa.
« Tu n’as pas remarqué que si on parle à la p’tite crevette sans la regarder elle ne réagit pas, il faut attirer son regard avec des mouvements pour qu’elle fixe son attention sur nous ? » dit maman.
Le lendemain, elle raconte à la nounou ce qui s’est passé la veille. D’un commun accord, elles décident de laisser ma sœur « réclamer » ses repas pour voir comment elle manifestera sa demande. Maman embrasse sa fille et part au travail.
Le soir c’est papa qui la récupère. La nounou l’informe que ma sœur n’a pas vraiment pleuré lorsqu’elle a eu faim mais elle a simplement poussé des petits cris.
Papa rentre à l’appartement, quand maman le rejoint, ils discutent de leur journée de travail en prenant leur repas. Ma sœur a déjà mangé et joue sur une couverture posée par terre. La discussion dévie rapidement sur son état de santé. Le rendez-vous au centre hospitalier Trousseau arrive.
Ma sœur aura bientôt un an. Armés des dossiers médicaux, mes parents se mettent en route pour la capitale. Papa conduit, maman est assise à l’arrière, à côté de ma sœur. Le trajet se passe en silence. Tous deux ayant l’esprit préoccupé. Ce rendez-vous sera déterminant. Peut-être vont-ils enfin avoir des réponses à leurs questions. Chacun sentant, au plus profond d’eux, que ma sœur a quelque chose de différent.
Papa connaît Paris et sa banlieue. Plus jeune, il y a travaillé comme chauffeur-livreur. Il est donc à l’aise et mes parents arrivent à l’heure au rendez-vous. Ils trouvent rapidement une place sur le parking de l’hôpital. Maman descend et prend Angélique dans ses bras. Avec mon papa à ses côtés, ils pénètrent dans le hall. Ils se présentent à l’accueil. Une secrétaire prend les renseignements nécessaires et leur indique quel couloir prendre pour se rendre au bureau du professeur. Ils doivent traverser un service de pédiatrie. Dans ce couloir où les portes des chambres sont ouvertes, mes parents sont frappés de stupeur. Tous ces petits êtres branchés à des machines, le teint très pâle avec des yeux cernés. Certains pleurent, certains même tendent les bras et appellent « papa maman ». Encore aujourd’hui, mes parents ont une émotion particulière quand ils en parlent.
Ils arrivent dans la salle d’attente. Aucun des deux n’ose prononcer un mot. Juste un murmure pour se dire qu’ils y sont. La porte s’ouvre sur un homme en blouse blanche. Il serre la main de la personne qui quitte son bureau puis se tourne vers mes parents.
« Monsieur, madame, vous êtes les parents d’Angélique ! Allez-y entrez », dit-il.
Maman a ma sœur dans les bras. Papa tient toujours le dossier médical. Le professeur les invite à s’asseoir, regarde mon papa en tendant sa main vers le dossier. Papa encore frappé par la traversée du service sursaute et le lui confie ainsi que le courrier du préfet. Pendant que le professeur prend connaissance du dossier un silence règne dans la pièce. Le professeur se lève, se dirige vers maman et l’invite à poser ma sœur sur la table d’examen. Au vu de la première lecture du dossier, il rassure mes parents en leur expliquant qu’Angélique a bien évolué au niveau de son poids, que les premiers examens des réflexes sont positifs. Il indique que ma sœur peut en effet être différente mais qu’elle a dans un premier temps un pronostic vital tout à fait normal. Reste à évaluer la vue et l’ouïe. Le professeur commence alors à questionner mes parents sur sa façon de se nourrir, sur ses pleurs, ses réactions. Maman et papa confient alors leur ressenti en indiquant leurs inquiétudes sur les sons que ma sœur émet et sur la passivité de celle-ci lors qu’ils s’adressent à elle dos tourné. Le professeur se munit d’une petite lampe et inspecte les yeux de ma sœur. Aucun élément indique une défaillance de sa vue. Il commence le test auditif.
Dans un premier temps, il met ma sœur face à lui, il la regarde et lui parle. Ma sœur réagit et fait un sourire. Vient le moment de lui parler dos tourné et là ma sœur ne bronche pas. Elle regarde et tourne la tête dans tous les sens sans fixer son attention sur le professeur. Suite à ce premier examen, il indique à mes parents une petite pièce attenante à sa salle de consultation. Il y fait entrer mes parents et ma sœur. Il couche ma sœur sur la table d’examen puis se munit d’un appareil. Il le branche. Aussitôt des sons aigus viennent heurter les tympans de mes parents, le son est désagréable. Mes parents se regardent et là en l’espace de quelques secondes ils comprennent. Le professeur et mes parents ont eu une réaction à ce son mais ma sœur est restée passive. D’autres sons sont envoyés et ma sœur reste toujours stoïque. Le professeur a les éléments qu’il cherchait. Il retourne dans son cabinet, s’assoit en face de mes parents et le verdict tombe. Ma sœur est sourde (non entendante). Mes parents, muets de stupeur, ne réagissent pas tout de suite. Mais en tant que parents, ils ont ressenti une différence et là à Paris on les a écoutés et compris. ENFIN. Entre soulagement et inquiétude sur l’avenir, mes parents sont dans un état second. Il leur faudra du temps pour digérer l’information. Maman a toujours à l’esprit les réflexions désagréables du corps médical. Après que le professeur leur ait expliqué les démarches à faire, le cadre médical qu’il faudra, l’école avec une structure adaptée, maman laisse son cœur parler et des larmes perlent de ses yeux et coulent sur ses joues. Elle se confie au professeur. Elle lui explique le déroulement de la naissance de ma sœur et le parcours médical avec le pédiatre qui ne l’a pas prise au sérieux.
Le professeur décroche alors son téléphone. De l’autre main, il saisit le carnet de santé de ma sœur et fait le numéro du pédiatre. Son confrère décroche au bout de deux sonneries, il ne se doute sûrement pas de ce qui l’attend. Le professeur se présente avec les politesses d’usage. Il explique gentiment qu’il a en ce moment dans son bureau la petite Angélique. Le pédiatre confirme que c’est lui qui la suit et que la maman est très angoissée. Il ne comprend pas leur démarche d’aller jusqu’à Paris. Le professeur se redresse dans son fauteuil, croise son regard avec celui de mon père puis va se fixer sur celui de ma mère où des larmes roulent encore. Il prend un ton au-dessus et s’adresse au pédiatre.
« La maman et le papa d’Angélique avaient raison d’émettre une inquiétude. Après avoir effectué des tests de base que tout bon médecin devrait connaître vous auriez dû remarquer la déficience auditive de votre patiente au lieu de faire culpabiliser ses parents. Je vais contacter un confrère qui sera compétent. Vous devriez revoir votre façon de travailler cher confrère et “écouter” un peu plus le ressenti et le sentiment des parents qui vous confient la santé de leur enfant. Sur ce bonne continuation à vous, je vais faire le nécessaire pour que la petite Angélique soit prise en charge comme il se doit. Que ses parents aient un interlocuteur à leur écoute », puis il raccroche.
Il regarde maman avec une compassion désarmante et il la rassure. Mon papa, qui a Angélique dans ses bras, a lui aussi le regard brillant. Maintenant ils savent, ils ont un diagnostic médical, maman n’est pas folle ni idiote. Son instinct de mère ne s’est pas trompé. Ma sœur est sourde et dorénavant il leur faudra s’adapter. Mais malgré l’annonce de ce handicap, il y a une sorte de soulagement. Le professeur leur avait évoqué les différentes formes de handicap qu’aurait pu entraîner la rubéole. Et le pire a été évité.
Ma sœur marchera, ma sœur pourra (avec une structure adaptée) apprendre à lire, compter, avoir une vie à peu près normale. Maman ferme les yeux et repense à leur excursion à Lourdes à son sixième mois de grossesse et intérieurement remercie le ciel. Le professeur leur a consacré plus d’une heure. Il ouvre le tiroir de son bureau, prend un bloc-notes.
Il note le nom de confrères susceptibles de prendre correctement en charge ma sœur. Il appelle sa secrétaire, lui indique une ville dans l’Orne. Il lui demande de faire les démarches nécessaires aujourd’hui auprès du CAMPS1.
La secrétaire se met aussitôt en chasse d’informations. Le professeur se lève et se dirige vers la porte. Mes parents le suivent. Le professeur les dirige vers le secrétariat, leur dit de patienter, la secrétaire va bientôt venir les chercher. Elle va leur donner toutes les informations dont ils ont besoin. Il s’excuse mais doit continuer à recevoir ses patients. Il tend la main vers papa. Mon père le remercie le regard plein de gratitude et d’émotion, quant à maman elle l’aurait bien serré dans ses bras, elle est reconnaissante du temps, des explications, de l’aide qu’il leur a apporté. Le professeur finit par un petit geste tendre vers ma sœur et dit : « Cette petite fille est comme une “deux chevaux” elle aura besoin de plus de temps qu’une grosse cylindrée mais elle réussira ! » Il quitte mes parents sur un dernier au revoir !
Le temps défile sur la pendule accrochée en face d’eux, puis quand l’aiguille indique la demie la secrétaire vient les chercher. Elle a besoin de leur expliquer ce qu’elle a trouvé et en l’instant les nouvelles sont bonnes. Enfin, bonnes par rapport à ce que mes parents s’étaient imaginé. Certes ma sœur est handicapée. Mes parents pensent : « elle est “juste” sourde » et rien que cela les apaise et un sourire se dessine enfin sur leur visage. Malgré la mauvaise nouvelle, ils sont quand même rassurés. Comme quoi ! La vie est surprenante. La secrétaire fait asseoir mes parents. Les recherches ont été fructueuses et elle les réconforte aussitôt. En effet, la ville de l’Orne offre une très bonne prise en charge du handicap. La secrétaire ne cache pas à mes parents qu’il y a peu d’établissements spécialisés. DESTIN. Par chance ou hasard de la vie, il y a une école adaptée à côté de chez eux et un CAMPS qui offre toute la prise en charge nécessaire pour définir le niveau de surdité de ma sœur, pour prévoir un appareillage spécifique.
Mes parents quittent le centre hospitalier Trousseau. Ils repartent avec de nombreux documents. Bien entendu, ils ont un dépliant sur la surdité, ainsi que des numéros de téléphone et des adresses. Des endroits où ils vont trouver des réponses et une prise en charge. Ma maman est alors enceinte de quelques mois. J’effectue donc à mon insu les démarches à ses côtés. Quelques mois après, je vois le jour.
1 Un CAMPS est un établissement médico-social chargé de la prise en charge précoce des problématiques de handicap chez les enfants âgés de 0 à 6 ans.
Traversant le parking de la maternité, maman et papa y entrent. La prise en charge est immédiate. Maman entre en salle de travail, toujours accompagnée de mon papa. Entre douleurs et expirations bruyantes, quatre heures après son admission, j’arrive sur cette terre. Papa aux premières loges est celui qui me sépare de ma maman en coupant le cordon. Il m’accueille dans ses bras. Leur première réaction : je suis un gros bébé.
En effet, comparé au 1,5 kg de ma sœur, j’en pèse presque le double. Après les premiers soins habituels, je me love au creux des bras de ma maman. Contrairement à sa première expérience, maman savoure chaque minute. Elle peut me donner le biberon, me câliner, être tout simplement une maman, me couvant sans cesse du regard. Là dans ce petit berceau transparent, je suis avec elle et rien que pour ça, ma maman est aux anges… Tout se passe pour le mieux, courbe de poids idéale, réactions toniques, test auditif (qui est fait rapidement) normal. Respectant le délai en maternité, nous sortons. Cette fois, elle est accompagnée de son mari, sa fille aînée et de son nouveau-né.
Nous habitons dans un petit appartement, ma sœur a déjà dix-huit mois. Un nouvel arrivant accompagne ma naissance. C’est Nak, un berger allemand. Il est adorable et joue un rôle protecteur auprès de ma sœur et moi. Il est souvent complice des jeux d’Angélique et aboie quand celle-ci en invente. Malgré sa surdité ma sœur est une rapide. Quand Nak n’est pas à ses côtés, il se couche au pied de mon couffin. Maman a tout le loisir de s’occuper de nous. Face au handicap de ma sœur, maman reste à la maison. Elle a quitté son emploi auprès de la préfecture quelques mois avant ma naissance. Nous formons une belle famille. Chacun de mes parents se familiarise aux nouvelles façons de « dialoguer » avec ma sœur. Au CAMPS, on leur explique qu’il faut bien regarder ma sœur lors qu’ils s’adressent à elle.
Bientôt avec sa scolarisation, à l’âge de deux ans, au sein de l’école spécialisée, une méthode va leur être présentée. C’est la langue des signes.
L’appartement que nous partageons devient exigu. Ma sœur est intrépide et bouge sans cesse. Quant à moi, je grandis et profite bien. Le surnom de ma sœur reste « la crevette », le mien est la « grosse Nana ».
Maman nous emmène souvent en promenade avec notre Nak. Il faut une bonne organisation. Poussettes, sacs encombrants, nos promenades deviennent le parcours du combattant. Mon papa travaille toujours à la mairie où il a signé un contrat définitif. Mes parents décident de se mettre à la recherche d’un nouveau logement. Se promenant un dimanche, ils découvrent un petit village.
Seul un pont sépare les deux départements. Dans ce petit village, des logements pavillonnaires ont été construits. Mes parents déposent un dossier et quelques mois après nous y emménageons. J’ai six mois quand nous changeons de maison. Nak est le premier ravi. Un petit terrain bien clôturé lui permet de se dépenser. Au plus grand plaisir aussi de ma sœur qui ne tient toujours pas en place. Quant au logement lui-même : une cuisine, une salle à manger, salle de bain et deux chambres qui paraissent très vastes. Ma famille apprécie d’être en plain-pied. Fini le cauchemar des escaliers. Quant à papa, cela lui permet de toujours rentrer manger avec nous le midi, profitant lui aussi de la cour pour faire une pause au grand air.
À un an, je commence à faire mes premiers pas. Je suis le contraire de ma sœur. Elle grimpe partout et est toujours en mouvement tandis que je suis une grosse mémère qui prend son temps. Je suis souvent sur les fesses quand ma sœur me frôle à toute vitesse. Mes parents sont comblés de joie, ma sœur malgré sa surdité évolue. Elle est pleine de vie et petit à petit un dialogue s’instaure entre nous.
Une ombre au tableau, ma sœur a du mal à bien s’alimenter. Elle accepte plus facilement des biberons de lait, que la nourriture. Et là encore, je suis à son opposé. À trois mois, je refuse le lait, ma maman est obligée de me faire des biberons de soupes.
Quand je ne réagis pas assez vite aux demandes de ma sœur, elle m’attrape et me mord le visage. C’est sa façon de communiquer. Elle a de la place sur mes deux grosses joues. Je suis ainsi tatouée pendant plusieurs jours avec en prime un arc-en-ciel qui passe du bleu au violet.
Une année s’écoule ainsi avec des allers et retours rythmés entre le travail de papa et l’école de ma sœur. Angélique est scolarisée dans un établissement spécialisé. Son taux de surdité est établi à 100 %. Ma sœur est donc sourde et muette (non entendante). Un appareillage onéreux lui est proposé (elle ne s’y fera jamais). Elle doit porter ses appareils auditifs toute la journée, comme cela ne lui apporte pas grand-chose, les appareils sont plus souvent dans leur boîte, que sur ses oreilles.
J’accompagne maman et la crevette partout. On dépose papa au travail puis ma sœur à l’école. Parfois nous restons un peu avec elle en classe. C’est ainsi que rapidement et naturellement j’apprends à communiquer avec elle. Je signe aussi bien que je parle. Pour moi ces deux choses sont complémentaires et naturelles. C’est en grandissant que je prendrai conscience de notre différence. Contrairement à beaucoup d’élèves, ma sœur est demi-pensionnaire. Je développe une aisance de dialogue avec ses camarades. Je réclame très tôt l’envie d’aller à l’école. À deux ans et deux mois, j’entre en maternelle. Je vais dans l’école privée attenante à celle de ma sœur, seul un mur avec une grande entrée sans portail nous sépare. Ma sœur et moi sommes très fusionnelles et je passe très vite du langage avec mes camarades de classe aux signes avec les copains de ma sœur. J’aime la demi-heure d’écart entre ma sortie et la leur. Je me faufile dans sa classe et profite de l’enseignement de l’institutrice. Des images sont reliées aux mots et chacune est détaillée et accompagnée de son geste. Mme l’institutrice épelle aussi le mot. Je connais l’alphabet oral et signé. À côté de tout cela, mes parents tissent des liens avec le voisinage. Ma sœur et moi étant scolarisées, maman propose ses services au voisinage pour accueillir leurs enfants. Comme beaucoup d’entre eux travaillent, maman devient alors assistante maternelle. Le petit Anthony, que je surnomme très vite Daddy, a un an de moins que moi. Nous partageons notre quotidien avec lui, surtout pendant les vacances scolaires. Bon j’avoue, je n’ai pas très bien pris sa venue, il me piquait ma place. J’ai fait quelques crises de jalousie et j’ai fini par lui prendre sa taie d’oreiller. Elle est devenue mon « nin-nin » et ne me quittera plus. Ma sœur continue de s’exprimer. Le rituel tatouage de joues ne s’est toujours pas arrêté. La routine s’est installée comme dans bon nombre de foyers. Le voisinage est sympathique. Beaucoup sont de jeunes couples avec des enfants en bas âge et nous partageons souvent des moments. Compétitions de tricycle dans les rues de la résidence pavillonnaire, après-midi atelier cuisine, de très bons moments passés ensemble, chacun apportant sa touche personnelle. Notre famille enrichit le voisinage avec notre différence de communication. Certains de nos petits camarades s’adressent le soir à leurs parents en signant. Le lendemain matin, les parents nous demandent la « traduction ». Voilà c’est notre différence mais c’est aussi un partage et l’installation dès notre plus jeune âge de la tolérance et la culture de la différence. C’est ainsi que passent les journées. Quant aux soirées, maman est une couche-tôt contrairement à mon papa.
Un soir, papa est installé devant la télévision, il peste contre le chien qui n’arrête pas de tourner en rond avec des va-et-vient devant la porte. Énervé par ses mouvements incessants, il se lève pour le mettre dans notre petite cour. Il se dirige vers l’entrée, il entend un bruit inhabituel et comprend alors qu’il se passe quelque chose. En ouvrant la porte, Nak se précipite au grillage.
Une lumière aveuglante vient heurter les yeux de mon papa. La maison des voisins est en feu. Papa pousse la porte, des cris horribles résonnent à ses oreilles. Ma maman est réveillée et arrive en courant de la chambre. En plus de ces cris, une fumée âpre les prend à la gorge. Papa se précipite dans la rue, maman appelle les pompiers puis le rejoint.
Au milieu de la rue, deux personnes sont presque nues. Un homme tient sa femme tout contre lui, ils sont anéantis et continuent d’hurler. La femme est effondrée sur le macadam. Ils tournent la tête vers mes parents. L’homme supplie mon papa d’aller dans le brasier chercher la petite fille et le petit garçon qui n’ont pas pu sortir. Ma maman court chercher des couvertures. Maman enveloppe la femme dans l’une d’elles. Mon père fait de même avec l’homme. Papa est obligé de le ceinturer et de le retenir. L’homme veut retourner dans la maison. Ses deux enfants sont à quelques mètres mais l’intensité du brasier est telle que tous les quatre doivent reculer. Papa essaye de le rassurer.
« Les pompiers sont en routent. Ils arrivent ! » lui dit-il.
La maison se consume à une vitesse effrayante. Papa croise le regard de ma mère. Au fond d’eux ils savent. Malgré la rapidité des pompiers, les deux petits êtres sont prisonniers de la fumée et des flammes. À son arrivée, le chef se dirige vers mes parents et le couple de voisins effondrés. Il comprend de suite qui sont les victimes. Il ignore encore toute l’horreur de la situation. La voisine est anéantie, anesthésiée, elle ne peut prononcer un mot. Le voisin hurle le prénom de sa petite fille et de son petit garçon. Le chef pompier comprend… Et c’est mon papa qui ose dire :
« Deux enfants sont encore à l’intérieur, ils sont là en bas, la fenêtre à gauche, dépêchez-vous ! »
Le chef pompier croise le regard de mon papa, pas besoin de parler. Au même instant, un énorme bruit assourdissant vient claquer à leurs oreilles. Le toit vient de s’effondrer sur la maison. À cet instant, chacun sait !!
Deux petits anges sont partis rejoindre les étoiles. En quelques minutes le feu a pris la vie de ces deux petits êtres, la famille s’envole, reste la maman anéantie, hurlant toute sa douleur, les yeux remplis de larmes. Maman la prend par les épaules et la guide vers notre maison. La voisine est un automate. Maman essaye de garder son calme mais les larmes ruissellent sur ses joues. Sans un mot devant cette tragédie, elle installe la voisine sur une chaise devant notre table de cuisine. Mais la voisine n’est plus là, juste reste son corps. Son regard est vide, fixe. Elle est descendue dans les ténèbres. Pendant ce temps, mon papa est resté avec son mari effondré et le chef pompier. Au contraire de sa femme, il veut se ruer dans les décombres. Il n’a pas encore pris conscience de la situation. Sa femme a compris sans aucun mot, il faut au chef pompier tout le courage qui lui reste pour mettre des mots sur la situation. Il croise le regard de mon père et lui fait un petit signe. Il va avoir besoin de lui pour soutenir ce papa quand il va prononcer la terrible nouvelle. Papa approche et le tient. Le chef pompier regarde alors le reste du brasier fumant et se tourne vers l’homme.
« Monsieur, je suis désolé mais vos enfants n’ont pu être sauvés. Mes hommes viennent de m’avertir, vos enfants sont restés coincés derrière la fenêtre de leur chambre », dit-il.
Le voisin hurle alors à son tour. Le choc le saisit aussitôt. De nerveux sur ses jambes, il devient en l’espace d’une seconde, une marionnette. Mon papa est là et le maintient. Il demande au chef de l’aider à l’asseoir sur la bordure du trottoir. Il ne veut plus bouger, sa vue est fixée sur les décombres. Sa vie de papa est anéantie. Il est désormais un papa vivant avec seulement le souvenir de ses deux êtres d’amour… Leur famille n’est plus. Le chef se rapproche de mon papa. Tous les deux ont le regard voilé, les yeux rougis. Une scène horrible, insoutenable, vient de se produire sous leurs yeux. De l’état d’agitation et de réaction face à l’urgence, ils voient le brasier canalisé mais beaucoup trop tard. Ils prennent à leur tour conscience de l’horreur de la situation. Le chef pompier demande à mon papa s’il peut emmener le voisin rejoindre sa femme. Papa acquiesce. Mais en se tournant vers le trottoir plus personne. Le voisin a disparu. Papa court vers notre maison, ouvre la porte et voit juste la voisine. Il retourne sur ses pas. Avec le pompier, ils le cherchent du regard. Personne ne l’a vu. Le chef aussitôt demande à mon papa :
« Y a-t-il un endroit dangereux autour de nous ? Une mare, un lac, une rivière tout près d’ici ? » Sans aucun mot, mon père se précipite dans l’ombre des maisons, suivi du chef et de quelques pompiers. Ils courent tous vers la rivière qui se situe à quelques mètres dans un champ. Dans l’obscurité, ils se dirigent à l’instinct. Ils ont les pieds qui s’enfoncent dans le champ humide. Ils appellent le voisin. Chacun craignant de le retrouver trop tard.
Soudain, mon père stoppe et fait signe aux personnes qui l’accompagnent. On entend des gémissements, quelqu’un pleure, quelqu’un est là. Papa se dirige vers lui. Les larmes inondent les yeux du voisin. Il est effondré par terre dans la boue, face au sol. Son visage est à demi sali. Il gît à terre, le regard vide. Mon papa s’agenouille auprès de lui, passe les bras autour de ses épaules. Il prend sa tête dans ses bras pour lui permettre de la relever du sol. Le voisin se laisse soulever, puis il tourne ses yeux vers mon père. Il semble être quelqu’un d’autre, il prononce : « Je viens de perdre la plus belle chose de ma vie, mes enfants sont morts, je mérite de les rejoindre, je n’ai pas su les protéger, les sauver, je ne mérite pas de reste là, je veux les rejoindre ! » Papa avec l’aide des pompiers le remet sur ses deux jambes et lui dit :
« Allez viens, on va rejoindre ta femme, elle a besoin de toi ! » sur ces quelques mots tout le monde fait demi-tour et se dirige vers les décombres. Ils passent devant la maison consumée et chacun regarde le sol. Tous voudraient tellement que tout ceci ne soit qu’un cauchemar. Pour le moment aucun n’a le courage de reposer les yeux sur les restes des braises. La seule pensée que deux enfants ont péri là sous leurs yeux, leur est insupportable, impensable, la nausée est installée dans chacun des estomacs. Une odeur insoutenable s’échappe encore des restes de la catastrophe. L’odeur du drame, de l’horreur, de la mort.
Une fois le feu canalisé, les pompiers se dirigent vers notre domicile. Ils font des allers et retours avec un geste envers les victimes. Mais chacun sait qu’aucune chose ne peut atténuer la douleur de ces parents. D’autres pompiers apportent des couvertures qui ont subi l’assaut de la fumée et de cette terrible odeur. Ils les mettent dans notre baignoire et les arrosent. Beaucoup de voisins sont réveillés. Ils ont, à leur tour, apporté des vêtements, des couvertures. Malheureusement les autres plaids sont inutiles. Le voisin vient rejoindre une chaise autour de la table de cuisine. Il regarde sa femme, ne sachant que dire, que faire. Leur vie est endeuillée. La plus terrible des choses qui puisse arriver à des parents. Ils n’ont pas perdu un mais deux enfants. En l’espace de ces quelques minutes insoutenables leur vie a basculé dans l’horreur, dans l’enfer sur terre. Les deux parents sont partis ailleurs. Leur regard se fixe sur une tache de la table. Maman a posé une cafetière fumante sur la table avec des tasses. Quelques pompiers ont accepté cette petite boisson. Mais aucun ne reste la boire là. Chacun ressort tasse en main. Un médecin arrive. C’est lui qui vient prendre en charge les parents. Dans un premier temps, il s’installe à leurs côtés. Calmement, il saisit la main droite de la maman puis la main gauche du papa. Son regard se pose sur l’un puis sur l’autre. Chacun dans la pièce a des larmes plein les yeux, pleurant en écrasant dans leur gorge des sanglots.
Même le chef des pompiers est là avec son regard mouillé. À part des sanglots, le bruit d’une cuillère remuant un café, aucun mot n’a encore été prononcé. C’est le médecin qui brise le silence. Ayant rassemblé devant lui la main de l’un et de l’autre il les fait s’accrocher et dit :
« Vous êtes encore avec nous, vous allez devoir venir avec moi dans un camion de pompier. Nous allons allez à l’hôpital où l’on va s’occuper de vous. »
Le médecin tourne son regard vers la maman, vers le papa et comprend que malgré tous les mots de la terre aucune personne n’arrivera pour le moment à les sortir de leur terreur. Ils sont juste là, posés sur une chaise mais leur cerveau est anesthésié, anéanti. Deux pompiers encadrent l’un puis l’autre et les guident vers leur camion. Les gyrophares tournent. Tout le voisinage est là. Malgré le grand nombre de personne aucun bruit ne vient troubler leur trajet. Une lourdeur s’est installée sur la cité pavillonnaire où il y a encore quelques heures les rires, les jeux d’enfants, le « bonjour bonsoir » entre voisins venaient animer le quartier. Chaque âme présente en cet instant, en ce lieu, ne sera plus jamais la même. Personne ne pourra oublier ce moment terrible, chaque famille de cette résidence a en cette nuit pris la même décision. Quitter au plus vite ce quartier. Fuir cet endroit devenu l’endroit le plus sordide de leur vie. Le lendemain matin nos grands-parents maternels viennent nous chercher, ma sœur et moi. Nos parents ont vécu le drame en son cœur. Ils ont été les premiers sur les lieux et quelques heures après leurs nerfs lâchent. Maman décide de faire le tour du voisinage et de récupérer tantôt des vêtements, tantôt des affaires de toilettes, tantôt des valises. Quelques affaires qui pourront être utiles aux pauvres parents toujours hospitalisés. Le médecin leur a administré un puissant sédatif. Les parents de chacun étant venus à leur chevet. Mais les heures et les jours à venir seront encore bien difficiles. Dans ce brasier, se sont envolées deux âmes d’enfants. L’une de cinq ans, cette petite fille adorable, qui se promenait souvent dans la petite cour devant la maison. Elle adorait tenir la petite menotte de son petit frère. Elle l’aimait tellement ce petit bonhomme frisé et blond. Ils étaient tellement mignons. Tous deux ont rejoint les étoiles. Ils sont partis beaucoup trop tôt vers un autre monde. Une cérémonie est organisée pour leur dire un dernier adieu. Personne ne peut imaginer le climat, la lourdeur, qui s’échappe de cette église. Deux petits cercueils blancs reposent devant l’autel. Malgré le discours du prêtre qui prône que Dieu a rappelé à Lui ces deux petits êtres purs, l’injustice, la colère sont encore présentes dans les esprits. Mais il faut clôturer ces quelques jours en enfer. Il faut malgré tout continuer…
On oublie avec toute cette horreur les causes de cet incendie. Une enquête a été ouverte. Il s’avère que c’est l’installation électrique qui a causé ce désastre. Des professionnels ont été envoyés sur le terrain et ont contrôlé chacun des logements. Chaque locataire vit non seulement avec les décombres sous ses yeux mais aussi avec la peur au ventre qu’un autre incendie survienne. C’est pourquoi au fil des mois les déménagements s’enchaînent.
À la suite de tout ça, mes parents ont pris rendez-vous avec leur banque et se mettent à chercher une maison. Les visites de maisons deviennent nos promenades du week-end. Mes parents ont orienté leurs recherches sur des maisons à restaurer, de préférence à la campagne avec un petit terrain. Après plusieurs visites, ils ont un coup de cœur. Cette maison est située en bord de route, c’est une bâtisse ancienne avec un beau cachet. Après les démarches bancaires, mes parents ont les clés de leur maison à restaurer. Une femme âgée y vivait, une pièce principale servait alors de cuisine et de chambre. Mon papa a un cousin architecte. Ils se mettent au travail, effectuant des plans, chiffrant aussi le coût des travaux. Mes parents veulent déménager le plus rapidement possible. Le sol, les portes et les fenêtres sont les travaux prioritaires.
Pendant quelques mois papa fait des navettes. Il fait sa journée de travail et le soir après une petite halte à la résidence, il se change et prend la direction de la nouvelle maison, accompagné de notre chien Nak. Nak est d’ailleurs le premier à y prendre ses quartiers. Ayant un terrain de 1 500 mètres carré, le chien se sent libre dans ce grand espace. Ayant commencé les travaux, la maison abrite des matériaux. Notre Nak fait le gardien. Mes parents ont signé en mai 1979. En janvier 1980 nous y emménageons.
Au début, la cuisine, et la salle de bain ne sont pas en fonction. Grâce au courage de mes parents, de la famille et des amis, toutes les pièces du bas sont rapidement terminées. La pièce à vivre devient le salon. Une cloison est faite avec un coin salle à manger. Une marche à l’arrière du salon mène à la cuisine. Les toilettes et la salle de bain sont intégrées dans les anciennes caves. Mes parents, après tous ces travaux, décident d’agrandir la famille. Ma sœur a six ans, sa scolarité se déroule correctement et elle s’épanouit. Elle se fait comprendre tantôt par des gestes, tantôt par des petits mots qu’elle essaie de former. Je prends mes quatre ans, un mois seulement avant la naissance de mon petit frère Guillaume. C’est un très beau bébé et un garçon. Papa est fier, il sait que notre patronyme pourra être transmis.
Quelques travaux restent à terminer. Nous passons encore quelques mois à camper dans la pièce à vivre. Une ouverture est faite et les combles vides sont aménagés en trois chambres. La plus grande pour mes parents, située à droite de l’escalier, deux chambres d’enfants à gauche. L’escalier est quelque temps une simple échelle. Cette maison devient rapidement le rassemblement familial du week-end. Les amis, la famille aident mes parents dans les travaux d’intérieur.
Nous avons notre nid. Papa travaille toujours comme fonctionnaire et évolue. Il décide de partir en stage et valider un CAP BEP2 de peintre en bâtiment et aménagement des sols (moquettes, linos). Il a goûté à toutes ces activités pendant les travaux et après une restructuration des postes au sein de la ville, il obtient rapidement un poste de peintre. Maman s’occupe de nous emmener à l’école, de préparer nos repas. Elle reprend aussi son travail d’assistante maternelle. Elle a la visite de l’assistante sociale du secteur pour valider son agrément.
Nous prenons nos marques dans cette maison. Entre école et campagne, nous grandissons tranquillement.
2 Certificat d’Aptitude Professionnelle. Brevet d’Études Professionnelles.
Connaissant la situation du handicap, maman est contactée par un centre de jeunes handicapés. Les parents d’une jeune fille de quinze ans cherchent une famille pour l’accueillir le soir pour qu’elle ne soit plus interne. Nous nous rendons en famille visiter cette jeune Claire. À notre arrivée, nous sommes accueillis pour une équipe pédagogique : éducateur, infirmière, professeurs.
DESTIN. Coup de cœur réciproque avec la jeune fille. Toute l’équipe le voit. Mes parents expriment l’envie de l’accueillir et Claire a le visage qui s’illumine. Une pause quotidienne, une évasion de ce centre lui paraît obligatoire. Claire a un handicap moteur. Le centre accueille toutes les formes de handicap : moteur, psychologique, certains mêmes ligotés à leur fauteuil avec un collier cervical, un corset pour les maintenir droit, des handicaps très lourds. Mes parents sont sensibles à son besoin de s’évader quelques heures, le soir et le matin en partageant notre quotidien. Un autre rendez-vous, le vendredi soir, est pris avec ses parents qui viennent la chercher pour le week-end. Cette fois, c’est chez nous que la rencontre aura lieu.
Le vendredi, le papa de Claire la prend dans ses bras de leur voiture, suivi de sa maman qui sort le fauteuil roulant. Nous sommes très contents de nous revoir. C’est avec plaisir que nous leur faisons la visite de notre maison. Nos chambres sont à l’étage mais le coin salon est vite désigné pour y mettre la « chambre » de Claire. Une solution qui l’enchante. Ses parents sont surpris de l’enthousiasme général. J’ai le même âge que son petit frère qu’elle adore. Une relation particulière s’installe directement entre nous. Ma sœur accueille aussi Claire sans aucun problème. Le handicap ne la heurte pas et pour cause. Le regard curieux et parfois médisant des autres on connaît. Quant à mon petit frère, tant qu’il est dans les jupons de maman rien ne peut le perturber.
Le lundi soir, Claire débarque du petit bus scolaire avec ses valises. Le temps passe vite entre les devoirs, les toilettes, les repas. Un rythme quotidien s’installe. Ma complicité avec Claire amènera ma maman à la charger de me faire faire mes devoirs. Une chose a frappé ma maman. Je suis en CP (Cour Préparatoire) et j’apprends à lire. Claire n’a que peu de notions de tout cela. Alors maman seconde et explique mes devoirs. C’est ainsi qu’au bout de quelques mois, Claire a enrichi ses connaissances. Elle est aussi complice de mon apprentissage des mathématiques avec les tables. Maman nous met aussi à contribution pour la préparation des repas en nous apprenant à éplucher des légumes, préparer une pâte à crêpe…
Les jours s’écoulent gentiment avec la routine et le partage de repas. Claire est vite à l’aise et nous partageons souvent des fous rire. Près d’une année s’écoule ainsi. Claire partage parfois des week-ends avec nous, à sa demande. Ses parents habitent en appartement et lorsque les beaux jours arrivent, elle aime rester à la campagne. Elle a des sœurs et un frère. L’appartement de ses parents lui semble parfois exigu. Mais elle adore nous parler d’eux et le manque de son petit frère se fait parfois sentir dans sa voix. Mais un coup de fil et hop elle repart. Avec son sourire, son esprit espiègle, elle partage notre vie de famille. Elle nous donne une belle leçon de vie et de courage. Juste une note dans ce quotidien vient la perturber.
L’assistante sociale nous rend régulièrement visite. Elle remarque la bonne ambiance de notre famille. Elle propose à mes parents de devenir famille d’accueil pour des enfants en placement de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales). Après mûre réflexion, mes parents font les démarches auprès du département. S’ensuit un dépôt de dossier, des visites en famille chez un psychologue et une validation de notre habitat par l’assistante sociale. Une fois toutes ces démarches effectuées, mes parents reçoivent l’agrément pour accueillir à temps complet un enfant. La demande de placement est malheureusement élevée et très vite une proposition est faite à notre famille. L’assistante sociale vient un soir. Elle arrive avec un dossier et la photo d’un petit garçon.
Il a deux ans de moins que moi. Il est comme Angélique, non-entendant. L’assistante sociale nous le décrit. Il est en famille d’accueil mais son adaptation ne se passe pas comme souhaité, un problème de communication. L’assistante sociale nous explique qu’il a un traitement médical assez lourd avec prise de calmant, il est souvent agité. Le but de son placement chez nous est donc pour qu’il puisse rencontrer une enfant comme lui. Qu’il intègre l’école spécialisée à sa surdité. Après une discussion familiale, avec les gestes joints à notre entretien pour ma sœur, la décision est prise. Maman va se rendre avec mon papa dans la semaine visiter Gaëtan. Un petit brun avec de grands yeux bleus et une bouille adorable. Mon petit frère aura un compagnon de jeu pour faire des courses de petite voiture. Juste quelques semaines s’écoulent avant l’arrivée de Gaëtan. La seule qui ne valide pas à 100 % sa venue est Claire. Une pointe de jalouse peut-être ?
Jour J. Pour nous c’est un changement important dans notre quotidien. Gaëtan fait désormais partie intégrante de notre famille. Il arrive un matin avec l’assistante sociale et son papa. Ses yeux s’arrondissent derrière ses lunettes, il connaît déjà mes parents mais découvre trois autres personnes : une fillette avec des lunettes, toute fluette avec des cheveux blonds qui sourit, c’est Angélique. Une autre plus rondouillarde, châtain foncé, c’est moi. Un petit garçon blondinet avec de belles boucles jusqu’aux épaules et la peau rougie par l’eczéma, mon petit frère Guillaume.
Tout d’abord nous faisons les présentations avec le papa. Un homme aux cheveux bruns le teint un peu typé. Il converse avec mes parents sur la situation dans laquelle il se trouve. Je ne rentre pas dans les détails personnels de sa famille cela leur appartient. Quand Gaëtan voit ma sœur s’exprimer, un sourire illumine son minois. Je m’adresse (en lui faisant signe) à lui en l’invitant à visiter notre maison.
Nous faisons le tour du propriétaire. La cuisine, la salle de bain, les toilettes, salle et salon (reconverti en chambre pour Claire).
Nous montons : la chambre de mes parents, ensuite celle de ma sœur et moi et puis vient la dernière. Nous lui indiquons que désormais cette pièce sera SA chambre, avec mon petit frère. Nous lui faisons comprendre en joignant nos mains le long de nos visages pour faire le geste dormir, puis avec notre index « Toi ». Nous déposons ses affaires au pied du lit et redescendons. Son papa et l’assistante sociale nous saluent, il est temps pour eux de repartir. Le papa de Gaëtan est surpris de voir son fils avec un sourire sur les lèvres. Gaëtan se trouve en présence d’une petite fille comme lui, cela le met en confiance. Il sait que son papa doit repartir. Il a déjà connu un premier placement. Désormais nous ne serons plus cinq ou six matin et soir mais six ou sept…
Les premiers mois ne sont pas simples. Gaëtan a un traitement médical lourd pour canaliser son comportement. Après un entretien avec notre médecin traitant, un Cambodgien adorable qui vient d’arriver en France, la décision d’arrêter ses médicaments s’impose. Gaëtan fait aussi sa rentrée scolaire avec ma sœur, et nous à l’école d’à côté. Mais mon frérot fait de brefs passages en maternelle car son eczéma l’handicape. Les premiers mois de sevrage sont compliqués pour Gaëtan. Il a parfois des pertes d’équilibre, des chutes. Le temps aidant, il arrive à faire sans traitement. Il prend ses marques au sein de notre famille, une complicité s’installe très vite. Il découvre la joie de communiquer en signant. On le comprend et enfin il peut, à son tour, nous répondre.
Notre quotidien s’est amélioré financièrement. Mes parents ont un revenu supplémentaire. Les journées de la semaine sont bien remplies entre le petit déj’ à 7 heures, le midi maman et papa me récupèrent avec Guigui pour déjeuner. Le soir, quand je suis seule à l’école, je gère ma sortie de classe. Je continue de squatter les classes. Je récupère Gaëtan au quartier des petits et ensuite nous allons dans le quartier des grands chercher Angélique. Papa nous prend à l’entrée où Catherine, cachée à l’accueil derrière son petit hublot en plastique transparent, nous surveille.
Voilà le rythme est pris, chacun trouve sa place. À cette époque je n’ai qu’une amie Mélanie. J’ai beaucoup de mal à me lier avec ceux de ma classe. Par contre, j’ai un lien spécial avec les camarades de ma sœur. Avec le recul et en écrivant ces mots, je m’aperçois que j’étais plus à l’aise avec les non-entendants.
Retour à la campagne le soir, devoirs pour moi, je suis déjà en CM1, douche repas. La routine quoi ! Mon petit frère prend cinq ans, Gaëtan en a sept, ma sœur onze et moi neuf. Les ressources de notre famille s’améliorent, mes parents parlent de partir en vacances en Bretagne et décident d’investir dans une meilleure voiture. Ce changement financier ne plaît pas à tous et de la jalousie pousse des personnes à nous faire du mal. Un matin l’assistante sociale appelle ma maman. C’est les vacances et nous sommes tous à la maison.
« Vous êtes assise madame F… ? lui dit-elle.
–Oui pourquoi ? dit maman.
–Les enfants sont à côté de vous ? demande-t-elle.
–Je suis à l’étage dans ma chambre, c’est les vacances et les enfants jouent ! répond maman avec l’angoisse qui monte. Pourquoi toutes ces questions, que se passe-t-il ? »
L’assistante sociale annonce : « J’ai quelque chose de grave à vous dire ! Certaines personnes ont fait un signalement concernant votre famille. Nous allons devoir ouvrir une enquête. Votre mari est soupçonné d’être alcoolique et de lever la main sur vous, Gaëtan et vos enfants. »
Maman est abasourdie. Des larmes se mettent à couler, elle ne sait pas quoi répondre. Elle est anéantie. L’assistante sociale lui indique que Gaëtan pourrait être retiré de notre famille et que ma sœur, mon frère et moi pourrions aussi suivre le mouvement. Maman réagit violemment. Elle se met à crier « NON ! »
À l’autre bout du fil, l’assistante sociale ne peut rester impassible. C’est elle qui a fait les démarches avec mes parents pour l’agrément. Son travail est remis en cause. Entendant la détresse de ma maman, elle l’informe qu’elle va venir en fin de journée. Il est 10 heures 30, mon papa va rentrer pour 12 heures 15 déjeuner. Elle demande à maman d’en discuter avec lui ce midi. Dès 17 heures 30, elle sera à nos côtés.
J’ai entendu le « NON » de maman. Quand elle raccroche, je vois les larmes qui roulent sur ses joues. J’ai neuf ans mais je comprends de suite qu’il se passe quelque chose de pas très réjouissant. Maman m’explique. Des gens méchants ont dit que papa s’enivre et qu’il nous tape. Pour la première fois de ma vie, je fais face à l’injustice. Pourquoi ? Qui ? Pleins de questions se bousculent dans ma petite tête. Papa rentre manger, en passant la porte, il voit nos visages tristes. Maman nous a expliqué à tous les quatre la situation, avec des mots et des gestes simples pour Angélique et Gaëtan qui doivent eux aussi comprendre pourquoi tant de larmes dans nos yeux. Papa est briefé le midi. Après le choc de l’annonce, vient celui de la colère. Mon père est très impulsif et de suite il s’énerve. « Qui a pu raconter de telles horreurs ? » Il est furieux. Oui, il aime partager un verre d’apéritif avec des amis ou de la famille, mais de là à être alcoolique. Nous ne mangeons pas grand-chose, l’appétit coupé. Nous devons attendre 17 heures 30 pour en savoir davantage. Papa repart au boulot, l’esprit troublé et les nerfs à vif. L’assistante sociale débarque, nous explique qu’une enquête va être menée auprès de nos écoles respectives et auprès de la mairie où papa travaille. Notre médecin traitant va devoir apporter son témoignage aussi. Ce qui nous stresse le plus c’est le mot « placement » qu’elle a prononcé le matin et mes parents veulent savoir QUI a osé avoir des propos aussi violents et méchants. Mes parents se mettent à douter de beaucoup de monde. L’assistante sociale donne quelques indications. Elle prend le temps de nous rassurer. Pour le moment, nous ne risquons plus rien. Elle a pris des renseignements auprès de ses supérieurs et nous restons ensemble tous les six. Après toutes ces nouvelles, elle informe mes parents qu’ils peuvent porter plainte. Le lendemain matin, à la première heure, mes parents sont à la gendarmerie pour déposer une plainte contre « X » pour diffamation. Après enquête de plusieurs mois, il est prouvé que ce signalement est une méchanceté gratuite et qu’en rien papa est coupable. Mes parents font front avec dignité.