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Avec la maladie, je suis en chemin vers Dieu, je marche comme je peux avec mes petits moyens. Je vis l’instant présent telle une grâce, la “grâce de vivre” aujourd’hui, le Seigneur étant mon rempart, mon refuge, mon bouclier. Je me suis plongé dans les mains du Seigneur, je me sens de plus en plus proche de lui, je ne suis pas angoissé devant la mort.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Menant un combat au quotidien contre la maladie,
François Audelan trouve la force de partager son vécu avec les lecteurs à travers l’écriture. Dans
Je marche sur les eaux, il expose ses moments de souffrance, de lassitude, de désespoir, de doute, de confiance avec foi et espérance.
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Seitenzahl: 301
Veröffentlichungsjahr: 2022
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François Audelan
Je marche sur les eaux
© Lys Bleu Éditions – François Audelan
ISBN : 979-10-377-5839-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À nos filles, Laëtitia, Astrid et Céline
À son décès, François, mon époux, l’auteur, nous a laissé ce témoignage. Nous ne pouvons le garder pour nous. Nous vous offrons cette œuvre posthume.
Puisse-t-elle vous nourrir spirituellement dans le cheminement de votre vie, La Vie.
Chantal Audelan
Avec le Seigneur, je fais le maximum ;
ensuite, ce qui n’est pas en mon pouvoir,
Dieu s’en charge !
Symbolique de l’image
L’image présente sur la page de couverture provient d’une vue que j’ai prise dans les Alpes, du haut de l’aiguille du Midi.
Cette première page de mon témoignage représente le paradoxe de ma vie.
Je suis un amoureux des Alpes. Pour moi, la montagne est symbole de stabilité, de force tranquille, d’apaisement, de confiance, de courage et de joie. La montagne, c’est également le roc sur lequel je veux construire ma vie d’homme et ma vie de couple.
Matthieu 7, 24 – 26 :
Ainsi, tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique peut être comparé à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé ; ils se sont précipités contre cette maison et elle ne s’est pas écroulée, car ses fondations étaient sur le roc.
La phrase « Je marche sur les eaux » fait référence à ce que j’ai vécu dans la tourmente de la maladie, à ce passage de l’Évangile qui m’a conduit à accueillir la magnifique grâce d’abandon.
Matthieu 14, 24 – 32 :
La barque se trouvait déjà à plusieurs centaines de mètres de la terre ; elle était battue par les vagues, le vent étant contraire. Vers la fin de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent affolés : « C’est un fantôme » disaient-ils, et, de peur, ils poussèrent des cris. Mais aussitôt, Jésus leur parla : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » S’adressant à lui, Pierre lui dit : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. »« Viens » dit-il. Et Pierre, descendu de la barque, marcha sur les eaux et alla vers Jésus. Mais remarquant le vent, il eut peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus, tendant la main, le saisit en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
Préface
François Audelan a eu besoin de rédiger son parcours que nous allons lire ; cette rédaction a été pour lui une évidence en vue des lecteurs et une nécessité du fait de sa foi. La première fois que j’ai rencontré François, en janvier 2012, dans sa chambre semi-stérile à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, j’ai été touché par sa foi vécue et exprimée, par son accueil très respectueux du Saint-Sacrement en vue de la Communion qu’il souhaitait recevoir, chaque jour, grâce à l’équipe d’aumônerie à laquelle je participais. Son épouse Chantal était assise à côté du lit, parlant avec lui, accueillant elle aussi de tout son cœur ce moment très important pour François et le vivant avec lui : la communion du couple dans la Communion au Seigneur. Nous avons tous les trois fait un peu connaissance, nous avons prié ensemble, François a reçu la Communion et s’est longuement recueilli ; à mon retour au bureau de l’aumônerie j’ai partagé cette rencontre et ce moment avec les personnes de l’équipe qui m’ont dit être, elles aussi, touchées par la foi de François. Je n’oublierai jamais cette première rencontre, suivie de nombreuses autres fois durant lesquelles nous avons de plus en plus fait connaissance, partagé et prié ensemble.
En 2014, deux ans après le miracle, François commence à rédiger son cheminement, très simplement, en suivant la chronologie de sa vie. Cette rédaction est, comme il l’écrit, un témoignage pour le monde, témoignage de sa foi, la foi de l’Église, témoignage du miracle le 14 septembre 2012, témoignage au sujet de sa personne avec ses limites et ses fragilités. La synergie entre les trois témoignages, foi, miracle et personne, constitue le témoignage que François a besoin de proposer à ceux et celles qui pourraient en avoir besoin dans leur propre cheminement de vie : « Mon souhait est d’apporter le témoignage d’un être humain confronté à la maladie, mais avec pour compagnon de route le Seigneur et ses grâces », écrit-il au début de son récit.
Au fil des pages, François raconte sa vie, sur le mode narratif, depuis son enfance jusqu’aux dernières lignes qu’il a pu écrire ; la narration a sa source et son sens dans la relecture spirituelle qu’il fait de sa vie, relecture qu’il pouvait faire grâce, entre autres, aux Exercices de saint Ignace de Loyola qu’il a pratiqués avec la Communauté du Chemin Neuf, à l’accompagnement par un prêtre qui a été son père spirituel, à Chantal son épouse avec qui il partageait tout.
Au début de son récit, François explique le sens et le cadre de ce qu’il entreprend, et à la fin il écrit en conclusion tout ce qu’il a découvert dans son dense et intense cheminement. Tout au long de son récit, à chaque page offerte au lecteur, François cite la Bible, la Parole de Dieu à la lumière de laquelle il lit et relit toute sa vie, tout ce qui constitue sa vie : sa famille, son activité professionnelle, les expériences ecclésiales, la maladie, le miracle, le témoignage. Méthode, et plus encore manière de vivre sa vie en prenant de l’altitude, en cherchant le sens de celle-ci, sa source, sa direction et sa finalité, ce qui, pour le lecteur, peut être un témoignage précieux parce que réellement et concrètement vécu par François : « À mes contemporains, je ne souhaite qu’une chose : rencontrer Dieu, comme je le vis, dans la joie, la douleur et l’espérance. Je ne suis pas seul, Dieu est là avec moi, quoi que je fasse. »
François ne propose pas des démonstrations philosophiques et scientifiques de l’Existence de Dieu, il raconte comment il vit la Présence de Dieu qui est là, à tous les moments de sa vie, à chaque moment de la vie.
Après les pages du récit de sa jeunesse, François raconte longuement, avec de nombreux détails, les années de maladie qui fut « une bombe qui vous explose à la figure » comme il l’écrit : les examens, les traitements, l’état d’esprit lors des étapes vécues avec Chantal, avec sa famille, le moral fluctuant, la rencontre avec les personnels soignants, avec les équipes d’aumônerie, la foi dans laquelle tout est vécu. Et François raconte ce qu’il vit aux soins palliatifs et le 14 septembre 2012 : il est mourant, reçoit le sacrement des malades, et… « je me réveille et je demande à Chantal : Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » François est passé de la bombe qui explose à la grâce du réveil.
Que le lecteur lise lui-même ces lignes écrites par François pour en saisir la réalité et la profondeur, et aussi tout ce que François et Chantal vont découvrir : la date de naissance du bienheureux Père Jerzy Popieluszko le 14 septembre 1947, né le même jour et la même année que le Père Bernard Brien qui le 14 septembre 2012 donne le sacrement des malades à François ; la découverte de la vie et du martyre du Bienheureux Père Jerzy, la découverte de la Pologne, la procédure en vue de la canonisation du martyr polonais.
Ces pages interpellent le lecteur, l’interroge, l’ouvre à tout ce que François a découvert et vécu très concrètement, réellement, dans sa chair, dans son être tout entier. Et François partage aussi au lecteur ses propres questions, sa propre quête du sens de ce qu’il vit. Pages à lire, à relire, à méditer. Celui qui entre réellement dans ce récit en sort changé par le témoignage.
Le premier passage de la Bible cité par François, à la première page du récit de son cheminement, est une parole du Seigneur Jésus au sujet du roc sur lequel il est bon de bâtir sa vie pour qu’elle ne s’écroule pas lors des tempêtes (Matthieu 7, 24 – 26) ; et le dernier passage qu’il cite est un témoignage de l’apôtre saint Paul dans lequel il écrit : « C’est très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Corinthiens 12, 7 – 10).
Chantal m’a confié combien la Communion eucharistique au Seigneur était importante, vitale, pour François, et comment il la vivait chaque fois, ce dont j’ai été témoin lorsque je suis allé célébrer l’eucharistie chez eux après le miracle : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui », nous dit le Seigneur Jésus (Jean 6, 54 – 56).
Merci à Chantal de transmettre aux lecteurs les écrits de son époux.
Bonne lecture, bon cheminement avec ce récit témoignage que nous offre François.
Père Gilles Eslinger
Avant-propos
C’est difficile de parler de soi quand on a été élevé dans la discrétion. Si je narre mon histoire, ce n’est pas pour m’exposer, chercher une reconnaissance, une certaine notoriété. Non. Si je décide de prendre la « plume », c’est pour témoigner auprès de ceux qui n’ont pas emprunté le chemin qui a été le mien pendant plusieurs années.
Ce témoignage est un mélange de faits concrets, de sentiments ressentis au travers de différentes situations vécues. Je n’aurais jamais imaginé le chemin qui fut le mien.
Après plusieurs années de réflexion sur mon parcours, j’ai reçu cette image : ma guérison physique n’est que la partie visible de l’iceberg. Sous la surface de l’eau, il y a tout ce cheminement qui me semble beaucoup plus important que cette guérison inexpliquée. Avec le recul pris par rapport à cette cascade d’évènements éprouvants pour moi et ma famille, je pense que la guérison intérieure est essentielle pour pouvoir vivre au mieux, si possible, la déstructuration physique et psychique qu’entraîne la maladie.
Mon souhait est d’apporter le témoignage d’un être humain confronté à la maladie, mais avec pour compagnon de route le Seigneur et ses grâces.
Je préviens les personnes qui me liront : je n’ai pas de recette magique. Je ne suis pas un super chrétien, j’ai comme tout le monde des combats, des doutes, des interrogations. J’ai traversé et je traverse encore, aujourd’hui en 2014, des régions arides où le Seigneur me paraît bien absent. J’ai vécu et je vis encore des moments de plénitude, de paix dont je fais mémoire quand le temps se couvre et que l’orage gronde. J’ai constaté que, chaque fois que je fais un pas vers Dieu, je dois m’attendre à une tempête morale ou physique. Celui que certains prêtres ne veulent pas nommer ou qu’ils regardent avec beaucoup de distance, voire d’ignorance, est bel et bien présent dans ma vie. Pour moi, le Malin est au sein de ce monde, le nier, c’est lui faire la place, toute la place.
Lors d’un enseignement reçu pendant une retraite selon les Exercices de Saint Ignace, un intervenant nous expliquait la chose suivante :
Notre cheminement avec Dieu est comme une ligne ascendante. Plus nous avançons vers lui, plus nous sommes heureux. Mais attention, le Malin est toujours présent sous cette ascension vers le Père. Il peut très bien s’infiltrer sans que l’on s’en rende compte et nous faire chuter au moment où on s’y attend le moins.
J’en ai conclu que je dois toujours être sur mes gardes, pas obsessionnel, mais attentif, veilleur.
Durant ces années de voyage dans la maladie, j’ai reçu des grâces pour m’aider à vivre le présent, des lumières pour me guider dans ce long périple.
Si je me décide, en 2014, 2 ans après ma guérison, à rédiger mon parcours, c’est pour répondre à un besoin. Besoin de témoigner pour ce monde sans beaucoup d’espérance, ce monde absorbé par le matérialisme, l’argent : un monde sous la coupe du pouvoir des médias de raconter tout et n’importe quoi, de nous abreuver de futilités. Besoin de dire aux personnes qui me côtoient que je suis un homme avec ses limites, ses fragilités.
En premier lieu, je tiens à remercier mon épouse. Nous avons traversé cette épreuve ensemble. Elle a été un soutien inconditionnel dans ce combat contre la maladie. Dans ces temps où un couple sur deux divorce, il me semble indispensable de souligner l’importance du sacrement de mariage que nous avons reçu en 1980.
Merci également à mes enfants qui m’ont porté et encouragé. Leur présence m’a permis de redoubler d’efforts. Se battre pour soi est une chose mais se battre pour les siens décuple les forces.
Merci à l’équipe des aumôneries des hôpitaux de Mondor et de Chenevier qui m’ont soutenu en m’apportant chaque jour l’Eucharistie. Merci pour leur présence, leur partage ; c’est plus qu’un service, c’est une rencontre.
Ne soyez pas surpris si, dans ce récit, je commence par vous parler de mon enfance. Je crois énormément aux racines. Les parents nous accueillent dans leur amour. Les miens, j’en suis sûr, avec leurs grandeurs, leurs faiblesses et leurs limites, ont tout fait pour mon bonheur.
C’est le terreau qui façonne tout être humain qui a eu la chance d’avoir des parents et nous permet de grandir, de prendre notre envol.
Bien sûr, une fois adultes, dans notre toute-puissance « relative », notre liberté « relative », nous avons le choix de bâtir ou non notre vie future sur ces valeurs humaines et chrétiennes. Nous avons le choix d’enrichir ou non ces valeurs. Nous avons également le droit de les contester, mais à condition d’en proposer de plus pertinentes et enrichissantes.
1 – Mon enfance
Les souvenirs de ma jeunesse que je vais évoquer, le ressenti que j’en ai éprouvé, n’engagent que moi. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en converser avec mes frères. Peut-être de la pudeur dans un monde d’hommes où la sensibilité est difficile à exprimer. Une relation où la difficulté à communiquer entre nous est réelle. La question est posée, reste à y répondre ?
Je suis issu d’une famille catholique pratiquante. Ma mère, très croyante, a entraîné mon père, élevé dans une famille pour qui la religion se résumait à : baptême, communion, mariage et enterrement.
Je suis le troisième d’une fratrie de cinq enfants. Le début de la vie de notre famille a été marqué par un double drame. Ma sœur Catherine, mon aînée, décède d’une grippe à l’hôpital, à l’âge de trois ans et demi. Six mois après, ma mère accouche de jumeaux dont l’un : Bruno, décède quelques jours après sa naissance. À cette époque, j’avais deux ans et demi.
Mes parents, ne souhaitant pas nous faire porter la douleur de la souffrance, décident un silence total ; cette chape de plomb sera omniprésente jusqu’à mes quarante-cinq ans.
Aucune photo de ma sœur.
Destruction des films pris par mon grand-père maternel et sur lesquels Catherine apparaissait.
Absence totale de discussion avec mon frère aîné Philippe au sujet de ma sœur.
Néanmoins, durant mon enfance, je m’interroge :
À la prière du soir, nous récitons, mes parents, mes frères et moi, un « Notre Père » et un « Je vous salue Marie » et terminons par la phrase : « Catherine et Bruno, protégez-nous. » Je répète cette phrase machinalement jusqu’au jour où je me pose la question. Qui sont Catherine et Bruno ? Pourquoi nous protéger ?
Lorsque nous allions faire des courses près de l’église, nous faisions un détour lorsqu’il y avait un enterrement.
Un Noël, mon petit frère, jumeau de Bruno, a souhaité avoir une petite voiture, une ambulance ! Regard sombre de ma mère ; sa souffrance était visible mais elle ne disait rien.
Une réflexion faite une fois par une restauratrice, à Rouen, lorsque papa vient payer l’addition : « Vous avez trois beaux garçons, c’est dommage que vous n’ayez pas en plus une fille ! »
Alors je cherche : à environ huit ans, lorsque mes parents partent en réunion « d’Équipe Notre-Dame », je fouille un jour la commode de leur chambre. J’ai repéré que le premier tiroir était étrange. Maman ne l’ouvrait jamais pour ranger le linge ; bizarre ! Un tiroir à trésors ? Je découvre des photos, un filet rempli de pièces dorées. J’en ouvre une, c’est du chocolat !
Je mange le délicieux contenu… Plus tard, ma mère en constate l’absence ; souffrance dans ses propos et son regard. Ces pièces étaient un cadeau acheté à Paris pour ma sœur. Celle-ci ayant fait une colère, maman les avait gardées. Ma sœur était tombée malade entre temps puis était décédée.
Un jour, ma grand-mère maternelle me demande d’aller chercher quelque chose dans sa chambre. En entrant, je découvre sur la commode la photo d’une petite fille. Je redescends et j’ose lui poser des questions sur cette photo. Elle me répond succinctement en me demandant de garder cela secret : c’est ma sœur décédée d’une maladie rare.
Ce silence assourdissant ne m’invite pas à renoncer à comprendre ce sentiment d’absence. En novembre 2000, j’effectue une anamnèse1 afin de connaître la raison qui me bloque pour exprimer ma louange au Seigneur. La réponse m’éclate en pleine figure : ma sœur me manque toujours au bout de quarante-quatre ans d’absence et je ne sais rien sur sa vie, ses joies, ses peines, son caractère.
Au cours de la session, j’écris un courrier à mes parents pour leur demander :
De retour chez moi, je n’ai plus de nouvelles de mes parents pendant trois semaines… Pourtant, Chantal, mon épouse, passait régulièrement chez eux, l’école de nos filles étant proche de leur domicile. Ils ne lui demandaient aucune nouvelle me concernant. Chantal, choquée, me déclarait : « j’ai l’impression que tu n’existes plus pour tes parents ».
Mon courrier les avait blessés, je suppose, au plus haut point !
Plusieurs semaines passèrent, un samedi matin, je fus convoqué par mes parents. Ils m’ont reçu dans le salon et non dans la salle à manger comme de coutume. Le message était clair, l’instant était grave ! Face à moi, mes parents, l’air sombre :
MA MÈRE : Nous avons reçu ta lettre… On ne comprend pas ! Qu’est-ce que tu veux savoir ?
MOI : J’aimerais que l’on puisse parler de ma sœur, avoir une photo d’elle.
MON PÈRE : Je ne comprends pas toute cette histoire, tu n’avais que deux ans ! Alors, tu ne te souviens de rien ! Ce sont des histoires…
J’essaie avec mes pauvres mots d’expliquer ce que je ressens dans mes tripes. Peine perdue, le dialogue n’est pas possible. Ils sont dans leur douleur ; moi, je dois me tenir à l’écart. C’est comme s’ils me déclaraient : « Circule mon fils ! C’est notre douleur ! Tu ne peux pas comprendre ! De quel droit t’immisces-tu dans notre histoire ? »
Le Noël suivant cet entretien, mon plus jeune frère et moi recevons une enveloppe. Dans chacune d’elle, une photo de notre sœur Catherine ! Mon frère me regarde avec un air interrogateur. Je lui explique, discrètement, le pourquoi de cette photo. Pas de commentaire de sa part…
Je ressens toujours cette impression d’être l’empêcheur de tourner en rond… C’est que je soulève à nouveau le couvercle de la boîte à souvenirs si bien fermée des années durant…
Je n’en saurai pas plus pendant encore un an.
Ce n’est qu’à l’âge de cinquante-six ans que je vais enfin connaître la vraie raison du décès de ma sœur : une grippe que le médecin de famille avait diagnostiquée comme bénigne mais qui s’est révélée mortelle.
Avec cette révélation, des éléments, jusqu’ici inexpliqués, s’éclairent :
Quand le médecin de famille venait nous rendre visite pour un rhume, ma mère lui demandait, inquiète, s’il était sûr de ce qu’il avait constaté ? Une fois, j’ai même entendu ma mère lui dire : « Vous comprenez, moi je veux être sûre de ce que vous dites, parce qu’une fois cela ne s’est pas fini comme ça… »
Intérieurement, je me disais : « Tiens ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »
Et jusqu’à ce que nos filles aient dépassé l’âge de trois ans, nous sentions ma mère aux aguets pour le moindre rhume !
Je ne condamne pas mes parents ; ils ont réagi avec leurs moyens, leur ressenti. Ce qui a conduit ma mère à tout taire, je n’en sais rien. Cette décision lui appartient. Cette position a été renforcée par le vécu d’une de ses amies : cette femme a perdu un frère et durant toute son enfance, sa mère n’a eu de cesse de lui parler de ce frère disparu, de l’emmener au cimetière régulièrement… Cette femme a eu sa jeunesse gâchée. Maman a pris le contrepied. À cette époque, point de psychologue ; les psychiatres, c’était pour les fous. Au sortir de la guerre, le mot dépression nerveuse était proscrit.
À cela s’ajoute ce qui concerne le passé de mon père, sa vie professionnelle et sa maladie qui m’ont fortement marqué.
Mon père était fils unique ; mes grands-parents dirigeaient une entreprise de confection à Paris. Ils vivaient centrés sur leur entreprise et leur couple. Mon grand-père n’avait pas connu la tendresse dans sa jeunesse ; ayant été élevé en pension, il était incapable de manifester de l’affection à son fils. Il avait repris la manufacture de confection de sa mère. Celle-ci, menant grand train, lui avait légué une entreprise au bord de la faillite et mon grand-père a débuté sa vie professionnelle avec la peur du manque d’argent.
Il rencontra ma grand-mère qui était à l’époque caissière chez un mandataire aux Halles de Paris. Cette femme avait un caractère très rude. Pour situer le personnage, le jour où mon grand-père lui avait déclaré sa flamme, il avait reçu pour réponse une claque !
Cette femme a eu dans sa vie trois passions : son mari, le travail et l’avarice. Elle aimait amasser l’argent. Ayant une fibre maternelle quelque peu atrophiée, elle confia mon père, dès les premiers mois de sa vie, à sa propre mère.
Papa fut donc élevé dans la ville de Laval par sa grand-mère maternelle.
De ses parents, mon père a reçu très peu d’amour et en a beaucoup souffert.
Pour donner le ton du type de relation qu’il a vécu, je vais relater deux exemples :
Après son bac, mon père a voulu faire l’école Navale et s’en est ouvert à ses parents. Ceux-ci lui ont répondu que la charrette à bras l’attendait dans la cour, pour effectuer les livraisons aux grands magasins. Point final !
Un jour, à l’atelier, mon père a osé contredire son père sur une méthode de travail. Pour réponse, mon grand-père lui a envoyé un ciseau de tailleur à travers la pièce. Celui-ci s’est planté dans le mur à côté de mon père. Fin du dialogue !
Une fois marié, mon père, voulant à tout prix évoluer, s’est inscrit à des cours du soir à l’école des Arts et Métiers, dans le but de devenir ingénieur textile. Pendant plusieurs années, il a travaillé soirs et week-end pour décrocher cet examen. Peine perdue… Pour valider son diplôme, mon père devait réaliser un stage en entreprise. Mes grands-parents ont refusé. Papa, ayant charge de famille et étant marqué par le décès de ses deux enfants, s’est résigné. Il est resté dans l’entreprise familiale. Quelques années après, il a été frappé par la maladie de Crohn…
Néanmoins, papa s’est beaucoup battu pour faire évoluer l’entreprise. Dans les années 1960, c’était l’avènement du nylon. Mes grands-parents ont refusé de développer ce produit. Ils n’y ont consenti que lorsque toute la profession en a proposé et que la fin du produit s’est amorcée. Plus tard dans les années 1970, il a voulu développer le jean. Nouveau refus !
Papa était payé avec un lance-pierre. Il n’était pas rare que sa paie arrive à la maison le 10 du mois suivant…
Pendant des années, mon père a mangé à la gamelle, dans une chambre située en dessous de l’atelier, tandis que mes grands-parents déjeunaient tranquillement dans leur salle à manger. Ils ne lui ont proposé de partager leur repas qu’après l’enterrement de ma sœur. Mais économie oblige : ils lui retenaient le prix du repas sur sa paie…
Autre blessure, mes grands-parents n’ont pas jugé utile de venir à l’enterrement de mon frère : un enterrement, soit ! Mais deux en six mois, c’était trop ! Les affaires avant tout ! J’en aurais des pages et des pages à raconter d’humiliations, de manques d’amour…
Mon père a bien essayé de changer de travail mais la conjoncture des années 70 ne s’y prêtait pas. L’industrie textile était en pleine crise.
Pratiquement tous les soirs, il nous racontait ses déboires de la journée avec ses parents. L’ambiance à la maison était lourde. Maman essayait de trouver des points positifs dans cette vie professionnelle sans perspective, sans reconnaissance. Les parents de ma mère lui disaient de patienter : un jour ou l’autre, ses beaux-parents se retireraient à la retraite… En vain ! Mon grand-père est mort au travail et ma grand-mère est décédée à quatre-vingt-cinq ans, en étant toujours dirigeante de l’entreprise.
Mon père souffrait vraiment de l’absence d’affection de ses parents. Nous passions le dîner en compagnie de la télévision pour essayer de faire diversion…
Par ailleurs, la mauvaise santé de mon père était un sérieux handicap.
En 1963 – j’avais sept ans – après plusieurs mois de recherches de rendez-vous auprès de différents médecins et professeurs, on a découvert qu’il était atteint de la maladie de Crohn. Il devait être opéré mais il avait une chance sur deux d’en sortir vivant. Il s’en est sorti, mais nous avons vécu toujours avec un père malade des intestins.
Cependant, quelle leçon de courage et de vie pour ses enfants ! J’ai été impressionné par son sens des responsabilités vis-à-vis de sa famille, son sens de l’engagement auprès d’autrui. Je lui dois beaucoup dans la manière dont je me suis construit dans ma vie.
Je ne voudrais pas que le lecteur pense que j’ai eu une jeunesse malheureuse. Au contraire, je dois remercier mes parents de m’avoir donné une éducation d’ouverture aux autres qui me rend sensible aux soucis d’autrui. Pour mes parents, l’Évangile n’était pas seulement la lecture et la méditation de textes mais son incarnation dans la vie.
J’ai vécu dans une maison qui était petite, mais grande ouverte sur la vie des autres. Ma jeunesse a été structurée et enrichie par différentes expériences de vie :
Mais du fait de cette enfance marquée par le silence sur la mort, par des rapports familiaux tendus avec mes grands-parents paternels, par une scolarité difficile, je suis parti dans la vie avec, dans la besace, d’un côté une envie de réaliser une vie meilleure que celle de mes parents, et de l’autre des craintes inconscientes : peur de la maladie, de la mort, du manque d’argent, du chômage.
2 – Le désert
Quelques années après mon mariage, je ressens un vide. Je me pose beaucoup de questions au sujet de la maladie, du manque d’amour entre les êtres humains. Pourquoi la maladie, pourquoi la mort ? Qu’est-ce que l’on fait sur terre ? Et si Dieu n’existait pas ? Si tout cela était une invention sur laquelle l’homme se repose pour expliquer l’inexplicable ?
Si Dieu n’existe pas, pourquoi avoir des enfants ? N’est-ce pas terriblement égoïste de mettre des enfants au monde qui seront voués peut-être à la maladie, au handicap et inexorablement à la mort ? N’est-ce pas se faire plaisir de mettre au monde des êtres qui n’ont rien demandé ?
Si je ne crois pas en la vie après la mort, de quel droit vais-je obliger des êtres à vivre dans un monde où l’homme est un loup pour l’homme ? Cela peut paraître des réflexions banales mais elles sont réelles. Ces interrogations me réveillent la nuit et elles me laissent angoissé, plein de doutes, de questions.
Durant cette période de désert qui durera neuf ans, je cherche des réponses. J’interroge, je lis, je regarde, je compare, j’analyse. Pourquoi pas le protestantisme, le bouddhisme ? Qui a raison ? Qui a tort ? Rien ne me convient.
Durant cette période, je continue de pratiquer mais je ne ressens rien. Si j’avais la Foi, je devrais être heureux, je devrais respirer la joie. Je me rappelle qu’au cours d’une réunion « d’Équipe Notre-Dame » un des membres m’interpelle en me disant : « Tu te poses trop de questions, la manière dont tu t’exprimes montre que tu as la Foi ! ». Je reste avec mon problème…
Dans le cadre des « Équipes Notre-Dame », chaque année, chaque membre de l’équipe doit faire une retraite spirituelle. Le foyer responsable nous informe qu’il s’est inscrit à une retraite « Cana » réalisée par « la Communauté du Chemin Neuf ». Nous avions déjà fréquenté le milieu charismatique. Chantal, mon épouse, faisant partie d’un groupe de prière, nous décidons de nous y inscrire.
Juillet 1990, nous arrivons pour une semaine de retraite. La journée s’égrène entre office du matin, temps de relecture, enseignements, messe, groupe de partage en fraternité, temps de réflexion personnelle, témoignages et office du soir.
Je côtoie des gens heureux, qui rayonnent ! Quand ils parlent de Dieu, j’ai clairement l’impression qu’ils ont fait la rencontre, que moi je cherche depuis si longtemps. Au cours de la semaine, n’y tenant plus, je vais trouver un communautaire pour lui expliquer ma soif de rencontrer Dieu, et, par-delà, trouver la Joie et la Paix. Il m’écoute et m’invite à poursuivre la semaine dans la confiance. J’ai toujours soif.
Le soir de la cérémonie de réconciliation, le responsable de la session propose aux personnes qui le souhaitent de rencontrer deux personnes en binôme pour aider à discerner notre chemin. Comme je suis plus que jamais avec mes questions, je décide d’aller voir un des binômes disponibles. Je leur explique ma situation, ils prennent un temps de prière sur moi.
Ils reçoivent un texte à mon intention :
Jean 6, 1 – 15 :
Après cela, Jésus passa sur l’autre rive de la mer de Galilée, dite encore de Tibériade. Une grande foule le suivait parce que les gens avaient vu les signes qu’il opérait sur les malades. C’est pourquoi Jésus gravit la montagne et s’y assit avec ses disciples. C’était peu avant la fête juive de la Pâque. Or, ayant levé les yeux, Jésus vit une grande foule qui venait à lui.
Il dit à Philippe : « Où achèterons-nous des pains pour qu’ils aient de quoi manger ? » En parlant ainsi il le mettait à l’épreuve ; il savait, quant à lui, ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : « Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun reçoive un petit morceau. » Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : « Il y a là un garçon qui possède cinq pains d’orge et deux petits poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? »
Jésus dit : « Faites-les asseoir. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc ; ils étaient environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains, il rendit grâce et les distribua aux convives. Il fit de même avec les poissons ; il leur en donna autant qu’ils en désiraient. Lorsqu’ils furent rassasiés, Jésus dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux qui restent, de sorte que rien ne soit perdu. »
Ils les rassemblèrent et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge qui étaient restés à ceux qui avaient mangé. À la vue du signe qu’il venait d’opérer, les gens dirent : « Celui-ci est vraiment le Prophète, celui qui doit venir dans le monde. » Mais Jésus, sachant qu’on allait venir l’enlever pour le faire roi, se retira à nouveau, seul, dans la montagne.
Une des deux personnes m’explique : Jésus n’a pas réalisé un miracle à partir de rien. Il a nourri la foule en multipliant les cinq pains et les deux poissons. Si tu souhaites rencontrer le Seigneur, il faut peut-être que tu lui apportes quelque chose ?
J’écoute, j’accueille la parole et je découvre ce que je dois apporter au Seigneur : le pardon à mon beau-père avec lequel nous avions rompu toute relation depuis cinq ans.
Je me rends donc à une table où se trouvent du papier, des stylos et des enveloppes. Je rédige un courrier à mon beau-père. Ce qui est extraordinaire, c’est que je ne m’y étais pas préparé. Je rédige ma lettre avec une facilité déconcertante, les mots coulent sans me torturer l’esprit. Le Saint-Esprit est à l’œuvre.
Après le sacrement de réconciliation auprès d’un prêtre, je ressens une immense Paix. Je me retrouve dans la tente qui faisait office d’oratoire et je PRIE !
Le lendemain, je suis transformé, la Paix m’habite, ce que je cherchais depuis des années est là. Auparavant, les autres m’énervaient. Exemple : on m’avait demandé d’assurer la distribution des plats lors du repas de midi. Je peux vous dire que les plats arrivaient vite fait sur les tables : aux personnes qui étaient en train de discuter, je leur faisais comprendre qu’il leur fallait dégager l’espace, pour que je puisse poser le plat. Si j’ose dire : cela valsait !
Le lendemain, elles avaient un service assuré par un agneau…
Au cours de cette retraite en juillet 1990, je découvre aussi que le psaume que l’on chante à l’office du matin me parle. Depuis, il m’accompagne et continue de me nourrir.
Psaume 90 :
Qui demeure à l’abri du Très-Haut et loge à l’ombre du Puissant,
Dit au Seigneur : mon rempart, mon refuge, mon Dieu en qui je me fie !
Et lui te dérobe au filet de l’oiseleur qui cherche à détruire ;
Lui te couvre de ses ailes : tu trouveras sous son pennage un refuge.
Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour,
Ni la peste qui marche en la ténèbre, ni le fléau qui dévaste à midi.
Qu’il en tombe mille à tes côtés, qu’il en tombe dix mille à ta droite,
Toi, tu restes hors d’atteinte : sa fidélité est une armure un bouclier.
Il suffit que tes yeux regardent, tu verras le salaire des impies ;
Toi qui dis : Seigneur, mon refuge ! et qui fais du Très-Haut ton asile.
Le malheur ne peut fondre sur toi ni la plaie approcher de ta tente :
Il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies.
Eux sur leurs mains te porteront pour qu’à la pierre ton pied ne heurte ;
Sur le lion et le serpent, tu marcheras, tu fouleras le lionceau et le dragon.
S’il s’attache à moi, je l’affranchis, je l’exalte s’il connaît mon nom ;
Il m’appelle et moi je lui réponds, dans la détresse je suis avec lui.
Je veux le délivrer, le glorifier, de longs jours je veux le rassasier,
Et je ferai qu’il voie mon salut.
À la suite de cette retraite, nous quittons « les Équipes Notre-Dame » et intégrons les Fraternités « Cana » dans la « Communauté du Chemin Neuf » en septembre 1990.