Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Je me souviens un peu, beaucoup… offre un mélange de souvenirs empreints de nostalgie, d’anecdotes amusantes et parfois tristes, ainsi que de descriptions de la vie actuelle en Roumanie, cinquante ans après le départ de l’auteure. Il ne s’agit pas d’une critique politique ou sociale, mais plutôt d’une observation du passé et du présent, bien que quelques critiques subtiles soient évoquées.
À PROPOS DE L'AUTRICE
En raison de la détérioration de la situation politique et sociale en Roumanie, Ileana Haber quitte le pays avec ses parents en 1972. Installée en France, elle entame des études à l’École Supérieure des Beaux-Arts. Elle exprime son talent artistique à la fois à travers l’écriture et l’illustration de deux livres. Pour elle, la peinture et la littérature sont étroitement liées. Cinquante ans après son départ, elle ressent le besoin de raconter ses aventures vécues lors de vacances passées dans son pays d’origine.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 100
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ileana Haber
Je me souviens un peu, beaucoup…
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Ileana Haber
ISBN : 979-10-377-9863-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
V
oici cinq nouvelles qui parlent de quelques-unes de mes aventures vécues en Roumanie à différentes périodes de ma vie. Aujourd’hui, ces histoires me paraissent drôles, mais à l’époque, certaines ont été assez pénibles et difficiles. Une seule d’entre elles, « Le Bar 33 », se passe à l’époque où je vivais encore là-bas.
La nouvelle qui ouvre le recueil décrit mes deux derniers jours avant de quitter le pays. Les autres ont eu lieu pendant les visites que j’ai faites en Roumanie comme simple touriste.
Ne pensez pas que c’est une critique politique ou sociale de la situation actuelle. De quel droit aurais-je fait ça ? Vous allez trouver quelques pics, mais pas trop méchants à propos de la vie là-bas et des changements survenus après La Révolution de 1989. Je me suis rendu compte qu’en Roumanie, il y a un mélange de la vie moderne avec l’ancienne. Elles n’arrivent pas à se démêler. C’est bizarre et cela me rend en même temps nostalgique. C’étaient mon enfance et mon adolescence, le début de ma vie.
Voilà donc, mes souvenirs vécus en Roumanie, avant et après que je l’ai quittée.
J’espère que ces histoires ne vont pas fâcher ou choquer mes chers amis restés au pays. Ils savent que je les aime beaucoup et que je les revois toujours avec un grand plaisir, ils me manquent.
Une blague roumaine bien connue raconte que les vrais aventuriers ne sont pas ceux qui sont partis comme moi, vers des contrées inconnues, mais ceux qui sont restés en Roumanie ! Constatation assez triste.
J’ai quitté la Roumanie avec mes parents en décembre 1972. La période d’attente pour obtenir le droit de partir et obtenir nos passeports fut très longue. Jeune fille romantique, je redoutais l’abandon de mes amis, la perte d’un amour non partagé (moi je l’aimais, lui, il ne l’a jamais su) et l’éloignement du peu de la famille restée sur place.
De la tendresse pour mon endroit préféré à Bucarest, le parc Cismigiu où je me sens encore un peu chez moi. Je reconnais chaque centimètre, je ressens le parfum de mon enfance, des fleurs, des arbres…
Il ressemble beaucoup aux Buttes-Chaumont. Ses ponts sont des copies exactes des ponts parisiens.
Je le traversais presque tous les jours depuis ma plus tendre enfance pour aller à l’école, y jouer, ou plus tard, me promener. Je cite son nom parce que j’adore toujours ses allées, et m’asseoir sur un banc au bord de son lac. Il paraît que malheureusement depuis quelque temps il a perdu de son charme. Mauvais paysagiste, fleurs plantées n’importe comment… Triste. Bon, revenons à nos moutons.
Je venais de passer le baccalauréat, mais je me sentais très seule parce que tous mes amis s’étaient déjà inscrits à la faculté après avoir passé des examens difficiles. C’était déjà l’automne et les cours avaient commencé. Moi, je n’avais pas le droit de le faire vu ma situation (la demande de ma famille pour quitter le pays).
Je me rappelle que pendant l’année qui a précédé notre départ j’ai voulu m’inscrire à un cours de perfectionnement en anglais à la faculté de langues étrangères… La secrétaire qui notait nos noms m’a demandé sans me regarder :
— Es-tu la fille du Professeur Rosenberg qui a fait une demande pour quitter la Roumanie ?
— Oui Madame !
Question impertinente, qui m’a fait abandonner sur le champ l’envie d’améliorer mes connaissances de la langue de Shakespeare dans cet endroit. J’ai étudié à la maison avec Valerica, une amie de mes parents, une excellente Professeur universitaire d’anglais.
En plus, le cours commençait à neuf heures du matin, le dimanche ! Vous vous imaginez ? Incroyable ! À neuf heures, le dimanche !!!
Plus sérieusement, si j’ai pris cette décision c’est parce que la plupart des facultés de Bucarest connaissaient déjà la situation de mon père et de notre famille, alors bonjour les commérages. J’étais dégoûtée, effrayée, et je voulais me protéger des attaques et des questions malveillantes.
En ce qui concerne mon père, qui était une personnalité dans le monde universitaire et scientifique, il y a eu une grande réunion à l’Université où il enseignait. Beaucoup de professeurs, de chefs de section et même le directeur de l’université ont assisté pour décider de son sort. Ça voulait dire, pour le mettre à la porte. Eh oui, comment un ennemi du peuple pouvait-il enseigner à l’université ? En plus un membre du Parti Communiste !!! Un traître !
À l’époque, en Roumanie, on renvoyait tout de suite ceux qui voulaient s’envoler ailleurs. Je me demande comment mon père s’est débarrassé de sa précieuse carte du Parti ? Je crois qu’il avait été obligé de la restituer aux « organes du PARTI ». « Élémentaire Watson ? »
Moi, jeune uteciste (membre de l’union de la jeunesse communiste, UTC), j’ai abandonné sans remords ma précieuse petite carte chez une amie, Despina. Elle a quitté aussi le pays mais bien plus tard, seulement après la Révolution de 1989. Elle a amené avec elle nos deux cartes tellement précieuses. À mon école, pas un mot de ma situation. Pas de réunion, pas d’autocritique. Aucune remarque de la part du directeur de l’école ou de mes professeurs. Tant mieux. Comme ça, je suis restée « Uteciste » pour toujours !
Au cours de la fameuse réunion pour exclure mon père, certains de ses confrères l’avaient beaucoup critiqué. Ils étaient bien obligés de le faire dans ce type de réunion, pendant que d’autres le condamnaient par conviction. Idem pour certains des étudiants. Un peu d’antisémitisme peut-être ? Par contre, les collègues qui étaient des amis proches, se sont fait porter pâles. Très dangereux pour eux, mais ils ne voulaient pas prendre la parole contre mon père.
Le Comité Central du Parti Communiste avait déjà décidé : il fallait à tout prix exécuter le traître. Du jour au lendemain, mon père n’avait plus de boulot.
À l’étranger, le premier à avoir réagi était un ami de mon père, Giulio Natta, prix Nobel de Chimie (1967) et à l’époque chef du Parti Communiste italien. Indigné de cette mesure, il a envoyé des lettres presque injurieuses à l’Académie de Sciences Roumaine et même au Chef Suprême de l’État.
D’autres scientifiques de partout dans le monde, surtout les Américains et les Allemands, ont suivi son exemple. Ils envoyaient des lettres tous les jours. Il y en a eu peut-être une centaine. Chez nous, sont arrivées seulement quatre. Dès le lendemain de la lettre de l’Italien, mon père a eu le droit d’écrire quelques articles dans une revue scientifique, considérée « futuriste ». Pour la blague, sachez que les premières trois lettres de ce mot ont une connotation sexuelle en roumain. Faible consolation. Mais en réalité, la situation était dramatique en Roumanie. Celui qui défendait ses collègues de travail, ou ses amis, risquait sa carrière et mettait en péril sa famille.
Excusez-moi, je m’égare, mais les souvenirs me reviennent au galop.
C’était un dimanche, à midi, que la postière qui nous connaissait très bien a sonné à notre porte en sautillant de joie. Elle agitait la lettre que nous attendions tous. Celle qui nous permettait enfin de quitter officiellement la Roumanie. Mon père lui a donné 100 lei, et elle nous a fait la bise à tous les trois.
Je me rappelle parfaitement la date. C’était le 8 décembre 1972. On pouvait enfin s’échapper.
— Hourra, on s’en va !
Mon père, attentif et minutieux, s’était occupé tellement bien pour obtenir tous les papiers (ce n’était pas facile du tout) nécessaires pour notre départ, que nous avons réussi à partir seulement deux semaines après avoir reçu la réponse officielle. C’était un exploit !
Le 22 décembre 1972 (le jour de notre départ) est aussi une date inscrite en lettres capitales dans ma mémoire et mon cœur.
Pour toujours !
Laissez-moi vous raconter mes deux derniers jours à Bucarest.
J
eudi, le 21 décembre 1972, mes parents étaient à l’aéroport avec nos huit valises qui devaient passer le contrôle de la douane un jour avant notre départ. C’était fou, huit mastodontes ! Le complexe, ou l’idée fixe de l’émigrant : prendre avec soi un maximum d’affaires qui lui semblaient absolument nécessaires dans sa nouvelle vie. Certains de mes amis ont même envoyé leurs meubles, ainsi que des objets utiles ménagers, des couettes, des serviettes, des nappes, dans des containers avec le bateau. Nous, on était plus modestes, et même comme ça, on a exagéré avec nos bagages. Les bijoux de maman qui valaient deux fois rien et ses sacs en cuir sont sortis au cou, et sur les bras de Sofica la cousine de mon père qui rentrait chez elle aux États-Unis. Elle était très forte (pardon chère Sofica). Avec son chapeau large sur sa tête, sa robe énorme rose, couverte d’un poncho mexicain, avec trois sacs sur chaque bras, elle ressemblait à un vendeur de tapis. Ça m’a rappelé la voisine (version maigre)
d’une famille, dans le film de Jaques Tati, « Mon oncle ». Ainsi, ma tante a amené nos trésors chez ma grand-mère à Paris.
Il y avait beaucoup d’interdictions : amener de l’or, des tableaux considérés comme appartenant au patrimoine national, des diplômes, des manuscrits de travaux réalisés et, à mon époque, même des sacs en cuir. Sur la liste d’objets interdits à prendre avec soi, c’était marqué : « Sacs en peaux de femmes ».
Les containers de mes amis étaient remplis à ras bord, je présume, d’objets de première nécessité. Ils étaient inquiets pour leur avenir et ils ne voulaient pas dépenser leur argent pour des choses qu’ils possédaient déjà. Il y avait aussi des objets d’une grande valeur, ou des souvenirs de famille qu’ils ne pouvaient pas abandonner derrière eux. Un peu comme les pharaons dans les pyramides égyptiennes, enterrés avec tous leurs biens les plus précieux. Nous aussi, nous avons envoyé plusieurs cartons avec des dictionnaires et des livres, surtout d’art, qu’on aimait bien et qu’on gardait précieusement.
En fait, pour nous, trois valises auraient suffi amplement. On s’en est rendu compte malheureusement trop tard, une fois arrivés sur place.
Tout mon respect pour ceux qui ont emporté avec eux leurs animaux de compagnie. Ils faisaient partie de leurs familles, ils ne pouvaient pas les abandonner derrière eux.
Pendant le contrôle à la douane, maman très anxieuse encore plus que d’habitude, a laissé échapper de ses mains un vase énorme (horrible et lourd) en céramique qui s’est cassé en mille morceaux en faisant un bruit épouvantable. Bien fait pour lui, mais les soldats qui gardaient les lieux étaient sur le point de cribler des balles ma chère maman. Elle l’a échappé belle. Elle nous a avoué qu’elle avait même pensé à agiter un mouchoir blanc, si elle n’avait pas piqué le mien avec Mickey Mouse dessus. Pas trop sérieux !
Quant à moi, restée seule dans une maison vide et triste, j’essayais d’imaginer ma future vie. Impossible en fait. Blocage total. Dans ma chambre, restaient seulement mes meubles qui semblaient me regarder avec reproche.