Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Bien plus qu’un simple témoignage, c’est un risque que José prend. Celui d’être jugé, exclu par ceux qui pensaient le connaître. Il est temps pour lui de retirer le masque. Un cri en direction des bien-pensants, une supplique pour qu’ils mettent de côté leurs préjugés. Un message hurlé aux personnes malades et à leurs familles. Pour José, l’alcoolisme n’est pas une fatalité. Peu importent les risques, si ces mots touchent ne serait-ce qu’un seul d’entre vous. Oserez-vous vous aventurer à ses côtés ? José vous invite à découvrir les profondeurs de l’âme humaine et les dédales de la dépendance à travers son récit sur l’alcoolisme. Une invitation à un voyage littéraire poignant qui pourrait vous ébranler.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Heureux en couple, père de deux enfants, José Chasset est pourtant un alcoolique dorénavant abstinent. Depuis son enfance, il se réfugie dans l’écriture pour surmonter ses peurs et explorer d’autres vies, selon ses propres mots. Mais ce livre, il devait le publier, car il est convaincu que le partage des expériences est la meilleure arme pour comprendre et lutter contre l’addiction.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 252
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
José Chasset
Je suis vicieux,
je suis alcoolique
© Lys Bleu Éditions – José Chasset
ISBN : 979-10-422-1004-5+
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Et voilà. Nous y sommes. Moi, surtout. Vous, vous allez vous contenter de tourner distraitement ces quelques feuilles, vous laissant porter par la tonalité monocorde de ma prose. Ce n’est pas pour rien que j’ai voulu que ce bouquin ne soit pas trop épais, pour éviter de vous barber. Pour vous, il ne s’agit que d’un livre de plus, qui, comme tant d’autres, ne restera pas dans les annales de la littérature française. Là n’est pas l’objet.
Pour moi, ce témoignage, c’est la dernière étape, le port du voile, de la chasuble, de la kippa. Pour peu que ces pages soient lues, le monde saura. Il n’y aura plus de secrets et le masque volera en éclats. Les amis, les connaissances, les relations, tous ne verront plus en moi que celui qui a joué la comédie, menti, trahi. Dès lors, je serais marqué d’une flétrissure, certes invisible, mais bien présente. Certains feront mine de ne pas m’apercevoir afin d’éviter de me saluer. Ils détourneront le regard, se sentant brusquement et irrésistiblement attirés par l’incroyable sac à main, cent pour cent cuirs de vachette originaire de Tchernobyl, aux couleurs du drapeau ukrainien (bien oui, depuis quelque temps, on le voit partout, alors pourquoi pas sur un sac à main). D’autres, offusqués, me dévisageront et passeront droits comme des I devant moi, afin de bien m’asperger de leur mépris, me jugeant désormais indigne d’être fréquenté. Il y a ceux pour qui je serai le bienfaiteur, celui qui alimentera leurs petits potins, leurs commérages. Ceux-là essaieront de me faire croire à leur compassion, juste dans l’intention de voler quelques détails croustillants grâce auxquels ils pourront espérer faire le buzz comme on dit maintenant. Je ne peux pas oublier les autres, ceux qui croyaient vraiment me connaître, les sincères, les incrédules. Ils tenteront désespérément d’analyser, de comprendre, de justifier certains de mes comportements et de mes propos. Il y aura des « Ah oui ! C’est pour cela que… ». Enfin, il y aura toi, qui aboieras peut-être le plus fort au sein de la meute, toi que mes aveux indisposeront, toi qui tenteras par l’agressivité de masquer ta propre soumission, de te cacher derrière un voile de blancheur éclatante.
À ceux qui ne m’aimaient déjà pas, je dis « tant pis ». À ceux qui m’apprécient tant soit peu, je demande « pardon ».
La question qui se pose consiste à savoir si ceux-là pourront de nouveau accorder leur confiance au félon qui les a abusés tant d’années. Pire, quel crédit accorderont-ils désormais aux autres ? Car, si moi je les ai bernés, qui d’autre parmi leurs fréquentations leur ment. Ne vont-ils pas se poser la sempiternelle question ? « Est-elle ou bien est-il, celle ou celui, que je crois connaître ? Quelle est sa part d’ombre ? »
J’écris ces pages et cependant, je meurs de trouille. Suis-je réellement prêt à assumer le rôle de Juda ? Pourquoi ? Pourquoi prendre le risque de me retrouver exclu ? Pourquoi dois-je m’infliger un tel « châtiment » ? Est-ce par amour de l’autoflagellation ? D’autant qu’écrire ces lignes va être extrêmement compliqué. Je vais plonger de nouveau dans des souvenirs dont je ne peux pas être fier. Je vais devoir affronter et partager mes démons. Peut-être même, en expier certains qui continuent bien malgré moi à me hanter. Alors pourquoi ? Suis-je à ce point sadomasochiste ?
Pour venir en aide aux autres ? À tous ceux qui, comme moi, souffrent en silence ? Pour les persuader qu’une autre voie que celle de la déchéance est possible ? Que le vice n’en est pas un ? Que l’alcoolisme est une maladie, certes pas tout à fait comme les autres, mais une maladie quand même ?
Pour vous en persuader, vous aussi, les esprits sains ? Parce que je suis écœuré de l’hypocrisie ambiante, quotidienne qui encadre les maladies addictives ? Parce que je me souviens et que je hais les bien-pensants, ceux qui au nom de la sacro-sainte culture incitent à la consommation. L’alcool n’est pas comme les autres substances. Bien que lui aussi, il tue… Il est légal. Un cocaïnomane, lui, se vautre dans la fange. Il connaît les risques, les tenants et les aboutissants. Il triche avec l’autorité, il enrichit les narcotrafiquants. Il vole pour acheter sa dose. L’alcool… Non, l’alcool ce n’est pas la même chose. C’est un art de vivre. « Quoi ? Tu vas bien prendre une coupe ! Une naissance, un mariage, une promotion, ça s’arrose. C’est parce que tu ne veux pas trinquer avec moi ? » – sous-entendu « je ne suis pas assez bien pour toi ? ». L’alcool est festif, créatif et français. Il est grand temps de réaliser que votre comportement place les alcooliques en grande situation de détresse et de solitude. Par votre lourde insistance, vous les condamnez, vous les placez en marge de la société. Alors lorsqu’il envisage une thérapie, qu’il lui faut se battre, défoncer les portes, l’alcoolique se retrouve seul. Incroyablement seul. Comment peut-il trouver la force de vous confier son addiction alors qu’il ose à peine se l’avouer à lui-même ? C’est vrai quoi ! Cessez de culpabiliser ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas vous suivre dans vos festives orgies. Vous ne vous comportez ni plus ni moins que comme ceux qui proposent à leurs convives un rail de coke entre deux cacahuètes grillées ou entre deux toasts de beurre d’avocat.
Seul, oui, bien trop seul. Bien trop différent. Le seul refuge auquel il peut aspirer, c’est celui proposé par les associations d’anciens combattants qui œuvrent au quotidien. Mais reconnaissez que s’en remettre à des inconnus qui ne sont diplômés de rien du tout, qui n’ont pour compétence que d’avoir connu les mêmes déboires, n’est pas tâche aisée et facile à accepter. Pourtant, leurs adhérents sont les seuls à même de comprendre.
Parce que j’ai de la colère envers les médecins qui se débarrassaient de moi avec une pilule bleue et une pilule rouge, incapables qu’ils sont de reconnaître leur incompétence et d’avouer leur rejet de celui que je suis. Un alcoolique. C’est vrai quoi ! Un peu de volonté, que diable ! Pour ne pas être alcoolique, il suffit de ne pas boire non ? Ou modérément. Ce n’est pourtant pas compliqué, non ?
Ou alors est-ce pour moi ? Cette démarche, est-elle purement égoïste ? La dernière marche à escalader pour que je puisse retrouver la paix avec moi-même et mon passé ? Qu’importent les conséquences. Parce que ce mensonge risque de m’étouffer un matin sans que je ne m’y attende ? Parce que je ne suis peut-être pas encore guéri ? D’ailleurs, peut-on guérir ? Véritablement guérir comme on guérit d’une grippe ?
Tant de questions se percutent dans mon pauvre crâne tourmenté que j’en ai le vertige. Tant de colères envers moi-même qui resurgissent. Tant de choses à dire, tant de messages à vous communiquer et si peu de chances d’y parvenir. D’autant que la honte me submerge déjà, alors que seuls quelques mots errent sur cette page blanche.
Parviendrais-je à les remplir, ces foutues pages, tout en restant honnête avec moi-même et par la même occasion, avec vous ? Est-ce que je ne risque pas de sombrer dans le mélodrame ? Parviendrais-je à assumer celui que je suis, que j’ai été, mes actes, mes ressentiments, sans rejeter la faute sur la société, sur mon enfance ou tout autre prétexte ? Alors que je vais être contraint d’aborder des sujets comme mes peurs, mes angoisses, mes rages, mes amours, mes déceptions. Il est indispensable, cher lecteur, pour que mes aveux ne soient pas dérisoires, que je parvienne à te faire, ne serait-ce qu’entrapercevoir, le cheminement qui m’a conduit à cet état.
Toi, le lecteur qui va peut-être un jour tourner ces feuilles et parcourir ces lignes, comment puis-je t’inviter à poursuivre ta lecture ? Comment puis-je retenir ton attention ? Hors de question de jouer sur la corde de l’apitoiement et du larmoyant. Je ne le mérite pas et ce ne serait qu’un mensonge de plus.
À la question du pourquoi, tu viens de constater que je n’ai pas de réponse définitive, alors pour ce qui est du comment… J’ai toujours écrit. Des textes divers et variés, des paroles de chansonnettes, pour lesquelles j’avais une vague idée de construction. Habituellement, je dépose les mots comme de petites briquettes qui, finissant par s’assembler, donnent naissance à des fondations, des murs, une toiture. La trame imaginée, il ne reste plus qu’à enjoliver, poser les fenêtres, les volets, les portes, planter quelques fleurs, quelques arbustes ici et là.
Mais à cette heure, mes pensées sont désordonnées, décousues. Comment puis-je m’y prendre ?
Je n’ai pas la prétention de remplacer les médecins, tout du moins ceux qui s’investissent vraiment dans ce combat. Ils sont peu nombreux et parfois méprisés par leurs confrères. Ils peuvent s’appuyer sur leur science pour étayer leurs discours. Moi, je ne le peux pas. Même si je vais tenter de t’expliquer par instants, l’illusoire réconfort de l’alcool sur le corps humain, le mécanisme biologique par lequel il réduit à l’état d’esclaves ceux qui se laissent dominer. Moi, je n’ai que mon vécu à te transmettre. Aucun savoir autre que celui-là.
Je ne suis pas un statisticien. Je ne vais pas construire cet ouvrage sur une énumération de chiffres, même s’ils peuvent donner le vertige. Le nombre d’accidents du travail, de circulation, de femmes ou d’hommes d’ailleurs, battus à cause d’une alcoolisation excessive, le nombre de morts, de maladies engendrées par une consommation déraisonnée. N’en déplaise aux sources ministérielles, les alcooliques ne sont pas que des données. Derrière les nombres se cachent des êtres humains.
Te faire entrer dans ma vie ? Fatalement, cet ouvrage sera une fenêtre sur mon passé, mon présent, mon avenir. Mais que t’importerait une autobiographie, un récit linéaire de mon existence ? Que peut-elle avoir de plus intéressante que celles des autres, que la tienne ? D’ailleurs, entre nous, ne rencontres-tu pas assez de difficultés dans la tienne pour devoir te farcir la mienne ? Qu’as-tu à faire de ma petite enfance, de mon adolescence, de mon évolution en tant que môme, adolescent, homme, mari et père ? Je te le dis. RIEN ! Ma vie n’a rien de plus intéressant, ni de plus déprimant que la tienne.
Alors comment ?
Dans la mesure où ma vie d’alcoolique n’a été qu’une longue errance, pourquoi ne pas laisser errer la plume du stylo ? Après tout, pourquoi ne pas la laisser divaguer au gré du cheminement de mes pensées, sans chercher à la domestiquer ou à l’apprivoiser ?
Je tiens à préciser à ce niveau que ce qui va suivre ne doit pas être pris au pied de la lettre. Il ne s’agit que d’un témoignage, le mien. Nous sommes tous différents et par conséquent, mon ressenti, mes pensées, mes illusions n’appartiennent qu’à moi et ne peuvent être associés à qui que ce soit d’autre. Par ailleurs, je tiens à m’excuser par avance auprès de la gent féminine. J’écris au masculin. Je ne vous oublie pas, mais il ne s’agit ici que de mon expérience, celle d’un homme avec des attributs d’homme, des préjugés et des réactions d’homme et une éducation masculine. Par ailleurs, désolé de l’avouer, mais je suis trop amoureux de la langue française pour apprécier le massacre de l’écriture inclusive.
Qu’en penses-tu lecteur ? Tu es prêt ? Tu as envie de vagabonder à mes côtés ? On verra bien ensemble où on ira et si l’on arrive quelque part. Bien, alors, donnons-nous rendez-vous au prochain chapitre.
Je ne me suis pas présenté un matin devant le miroir de ma salle de bains, le teint blafard, le regard bovin, la langue pâteuse et l’haleine pesante en réalisant soudainement que je suis alcoolodépendant, tel un apôtre foudroyé par la grâce de Dieu.
Je ne me suis pas non plus réveillé couché sur le paillasson ou le visage couvert de croûtes après avoir lourdement chuté la veille, hagard et déboussolé.
Je n’ai pas non plus murmuré honteusement à une infirmière des urgences « je suis alcoolique ».
Non pas que je n’aie pas vécu certaines de ces situations. Mais elles n’ont pas été révélatrices de la plus petite once de prise de conscience.
Alcoolique moi ? Non, mais ça ne va pas là-dedans. Il ne manquerait plus que cela. Alcoolique moi ? Pas plus que toi !
Non, personnellement, je n’ai pas eu le fameux déclic. Ou s’il a eu lieu, je n’en ai pas pris la mesure immédiatement. Peut-être le regard abattu de mon fils. Ce regard dans lequel je me suis reconnu au même âge tandis que je regardais tituber mon propre père. Peut-être…
Non, la chose s’est imposée d’elle-même avec le temps. Elle a cheminé dans mon esprit, lentement, calmement, sournoisement, aussi insidieusement que l’alcool s’est immiscé dans ma vie, jusqu’à devenir omniprésente et hanter la moindre de mes pensées.
Alcoolique moi ? Non… Il ne manquerait plus que cela. Alcoolique moi ? Regarde-moi. Je ne suis pas comme tous ceux qu’on voit dans la rue. Tu ne m’as jamais vu tanguer et me casser la gueule connement ou encore vomir dans le caniveau. Alcoolique moi ? Certainement pas !
Je ne suis pas comme les autres, qui, dès neuf heures du matin, soulèvent en tremblotant leur verre au café du coin. Pas encore. Du moins pas en public.
Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? Il y a des alcoolos normaux ? On ne voit pas qu’ils picolent ? Hein ? Non… Bon, j’en conviens, parfois j’y vais un peu fort. Mais bon, je gère. Tous les jours. Hein ? Oui, c’est juste. Tous les jours. Un verre ou deux. Trois ou quatre. Une demi-bouteille de whisky. Bon d’accord, les trois quarts. Mais je gère. Enfin les trois quarts d’une bouteille d’un litre, voire un litre et demi parce que sinon il n’en restait plus pour le lendemain.
Et puis alcoolique. Ce mot… Ce mot que l’on utilise comme une insulte. C’est vrai quoi ! Comment l’accepter ce mot alors que tout le monde en use en derniers recours pour désigner un incapable, un bon à rien, un résidu ? Avez-vous déjà entendu une andouille hurler dans la rue « tétraplégique va ! », « cancéreux ! » ? Non, bien entendu que non ! Par contre, alcoolique ! … Oui, cela le fait. Oui, je sais… « Mongol » aussi. Comme quoi l’intelligence humaine se résume à peu parfois. Cependant, ce mot-là soulève immédiatement un tollé, l’indignation de la masse populaire. Demandez aux comiques, qui, avec acidité, ont osé aborder le sujet du handicap. Il en est qui ont vu leur carrière détruite par cette « maladresse ». Par contre, poivrot, soûlot, ivrogne, pochard, sac à vin, pochtron et j’en oublie, ces termes ne dérangent personne. Mais alors personne. Aucune levée de boucliers, aucun sourire gêné à l’horizon, mais des éclats de rire tonitruants, ça… Oui ! L’alcoolisme est toujours et encore perçu dans l’esprit collectif comme un vice. Dès lors, comment avouer que l’on est… alcoolique ? Reconnaître l’alcoolisme ne revient-il pas dès lors à s’identifier comme porteur d’une tare, comme détraqué ? Cela, ne revient-il pas à se placer au ban de la société ? Au même titre qu’un pédophile par exemple. Et vous vous étonnez qu’un alcoolique ait tendance à se replier sur lui-même, à s’isoler ? Je ne parle pas bien entendu des piliers de bar exubérants, mais bel et bien de vous, la majorité silencieuse qui se terre. Réfléchissez un peu, vous les altruistes, les humanistes, les bobos bien éduqués, aux ravages que vous engendrez. Vous avez le crachat bien gras Messieurs, Dames pour des personnes bien comme il faut.
Excusez-moi. Un coup de gueule. Il se peut que cela m’arrive quelques fois. Mais rassurez-vous. Moi aussi, je me suis fourvoyé en d’autres temps. Il ne faut pas oublier que l’alcoolisme n’est reconnu comme maladie que depuis 1978. Auparavant, il était assimilé à une perversion que l’on traitait dans des hôpitaux psychiatriques, pour ne pas dire des asiles d’aliénés à coups d’électrochocs et autres techniques exotiques dont la valeur thérapeutique était reconnue et approuvée par les pairs de la médecine moderne de l’époque. Vous prendrez bien une petite lobotomie ? Non ? Vraiment ?
Tiens tant que j’y pense, un petit cours d’histoire s’impose. Hé ! Je vous ai entendu soupirer. Vous avez soufflé aussi fort qu’un taureau qui piétine dans l’arène. On apprend beaucoup du passé, vous savez. Tenez, avez-vous déjà entendu le terme eugénisme ? Non ? Alors, qu’est-ce que l’eugénisme ? Il s’agit d’un courant de pensée, d’une doctrine, dont le fondateur se prénommait Sir Francis Galton. Un nom pour le moins inconnu des néophytes que nous sommes, si ce n’est que ce brave lord n’était autre que le cousin de l’auguste Charles Darwin. Vous savez, celui qui a révolutionné la biologie avec sa théorie sur l’évolution des espèces. Sir Francis Galton, quant à lui, a consacré ses travaux à l’hérédité et aux processus et moyens qui permettraient d’annihiler la dégénérescence de l’espèce humaine et de sauvegarder la pureté du patrimoine génétique. Rien que cela. Bien entendu, depuis qu’un dénommé Adolf Hitler s’est inspiré de son œuvre pour mettre en place son programme de santé raciale, il est quelque peu mal perçu de promouvoir la politique eugénique. Pourtant, Hitler ne fut pas le premier à se baser sur les recherches de Francis Galton pour mener une campagne de purification de la race. Dès mille neuf cent six, de nombreux états du pays des libertés, à savoir les États-Unis, votèrent la mise en application de lois eugéniques. L’objectif était on ne peut plus clair, éradiquer de la société les faibles, ceux qui donnaient libre cours à leurs plus bas instincts pour favoriser le développement de générations nobles et pures. Étaient désignés comme porteurs de tares héréditaires, ceux que l’on nommait communément les débiles, les aliénés mentaux, les criminels et bien entendu les alcooliques. À ces fins, il était par conséquent urgent et indispensable de procéder à un contrôle strict et rigoureux des naissances. Ainsi, à titre d’exemple, dès le début du siècle, le Dakota du Nord promulgua une loi interdisant le mariage des alcooliques. Des campagnes de stérilisation forcée furent menées à travers plus de trente états, à l’encontre de tous ceux qui pouvaient, de par leur procréation, provoquer le déclin de la société. Il est estimé qu’entre 1907 et 1960, soixante-quatre mille personnes eurent droit à ce traitement rien qu’aux États-Unis. Les pays européens ne furent pas en reste, notamment en Suède, en Norvège, en Hollande. Bien entendu, depuis l’holocauste, la pensée eugéniste a évolué vers des fondements plus positifs, notamment avec la médecine, les solutions de procréation assistée, l’interruption de grossesse, etc. Il n’en demeure pas moins que dans les mentalités, l’amalgame entre alcoolisme et vice perdure.
Alcoolique moi ? Et merde. Et maintenant ? Qu’est-ce que je peux faire ? Pas compliqué. Il suffit d’arrêter. Pour ma femme, pour mes gosses, il faut que j’arrête. Immédiatement !
Ma femme… Des mois, des années qu’elle lutte contre moi, contre ce moi qu’elle dit ne plus connaître, qu’elle ne supporte plus. Quant aux mômes, je n’ai même pas le courage d’imaginer la souffrance que je leur inflige au quotidien.
Pas le choix, je dois réagir ! Le combat commence. Aujourd’hui. Je sais qu’il y a une bouteille de whisky bien planquée. Enfin un fond. Je sais même où je l’ai laissée la veille. C’est marrant, mais ça, il m’arrive rarement de l’oublier. Pourtant, j’en oublie des choses. De plus en plus souvent. Mais je n’y toucherai pas. C’est terminé. Définitivement… Enfin une bonne décision de prise ! Que je sois damné si je cède. Quel soulagement ! Je ressens comme une joie, celle d’être libre et débarrassé de cette merde.
Pour au moins quinze minutes. Oui, quinze petites minutes parce que depuis le confinement, je dois gérer la journée aussi. Avant, la journée était salvatrice. Je restais sobre des heures durant. Enfin sobre pas vraiment puisqu’il y a bien longtemps que je ne suis plus véritablement à jeun. Consommation ou pas. Dès que je rentrais du boulot, j’avalais en quelques heures ce que je consomme maintenant, par petites rasades étalées dans le temps. Je gère.
Pourtant, j’étais pétri de bonnes intentions. Mais non… Allez, vas-y, prends-la et jette le reste dans l’évier. Ni vu, ni connu et on n’en parle plus. C’est quand même con de jeter. Ce serait gâché. Cela coûte cher cette merde. Allez. Il est neuf heures. Finis-la tranquillement dans la journée. Il n’en reste plus beaucoup. Ce soir, il n’y en aura plus. Plus de tentation. Ni vu ni connu. Un café, et hop, la page est tournée. Non, je ne le dois pas ! Je sais que je ne le dois pas. Je le sais et pourtant…
Dix-sept heures. Le boulot est fini. Je suis assis derrière le volant. Je sais bien que si je me fais choper, je suis foutu. Je suis probablement positif. Ce ne doit pas être bien méchant. Pas de beaucoup, je gère. Par ailleurs, j’ai appris à connaître les rues, celles où les perdreaux nichent. Les chemins de traverse n’ont plus de secrets pour moi. Reconnaître le terrain, c’est la première mission des alcoolos. Celle qui peut leur sauver la mise. Leur épargner des emmerdes en tout cas. L’alcool au volant. Une vraie saloperie. Dans la mesure où il développe la production de dopamine, engendrant par la même occasion une sensation de douce euphorie, le danger devient accessoire. L’accident ne peut arriver qu’aux autres. Le prétexte, je l’ai. Panne de cigarettes, de papier toilette, de croquettes pour le chien. Tout n’est que prétexte parce que je sais déjà qu’à côté du tabac, il y a une petite épicerie et si jamais je vais dans un supermarché alors tant mieux. Cela coûtera un peu moins cher. À moins que j’aille quand même à l’épicerie. Autre effet de l’alcool, la paranoïa. L’hôtesse à la caisse de moins de dix articles doit m’avoir repéré maintenant, ou avoir des doutes. Ma femme aussi, va au supermarché. D’ici peu que je croise une connaissance… L’épicerie, c’est plus cher, mais plus sécurisant aussi.
Tu ne comprends pas lecteur ? La fameuse étape du déni, je l’ai franchie. Moi, dans ma tête. Pour moi. Pour moi seul. Mais pas vis-à-vis des autres. Hors de question que je l’avoue. Même à ceux que j’aime. Peut-être même encore moins à eux.
Je rentre chez moi, la bouteille sagement planquée dans le compartiment moteur. À l’endroit où habituellement, on range le bidon de liquide de refroidissement. Bien cachée sous des chiffons.
Le matin, j’avais pris des résolutions. Qu’en reste-t-il ? Je m’en veux. J’ai honte. Comme d’habitude. La bouteille est dans le garage, moi aussi. Les enfants vont bientôt rentrer. Madame aussi. La bouteille est entre mes doigts et le goulot repose entre mes lèvres. Un peu, juste un peu.
La boucle suit son cours. J’ai vraisemblablement franchi la phase de déni, mais pour l’instant cela ne me sert pas à grand-chose. J’essaie de contrôler du mieux que je peux. Je crois même que je parviens à donner l’illusion. Au boulot, on semble m’apprécier. Il faut dire que je déploie une multitude d’artifices pour masquer la vérité. Je suis enjoué. J’use de l’humour, noir de préférence, comme d’un bouclier. J’ai appris à me travestir, à renvoyer une image sur papier glacé. Un cliché, celui auquel les autres doivent et préfèrent croire. Il est plus aisé de berner les autres lorsque l’on s’abuse soi-même. Je crois que je suis même devenu expert en la matière. J’ai été reçu avec mention bien aux examens. Enfin, je crois. Cela ne peut fonctionner que parce que je me mens à moi-même. Le cas contraire, je ne crois pas que je parviendrai à leurrer le monde. Fatalement, je m’écroulerai tôt ou tard. Ont-ils des suspicions ? Je ne crois pas. Mais je dois reconnaître que je n’en suis pas certain. Après tout, peut-être qu’ils me mentent eux aussi ? Pourquoi serais-je le seul ?
C’est cela en fait le déni. L’art de se protéger face à une situation que l’on rejette avec violence. Un simple mécanisme psychologique qui permet d’éviter d’envisager une réalité insupportable.
Je suis désolé, mais je ne pense pas qu’il y ait de solution miracle pour éveiller le buveur endormi. Ma femme a tout tenté, tout essayé, la pauvre. En vain. Enfin, qui sait. Il se peut que les paroles, à force d’être assénées comme autant de coups de marteau, aient fini par se frayer un chemin à travers les méandres embrumés et aseptisés de mon cerveau. Qui sait ?
Il est souvent répété que le déni est une étape qui doit absolument être franchie pour que l’individu puisse évoluer. C’est un fait, mais je suis persuadé que la violence n’est pas une solution. Il y a une différence entre ouvrir une porte et l’éventrer à coups de burin. Défoncer une porte et la laisser béante sur un inconnu que l’on ne maîtrise pas, et ce, sans pouvoir la refermer, peut s’avérer critique, voire fatal. En effet, avec le recul et l’abstinence, et grâce à la thérapie qui m’a permis d’effectuer un énorme travail sur ce moi qui me tuait, j’ai compris que l’alcool était couramment source d’états dépressifs, voire dans les cas extrêmes, suicidaires. Si le déni est un mécanisme de défense, quel risque court-on en plaçant le malade face à ce qu’il cherche désespérément à fuir, à ne pas affronter ? Ne risque-t-on pas de le mener, bien malgré nous, malgré de louables intentions, au bord d’un précipice ?
Quant aux moralisateurs, laissez tomber vos belles paroles.
« L’alcool te détruit. Il ruine ta santé. » Que croyez-vous ? Qu’un alcoolique est tellement absurde qu’il ne prend pas la mesure du traumatisme qu’il inflige à son corps ? Il l’accepte. C’est tout. Il l’accepte comme une dîme à payer. Ce liquide dans mon sang m’était salutaire. C’est triste à dire. Mais il m’évitait d’avoir à affronter ce « je-ne-sais-quoi » qui me terrorisait. Quant à mon corps… Mon physique… Qu’est-ce que je pouvais bien en avoir à faire ? Il m’importait peu à vrai dire.
« Tu te rends compte de ce que tu infliges à ceux qui t’aiment ? » Là encore, arrêtez de nous prendre pour des idiots, des égoïstes qui n’ont rien à foutre des autres. Bien entendu que j’étais conscient du mal que je répandais autour de moi. Non, mais sans déconner, que croyez-vous ? Je croulais sous la honte et le désespoir. Combien de fois ai-je songé à partir, à disparaître afin de ne plus imposer mon alcoolisme aux miens ? Croyez-vous réellement que je me complaisais dans cet état, que je n’aurais pas réagi ou agi plus tôt si j’avais disposé des armes nécessaires pour mener le combat ?
À vous, les bien-pensants, vos beaux discours, vos bonnes intentions ne servaient qu’à me culpabiliser un peu plus. Culpabilité que je me hâtais de faire disparaître. Vous savez comment.
Oui, c’est bien joli, mais alors que faire ? Doit-on tout supporter ? Conjointes et conjoints, enfants, amis et proches, doivent-ils prendre sur eux et fermer les yeux sur les excès avec tout ce qu’ils impliquent ? Ma femme, par exemple, devait-elle accepter sans broncher les paroles odieuses qui sortaient de ma bouche, mes emportements, les négligences dont je faisais preuve envers mes fils ?
Non, bien entendu que non. À tout jamais non ! Hors de question d’accepter les humiliations, les brimades et encore moins les coups. L’alcoolique qui se repent et se répand en excuses, en bouquets de fleurs et autres cadeaux divers, est peut-être sincère sur le moment. Probablement même, mais sur le moment seulement. Car la dépendance est plus forte que tout. Il lui est impossible d’y faire face. D’ailleurs pourquoi cherche-t-il fréquemment l’affrontement ? Pourquoi l’ai-je fait moi-même ? Pourquoi m’en suis-je pris à ma femme, pourquoi ai-je proféré ces menaces, ces saloperies lorsque j’étais sous emprise de l’alcool ? Suis-je un salopard né ? Un être destructeur ? Un être immonde ? Je ne le crois pas. Pourquoi m’en prendre à celle à qui je tenais le plus ? Rétrospectivement, je pense qu’il me fallait provoquer sa haine, son dégoût. Je ne pouvais me passer de la substance à laquelle j’étais inféodé. Je lisais dans son regard la colère, la peur, l’incompréhension, le désespoir, la tristesse. Une tristesse d’une telle profondeur que je ne pouvais que me sentir coupable de ma condition d’esclave. La honte d’être ce que j’étais m’étouffait. Plus elle me submergeait, plus je consommais. Plus je consommais, plus je devenais soumis. Je ne pouvais plus accepter ce regard. Je l’anéantissais et j’en étais conscient. J’étais devenu nocif, un poison pour celle que je chérissais. Il me fallait la pousser à s’éloigner. Non seulement pour la protéger, elle, mais également pour me soulager moi. Mais elle restait là, fidèle au poste, en assumant seule toutes les tâches auxquelles un couple doit faire face. L’éducation des enfants, dont je m’éloignais inexorablement, les soucis financiers qui accompagnent systématiquement l’addiction, quelle qu’en soit la nature, et moi. Moi l’ombre qui parasitait sous le même toit.
Même à l’heure actuelle, je n’ose imaginer la souffrance que je lui ai infligée en ces temps pas si éloignés que cela. Elle déployait tout son courage pour faire face en épouse et mère exemplaire qu’elle est. Mon Dieu, comme elle doit m’aimer pour s’être ainsi battue avec et contre moi ! Je vous rassure tout de suite, jamais, je n’ai levé la main sur elle, ni sur mes enfants, ni sur qui que ce soit. Je pense que franchir ce cap m’aurait été définitivement fatal.
Ne croyez pas qu’elle soit restée passive à me supporter. Bien loin de là. Les engueulades, les bouteilles qu’elle traquait dans les moindres recoins de la maison et qui volaient au loin, s’écrasant dans la cour, notre vie était à mille lieues d’être harmonieuse. Elle déployait à mon égard ce que je nommerai une violente tendresse. Pourquoi n’es-tu pas partie ? Cela, je crois que je ne le comprendrai jamais. Que tu n’aies pas baissé les bras en me laissant à mes vices, car c’est bien ainsi que tu nommais alors l’addiction, restera à jamais un grand mystère pour moi.