Je te promets la lumière du jour - Pierre Paul Nélis - E-Book

Je te promets la lumière du jour E-Book

Pierre Paul Nélis

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Beschreibung

Tout commence en cette fin de journée du jeudi 8 juillet 1943. Il est 18:00, nous sommes à Palerme, en Sicile. Sur le port, Admeto donne congé à Mario et à Dionisio. Le vieux pêcheur garantit à ses deux marins que la tempête va faire rage dans les prochaines heures... Entrez dans mon histoire sicilienne et marchez aux côtés de Mario.

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Seitenzahl: 263

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Du même auteur :

Romans :

Gil & Axel, Books and Demand, 2022 ;

Cinq qui feront six, Books and Demand, 2022 – anciennement

Garde-meuble et petite valise ;

Double meurtre à la Sainte-Rolende, Brumerge, 2018 ;

Je te promets la lumière du jour, Books and Demand, 2022 ;

À travers le miroir, Books and Demand, 2022.

Livres pour la jeunesse :

Le lit volant de Mamie Violette, Brumerge, 2016 ;

Le souterrain aux Fadarelles, Books and Demand, 2022.

J’ai voyagé à ma guise avec la plus grande liberté à travers cette histoire presque authentique. Je me suis autorisé à endosser les personnages réels et à en créer d’autres de fiction. Au moment de vous écrire ces lignes, mon cœur est sicilien. Car l’histoire des Guccio est un long chemin que j’ai parcouru avec eux. Je vous invite à me suivre.

Je tiens à remercier pour leurs participations amicales, les personnes suivantes :

Mario Guccio (1954-2018) pour m’avoir autorisé à suivre son grand-père tout le long de cette histoire.

Carine Geerts pour ses nombreuses relectures et ses suggestions. Pierre Bruder pour sa fidélité et sa confiance à me suivre dans mes réalisations.

Pierre Paul Nélis

Sommaire

Le vendredi 9 juillet 1943, à Palerme.

Strittu di Missina

Regione Calabria

Ramina e sigarette

Du jour à la nuit

Tout simplement s’approcher d’un ciel bleu

Épilogue

Le vendredi 9 juillet 1943, à Palerme.

Nous sommes le vendredi 9 juillet 1943, en Sicile. Très exactement sur le port de Palerme. Il est sept heures du matin. Le jour s’est levé mouvementé. Il fait déjà une chaleur accablante sur l’île. Des rafales de vent secouent les embarcations. Sur la jetée, le vieil Admeto déploie son filet de pêche. De nombreuses frégates, oiseaux noirs de grande taille plongent tels des faucons crécerelles sur les petits poissons restés coincés dans les mailles du filet. Agacé, le vieil homme jure et peste contre les volatiles.

Le jeune Dionisio arrive en courant près du pêcheur.

– Admeto, as-tu vu Mario ce matin ?

Le vieil homme grommelle :

– Oui, il est parti pour voir sa mère, à Torretta. Personne ne va sortir cette nuit. La tempête va faire rage.

Admeto marque une pause.

– Saloperie d’oiseaux. Qu’ils apprennent à nager au lieu de venir m’emmerder.

Dionisio retire la ceinture en cuir de son pantalon de toile.

Il s’empresse d’essayer de chasser les frégates en sautant et en poussant des cris guerriers.

– Il revient quand ?

Admeto rit et hausse les épaules en voyant le jeune homme sautiller.

– Je ne suis pas dans les secrets des dieux. S’il n’est pas de retour d’ici la tempête terminée, on sortira à deux. Aide-moi à ranger le filet sur le bateau.

À quelques kilomètres de là, Mario a emprunté les raidillons qui raccourcissent la montée vers le village de Torretta. Les passages sont fort escarpés. Ceux-ci lui demandent plus d’énergie encore que par la route. Mais cela n’a pas d’importance. Il bénit le mauvais temps qui s’annonce. Cela fait plus d’un mois qu’il est à Palerme, sa mère doit se languir de lui. Il veut aussi avoir des nouvelles de sa femme et des enfants. Cet éloignement de la ville de Palerme tombe à pic. Il s’y sent surveillé. Depuis quelques mois, il vole des couvertures et des conserves aux Allemands qu’il revend au marché noir. Il faut dire que ça lui est facile. Le magasin est à côté du garage où se trouve l’atelier mécanique. Il y assure en tant que mécanicien, la maintenance des side-cars de l’armée allemande. Cette dernière semaine, la guerre semble tourner mal dans le pays. Il a vu le comportement des soldats allemands devenir plus agressif. Tout en grimpant, il se félicite d’avoir convaincu sa femme de partir avec les enfants. Pour cela, il avait prétexté le décès imminent d’un membre de la famille. Il avait réussi à obtenir un document officiel rédigé en double exemplaire à la Kommandantur. Ces documents allaient permettre aux Guccio de se rendre dans le nord de l’Italie.

Pendant le voyage, son épouse Serafina aura la présence d’esprit d’éviter Milan, car la Gestapo y a la réputation d’être une des plus violentes du pays. On parle d’un nouveau venu, un officier SS débarqué depuis peu de Lybie. Un certain Théodore Zaewecke1 . Cet homme traque les Italiens antifascistes et les Juifs avec une rage déterminée.

Serafina ne fera qu’une courte halte à Verona avant de rejoindre le lac de Côme. La maman de Mario, trop âgée pour faire le voyage, avait souhaité rester au village de Torretta.

Cet été 43 est particulièrement torride. Le soleil, jour après jour, a blanchi les pierres et a jauni les rares points de verdure. La forte chaleur qui s’échappe du sol crée des scènes fantomatiques. L’œil y voit des mirages : le passage d’un troupeau de chèvres et son berger, une vieille femme toute vêtue de noir, qui porte un lourd fagot de bois, un cavalier qui s’éloigne. Il n’en faudrait pas plus, pour sombrer dans la folie. Il soupire, la lourde chaleur l’accable. Il n’a aucun moyen de se mettre à l’ombre. La garrigue aride est dépouillée d’arbres. Les arbustes de myrte ne diffusent plus leur parfum. Un air brûlant et sec souffle. Il soulève la poussière de calcaire.

Depuis quelques minutes, son attention s’est portée sur le manège impressionnant d’un bon millier d’étourneaux. La formation en vol est inhabituelle à cette saison. Chaque oiseau semble effrayé. La nuée est incroyablement noire et serrée comme le sont les raisins sur la grappe du pied de la vigne. Cette danse vive et rapprochée le déconcerte. Elle tourbillonne comme si des prédateurs étaient annoncés. Il pense sérieusement que cette nuit va être chahutée. Il sort de sa poche, un mouchoir. Il s’essuie le front et les mains. Il boit une longue rasade d’eau fraîche à la gourde qu’un soldat allemand lui a échangée contre du saucisson de cochon noir.

La vingtaine de kilomètres entamée il y a quelques heures, lui semble interminable. Il n’a pas encore aperçu la moindre habitation. Ce vendredi 9 juillet 1943, la nature semble s’être endormie. Çà et là, seules quelques fleurs en pleine éclosion offrent un spectacle bucolique. Est-ce le vent trop chaud et la température beaucoup trop élevée qui font que la montagne est morte ? Mario reprend sa marche. Au cours de la montée, il croise un lièvre et quelques lézards verts qui s'enfuient à son approche, mais sur les arbres et dans les taillis, aucun chant d’oiseau. Pas de mésanges, pas de fauvettes et pas d’hirondelles non plus. La fin du jour descend doucement sur la lande, un vent plus frais enveloppe la colline. Sous le crépuscule naissant, le village apparaît. À son passage, quelques vieilles femmes chuchotent, il les salue. Elles lui répondent d’un signe de la tête. Un chien bâtard très maigre le rejoint et le talonne. Il jappe et flaire la besace en toile.

– Tu sens mon saucisson et mon jambon, va au diable !

Mario n’est pas d’humeur. Il se retourne et chasse l’animal.

Le chien s’éloigne promptement, mais sans pour autant abandonner la partie. Tous les deux arrivent devant la maison. Mario actionne la grille en fer forgé qui chante, il entre dans la cour et la referme sur le canidé.

– Mama !

– Mario, mon garçon ! Quelle bonne surprise ! Je me languissais de te voir. Tu dois être fatigué ?

Tous les deux se serrent, heureux de ce moment.

– Ça va ! C’est la canicule et le vent infernal qui ont été pénibles. Le vent a été brûlant, sec et salé. Il me colle à la peau, mais bon, je suis arrivé.

Il pose un baiser dans le cou de sa mère.

– Je t’ai apporté un jambon de la ville. Il pèse près de quatre kilos. J’ai du saucisson, du vin et tes biscuits d’amande

Machinalement, sa mère saisit le sac.

– Viens, ne reste pas là ! Entrons dans la maison.

Tout le long de la soirée, il parle de Palerme. De l’aide qu’il reçoit du vieux pêcheur Admeto. De ses coups menés en douce dans les réserves alimentaires des Allemands en place. Ils sont sur le qui-vive depuis quelques jours. Il a vu de fréquents détachements de soldats et moins d’officiers aux terrasses. Il sort de sa poche arrière, une liasse de billets de cinq lires et de cinquante lires. Sa mère lui fait signe de la ranger. Elle dit avoir peur, elle ne veut pas qu’il se fasse prendre et se faire pendre ou fusiller. Il la rassure. Elle lui parle de sa femme et de ses enfants. Tout va bien. Ils sont à la frontière suisse. Là-bas, c’est calme. Juste des patrouilles et des douaniers. Mario sourit, heureux de ces nouvelles. Dehors, la nuit a posé son grand manteau noir sur l’île. La tempête s’est enfin levée. On entend dans le lointain, des volets mal fixés qui cognent les murs. Il sort de la maison et ferme la grille avec la grosse clef. Il range la vieille brouette de bois contre le mur de pierres et couche le banc sur la terre battue. La maison s’endort rapidement. Durant la nuit, tous sont réveillés par des explosions. Mario ouvre la fenêtre et observe l’horizon. Il distingue des fumées qui forment des épaisses masses de nuages noirs. Sa mère ouvre la porte de sa chambre.

– Que se passe-t-il ?

– C’est du côté de Palerme. Regarde, le ciel est en feu.

Toute la nuit, Palerme s’écroule sous les bombardements des Américains2 , en emportant avec elle, les Palermitains. Au matin, un homme raconte aux villageois que la ville est détruite. Il y a des soldats américains qui tirent à bout portant sur tout ce qui bouge. Mario serre sa mère dans ses bras. La douleur et la colère bloquent les ventres. En ville, il y a les cousins et les amis.

La guerre pour eux, semblait être ailleurs.

— Tu dois fuir avant que des soldats n’arrivent. Les Allemands vont sûrement se replier, ils voudront se venger. Va ! Rejoins ta femme et tes enfants.

Bien organisée, la mère de Mario prépare un sac de toile avec deux ou trois vêtements et des biscuits secs. Elle remplit la gourde d’une eau bien fraîche. Mario l’embrasse et quitte le village.

Le jour s’est levé sur toute la Sicile. Il parcourt une venelle, satisfait cette fois, d’être à l’ombre régulièrement. À l’approche du village de Giacalone, il court-circuite la route principale qui mène au centre du bourg. Depuis un bon quart d’heure, il a la sensation d’entendre des pierres rouler derrière lui. Il s’est retourné à maintes reprises pour écouter et observer les alentours. Il s’est même planqué derrière l’un ou l’autre bosquet. À part le bruit du vent, rien ne s’est manifesté. Se sentant à découvert sur le chemin, il accélère le pas.

Après sept heures d’une marche éprouvante, il accuse la fatigue et décide de se reposer une heure. Une fois retapé, il pourra reprendre la route et rejoindre Ficcuza avant la nuit. Il aura parcouru soixante kilomètres sur la journée. Il aperçoit avec soulagement, un massif d’arbres qui offre une large zone d’ombre. Il s’y rend et s’assoit contre un tronc. Quand soudain, il remarque un homme qui a suivi son chemin. Il se glisse à couvert. L’homme est jeune. Il marche d’un pas alerte. Soudain, il s’arrête. Il porte un regard vers les arbres où Mario est planqué. Il décide, à son tour, de se mettre à l’ombre. Arrivé à hauteur de l’oasis, il déboutonne sa braguette et se met à pisser. Le gamin a, à peine vingt ans. Il porte une élégante casquette « Arnold » en tissu gris foncé. Ses cheveux sont en bataille, collés sur le front par la transpiration. Il a l’œil noir et vif.

Mario émet un sifflement qui bloque l’activité du pisseur.

– Pst ! Fais gaffe en pissant, je ne suis pas très loin.

Le jeune homme sursaute.

– Qui v’là là ?

Perplexe, il ne sait plus trop quoi faire. Son accordéon gêne ses mouvements. Pudique, il tente de se détourner de la voix et se pisse dessus. Mario s’amuse de la scène.

– Tout doux, mon grand, fais à ton aise, rengaine ton fusil à un coup. Je fais la route depuis ce matin, j’ai fui Palerme. Mon nom est Mario. D’où tu viens, l’ami ?

– Je m’appelle Dagoberto. C’est malin, tu m’as flanqué une de ces trouilles. Je me suis pissé dessus. Je vais puer la rage. Je viens aussi de Palerme. Je rentre chez moi, à Ficcuza.

Le jeune homme dit avoir quitté la ville juste avant les bombardements. Il y jouait de l’accordéon aux terrasses des cafés. L’instrument est avant tout, un prétexte pour essayer de savoir où sont ses parents. La Gestapo les a arrêtés le 15 juin, à Ficcuza. Sur la route, il a croisé peu de gens qui fuyaient. C’était juste avant de prendre le chemin que Mario a emprunté. Les deux hommes se cachent sous la zone la plus ombragée. Étonnés, tous deux constatent n’avoir pas croisé d’Allemands le long du chemin. La côte étant sous les feux des Américains et des alliés, c’est par ce côté qu’ils devraient passer. Les deux hommes s’assoupissent confiants l’un envers l’autre. Mario a placé son sac de toile sous sa tête, ils s’endorment. Une bonne heure et demie se passe, ils se réveillent et se lèvent. Chacun saisit ses affaires et remet son couvre-chef. À ce moment très précis, ils entendent au loin le bruit sourd d’une moto. Mario fait signe au jeune homme de se planquer. Ils fixent du regard le tournant. Un side-car allemand déboule à vive allure. Le pilote est penché sur le guidon de sa moto, tandis que l’autre tient une mitraillette.

Mario s’exclame.

– Merde, c’est une MG 42 que le passager tient.

Dagoberto s’est tourné vers lui, admiratif.

– Tu t’y connais ! À cette distance, t’as l’œil.

Mario continue ses explications.

– C’est un calibre de 7,92mm. Une mitraillette qui tire de 900 à 1200 coups à la minute. Pas de danger, elle demande une bonne stabilité. Elle est alimentée par des bandes métalliques. Ces bandes sont dans le coffre situé à l’arrière du passager.

Le jeune homme l’écoute avec intérêt.

– Je travaillais encore il y a deux jours au dépôt de Palerme. J’y étais mécano. Je me demande ce que ces deux types font là, seuls sur cette route. C’est une estafette, une BMW R12. Sans doute une moto fraîchement débarquée de Libye. L’avantage de cette bécane, c’est son bruit, son potin est reconnaissable. On va attendre un moment, il est possible qu’un convoi suive à distance.

Mario marque une pause, il observe le side-car.

– Ou alors, ces deux-là desservent le courrier.

L’estafette disparait à l’horizon. Ils l’écoutent s’éloigner. Puis ils se retournent vers le tournant pour tenter de voir s’il y a bien un convoi militaire qui suit. Mais, le silence se pose à nouveau sur la campagne. Ils reprennent la route et décident de se suivre à une bonne distance l’un de l’autre. Ce qui permet de se planquer en cas d’urgence.

Au fur et à mesure du temps qui passe, la température grimpe et le soleil frappe dur. La terre plus aride reste parsemée de petits feuillus malingres. Ils devraient atteindre le village de Ficuzza, en fin d’après-midi. Dagoberto imite le son du rapace pour attirer l’attention de Mario. Ce dernier se retourne vers lui et l’attend. Arrivé à sa hauteur, il lui annonce une bonne nouvelle.

– On va bientôt arriver chez moi, je reconnais mon territoire de chasse. C’est ici que j’attrape le lièvre ou la hase. Je les chope à la catapulte.

Il la sort de sa besace et y replonge une seconde fois sa main droite. Il lui montre des petites flèches bien affutées.

– Je taille des petits os et je les imbrique à de fins bouts de bois taillés au couteau. Je vise toujours à l’arrière de l’oreille.

Le chasseur lui indique l’arrière de son oreille, avec son index.

– Juste ici ! C’est radical. Pour que l’animal soit touché et tombe immédiatement, je dois être à maximum cinq mètres de lui.

Il propose à Mario de patienter ici, car c’est l’heure où le lièvre sort. Mario le laisse aller chasser.

La colline ne trahit aucune présence. Sauf un rapace qui tournoie dans le ciel. L’oiseau émet des sons « ka-yak, ka-yak » assez perçants. Mario est convaincu que son compagnon chasse en même temps que le faucon pèlerin. Quelques minutes plus tard, le jeune homme réapparaît avec un magnifique lièvre. Il le brandit vers Mario qui le félicite.

– Tu es vraiment doué, c’est rien qu’avec ta catapulte ?

Dagoberto lui montre où la flèche artisanale a tué le petit mammifère. Très fier, il décrit la scène de chasse.

– Je dois cette belle prise au faucon. Le lièvre était tapi sous un buisson de myrte. Il était plus préoccupé par les cris du rapace que par ma présence. Et « tchac », je l’ai tué.

Mario tâte l’animal encore chaud. Il fait une moue gourmande. Il dit que faire un feu dans le maquis serait une folie. On le verrait à des kilomètres à la ronde. Dagoberto ajoute que son idée n’est pas de dîner à la belle étoile. Il lui rappelle que s’il a chassé ici, c’est parce qu’ils arrivent chez lui. Il tape l’épaule de Mario.

– Dans moins d’un kilomètre, on est arrivé. J’habite en retrait du village, à cinq cents mètres avant les premières habitations. C’est isolé et tranquille. Tu verras, tu y seras bien. On va se mettre ce repas sous la dent et boire un bon vin frais. Je vais te présenter ma sœur, elle sera sûre revenue de Ficuzza. Je l’ai laissée aller chez notre tante Amina.

Mario s’exclame.

– Et tu l’as laissée seule ? Mais tu es fou, ma parole.

Dagoberto rit.

– On voit que tu ne la connais pas ! Si tu oses l’approcher, elle te tue. Suis-moi, on va passer par le haut de la colline.

Il réajuste la sangle de son accordéon.

– Je passe d’office par là. Je peux voir la maison sans être vu. Comme je braconne et que tout le monde le sait, je planque mes trophées de chasse dans un endroit bien frais sous des pierres.

Ils reprennent la route. Mario a accroché le lièvre à son sac. L’animal balance au rythme de ses pas. Ils entament le versant. Une fois au sommet, ils se débarrassent de leurs bardas et les range près du trou où Dagoberto enfouit son lièvre. La ferme est bien en vue. Tous les volets sont fermés à l’arrière, mais le seau du puits a servi, car la margelle est trempée.

– On y est, on va pouvoir y aller. Je vais passer devant toi pour ne pas effrayer ma sœur.

À l’instant où Dagoberto termine sa phrase, les deux hommes se jettent à terre. Un homme arrive vers le puits. C’est un soldat allemand qui chante à tue-tête, il paraît ivre. Les deux Siciliens baissent la tête. Mario est blême tandis que Dagoberto fulmine.

– Figlio di una cagna cazzo ! Saloperie de fils de pute ! Faustina.

Une voix appelle le soldat de devant la bâtisse.

– Eckart ! Ne traîne pas, la fille s’impatiente.

Le « Eckart » rit à gorge déployée tout en pissant. Dagoberto est fou de rage, Mario le retient et lui fait signe de se taire.

– Prends tes flèches.

Il pense sincèrement que rien ne s’est encore passé. Qu’ils arrivent juste à temps. D’après lui, ils ne sont que deux. Peut-être ceux de l’estafette. Il soumet de descendre chacun à leur tour et de contourner le bâtiment sans être vus. Dès qu’ils seront de face, bien en vue, ils pourront agir. Mario sort son long couteau de son sac. Dagoberto saisit sa catapulte et choisit deux de ses meilleures flèches.

À l’avant, les voix se sont élevées. Parmi elles, celle de Faustina qui crie. Elle se débat contre les deux crapules. Mario et Dagoberto saisissent cette occasion pour descendre le terrain et vite contourner la construction.

Moins d’une minute leur a suffi pour être bien en face de la scène. La jeune femme est maintenue par l’un des deux hommes. Le second a baissé son pantalon. Il brandit son sexe en érection à pleine main vers elle. Elle se débat. Le soldat déculotté lui déchire le chemisier et lui embrasse la poitrine, en riant. De ses pieds, il tente d’écarter les jambes de Faustina.

Malgré la douleur, elle résiste, mais les coups assénés la font obéir. Le second violeur la retient fermement et la force à s’accroupir. L’homme debout lui applique sa verge sur les joues et les lèvres. Faustina crache, dégoutée. Elle tourne la tête de droite à gauche et de gauche à droite pour rejeter le pénis du violeur. Elle les insulte. Les deux hommes rient de plus belle.

Fou de colère, son frère arme sa catapulte et tire la flèche en direction de l’amateur de fellation. La flèche s’introduit avec violence à l’arrière de l’oreille du soldat. Celui-ci pousse un hurlement et s’écroule sur le sol. Son acolyte se relève surpris, mais il n’a pas le temps de voir quoi que ce soit, car Mario, de son bras gauche, le rabat vers l’arrière et lui plante la lame de son couteau bien profondément dans le cou. D’un mouvement rotatif, il lui sectionne une de ses carotides. À son tour, il tombe à terre.

Mario voit sur le side-car, une ceinture et son étui de cuir noir. Il va pour la prendre. Il l’ouvre et en sort, un Luger3. Il revient vers les deux soldats, l’un d’entre eux a des soubresauts. En colère, il lui applique l’arme sur la tempe. Il est retenu par Dagoberto, Mario obéit et baisse son arme.

– Ne tire pas, ça va ameuter tout le village. Laisse-les crever. Ils vont se vider comme deux porcs. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. S’il le faut, je les achèverai de mes mains.

Mario remet le pistolet dans l’étui. Faustina, quasi évanouie, s’est couchée dans la position fœtale. Son frère l’emporte à bout de bras. Dagoberto s’allonge tout contre elle. Sa sœur le frappe avec les pieds.

– Où étais-tu encore ? Tu devais être là !

Il la rassure, tout en encaissant la colère. Mario s’appuie sur le chambranle de la porte. En moins de quelques secondes, ils ont tué. Il ne s’imaginait pas que c’était si facile. Les cadavres exsangues, gisent au sol. La terre battue est rouge de sang.

La fin du jour coule sur la campagne. Le ciel tout entier, prend une couleur lapis-lazuli. Dagoberto l’a rejoint sur le pas de la porte.

– Elle s’est endormie. Que va-t-on faire maintenant ? On peut déjà planquer le side-car dans la grange.

Mario tourne la tête en direction de la grande porte.

– Oui, tu as raison, viens. Je ne vais pas démarrer le moteur.

Le véhicule est poussé avec peine, mais ils arrivent à le faire entrer dans la dépendance. Le jeune homme soumet le projet d’enterrer les deux hommes. Mario décline cette proposition.

– C’est trop dangereux. Les Allemands vont se rendre compte de l’absence de ces deux salauds. Ils arriveront ici. Ils ont des chiens. Ces bêtes repèrent tout. J’ai une autre idée. Je vais partir avec eux et le side-car.

Dagoberto s’exclame.

– Quoi ?

Mario lui fait signe de le laisser lui expliquer.

– On va agir tout de suite. On va les mettre sur leur moto. Pour le premier, « Eckart », ce sera vite résolu. On va le coincer dans le panier.

Dagoberto est surpris.

– Quel panier ? ajoute le jeune homme.

Mario lui explique.

– Le panier est l’endroit où s’installe le coéquipier. On place le type bien droit. On mettra le second à l’arrière, il sera derrière moi sur la deuxième selle. Nous devrons le soutenir efficacement. Mais avant, je vais lui enlever le haut de son uniforme. Il est ensanglanté. On le laissera en bras de chemise.

Mario défait la veste du soldat tout en parlant.

– Je vais la laver du mieux que je peux. Je m’habillerai avec ce haut d’uniforme.

Dagoberto est suspendu à ses lèvres.

– Je partirai à la nuit. Je roulerai quelques kilomètres et puis j’aviserai. Toi et Faustina, vous serez hors du champ de l’enquête.

Mario porte sa main droite à son menton et réfléchit.

– Tu fermeras la maison, et tu partiras avec ta sœur. Mais, il y a un « mais ». Elle retournera chez sa tante. Elle aura un panier de victuailles sous le bras. Je te dirai pour la suite. Viens, on s’active.

Les deux hommes emportent le premier macchabée. Tous les trois entrent dans la grange. Ils installent le premier homme dans le panier. Pendant que Dagoberto le maintient droit, Mario va vers l’établi. Il s’empare d’une scie. Il cherche des longueurs de bois suffisantes. Il en trouve deux. Il scie la première longueur de bois en deux sections et les dispose en forme de croix. Puis il saisit une boule de corde et solidarise les deux parties de bois. Il revient au panier. Il glisse la croix dans le dos du cadavre, sous sa chemise. Il positionne la partie horizontale juste au niveau de son cou et de la naissance de ses épaules. Ensuite, avec la corde, il attache fixement la tête de l’homme ainsi que la taille. Dagoberto, amusé, lui pose des lunettes et un casque. Dans le coffre, sous la roue de secours, il trouve une écharpe toilée de couleur kaki. Il l’enroule autour du cou pour camoufler le travail, puis il tape amicalement sur l’épaule de la victime.

– Alors, qu’en penses-tu ? N’es-tu pas bien installé ?

Mario l’entraîne hors de la grange pour ramener le pilote. L’Allemand est plus léger, mais commence à raidir. À l’établi il fabrique une nouvelle croix. Ensuite, les deux hommes installent le soldat à l’arrière, sur la seconde selle. Dagoberto introduit la croix sous la chemisette kaki et la fixe au cou et la taille du macchabée. Il repositionne la chemise, tandis que Mario place les deux mains par-dessus la boucle de maintien de la selle à ressorts. Il en écarte les doigts du mieux qu’il le peut et les enserre sur l’anneau métallique. Le jeune homme le suit dans la manœuvre, il attache solidement les mains au moyen de la corde. Ensemble, ils lâchent doucement le corps, tout tient parfaitement.

Mario balaie de sa main, la sciure qui traîne sur l’établi et la jette au sol. Dagoberto s’est emparé du balai sorcière et rassemble les très fins copeaux et la poussière de sciage dans une ramassette métallique. Il la vide dans le panier du side-car.

Mario s’approche du véhicule.

– Viens, on va rapidement nettoyer la veste couverte de sang. Je la mettrai mouillée. Fais-leur les poches. Ne prends que l’argent. Pas de bijou, pas de montre. Je vais essayer le casque. Le side-car vient bien de la Libye, son jerrycan fait dix litres. Je vais jeter un œil à la sacoche en cuir.

Il demande à Dagoberto de répandre de l’eau sur la terre rougie par le sang et d’aller chercher le lièvre.

Cynique, Dagoberto lui réplique.

– Tu as faim ? Moi, cette histoire m’a coupé l’appétit. Je vais aussi prendre la brouette à l’entrée de la remise et la remplir de gravier.

Il va pour remplir un seau d’eau au puits. Tandis que Mario détache les deux lanières de l’élégante serviette en cuir fauve. Elle est marquée du « Reichsadler ». L’aigle et le sigle nazi sont bien marqués dans le cuir épais. Il en extrait divers documents. Quelques feuilles paraissent indiquer un état de stock de matériel, à priori sans importance. Puis un paquet d’affichettes à distribuer et à faire placarder dans les administrations et les lieux publics. Il lit le texte rapidement :

« Le Parti communiste sicilien étant dissous, cette activité est dorénavant interdite en Sicile. Toute personne qui en fait la propagande ou qui tente d’en faire ; bref, qui soutient, en quelque manière que ce soit, des agissements communistes, aide les ennemis de l’Allemagne. Le coupable de ses actes terroristes devra s’attendre à être condamné à mort par une cour martiale allemande. Toute personne qui se trouve en possession de tracts anti-allemands doit les remettre immédiatement au service militaire allemand le plus proche… etc. Signé Friedrich Generalleutnant. »

Mario saisit deux autres séries d’affichettes qui portent des noms siciliens. Ce sont des avis d’exécutions.

« BEKANNTMACHUNG ? ZUM TODE ? Avis … À la peine de mort. Durch das Kriegsgericht das Oberfeldikommandantur, Oberfeldkommandantur? Palerme, le jeudi 24 juni 1943… Le Conseil de guerre de l’Oberfeldkommandantur. 1. Ottavio Dagoberto De Barnardi 2. Gavina Idelma ferracini, épouse d’Ottavio Dagoberto De Barnardi 3. Berardo Iacopo Massarini, etc. Pour attentats répétés au moyen d’explosifs et pour incendie volontaire. Tous résidant à Ficcuza, ils ont été condamnés à la peine de mort et ont été fusillés à Palerme, le mardi 22 juin 1943. Signé Friedrich Generalleutnant. »

Mario baisse la tête, sa pensée immédiate se dirige vers les deux jeunes gens. Voilà la raison pour laquelle, Dagoberto et Faustina sont seuls ici. Leurs parents ont été exécutés. Doit-il leur annoncer ou doit-il se taire ? Il décide de garder le silence. La journée a été assez éprouvante pour tout le monde. Il consulte le reste des paperasses. Les derniers feuillets sont des relevés du nombre de juifs et de communistes, ou encore activistes socialistes italiens. Ces listes ont été demandées par Milano et sont à l’intention de Théodore Zaewecke. Plus de deux cent septante noms et prénoms, ainsi que les lieux où ils habitent. Là, Mario est heureux, car ces pages n’arriveront jamais à leur destination.

Dans le fond de la mallette, il y a une jolie boîte en marqueterie avec le sigle du « Reichsadler », L’étui est en bois noble. Il contient un authentique stylo à plume Duofold de 1928 de couleur orange.

Il hésite un moment à se l’approprier, mais il se doute que s’il est pris avec le bel objet, il est condamné d’office à mort. Ce serait idiot de perdre la vie pour une plume en or. Il continue sa recherche et sort un briquet à étoupe sicilien. Ce briquet rudimentaire est à amadou4.

Faustina se réveille. Elle se lève et sort à l’avant de la bâtisse.

– Où sont-ils ? Qu’en avez-vous fait ?

Mario lui demande quelques secondes. Il range le briquet dans sa poche et remet tout le reste dans la serviette en cuir fauve. Il referme les deux boucles et s’approche de la jeune femme. Elle s’écarte subitement et s’exclame.

– Ne t’approche pas de moi et ne me touche pas !

Mario baisse la tête et s’excuse de son geste maladroit. Suite à l’intervention verbale de sa sœur, Dagoberto accourt. Faustina, gênée de sa réaction, s’excuse auprès d’eux. Mario lui demande de l’accompagner dans la grange. Il lui montre le side-car et ses deux agresseurs juchés dessus. Silencieuse, elle fait le tour de la machine.

– On les croirait vivants. Que comptes-tu faire d’eux ?

Il lui explique son plan, elle intervient.

– Tu sais conduire cet engin ?

– Oui, je connais les bécanes, j’assurais l’entretien de ces machines, il y a à peine quarante-huit heures à Palerme.

Faustina lui coupe la parole.

– Tu as quitté Palerme. On dit que les Américains y sont et que la ville est sous les bombardements. Ce que je trouve curieux, c’est le peu de gens qui fuient. Je n’ai croisé que peu de monde. Où restent-ils ? Ils ne sont quand même pas tous morts. Mario garde le silence.

C’est vrai qu’à part le frère de Faustina, il n’a vu personne. Il regarde Dagoberto qui confirme la situation.

Mario répond :