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Depuis 1870, une légende parcourt l'Auvergne. On raconte que les nuits où s'installe un épais brouillard, on entend les hurlements d'une meute de loups à travers les collines. On y a vu des cercles lumineux colorés danser au-dessus d'un puits naturel que les Auvergnats appellent « Le puits aux Fadarelles ». Lors de ces nuits lugubres, les voyageurs à pied évitent de parcourir les chemins...
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Seitenzahl: 116
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Romans :
Gil & Axel, Books and Demand, 2022 ;
Cinq qui feront six, Books and Demand, 2022 ;
Je te promets la lumière du jour, Books and Demand, 2022 ;
À travers le miroir, Books and Demand, 2022 ;
La légende de Marie L, Books and Demand, 2023 ;
Le souterrain aux Fadarelles, Books and Demand, 2023.
Livre pour la jeunesse :
Le lit volant de Mamie Violette, Brumerge, 2016 ;
« Le blé qui pousse a le pied dans la chair humaine dont la poussière a engraissé nos sillons ».
Georges Sand
De nos jours, peu de gens se souviennent de cette guerre de 1870. Le conflit franco-prussien n'aura duré que quelques mois, mais il restera un fait marquant pour les survivants de cette époque.
La défaite de la France sera lourde à porter pour ses soldats. Ils garderont en mémoire, les pertes de l’Alsace et de la Lorraine ainsi que les cris, les pleurs et les appels à l'aide de leurs compagnons d'armes. Ils entendront longtemps, les hennissements des chevaux agonisants. Ils garderont les odeurs de poudre mélangées à l'odeur âcre de la mort.
L'homme est le seul animal capable d'inventer l'hostilité et la guerre, et il ne s'en prive pas.
Pierre Paul Nélis
Le décès du père
La mauvaise rencontre
Voyage vers le sud
L'abbaye de Saint-Alyre
L'Angélique
Une ombre dans la nuit
Le repaire des voleurs
Le puits aux Fadarelles
Le petit guide sympa
Nous sommes le 31 août 1870, dans le département des Ardennes françaises. Plus précisément en régions : Alsace-Champagne et Ardenne-Lorraine.
La noirceur de la nuit est épaisse, seule la Meuse sépare l'armée française de l'armée prussienne. Les soldats se devinent de chaque côté du fleuve. Des feux de camp témoignent de leur présence. Dans quelques heures, les deux forces militaires s'affronteront dans un face à face violent.
Ce 1er septembre 1870, l'armée française tombe progressivement sous l'offensive allemande. Les cris et les appels de détresse déchirent l'épaisse brume. Proche de la ville de Sedan, le village de Bazeille finit de brûler, il n'est plus que ruine. Sur le champ de bataille, les secours s'affairent. Ils recherchent les survivants parmi les cadavres.
— Jules, viens par ici. J'ai trouvé le petit menuisier.
Jules, suivi de Corentin et de Marcel, enjambe les corps et arrive près de Jean. Les quatre hommes observent leur ami mort.
Jules intervient :
— Je connais une dame qui va encore pleurer son homme. Il n'a rien vu venir.
Il se penche sur le cadavre.
— Une balle en pleine tête et une baïonnette en pleine poitrine. Il doit être mort sur le coup.
Corentin prétend le contraire.
— Tu as vu sa bouche serrée. Il est tout crispé. Sa cage thoracique est plate comme si elle avait été broyée par le passage des deux armées. Si celui-là est mort sur le coup, je veux bien être transformé en âne.
Marcel rit nerveusement.
— Allez, l'âne, prenons le petit menuisier et mettons-le avec les autres.
Chacun saisit un des membres du défunt et le soulève de terre. Arrivés à la charrette à bras, ils font un mouvement de balancier et lancent le petit soldat sur les autres dépouilles.
*
Le mercredi 14 septembre 1870, deux gendarmes à cheval entrent dans le petit village de Chémery-sur-Bar. Guidés par un enfant, ils se rendent chez les Audister. Les deux hommes mettent pied à terre.
Une jeune femme arrive du côté de la grange. Elle est suivie par un jeune garçon. Elle apostrophe les deux militaires chargés des missions de police.
— Qui va là ?
Le gendarme retire son bonnet de police et ses gants. Il ouvre un pli officiel et à haute voix, il lui annonce la mort de son mari.
— Vous êtes sûr que c'est bien le petit menuisier. Que c'est bien mon Eugène. Eugène Audister ?
L'annonceur lui confirme que la lettre est authentique, que c'est l'armée qui l'a rédigée, celle-ci est signée et contresignée par des hauts fonctionnaires. Le gendarme replie le document et le tend à la jeune femme.
— Madame, recevez nos sincères condoléances militaires et patriotiques.
S'adressant au jeune garçon.
— Sois courageux. Tu peux être fier de ton père.
L'homme remet ses gants et rajuste sa coiffe. D'un claquement de bottes, il tourne les talons. Les deux gendarmes font le salut militaire et quittent la cour de la ferme, toujours suivis par le gamin.
Mélanie sait qu'à cet instant précis, tout est fini à Chémery-sur-Bar. Elle va devoir partir, quitter la maison. Une main se glisse dans la sienne. Machinalement, elle la serre avec vigueur.
— Maman ?
Mélanie avance vers le vieux banc situé contre la façade de la bâtisse. Elle fait signe à son fils de venir s'asseoir à son côté, contre elle. Des regards furtifs se croisent. Loïc, du haut de ses presque douze ans, ressent la tristesse de sa maman.
— Maman, c'est sûr pour papa ?
Elle hausse les épaules et soupire profondément.
— Ton père est bien mort. Fallait pas qu'il y aille à cette guerre. D'ailleurs, il ne devait pas y aller. Il a voulu suivre ce maudit crétin de Jules.
Elle baisse la tête et soupire profondément.
— A-t-on idée de s'engager, quand on a charge de famille. Tu vas voir, demain, on va devoir partir d'ici. La menuiserie de ton père tourne déjà grâce au Breton. C'est l'occasion rêvée pour le patron de nous jeter dehors.
*
Mélanie dit vrai, dès le lendemain à la première heure du jour, le métayer est arrivé. Il n'a de cesse de répéter la même phrase :
— Je vous le confirme, c'est écrit noir sur blanc sur le contrat : « Le bail rural est rompu immédiatement si le contractant vient à décéder » et c'est le cas.
Bien sûr en arrivant, il a témoigné de ses « sincères condoléances ». Bien sûr que Mélanie n'y a pas cru un seul instant. Les deux hommes se détestaient. Faut dire que l'Eugène n'était pas un cadeau. Il n'était pas fiable dans son travail et peu respectueux. Il avait un sérieux penchant pour la vinasse. C'est d'ailleurs sous l'ivresse, qu'il avait signé son engagement militaire avec Jules. L'homme insiste auprès de Mélanie sur le fait qu'il a gardé patience en lui laissant la ferme quelques semaines de plus. Maintenant que le remplaçant, dit « le Breton » a fait ses preuves, il doit céder le tout au menuisier. Le métayer dit en être très content, que l'homme est un artisan menuisier à livret. Il est qualifié dans différentes disciplines. Il sait entretenir les voitures à cheval, il sait manipuler le cuir et restaurer, voire fabriquer des sièges. Doué en bâtiment, il est également merrandier.
Il réalise les douelles des tonneaux. Et... il ne boit pas ! L'homme insiste trois fois sur ce dernier point. Mélanie n'exprime rien, elle se contente de l'écouter.
Trois jours passent, une voiture entre dans la cour. Un jeune homme en descend. Il aide sa jeune épouse à poser pied à terre. Elle tient un nourrisson. Le métayer, à dos de cheval, entre à son tour dans la propriété.
Du haut de la colline, Mélanie et Loïc les regardent silencieusement puis se mettent à marcher. Ils disparaissent sous les arbres bordant le chemin qui les conduit vers un ailleurs. Ils traversent les premiers villages et les petits hameaux. À leur passage, les habitants les dévisagent avec méfiance.
Il faut dire qu'en ce moment, ce ne sont pas les mendiants et les veuves qui manquent. Les villageoises invectivent les femmes et les chassent à coups de pierres. Elles sont un danger pour elles. On dit par-delà, que des épouses ont été remplacées et chassées de chez elles.
Mélanie finit par contourner les agglomérations. Elle évite de s'approcher trop près des maisons et des fermes. Chapardant au gré des sentiers, quelques cerises tardives et quelques dernières pommes et poires des vergers longés. Se rafraîchissant aux points d'eau. Tout cela bien à l’abri des regards.
En fin de journée, ils trouvent une place bien protégée près d'un vieux muret pour dormir à la belle étoile. De là, Mélanie peut observer le chemin et la rivière. Car c'est la nuit qu'elle craint le plus. La vie prend une tout autre dimension. Elle semble animée par l'invisible. La jeune femme s'est allongée à côté de son fils. Tous les deux mettent un temps fou à s'endormir. S'écoutant respirer et sursautant au moindre bruit suspect sortant des fourrés : un rongeur qui court sous les hautes herbes, le cri d'un rapace, le pas d'un sanglier ou celui d'un chevreuil. Même l'eau de la rivière renvoie des lueurs qui forcent aux mauvaises pensées.
Faut dire qu'à cette époque, les histoires vont bon train et Mélanie craint les elfes, les mauvaises fées et les démons. Comble de tout, ce soir, le bruit du vent gémit et chuchote. Loïc se blottit au creux des reins de sa maman. Lui aussi, écoute les bruissements confus.
Tout ce qui anime l'imagination prend des proportions gigantesques. Pour lui, même les arbres quittent la terre et s'activent. Peu rassurée, Mélanie le ramène tout contre son corps et lui caresse doucement les cheveux. Elle se dit que le sommeil, finira bien par les emmener vers les rêves, mais ce soir, ils tardent à venir. Là-haut, la lune pourpre diffuse une lumière bleutée inhabituelle sur la campagne.
Dissimulés dans les hautes herbes, ils attendent Morphée. Après tout, n'est-ce pas lui qui a pour vocation d'endormir les mortels ? Mais le jeune garçon n'arrive pas à fermer les yeux.
— Maman, tu ne dors pas ?
Mélanie pousse un long soupir.
— Non, je n'y arrive pas.
Il se retourne promptement, sa mère lui chuchote.
— Fais moins de bruit, j'entends du monde.
À quelques mètres sur le chemin en contrebas, on distingue des bruits de pas et des rires. Elle pose sa main sur la bouche de son fils. Elle insiste pour qu'il ne dise rien, les voix se rapprochent. Ce sont des voix d'hommes.
Un des marcheurs soupire.
— Moi j'ai assez marché. Je vais passer la nuit ici au bord de ce ruisseau.
Les autres s'accordent à cet avis. Tous descendent vers l'eau. Le groupe s'y désaltère. Celui qui paraît être le chef intervient.
— Oh là ! Tout doux vous autres. On doit vous entendre à cent lieues.
Il a un fort accent. Mélanie soulève sa tête afin de parvenir à mieux voir chacun d'entre eux. Elle distingue cinq hommes en armes. Elle chuchote à son fils
— Ne fais aucun bruit, ce sont peut-être des malandrins.
Loïc fait signe d'avoir compris. Mélanie se félicite d'avoir choisi de dormir sur cette partie surélevée du chemin. C'est la peur des vipères qui l'a décidée. Cette peur lui a été communiquée par son mari. Ce dernier aimait lui faire des mauvaises plaisanteries en dissimulant les cadavres des serpents sous un linge ou en les plaçant sous un meuble. L'Eugène en tuait assez bien près de la rivière. Il revenait de la pêche en les arborant fièrement. Mais l'Eugène n'était pas futé. Sachant que la vipère ne s'immerge jamais et qu'elle ne se nourrit d'aucun poisson. Le seul serpent que l'on pouvait voir dans la rivière était l’inoffensive couleuvre à collier. Mais depuis, pour Mélanie, tous les serpents étaient dangereux et mortels.
Les respirations de Mélanie et de Loïc cognent sous leur poitrine. En contrebas, les hommes essaient d'allumer un feu. L'un d'eux cherche à l’entour des petits bois morts. Celui-ci s'approche dangereusement de la cache de nos deux voyageurs. Mélanie pousse la tête de son fiston tout contre le sol, elle pose la sienne à l'arrière et se bloque contre son fils. L’homme s'éloigne en direction de ce qui semble être une futaie. Quelques minutes plus tard, le feu démarre enfin.
Les hautes flammes dessinent un large halo lumineux qui montre distinctement les visages. Ce sont bien des soldats qui rentrent chez eux.
Loïc, très curieux se redresse afin de mieux voir la scène. Mélanie, prise de panique va pour le rabattre à nouveau. Le jeune garçon pousse un cri de douleur. Sans le faire exprès, elle vient de lui croquer le cou.
— Qui va là ? crie un des hommes.
Tous les gars se lèvent et saisissent leur arme. Effrayés, nos deux amis restent tapis dans l'obscurité.
— Non de non ! Vous avez aussi entendu le cri d'un gosse, non ?
Chaque individu le confirme.
— Je m'en vais voir. Ça vient de par là-haut. Restez près des flammes. On ne sait jamais qu'ils soient à plusieurs.
L'éclaireur saisit une des branches enflammées et enjambe un bosquet de ronces, l'arme bien en main. Mélanie pousse son fils sur le côté et lui ordonne d'aller se planquer à couvert avant l'arrivée du soldat. Loïc s'exécute.
— Tiens, la bonne surprise ! Une femme ! Ma foi, c'est qu'elle est belle, la donzelle. Allez, lève-toi !
Le colosse fait un tour rapide de Mélanie et tâche d'éclairer un maximum à l'entour.
— Tu es seule ? J'ai pourtant entendu le cri d'un môme. C'est ton gosse ?
Mélanie, la peur au ventre, est bien incapable de répondre.
— Allez, descends sur le sentier. On va aller se réchauffer près du feu. Mes comparses vont être ravis de faire ta connaissance.
La jeune femme ouvre la marche, tandis que l'homme lui assène une claque humiliante sur les fesses. Loïc n'a rien vu de la scène. Il a juste entendu la conversation. Un mélange de peur et de colère l'anime.