Je tue il - Jean-Paul von Schramm - E-Book

Je tue il E-Book

Jean-Paul von Schramm

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  • Herausgeber: Encre Rouge
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

- Rebonsoir
- Hé, vous m’avez fait peur comme ça dans le noir !
- Désolée. je n’arrive pas à joindre mon taxi... Vous pourriez me ramener en ville ?
- Bien sûr ! Montez !

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Jean - Paul von SCHRAMM

La vengeance est boiteuse, elle vient à pas lents, mais elle vient.

Victor HUGO, Hernani

Si vous n’êtes pas toujours femme en amour, vous la redevenez en vengeance.

Honoré de BALZAC, Beatrix

Une femme a toujours une vengeance prête.

MOLIÈRE, Tartuffe, Acte II, sc.II

En fait, il n’y a que trois dénouement possibles -n’est-ce pas ?- pour une histoire : la vengeance, la tragédie ou le pardon. C’est tout.

1

Samedi 22 avril

23 h 25

⸺ Rebonsoir !

⸺ Ah, c’est vous ! Vous m’avez fait peur !

⸺ Désolée ! Je n’arrive pas à joindre mon taxi … vous pourriez me déposer au centre-ville ?

⸺ Bien sûr !

Lundi 24 avril

Hôtel de Police.

Le Commandant Fischer, debout à la fenêtre de son bureau, regarde la pluie tomber sur la ville.

Une pluie mauvaise et opiniâtre.

Il est de méchante humeur et il n’aime pas ça.

Ça lui donne des aigreurs.

Fichu temps.

Il pleut depuis des jours et des jours, on ne sait plus depuis quand et on a l’impression que ça ne va jamais s’arrêter.

Ce matin encore, le ciel uniformément gris ne laisse espérer aucune éclaircie.

Une humidité malsaine a envahi toute la ville, les rues, les maisons.

Elle imprègne les vêtements.

Les esprits aussi.

Elle semble s’être installée pour longtemps.

Elle suinte des murs et surit l’air ambiant.

Et les cœurs aussi.

On a frappé à la porte.

⸺ Entrez !

Personne n’entre.

Fischer aboie : « Entrez ! »

⸺ Bonjour, mon Commandant !

⸺ Bonjour Capitaine ! Vous vouliez me voir…

⸺ Oui, mon Commandant. On a un problème…

⸺ Je vous écoute…

⸺ Vous le savez, j’enquête sur le type qu’on a retrouvé mort dans sa voiture il y a deux semaines une balle en plein cœur …

⸺ Du nouveau ?

⸺ Oui et non…

⸺ C’est-à-dire ?

⸺ Sur l’enquête elle-même, rien de nouveau, les techniciens de la Scientifique n’ont rien trouvé de significatif, les auditions de son ex-femme et de ses proches n’ont rien donné, au point qu’on aurait pu privilégier un crime d’occasion…

⸺ Mais ?

⸺ Mais on a découvert hier matin dans sa voiture le corps d’un homme, la quarantaine, tué de la même façon que la première victime selon les premières constatations…

⸺ Ah merde ! Bien, Le Goff, vous me préparez un topo précis sur ces deux crimes et sur les victimes et je veux voir tout le monde en salle de brief à 14 h !

⸺ Entendu, mon Commandant.

Salle de briefing, 14 h.

⸺ Messieurs ! Un nouveau crime a été commis qui va nécessiter la mobilisation de tous dans les prochains jours… Je donne la parole au capitaine Le Goff qui va vous exposer la situation.

⸺ Bien. Il y a quinze jours, le dimanche 9 avril vers 10 h du matin, on retrouve Christian Larchant, 42 ans, agent immobilier, mort dans sa voiture, une balle en plein cœur sur le parking d’une supérette à Fleury. L’analyse de la scène de crime et l’audition des proches n’ont rien donné. La vidéosurveillance non plus. Le rapport balistique nous apprend qu’il s’agit d’une balle de 9 mm tirée à bout touchant par un Beretta Model 34. C’est un pistolet compact semi-automatique fabriqué en Italie à partir de 1934 fonctionnant en simple action qui…

⸺ Laissez tomber le cours de l’armurier, Capitaine…

⸺ Désolé. Selon le légiste, la mort remontait à une dizaine d’heures, ce qui situerait le crime dans la nuit du samedi entre 23 h et 1 h du matin.

Une main s’est levée. C’est celle de la petite nouvelle, la lieutenant Sanchez.

⸺ On connaît l’objet de sa sortie nocturne ?

⸺ Aucun des proches de Christophe Larchant n’a la moindre idée sur ce qu’il pouvait faire en pleine nuit à cet endroit. D’après eux, il était plutôt déprimé après une procédure de divorce compliquée et ne sortait plus. Les alibis vérifiés des proches, l’absence de mobiles patents et d’indices, nous amenaient à privilégier la thèse de la mauvaise rencontre, mais depuis hier…

La lieutenant Sanchez intervient de nouveau :

⸺ On a fait des recherches sur l’arme ?

⸺ Oui, elle n’est pas recensée. Je poursuis, si vous le voulez bien. Depuis hier, la thèse du crime de passage ne tient plus. Hier matin on a retrouvé le corps d’un homme au volant de sa voiture, mort, une balle dans le cœur. Selon les premières constatations, la mort remontrait au milieu de la nuit de samedi à dimanche. L’homme présente également le même profil que la victime précédente, la quarantaine, même niveau socio-professionnel… Voici sa photo, Hugues Marchadier, 40 ans, conseiller financier à la BNP, célibataire. Je dois rencontrer sa mère chez qui il vivait, cet après-midi.

⸺ Merci, Capitaine. Je veux deux équipes en parallèle sur chaque crime. Il faut rapidement savoir ce que ces deux victimes faisaient dehors un samedi en pleine nuit et trouver ce qu’elles ont en commun, parce que si on a affaire à un tueur compulsif… Le Goff, vous coordonnez l’ensemble.

***

La femme est assise dans le couloir, recroquevillée, les mains sur les genoux.

Elle a gardé sur la tête son fichu de pluie en plastique qui goutte sur le carrelage.

Le capitaine Le Goff sort de son bureau et s’approche d’elle.

⸺ Bonjour Madame. Je suis le capitaine Le Goff. Venez, entrez.

⸺ Bonjour Monsieur.

⸺ Madame, je tiens d’abord à vous présenter mes condoléances…

⸺ Merci.

⸺ J’ai quelques questions à vous poser. Vos réponses vont me permettre de mieux cerner la personnalité de votre fils et peuvent me mettre sur la piste de son meurtrier.

⸺ D’accord.

⸺ J’ai cru comprendre qu’il vivait chez vous…

⸺ Non, c’est le contraire. C’est moi qui habite chez lui. Il a tenu à me prendre chez lui après la mort de mon mari il y a deux ans, il ne voulait pas que je reste seule. C’était un bon garçon.

Elle parle d’une voix basse un peu tremblante.

⸺ Il avait des ennemis ? Des problèmes en ce moment ?

⸺ Non, il était normal, tout allait bien.

⸺ Il avait une compagne ?

⸺ Non, pas à ma connaissance depuis sa séparation avec Charline il y a deux ans.

⸺ Vous savez pourquoi il est sorti samedi soir ?

⸺ Oui, il m’a dit qu’il allait à une soirée entre célibataires, comment il disait déjà… un mot anglais …

⸺ Un speed dating ?

⸺ Oui, c’est ça.

⸺ Vous savez où la soirée avait lieu ?

⸺ Dans un hôtel, je crois.

⸺ C’était la première fois qu’il se rendait à ce genre de soirée ?

⸺ Non. Il y était déjà allé une première fois il y a deux ou trois semaines.

⸺ Il cherchait donc une compagnie féminine…

⸺ Oui, c’est normal à son âge, non ?

⸺ Bien sûr.

⸺ On sait ce qui s’est passé, comment il…

⸺ On ne sait pas grand-chose pour le moment, son agresseur lui a tiré une balle en plein cœur, votre fils est mort sur le coup.

⸺ Il n’a pas souffert ?

⸺ Non, et peut-être même qu’il n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

⸺ Tant mieux…

⸺ Vous savez comment il a eu connaissance de ces soirées ?

⸺ Non, tout ce que je sais c’est qu’il s’inscrivait sur Internet.

⸺ Je vous remercie, Madame Marchadier, et je vous renouvelle mes condoléances…

⸺ Merci. Je peux partir ?

⸺ Je vous en prie. Si quelque chose vous revient, n’hésitez pas à m’appeler, voici ma carte.

Le Goff passe la main à plusieurs reprises la main dans ses cheveux en brosse.

⸺ Le Goff. Dites à Sanchez de venir dans mon bureau. Maintenant.

Elvira Sanchez s’est fait remarquer dès son arrivée au début du mois.

Par son physique d’abord de danseuse de flamenco, sexy et virevoltante, l’oeil noir et la peau mate.

Et joliment proportionné aussi.

Puis rapidement par son zèle qui agace la plupart de ses collègues.

Comme sa voix pointue.

Mais comme tout le monde sait qu’elle est la petite protégée du commandant, on lui fait des amabilités.

Sauf Le Goff qui n’en fait à personne.

⸺ Vous avez demandé à me voir, mon Capitaine ?

⸺ Oui, Lieutenant. Il y a eu samedi soir dans un hôtel de la ville ou de la région une soirée de speed dating, je veux tout savoir sur cette réunion, sur le lieu, l’organisation, les participants.

⸺ Ok. Autre chose, mon Capitaine ?

⸺ Oui. Il ne me semble pas qu’on ait entendu la mère de la première victime, vous voyez avec Colombani, une mère ça sait parfois des choses… Vous vous occupez de ça et des conclusions de la Scientifique. Vous mettez Abdaoui sur l’étude des dépositions et de la téléphonie après le premier crime et Métivier sur les proches et le voisinage de Marchadier, ok ? Il faut vérifier aussi si les deux victimes se connaissaient. Vous m’alertez dès que vous avez du nouveau.

⸺ Bien, mon Capitaine.

Elle a une façon de se lever de sa chaise, de faire demi-tour et de se diriger vers la porte, légère et frétillante, avec une grâce naturelle à laquelle Le Goff doit reconnaître qu’il n’est pas indifférent, d’autant plus qu’aujourd’hui elle porte un jean moulant.

2

Mardi 25 avril.

⸺ Bonjour Lieutenant ! On a rendez-vous à quelle heure ?

⸺ Bonjour mon Capitaine ! On a rendez-vous à la demie, dans … moins de vingt minutes. On peut y aller à pied, c’est à cinq minutes d’ici.

⸺ Parfait. Qu’est-ce qu’on sait de cette boîte ?

⸺ L’agence TheMainEvent a été créée en 2018 par une certaine Agathe Pressigny, c’est une entreprise d’événementiel.

⸺ Agathe Machin, qu’est-ce qu’on sait d’elle ?

⸺ J’ai tracé son profil sur les réseaux sociaux, elle semble toujours avoir travaillé dans la communication … ah oui,  aussi : elle a été très active dans le mouvement La Manif pour tous …

⸺ Et pour les speed dating ?

⸺ Ils ont repris depuis le début de l’année après avoir cessé entre 2019 et 2021 à cause de la pandémie, d’abord sur un rythme mensuel puis bimensuel depuis fin mars. Samedi dernier, la soirée a eu lieu dans les salons de l’hôtel Mercure au sud en bordure de l’A20. Les participants s’inscrivent et paient leur droit d’entrée sur Internet sur le site de l’entreprise.

⸺ C’est cher ?

⸺ Vingt-neuf euros. Pour cette somme, ils peuvent faire sept rencontres d’une dizaine de minutes en tête à tête et …

⸺ Oui, je sais comment ça fonctionne.

***

⸺ Ras le bol de cette flotte ! Putain, ça va s’arrêter quand ?

Le Goff a refusé la proposition de Sanchez de faire parapluie commun, prétextant que celui de sa collègue était trop petit.

Résultat, leurs parapluies accrochent de temps à autre les pointes de leurs baleines.

⸺ Chez nous, en Espagne, on dit En abril, aguas mil … ça veut dire qu’en avril …

⸺ Oui oui, j’ai compris.

⸺ Voilà, c’est là. C’est au deuxième étage.

La lieutenant Sanchez désigne la plaque dans l’entrée de l’immeuble.

⸺ Oui, j’ai vu.

Le Goff s’en veut mais il n’arrive pas à être aimable avec sa collègue : elle a toujours ce petit ton sentencieux de celle qui pense en savoir plus que les autres.

⸺ Bon, Lieutenant, vous me laissez parler.

⸺ Bien, mon Capitaine !

Et même dans sa façon d’être soumise au rapport hiérarchique, elle l’agace.

***

La porte s’ouvre.

Madame Pressigny est une belle femme dont la prestance et l’élégance en imposent.

Tailleur-pantalon anthracite à fines rayures sur chemisier rose.

Cheveux blond vénitien tirés sur une queue de cheval d’amazone.

La quarantaine passée contente d’elle-même.

⸺ Bonjour Madame ! Capitaine Le Goff, Lieutenant Sanchez … Ma collègue vous a expliqué au téléphone de quoi il s’agissait.

⸺ Bonjour Capitaine … Lieutenant… Tenez, mettez vos parapluies là dans le couloir. Si j’ai bien compris, l’homme qui a été tué dans la nuit de samedi à dimanche derniers aurait participé à notre soirée de speed dating à l’hôtel Mercure …

⸺ C’est ça.

⸺ Mais vous n’avez aucun élément concret pour prouver que sa mort, que ce crime, a un quelconque rapport avec le fait qu’il ait participé à cette soirée ?

⸺ Non, bien sûr. Tenez, voici la photo de cet homme. Il s’appelle Hugues Marchadier.

⸺ Nous ne connaissons pas l’identité des participants et nous leur garantissons l’anonymat. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà expliqué à votre collègue, je suis incapable de vous donner la liste des participants et quand bien même le pourrais-je …

⸺ Je vous rappelle qu’il s’agit d’une affaire criminelle. Regardez bien. Est-ce que vous le reconnaissez ?

⸺ Oui … oui, je le reconnais. C’était un monsieur très discret, timide même… c’était la deuxième fois qu’il venait.

Sanchez lève le doigt.

⸺ La seconde, si je puis me permettre, Madame, dans la mesure où il n’y aura pas de troisième !

⸺ Merci, c’est bon, Lieutenant ! Vous disiez, Madame qu’il vous semblait timide …

⸺ Oui, la première fois, il n’était pas à l’aise et il m’a demandé de le guider. C’était un homme très courtois.

⸺ Samedi dernier, est-ce que vous vous rappelez s’il a fait des rencontres particulières ?

⸺ Non, pas vraiment. Il semblait déjà plus à l’aise que la première fois. J’y pense, il y a sa fiche !

⸺ Quelle fiche ?

⸺ On remet au début à chaque participant une fiche avec son prénom et son numéro, le numéro correspond aux deux derniers chiffres de son code participant.

⸺ Elle sert à quoi, cette fiche ?

⸺ Elle permet à chaque participant de prendre des notes tout au long de la soirée sur les échanges avec ses différents interlocuteurs.

⸺ Vous notez, Lieutenant, il faut qu’on retrouve cette fiche.

⸺ C’est déjà fait, mon Capitaine.

⸺ Vous avez beaucoup de participants qui viennent plusieurs fois de suite, des habitués en quelque sorte ?

⸺ Beaucoup, non. Mais quatre ou cinq peut-être, chez les hommes comme chez les femmes pour les 30-50 ans, davantage pour les plus de 50 ans pour qui les rencontres sont organisées l’après-midi.

⸺ Je vais vous montrer une autre photo, regardez-la bien et dites-moi si vous reconnaissez cet homme. Prenez votre temps.

⸺ Je ne sais pas … peut-être. Son visage me dit vaguement quelque chose. Vous savez, il y a une dizaine d’hommes présents à chaque soirée … Je devrais le connaître ? C’est    qui ? Le meurtrier ?

⸺ Il s’appelle Christophe Larchant, il est … enfin était agent immobilier, il y a quinze jours il a été retrouvé lui aussi mort dans sa voiture dans les mêmes conditions que Hugues Marchadier … lui aussi peut-être après avoir quitté votre soirée…

⸺ Pure spéculation.

⸺ Soit. Quand la prochaine soirée a-t-elle lieu ?

⸺ Vendredi prochain.

⸺ Je croyais que c’était deux fois par mois ?

⸺ Devant le succès, face à une demande exponentielle, j’ai décidé de passer à un rythme hebdomadaire à partir du week-end prochain. Je crois que les gens commencent à en avoir assez des sites de rencontres virtuelles, qu’ils sont heureux de retrouver l’adrénaline des vrais tête-à-tête, des regards, des rencontres de chair …

⸺ Et pourquoi pas un samedi, comme d’habitude ?

⸺ Nous nous y sommes pris un peu tard pour la location d’une salle et il n’y avait plus d’endroit adapté pour nous accueillir samedi prochain.

⸺ Et la soirée se passera où ?

⸺ L’endroit n’est révélé qu’au dernier moment aux participants, afin d’éviter la venue de curieux.

⸺ Et puis cela met un peu de piment, non ?

⸺ Sans doute, mais ce n’est pas l’effet recherché.

⸺ Alors, où ? Vous pouvez compter sur notre discrétion.

⸺ Dans l’Orangerie du château de la Ferté-Saint-Aubin.

⸺ Bel endroit !

⸺ Le décor fait partie de l’ambiance de ces soirées.

⸺ Bien, chère Madame Pressigny, il va falloir me réserver une place pour cette soirée de vendredi.

⸺ Je suis désolée, toutes les places sont déjà réservées… D’ailleurs, pour tout vous dire, elles ont toutes été réservées dans l’heure qui a suivi l’annonce sur Internet !

⸺ Pardon, je me suis mal exprimé. Ce n’était ni une faveur ni une autorisation que je sollicitais : je participerai à cette soirée, que vous le vouliez ou non ! Il y a peut-être un criminel qui sévit parmi vos célibataires frustrés et je ne voudrais pas …

⸺ Et vous comptez faire quoi ? Embarquer tous les participants à la fin pour les interroger ?

⸺ Non. Juste me comporter comme un participant lambda et observer… La soirée commence à quelle heure ?

⸺ Le rendez-vous sur place est à 20 h 30, les rencontres elles-mêmes commencent à 21 h.

⸺ Il y a un dress code ?

⸺ Non, pas vraiment. Mais, si je puis me permettre, ne le prenez pas mal, ne venez pas comme vous êtes habillé aujourd’hui, là on sent le flic … le policier de loin…

⸺ Merci !

Sanchez a levé de nouveau le doigt.

⸺ Je peux vous poser une question ?

⸺ Oui, je vous en prie, Mademoiselle !

⸺ Concernant la dernière victime quand le Capitaine vous a demandé s’il avait fait des rencontres particulières, vous avez hésité et vous avez répondu, je l’ai noté : « Pas vraiment ». Vous avez pensé à quoi ?

⸺ C’est vrai, maintenant que vous me le rappelez, il y a eu un petit incident que je n’ai pas bien compris … l’homme est venu me voir après son deuxième tête-à-tête et m’a dit vouloir partir … je n’ai pas vraiment compris pourquoi, je l’ai rassuré et il est resté.

⸺ Vous vous rappelez qui était la femme avec laquelle il venait d’échanger alors ?

⸺ Non. Compte tenu du caractère un peu angoissé de ce monsieur, je ne me suis pas formalisée.

⸺ Bien. Je vous dis donc à vendredi donc, Madame.

⸺ Venez un peu plus tôt, disons vers 20 h 15 que je vous explique le protocole in situ.

⸺ Entendu. Au revoir, Madame Pressigny.

3

Un bout de ciel a simulé une éclaircie avant de se reprendre, confus, comme s’il s’excusait de cette audace intempestive.

Il pleut moins fort mais avec le même entêtement.

⸺ Lieutenant, il serait intéressant qu’on mette la main sur les fiches des deux victimes, si toutefois le meurtrier a été assez idiot pour ne pas les emporter… On ne sait jamais, vérifiez dans leur véhicule, dans les vêtements qu’ils portaient ce samedi-là…

⸺ Bien, mon Capitaine.

⸺ Je veux voir tout le monde à 17 h 30 avec des résultats !

***

Bureau du Commandant Fischer.

14 h 15.

⸺ Entrez, Le Goff !

⸺ Bonjour mon Commandant ! Vous avez demandé à me voir ?

⸺ Oui. Je viens de recevoir un appel du Préfet. Il semblerait que vous cherchiez des ennuis à une de ses bonnes amies, Mme … attendez, j’ai noté son nom à rallonge, voilà c’est ça … Mme Pressigny de Varenne-Joncourt …

⸺ Ah, je vois !

⸺ Vous m’expliquez…

⸺ En effet j’ai rencontré et questionné Mme Comme-vous-dites dans le cadre de l’enquête sur le meurtre d’Hugues Marchadier, la seconde victime car il est avéré qu’il a été tué juste après avoir quitté une soirée de speed dating organisée par cette dame.

⸺ Je comprends.

⸺ Et ce n’est pas tout ! Il est fort probable que la première victime, Christophe Larchant, sortait lui aussi d’une telle soirée entre célibataires toujours organisée par Mme P- trois-points-de-suspension quand il a été tué …

⸺ C’est bien, vous avez avancé ! Mais de grâce, trouvez-lui un autre nom à cette dame ! Vous me faites penser à la P trois points de suspension… respectueuse, une pièce de Sartre …

⸺ Connais pas. Moi le théâtre …

⸺ Le P, c’était pour « putain », à l’époque on ne pouvait pas écrire le mot comme ça…

⸺ Je n’étais pas loin, en fait …

⸺ Qu’est-ce que voulez dire ?

⸺ Juste que cette dame, sous des airs très respectables, a un peu l’air d’une mère maquerelle …

Fischer a souri.

Le Goff aime bien avoir ce genre de reconnaissance de la part de son chef.

⸺ C’est vrai que, vu sous cet angle … mais ce n’est pas notre propos. Revenons à l’enquête : les deux victimes ont été tuées après avoir participé à une soirée de speed dating certes, mais ce n’est peut-être qu’une coïncidence.

⸺ Peut-être, mais il y a trois de points convergents qui …

⸺ Que comptez-vous faire ?

⸺ Madame heu … l’organisatrice m’a gentiment proposé de participer au prochain speed dating qui aura lieu vendredi prochain à condition d’être discret et j’ai accepté.

⸺ Ce n’est pas ce que j’ai compris dans ce que le Préfet m’a laissé entendre. Vous lui auriez forcé la main …

⸺ Il aura mal saisi. Madame … l’organisatrice, elle, a compris combien un troisième meurtre touchant un de ses clients serait nuisible à son commerce, elle souhaite que les meurtres soient élucidés au plus vite.

⸺ Bien, Capitaine ! Je vous couvre pour cette infiltration. Vous me présenterez le dispositif de sécurité que vous comptez mettre en place à la sortie de cette soirée, parce que, semble-t-il, c’est là que le meurtrier intervient …

⸺ Entendu.

⸺ À propos, je suis content, vous avez l’air de bien vous entendre avec Elvira …la lieutenant Sanchez … c’est une bonne petite, elle en veut …

⸺ En effet, elle est bonne … je veux dire elle est sérieuse et impliquée …

Il n’allait toute de même pas dire à son chef qu’il n’aimait pas sa protégée, avec son petit air supérieur qu’elle promenait sur les gens et sur les choses, l’air de rien justement, ce qui la rendait plus exaspérante encore.

Ou bien dire qu’il n’aimait en elle que son joli prénom, Elvira.

Ah oui ! Et son joli cul aussi.

***

À 17 h 30 tout le monde est là, sauf le Brigadier-chef Gallois.

Ce qui semble agacer Elvira Sanchez qui regarde sa montre.

Gallois, il amuse tout le monde dans l’Hôtel de Police, les hommes parce que c’est un bel homme bodybuildé aux attitudes de macho, le personnel féminin pour les mêmes raisons, et pour sa manière lourdingue de jouer les séducteurs, dans un rôle auquel il ne semble pas croire lui-même.

Abdaoui, lui, est bien là.

Il est grand et corpulent. La peau mate, le cheveu court et crépu comme son nom le laisse imaginer.

Il est souriant, comme d’habitude.  Il n’est pas forcément de bonne humeur mais il est souriant, comme si ce sourire était malgré lui depuis toujours accroché à sa face.

Métivier, lui, c’est le contraire.

C’est un taiseux qui a toujours l’air contrarié ou constipé.

Petit, sec et teigneux, il est persuadé que tout le monde a quelque chose à se reprocher et qu’il est là pour découvrir les travers de tout un chacun.

On dit que les opposés s’attirent.

Avec eux c’est le cas. Ils sont comme cul et chemise et forment depuis deux ans un duo très complémentaire et très efficace.

Elvira est au milieu de la salle, elle est plus petite que ceux qui l’entourent et pourtant c’est elle qui paraît plus grande.

⸺ Mon Capitaine, ce que je vous propose c’est qu’on fasse d’abord le point sur le premier crime.

⸺ Bien. Je vous écoute.

⸺ J’ai eu un entretien avec la mère de Christophe Larchant qui ne nous a rien appris qu’on se savait déjà, qui s’est résumé en une bordée de propos désobligeants à l’encontre de son ex-belle-fille. En revanche, le Lieutenant Abdaoui, en interrogeant l’ex-femme de la victime, a appris … je vous laisse la parole, Lieutenant …

Le lieutenant Abdaoui sort un petit carnet de sa poche.

⸺ Oui, d’après son ex-femme, Christophe Larchant continuait de la harceler, il n’avait jamais accepté le divorce dont la procédure avait été longue et particulièrement pénible et, une semaine avant sa mort, il s’en était pris violemment à son nouveau compagnon, physiquement même, en proférant des menaces de mort au point que ce dernier avait déposé une main courante. Je l’ai convoqué demain matin à 9 h.

⸺ Merci, Lieutenant.  Concernant ce premier crime, il nous reste demain à essayer de retrouver la fiche de speed dating de la victime et de vérifier les caméras de vidéosurveillance les plus proches du Country Club où s’est déroulée la soirée. Lieutenant Métivier, qu’est-ce qu’on sait de plus sur le second crime ?

Légèrement en retrait, Le Goff doit le reconnaître, Elvira Sanchez mène son affaire avec assurance et juste ce qu’il faut d’autorité.

Métivier relève sa mèche, toussote avant de prendre la parole comme s’il voulait s’éclaircir la voix.

Le Goff lève les sourcils.

Il pourrait se laver les cheveux de temps en temps, Métivier.

Ou alors c’est à cause de la pluie ?

⸺ En fait, on ne sait pas grand-chose de plus. Déjà, une chose est établie, les deux victimes ne se connaissaient pas. On n’a pas encore les conclusions de la Scientifique ni l’expertise balistique. Selon Gallois, on n’a pas retrouvé la fiche de speed dating de la victime ni dans sa voiture ni dans les vêtements qu’il portait. Les caméras de vidéosurveillance qui couvrent l’entrée et le parking de l’hôtel où s’est déroulée la soirée sont en panne depuis une semaine. La seule image que j’ai pu récupérer, la voici, si vous voulez bien regarder l’écran … là voilà … on est sur le Quai Barentin, elle est malheureusement prise de l’arrière, c’est bien la 308 blanche de la victime, on distingue mal mais on a l’impression qu’il y a quelqu’un à l’avant sur le siège passager … dont la tête dépasse à peine l’appuie-tête, ce qui est déjà un indice sur la taille du  meurtrier …

⸺ Vous n’avez pas pu la tracer plus loin ?

⸺ Non, elle va enfiler ensuite la rue des Turcies où on n’a plus aucune image. Autre chose : je suis allé à la BNP pour interroger des collègues de la victime, ils décrivent tous quelqu’un de discret, de réservé qui ne se liait pas facilement.  L’un m’a dit que la seule personne dont il parlait, c’était sa jeune sœur, dont il semblait particulièrement fier, elle aurait réussi à intégrer une grande école. Je viens de la joindre. Il semble en effet qu’ils étaient proches et qu’il se confiait à elle. Il l’avait appelée le samedi après-midi et lui avait parlé, je cite, de « l’excitation » qu’il éprouvait avant ce second speed dating à l’idée de retrouver une femme qu’il avait rencontrée quinze jours plus tôt… mais malheureusement il ne lui a rien dit, n’a donné aucun détail sur cette femme.

Le Capitaine Le Goff s’avance et entre dans le cercle. Il est temps de reprendre la main.

⸺ Bien, merci. Merci, Lieutenant Sanchez. Focalisons-nous sur ce que nous savons. Le meurtrier a participé aux deux dernières soirées. Selon l’organisatrice, il y a environ cinq ou six hommes et femmes dans ce cas. On peut imaginer que le meurtrier ou la meurtrière -pensons à sa taille supposée et au choix de l’arme- se rend à pied, en taxi ou en bus à ces soirées puisque, semble-t-il, il se fait ramener par sa victime. Oui ?

Métivier lève la main.

⸺ Moi, je dirais une meurtrière. Je vois ça comme ça : le type propose de ramener une jeune femme et, au moment qu’elle a choisi, elle se penche vers lui, il croit peut-être à un élan amoureux, et elle lui tire une balle à bout touchant en plein cœur.

⸺ Merci, pour ce scénario, Lieutenant.

⸺ Je peux ajouter quelque chose ?

⸺ Je vous en prie.

⸺ Peut-être aussi que le fait qu’elle tire une balle en plein cœur, ça a un sens !

⸺ Peut-être, qui sait ? En tout cas, une nouvelle soirée de rencontres est organisée vendredi prochain au château de La Ferté-Saint-Aubin. J’y participerai et nous allons mettre en place une souricière à la sortie, dans le parc et ses abords. Des questions ?

Colombani, qui ne dit jamais rien, lève la main :

⸺ Pourquoi on n’embarquerait pas tout le monde ? Ce serait plus simple !

Soudain des claquements de pas.

Tout le monde se retourne.

C’est Gallois qui vient d’entrer, ruisselant, qui tape des pieds et qui s’ébroue :

⸺ Désolé, je suis en retard, à cause de cette putain de flotte !

⸺ On a failli vous attendre, laissez tomber la pluie, Brigadier …

⸺ Vous dites ça vous, mon Capitaine, sauf votre respect, vous, vous êtes Breton, vous avez l’habitude …

⸺ Vous savez ce qu’on dit chez moi, Brigadier ? On dit : « en Bretagne il ne pleut que sur les cons »…

Alors qu’il regagne son bureau, Le Goff est rejoint dans le couloir par Elvira Sanchez.

Il a bien entendu le staccato des petits pas pressés et des bottines de la lieutenant mais ne s’est pas retourné avant d’arriver à son bureau.

⸺ Je pourrais vous parler une minute, mon Capitaine ?

⸺ Entrez, Lieutenant.

⸺ Voilà, j’ai pensé à une chose … pour la soirée de vendredi prochain …

⸺ Je vous écoute.

⸺ Je pourrais y participer moi aussi, à cette soirée … cela doublerait nos chances de repérer le meurtrier…

⸺ Non, il n’en est pas question. En plus si le tueur est une tueuse, je ne vois pas …

⸺ Je pourrais au moins repérer sa victime potentielle, sachant ce que nous savons des deux premières victimes …

⸺ C’est non, Lieutenant, inutile d’insister.

Elvira Sanchez se lève, tourne les talons, fait deux pas vers la porte puis se retourne soudain. 

⸺ Oui ?

Le Goff comprend instantanément : il a lu quelque part que les femmes avaient une sorte de capteur au bas du dos qui les alerte quand quelqu’un regarde leurs fesses.

⸺ Heu … non rien … Vous avez un joli prénom, Lieutenant !

Elvira Sanchez sourit.

⸺ Merci, mon Capitaine.

Une fois seul, Le Goff secoue la tête : « Mais qu’est-ce que je déconne, moi ! »

4

Pendant les deux jours qui suivirent, il ne se passa rien d’important.

Ou plutôt si, un événement capital : le mercredi soir, il cessa de pleuvoir.

Le jeudi matin, le retour des premiers rayons de soleil fut accueilli comme le bonheur d’une renaissance.

Dans les rues, il y avait de la légèreté partout, dans l’air, dans les démarches, dans les vêtements, dans les coeurs, dans les               « Bonjour ! ».

Mais on sentait une gaieté prudente car personne n’avait oublié ce long épisode pluvieux qui avait démoralisé tout le nord du pays.

L’enquête n’avait guère progressé.

La Scientifique avait finalement relevé des traces partielles de semelles mouillées et quelques fibres d’un mélange de laine et de polyamide dans la voiture de la seconde victime mais ces éléments n’étaient guère exploitables.

Le meurtrier semblait avoir nettoyé rapidement le véhicule.

Le rapport balistique confirmait qu’il s’agissait de la même arme qui avait servi lors du premier crime, un Beretta 34.