La menace - Jean-Paul von Schramm - E-Book

La menace E-Book

Jean-Paul von Schramm

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  • Herausgeber: Encre Rouge
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2022
Beschreibung

« JE VAIS TE TUER » :
Quand Adrien Weber reçoit ce message, il croit d’abord à une mauvaise plaisanterie…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean-Paul von Schramm écrivain, polarologue et empêcheur de dormir.
Après le surprenant polar artistique SANS TITRE, le terrifiant thriller LE CIEL, LE SOLEIL ET LA MORT et le bouleversant UN TUEUR EST PASSÉ, l’auteur vous propose LA MENACE, un polar intrigant que vous ne lâcherez pas avant de savoir qui tire les ficelles…

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JEAN-PAUL

von

SCHRAMM

De toutes les menaces qui pèsent sur nous, la plus redoutable, nous le savons, la seule réelle, c’est nous-mêmes.

(René GIRARD, Celui par qui le scandale arrive)

La peur est une mort de chaque instant.

(Emil CIORAN, Des larmes et des saints)

PREMIÈRE

PARTIE

1

Le message est arrivé le lundi 24 mai à 8h08 ainsi affiché sur son portable : « Je vais te tuer. IL ».

Un instant saisi, Adrien a souri, hésitant entre une blague de Herman ou une provocation de Xavier, deux de ses partenaires des PG Murder Parties. La dernière partie, quelques jours plus tôt, s’était terminée dans la plus grande confusion au point que le pot de débriefing qui avait suivi avait été écourté et que la date de juin, la dernière avant la pause estivale, n’avait pas été arrêtée.

Le sms émanait d’un numéro masqué.

Bien joué !

Réflexion faite, ce serait plutôt du style de Xavier, un nouveau dans le groupe, qui s’était déjà signalé par son humour douteux et qui, mécontent, n’avait pas assisté au pot final. Il serait tout à fait capable de confondre sa rancœur dans cette mauvaise plaisanterie.

Car ce ne pouvait être qu’une plaisanterie de mauvais goût, même si la signature IL l’interpellait dans ce qu’elle avait d’étrange et de menaçant.

Le soir, après une après-midi de rendez-vous à l’agence, il avait oublié la menace de mort.

Sylvia était rentrée beaucoup plus tard qu’à l’accoutumée, vers 21h, sans prévenir de ce contretemps. Adrien, alors inquiet, avait repensé au message du matin.

Elle s’était excusée, comme d’habitude sans donner de motif.

Elle avait ajouté qu’elle était crevée, ce qui signifiait qu’elle ne serait pas disponible de la soirée, qu’elle allait se caler dans un coin du canapé avec son yaourt islandais et s’endormir devant une connerie à la télé.

« Tu travailles trop », il avait soupiré.

Elle avait haussé les épaules sans le regarder.

Avocate spécialisée dans le droit des personnes et militante féministe en vue, elle ne comptait pas son temps pour arriver à ses fins.

De son côté, Adrien avait décroché récemment deux chantiers qui l’occupaient beaucoup, particulièrement ces derniers jours, d’autant que JC, son associé, avait passé une partie de la semaine à Londres.

Depuis quelques mois, avec Sylvia ils s’étaient un peu perdus de vue, se croisant dans le couloir ou à la sortie de la salle de bain.

Leur admiration professionnelle réciproque suffisait pour l’instant à leur équilibre. Enfin, ils s’efforçaient de le croire et ne manquaient pas de s’en rassurer mutuellement.

Elle était fatiguée, il n’avait pas jugé utile de lui parler du message reçu.

La semaine s’était écoulée mollement sans qu’aucun autre message ne vînt en perturber l’étirement.

Le second message est tombé le samedi matin à 7h07 : « Je vais te tuer. Avant je vais te prendre ta femme. IL »

Bien que la menace se précise et qu’elle cible également Sylvia, Adrien se refuse à la prendre au sérieux. Et, pour l’instant, dans son esprit, paradoxalement le fait que la menace concerne Sylvia en atténue à la fois le sérieux et la dangerosité.

Il lui en parlerait bien pour avoir son avis, mais se ravise de peur de l’inquiéter inutilement.

Le dimanche après-midi, ils avaient sorti les transats sur la terrasse. Les trois premières semaines de mai avaient été épouvantables et depuis deux jours le beau temps qu’on n’espérait plus était miraculeusement de retour.

Sylvia, en maillot de bain, bretelles lâches, les yeux clos, les cuisses blanches luisantes d’huile solaire, prenait son premier bain de soleil de l’année.

C’était peut-être le bon moment pour la mettre au courant de cette mauvaise blague, histoire de dégonfler l’affaire, d’en rire avec elle et d’en profiter pour retrouver un peu de complicité.

À coup sûr, avec son bon sens affirmé, elle effacerait le soupçon d’inquiétude qu’il sentait vouloir s’insinuer en lui.

Il avait commencé par un anodin « Y’a un truc que je ne t’ai pas dit… » auquel elle avait répondu par un « moui ? » assoupi.

« Non, rien. »

Et quand, une demi-heure plus tard, elle l’avait relancé d’un    « Tu voulais me dire quelque chose tout à l’heure ? », il s’était contenté de répéter : « Non, rien… »

2

Lundi 31 mai.

C’est à 9h09 au moment où il passait devant la gare côté Avenue de Paris que le sms s’afficha sur son portable : « Je vais prendre ta femme. IL ».

À l’agence, il a retrouvé Jean, son associé depuis trois ans, Jean-Claude en réalité, mais qui tient à ce qu’on appelle           « Jean » car il trouve que les prénoms doubles sont ringards.

Adrien s’amuse à l’appeler « JC » car, se moque-t-il souvent, avant J-C c’était la préhistoire de l’archi.

Jean, c’est le créatif, l’artiste, adepte du cradle to cradle, un concept d’éthique environnementale dont le principe est zéro pollution et 100% réutilisé.

Adrien, lui, c’est le communicant, le négociateur.

Jean est petit, gringalet, le poil noir, un air métèque. Adrien n’a jamais compris son succès avec les femmes et comment il avait réussi à séduire Claire, une beauté sculpturale qu’il avait épousée en secret six mois plus tôt. Interrogée sur le sujet, Sylvia avait fini par dire : « Il a quelque chose ce mec que seule une femme peut ressentir ».

De retour de Londres, Jean a fait un compte rendu détaillé de sa présentation de deux nouveaux matériaux pour la rénovation de deux immeubles élisabéthains appartenant à un groupe industriel français.

⸺ Le client a été emballé par les isolants à base de mycélium et par la démonstration du LITraCon : le mur était transformé en théâtres d’ombres chinoises, tu vois, comme dans le film de promo, c’était vraiment très impression- nant !

⸺ Il n’a pas tiqué sur le prix du LITraCon ?

⸺ Pas du tout ! Je crois que plus c’est cher plus ça lui plaît. Tu verrais les volumes ! Il avait retenu une table chez Gordon Ramsay. J’ai pris un pigeon rôti, c’était fabuleux !

Adrien avait été un instant tenté de parler à Jean des messages de menaces qu’il avait reçus. Mais il avait rendez-vous avec un adjoint au maire pour présenter un avant-projet pour la réhabilitation de l’ancienne halle.

Le soir en rentrant, il est surpris de trouver Sylvia dans la cuisine, occupée à peler un concombre.

⸺ Je suis rentrée plus tôt, j’ai eu une audience reportée. Il a fait chaud aujourd’hui, je nous prépare un tzatziki. Tu savais, il paraît qu’il ne faut pas faire dégorger les concombres ?

⸺ Non. Toi, ça va au boulot en ce moment ?

⸺ Tu t’intéresses à mon travail maintenant ?

⸺ Attends, c’est toi qui d’habitude refuses de parler des affaires que tu traites ! Non, je te demande parce que je te trouve un peu tendue en ce moment …

⸺ Disons que je suis sur quelques dossiers un peu délicats…

⸺ Dont tu ne peux pas parler, je comprends.

⸺ Une demande de curatelle suspecte et une corruption de mineure … et puis deux gros doss’ de harcèlement dont je ne peux pas te parler… Passe-moi le presse-ail s’il te plaît ! Tiroir de gauche !

⸺ Tu dois te faire des ennemis dans ce genre de conflits, non ? Tu vas mettre tout ça, comme ail ?

⸺ Des ennemis, je ne dirais pas. Mais tous les arbitrages font des mécontents. La menthe, s’il te plaît !

⸺ Tu as déjà été menacée ?

⸺ Dis donc, c’est toi que je sens tendu ! Mmmm… cette odeur de menthe poivrée … Tu veux en venir où avec tes questions ?

⸺ Nulle part.

⸺ J’ai l’impression que tu as un truc à me dire, je me trompe ?

⸺ Non … enfin si …

⸺ Tu peux me sortir le Straggisto du frigo ?

⸺ Le quoi ?

⸺ Le pot de yaourt grec, en haut, tu verras, c’est écrit dessus en bleu …

⸺ Je ne voulais pas t’en parler, c’est sans doute rien …

⸺ Dans certaines recettes, ils mettent de l’aneth … Je   t’écoute !

⸺ Tu vas voir, il s’agit sûrement d’une blague …

⸺ Vas-y, j’aime les blagues …

⸺ Je te préviens, celle-ci est de mauvais goût… J’ai reçu des menaces de mort …

⸺ Ducasse, lui, j’ai vu, il met un peu de persil …

⸺ J’ai reçu trois messages de menaces de mort sur mon portable en une semaine, en masqué, le dernier ce matin, regarde…

⸺ Qui est-ce qui voudrait te tuer ?

⸺ Regarde !

⸺ « Je vais prendre ta femme » … Ah, moi aussi ? C’est pour ça que…

⸺ Je ne plaisante pas. Les deux premiers, regarde : « Je vais te tuer » …

⸺ Ça ressemble quand même à une grosse blague…

⸺ Tu as sans doute raison, mais…

⸺ Tu vois qui serait le mauvais plaisant qui essaie de te faire peur… un de tes petits copains de tes murder parties ?

⸺ Non, je ne pense pas. Au début, je pensais à Xavier, un nouveau au club depuis cette année, tu sais le type arrogant et provocateur dont je t’ai parlé, celui qui a racheté les Usines Delacroix pour une poignée de cacahuètes …

⸺ Peut-être …

⸺ Mais là, après ces trois messages, je n’y crois plus… Au fait, mes petits copains comme tu dis, je te rappelle qu’on les a invités pour un barbeuk dimanche prochain !

⸺ Ah merde ! Tu fais bien de me le rappeler ! Tu en as invité combien ?

⸺ Je te rassure, Xavier, justement, Herman et bien sûr JC et leurs conjointes…

⸺ Tu t’occuperas de la viande !

⸺ De ton côté, dans ton entourage, tu vois quelqu’un qui…

⸺ Je n’ai pas réfléchi à la question mais a priori je ne vois pas. Et puis c’est toi qui es visé. Le type, il a tes coordonnées.

⸺ N’importe qui peut les trouver sur Linkedin.

⸺ Je te sens un peu inquiet, non ?

⸺ Inquiet, non. Perplexe. Je ne sais pas à quel point c’est sérieux mais je ne crois plus maintenant à une mauvaise blague…

⸺ Donc tu veux dire qu’on oublie le plaisantin au profit d’un cinglé ?

⸺ Je crains qu’il faille…

⸺ Toi, tu as réfléchi à qui pourrait t’en vouloir au point de…

⸺ Oui… Je ne vois pas qui… Je n’ai pas d’ennemis, des concurrents mais…

⸺ C’est bizarre cette signature « IL », tu as cherché à qui ou à quoi ça pouvait correspondre ?

⸺ Non.

⸺ Ça me rappelle vaguement quelque chose … Passe-moi l’huile d’olive !

⸺ Tu crois qu’il faut qu’on aille voir la police pour porter plainte ?

⸺ Ce serait la seule façon d’identifier l’origine de l’appel. Ce type de harcèlement est réprimé par le code pénal, c’est l’article 222-33-2 si je ne me trompe pas, jusqu’à un an de prison et 15 000 € d’amende. Mais le temps que la plainte arrive sur le bureau du Procureur …

⸺ On ne fait rien alors ?

⸺ Puisque tu as les mains libres, est-ce que tu peux couper des tranches de pain, j’ai rapporté une demi-miche Poilâne… Pas trop épaisses les tranches s’il te plaît !

⸺ Ok. On le fera griller si ça ne te dérange pas, je sentirai moins le goût de vomi du levain !

⸺ De vomi, tu exagères ! Moi justement, c’est son goût acidulé que j’aime bien. Toi, tu peux toaster tes tranches si tu veux…

⸺ C’est bon comme ça les tranches, pas trop épais ?

⸺ Parfait. J’y pense, demain je dois voir le commandant Majewski pour une affaire de mineur déscolarisé et dealer, je peux toujours lui en toucher un mot…

⸺ Bonne idée !

⸺ J’ajoute une pincée de zaatar et c’est prêt !

⸺ Mieux vaut zaatar que jamais ! C’est quoi au juste ?

⸺ Un mélange d’épices…thym, sumac, origan etc… Après le dîner, tu vérifies qui a consulté ces derniers jours ton profil sur Linkedin et sur les réseaux sociaux… On dîne sur la terrasse ? 

Ça, c’était Sylvia : une façon de diriger en douceur, d’imposer sans s’imposer, de suggérer avec persuasion, de poser des questions injonctives, en en vous laissant croire que vous aviez le choix.

3

Mardi 1er juin.

Si la veille Adrien n’avait trouvé aucun indice sur les réseaux sociaux sur l’identité de son harceleur, il devait le remercier : grâce à lui il avait passé la plus belle nuit d’amour depuis longtemps. Le potentiel danger latent avait dû ranimer leur flamme et attiser leur désir.

Sylvia, après avoir relu les messages, avait rejeté l’idée d’être elle-même menacée de mort.

⸺ Un même taré ne peut pas nous en vouloir à tous les deux en même temps … Non, moi, il veut juste me prendre… me baiser… Quitte à me prendre, je préférerais qu’il me prenne debout par derrière… contre un mur… Et toi ?

⸺ Moi ?

⸺ Ça m’a excitée, cette histoire ! Tu as intérêt à être performant, mon bonhomme !

⸺ D’abord on ferme tous les volets et on se barricade… on ne sait jamais…

⸺ Chic, tu me séquestres, ça m’excite encore plus …

L’étreinte avait été sauvage, un corps à corps furieux qui les avait laissés éployés et rompus.

Veste en cuir sur polo gris-sale, la cinquantaine à l’abandon, le cheveu gras, le teint rougeaud et la bedaine proéminente, le Commandant Majewski est un flic à l’ancienne. Seule fantaisie, ses éternelles bottes mexicaines que Sylvia avait un jour stigmatisées :

⸺ Ça ne doit pas être facile de courir après les criminels avec ça !

À quoi il avait répondu de sa voix traînante qu’un bon flic ne court pas après les criminels, il les laisse venir à lui.

⸺ Si vous saviez, Maître, le nombre de plaintes fantaisistes qu’on enregistre pour menace de mort… Bon, je ne vous promets rien, d’autant que, d’après ce que vous me dites, les messages proviennent d’un numéro inconnu issu d’un téléphone prépayé. Toutefois, si vous recevez un nouveau message, prévenez-moi.

En rentrant en fin d’après-midi, Adrien n’avait pas eu le temps de se réjouir du silence de son harceleur que le nouveau message était tombé : « je prends ta femme après je te tue IL ».

Soudain inquiet, il appelle Sylvia.

Il ne l’appelle jamais. Elle n’aime pas ça, être dérangée à son cabinet, encore moins au Palais.

Tant pis. Elle comprendra.

Cinq sonneries puis le « Vous êtes bien sur le … ».

Adrien ne laisse pas de message.

19 heures, en principe elle a quitté son cabinet. Adrien se décide à la rappeler.

Il s’en veut au moment où il active le contact sur son portable.

De nouveau le répondeur.

Il essaie de se rassurer : « Calme-toi, il n’y a pas de quoi s’inquiéter pour le moment, elle n’arrive jamais avant 19h15-19h30… elle ne va pas tarder ».

La marimba de son portable trille soudain.

C’est elle !

Il met le haut-parleur pour l’entendre en vrai :

⸺ J’ai vu que tu m’avais appelée deux fois… un problème ?

Pas question pour lui de montrer son inquiétude, une image du type dépassé par la situation…

⸺ Non… je voulais savoir si ça te disait qu’on dîne au restau ce soir… chez l’Italien ?

⸺ Écoute, ce soir je suis crevée, je passe chez le traiteur et j’arrive.

Adrien entend le staccato des escarpins dans le couloir.

⸺ Je suis dans la cuisine !

Sylvia entre.

Il y a des femmes comme ça.

Quand elles entrent quelque part, il se passe quelque chose. Elles attirent immédiatement les regards, ceux des hommes comme ceux des femmes. Il y a soudain un murmure, un frisson, un silence. On s’arrête de respirer pour les regarder. Sylvia est de ces femmes.

Et Adrien, en retrouvant soudain cette bouffée d’admiration, se demande comment il avait pu pendant toutes ces années la garder, ne pas la perdre au profit d’un autre admirateur justement, qui aurait osé l’aborder et la séduire. Cela avait peut-être été sa chance à lui, Adrien, que la beauté et la prestance de Sylvia impressionnent tant qu’elles découragent les Casanova du barreau.

⸺ Alors, bonne journée ?

⸺ Pénible. Mon client, un mari violent récidiviste est arrivé ivre à l’audience et a insulté sa future ex-femme et son avocate. Tiens, j’ai pris des sushis pour moi et des yakitori pour toi.

⸺ Parfait. Je viens de recevoir un nouveau message… toujours pareil… regarde !

⸺ Ouais… il insiste. D’une certaine façon, ça devrait nous rassurer… ce côté velléitaire atténue la menace… et même temps accrédite la théorie d’un type hors contrôle…

⸺ Au fait tu as vu ton flic ?

⸺ Oui. Comme je te l’avais dit, la police ne peut pas grand-chose. On peut toujours porter plainte mais des types qui envoient des menaces de mort, apparemment ça court les rues…

⸺ Il n’a pas envie de se bouger quoi …

⸺ Non, il m’a dit que je pouvais le rappeler s’il y avait de nouvelles menaces…

⸺ Alors il faut le faire !

⸺ Je vais le rappeler dès demain matin, je vais le secouer un peu, le cow-boy !

⸺ Bon, on mange ?

⸺ Je voulais te dire, je ne voudrais pas t’inquiéter, je me trompe sans doute… mais à plusieurs reprises dans la journée, j’ai eu l’impression … pas d’être suivie mais surveillée… une sensation bizarre… au bout d’un moment tu lèves les yeux ou tu te retournes, personne…

⸺ Tu ne veux pas demander une protection policière ?

⸺ Pour me ridiculiser ? J’imagine les commentaires au palais ! J’ai pris de la sauce teriyaki en plus si tu veux. Et du sésame noir aussi.

⸺ Je veux bien. Pourquoi tu ne prendrais pas sur toi le taser que je t’ai offert l’an passé après les menaces que tu avais reçues du type là… le mari violent… c’est une arme vachement efficace, il paraît !

⸺ Je t’ai déjà dit, ce n’est pas mon truc, et puis les mots sont la meilleure défense !

⸺ Si tu le dis…

⸺ En fait, pour l’instant, toi tu es tranquille, tant qu’il ne m’a pas « prise » …

⸺ À ce propos, j’ai réfléchi : « prendre » peut signifier soit enlever, soit violer, soit tuer ou les trois ensemble …

⸺ Je te remercie, tu me rassures…

⸺ Tu as réfléchi de ton côté, dans ton entourage, parmi tes clients et tes adversaires ?

⸺ Si on va par là, si tu prends tous les individus et toutes les sociétés que j’ai fait douiller ces cinq dernières années, ça fait déjà du monde ! Non, je ne crois pas qu’il faille chercher par là…

⸺ Et les deux affaires en cours dont tu m’as parlé, le jeune dealer et la demande de curatelle ?

⸺ Le type qui veut à tout prix faire enfermer sa mère est un vrai salaud, mais c’est un minable et je ne l’imagine pas…

⸺ Justement, ces menaces répétées, c’est un truc de minable, non, tu ne trouves pas ?

⸺ Ouais. Peut-être. J’ai envie de me regarder un vieux Dr House au lit ce soir ! Tu me suis ?

⸺ Tu veux qu’on joue au docteur ?

⸺ Non, pas ce soir, je suis crevée.

4

Mercredi 2 juin.

Comme Sylvia va courir tous les matins au réveil, il est rare qu’ils prennent leur petit-déjeuner ensemble.

Et Adrien n’en est pas malheureux.

Les seules fois où c’est arrivé, il n’a pas supporté la façon qu’elle a de manger ses biscottes. Soucieuse de ne pas lui imposer le supplice que pourrait lui causer le craquement compulsif du concassage de la biscotte, elle s’appliquait à conserver en bouche quelques longues secondes chaque morceau croqué, afin que celui-ci, ramolli par la salive, produise une mastication plus discrète. À chaque fois, il s’efforçait de ne pas la regarder, mais, à chacune de ses bouchées, il attendait malgré lui, écœuré, le mâchouillis final.

Il est surpris de la trouver dans la cuisine, le nez sur son i-pad.