Je vais t’aimer jusqu’à ce que mes poumons cèdent - Benjamin Ecuyer - E-Book

Je vais t’aimer jusqu’à ce que mes poumons cèdent E-Book

Benjamin Ecuyer

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Beschreibung

L’enfance, la préadolescence, l’adolescence sont pour plusieurs des périodes d’insouciance, de découverte, de bonheur qui peuvent néanmoins être ternies par l’obscurité d’un esprit malveillant. Ben, un sportif de haut niveau, ambitieux et promis à un avenir radieux, croise le chemin d’un prédateur sexuel : le président de son club de tennis de table. Entre procès, rendez-vous médicaux, séjours à l’hôpital, relations brisées… le jeune homme lutte pour se relever d’un passé tumultueux.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Marqué par les épreuves de la vie, Benjamin Ecuyer a puisé dans la détermination qu'il avait développée au cours de sa carrière sportive pour se reconstruire. Il voit ce livre comme un outil de prévention et de sensibilisation aux violences sexuelles dans le monde du sport, mettant en lumière leurs conséquences potentiellement dévastatrices.

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Benjamin Ecuyer

Je vais t’aimer

jusqu’à ce que mes poumons cèdent

© Lys Bleu Éditions – Benjamin Ecuyer

ISBN : 979-10-422-1430-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ?

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, p.97

J’aime quand je traîne, quand je croise mes gars sûrs qui me parlent comme si c’était hier. J’aime quand je saigne, car c’est par mes blessures que passe toute la lumière.

Damso, QALF : Intro, 2020

Préambule

Avez-vous déjà observé un enfant qui apprend à marcher ? J’ai toujours trouvé fascinant sa manière instituée de se relever lorsqu’il tombe au sol. Il ne se demande pas s’il va rester à terre toute sa vie ou encore comment il va s’y prendre pour ne plus chuter, non. Il se relève, il est dans le faire. Il ne se préoccupe pas de la dérision des gens ni de la déraison des « parents exemplaires » qui savent mieux que quiconque, quand un enfant doit marcher. C’est uniquement lorsqu’il grandit qu’il va se questionner sur la pertinence d’essayer à nouveau ou d’abandonner pour toujours ; ce n’est plus instinctif. Il sera probablement surprotégé, biberonné à la satisfaction par sa famille qui ne cessera de croire en lui ; cependant, lui, il doutera. Il continuera son chemin, en étant de moins en moins autonome, il aura même parfois les clés en main pour s’en sortir, mais il ne parviendra pas à les tourner dans les serrures. Il sera influencé par des choses plus ou moins bonnes, se trouvera un cercle de fréquentation qui le stabilisera, le tirera vers le haut ou le détruira. Enfin, il se trouvera pour partenaire quelqu’un qui sera le « plus » de son « pas assez ». Il prendra le risque de ne plus douter, d’avancer, de rencontrer ? Non, c’est bien trop utopique évidemment. Il finira par ressasser ce qu’il aurait dû dire ou faire jusqu’à ce que son ultime journée terrestre vienne lui murmurer à l’oreille : « Écoute bonhomme, t’as eu trop d’opportunités gâchées, faut laisser la place à la jeunesse maintenant ». L’erreur de sa vie aura été de ne pas accepter de vivre dans un Monde où les doutes sont la seule certitude, un Monde qui n’est ni bon ni mauvais, mais qui est tout simplement. Il sera un homme moyen et aura vécu une vie banale qui posera la question suivante : « Est-ce qu’il a vécu une vie qui valait le coup d’être vécue ? ».

Il m’a fallu haïr la vie du plus profond de mon cœur, pour l’aimer autant et apprécier sa splendeur.

Introduction

Le tribunal a tranché : 8 mois de prison avec sursis, une interdiction d’exercer une activité bénévole ou professionnelle en lien avec des mineurs pendant une période de 5 ans, ainsi qu’un préjudice moral et un fichage aux délinquants sexuels. À cet instant, ma vie allait totalement basculer. Changer du tout au tout. Mais laissez-moi vous raconter le début de cette histoire.

Chapitre I

Un heureux début

J’ai pointé le bout de mon nez le mardi 13 mars 2001 à la clinique de Nancy. Pour m’accueillir, mon père Chris et mon frère Adri avaient fait le déplacement. Ma mère, Ally, n’avait pas trop souffert lors de l’accouchement. J’étais un bébé plutôt « normal », bien que je n’aime pas ce terme, c’est pour ça qu’il est entre guillemets. Comment peut-on dire si quelqu’un est « normal » ou ne l’est pas ? À quoi la normalité s’applique-t-elle ? Le fait d’être comme tout le monde ? Ah, que je n’aime pas ça ! Bref, vous allez me dire que l’on n’est pas en cours de Philo, et vous avez bien raison. J’avais une corpulence d’environ 3 kg, mesurais une cinquantaine de centimètres et avais une petite bouille toute fripée, comme tous les bébés quoi ! Mes parents et mon entourage ont dû faire ce que tous les parents font à chaque fois ; « Moh, qu’il est mignon ! Il ressemble à sa mère avec certains traits de son père ! » Quelle hypocrisie ! À aucun moment, un bébé qui vient de naître n’est mignon, qu’on se le dise.

Kapla* : Le jeu de construction Kapla en 1986 en France. Il permet de créer diverses constructions sous l’impulsion de l’imagination.

À la maison, tout se déroulait correctement, malgré mon caractère bien trempé et coléreux. Je m’affirmais aux dépens des autres, ce qui me valait des conflits avec mes parents. Je voulais tout faire seul ; par exemple, ma mère m’habillait et, tout de suite après, je me déshabillais pour me rhabiller moi-même. Juste pour dire que c’était moi qui l’avais décidé. Quel enfant chiant ! Parfois aussi, lorsque je tombais au sol, je me relevais pour me jeter à terre de mon plein gré. Sûrement pour encore me dire que c’était moi qui l’avais voulu.

Avec mon frère, ça n’était pas tendre non plus. Une fois, dans l’ancienne habitation de mon grand-père, alors que l’on jouait à un jeu de Kapla1 chacun de notre côté, je profitai de l’inattention de ce dernier pour envoyer un coup de pied dans la construction déjà bien élevée d’Adri. En plus d’être chiant, voilà que j’étais aussi sournois ! Pour avoir un peu de répit, mes parents m’ont très vite trouvé une nounou. Je l’adorais. J’étais plus ou moins calme chez elle (calme juste quand je faisais la sieste.). Il m’est arrivé, chez elle, lors du déjeuner, de retourner mon assiette d’épinards sur la table et de jouer avec. « Je fais du ciment comme Papa », disais-je. À l’âge de trois ans et demi, j’entrai à l’école maternelle, et c’est mon dynamisme et ma manière de vouloir tout contrôler qui frappèrent en premier mes maîtresses d’école. Élève turbulent à mes heures, je n’adhérais pas vraiment à la discipline et encore moins à l’autorité.

C’est pour cela que, dès cet âge, je fus suivi par une première psychologue (première d’une très, très longue liste) qui ne tarda pas à me déceler une intelligence supérieure par rapport aux autres, un surdoué en quelque sorte. Une vraie illuminée ! Son cabinet ressemblait à un studio de film hollywoodien avec un canapé en cuir rouge, un solarium et une pomme croquée à la droite de son bureau. Je ne fis que deux séances avec elle, une avec ma mère et l’autre avec mon père. Aucun de mes deux parents ne paya le même prix. Pourquoi ? Ne me demandez pas, je n’en ai absolument aucune idée. Pendant l’une de ces séances, je demandai un couteau pour jouer avec de la pâte à modeler, ce qui était plutôt logique ! Elle fut surprise et dit à ma mère :

— Vous avez de la famille qui a des tendances suicidaires ?

C’est ainsi, vous l’aurez compris, que mes parents ont décidé de couper court à tout rendez-vous. Mais ils décidèrent tout de même de prendre rendez-vous avec la psychologue de l’école. Je passais donc des tests pour savoir si oui ou non j’avais un QI plus élevé que mes camarades. Les tests étaient simples, savoir reconnaître une fourchette, un couteau… mais, fidèle à moi-même, je n’en fis qu’à ma tête et sortis connerie sur connerie à chaque question pour pouvoir au plus vite rejoindre mes camarades dans la cour de récréation. Je mélangeai ainsi volontairement une fourchette et un peigne, tout en expliquant à cette brave dame que je me brossais les dents à la maison toujours à l’aide d’un peigne. Contre toute attente j’obtins la moyenne à tous les tests. Je n’étais pas si con que ça, en fait ! Pour canaliser mon énergie débordante, mes parents décidèrent de m’inscrire à un loisir qui allait vite devenir mon sport quotidien : le tennis de table. C’est mon père, qui en faisait depuis une vingtaine d’années, qui m’initiait. Toute la famille ou presque pratiquait ce sport. Tous jouaient dans le club de Neuves-Maisons, la ville voisine. C’est un grand club, le deuxième meilleur club de Lorraine précisément, derrière celui de Metz. Ce club était présidé par un homme qui, vous le comprendrez plus tard, allait devenir mon pire cauchemar. Il y avait aussi deux entraîneurs qui contribuaient à la réussite du club.

À l’âge de cinq ans, je commençai à voir un autre psychologue qui n’était que légèrement mieux que sa prédécesseuse. Je fis environ cinq séances avec lui et mes parents. Et, très vite, on rencontra un problème ; il ne prenait jamais de notes. Les premières séances, cela ne se voyait pas, mais arrivé à celle qui allait être la dernière, cela posa problème. Auparavant, ma mère lui avait expliqué que ses parents étaient divorcés, puis, en arrivant, il dit d’une manière naturelle à ma mère :

— Mais bien que vous soyez divorcée, ça se passe quand même bien vos rapports avec votre mari ?

Catastrophe ! Psychologue numéro 2, éliminé ! En plus du tennis de table, je commençai à faire du football, comme presque tous les garçons de mon âge. J’étais gardien, et sans vous mentir, c’était magique pour les gens qui me regardaient. Pendant les matchs, je pouvais m’asseoir sur le terrain puis contempler les autres jouer, car j’étais contrarié de prendre des buts. Ou alors, mes deux préférés : aller vers mes parents pour manger, ou bien aller pisser contre un arbre. Oui, vous avez bien lu, pisser contre un arbre en plein match devant tous les autres parents qui devaient bien se marrer. Mes parents devaient être terriblement gênés, mais que voulez-vous, j’avais mes priorités ! Et, à mon opposé, il y avait un mec de mon équipe qui mettait au moins 5 buts par match, la classe quoi ! Ça faisait un contraste, mais je m’en fichais pas mal. Avant d’entrer à l’école primaire, je dus faire face à un douloureux choix pour mon jeune âge : le football ou le tennis de table ? C’est ma mère qui m’avait en quelque sorte posé cet ultimatum pour que ces deux activités physiques n’alourdissent pas trop mon emploi du temps de jeune écolier. Très envieux de mon frère (pour reprendre les dires de ma mère) qui pratiquait déjà le tennis de table, je m’engageai dans cette voie-là. Je ne vous cache pas non plus que le fait de gagner des médailles à la fin des compétitions avait pesé dans la balance.

Je passai les trois premières années de primaire à l’école de Laneuveville-devant-Nancy, à une dizaine de mètres du travail de ma mère, qui était auxiliaire de puériculture et qui travaillait en halte-garderie. Mon père, quant à lui, était agent de maîtrise chez Euromaster. Notre famille n’était ni riche ni pauvre et nous vivions convenablement dans un quartier paisible de près de deux mille habitants, non loin de Nancy. Mes années primaires n’étaient pas de tout repos pour mes parents. Mes maîtresses d’école n’avaient de cesse que de faire des allers-retours entre la salle de classe et le boulot de ma mère en me tirant par le bras. Heureusement que ce n’était qu’à une vingtaine de mètres. De la bagarre dans la cour d’école aux bavardages intempestifs (je l’ai eu longtemps ce motif-là inscrit dans mon dossier), je ne laissais de répit à personne. Ma mère me raconte encore aujourd’hui mes frasques d’il y a quinze ans. Une en particulier : à la fin de chaque année scolaire, les élèves, leurs parents et les professeurs se réunissaient dans la salle des fêtes de la ville pour organiser une petite fête en guise d’au revoir. Cette année-là, j’avais eu une professeure de couleur. Imaginez la position et la réaction de ma mère quand cette dernière est venue la voir en lui expliquant que je lui avais demandé si « toute sa famille était noire, ou si ce n’était qu’elle. » Je devais être un cauchemar à gérer, car, quand j’avais quelque chose à dire, je le disais (et ça n’a pas beaucoup bougé aujourd’hui).

À l’âge de 9 ans, mes parents décidèrent de me changer d’école pour me rapprocher de mes futurs camarades, qui seraient avec moi au collège. Ce fut l’occasion pour moi de redorer mon image en celle d’un bon élève. Les premiers jours dans cette école se passèrent bien. J’avais pas mal d’amis, mais surtout ce que j’aimais faire, c’était d’amuser la galerie. Il y avait un petit terrain de foot dans la cour de récréation où je jouais tous les jours. J’y ai tellement joué que je peux vous raconter quelques anecdotes, comme la fois où, en tirant dans le ballon, ma chaussure a volé au septième ciel avant d’atterrir sur un toit situé à une quinzaine de mètres du sol. Mon père était venu quelques jours après, muni d’une perche pour la déloger, mais en vain. J’avais trouvé ça très drôle, beaucoup plus drôle que la fois où mon coéquipier m’avait involontairement percuté le nez avec son pied. Je me souviens être tombé à terre, le nez en sang et un peu dans les vapes. Je ne restais que deux années dans cet établissement, mais, en classe, je n’arrivais (toujours) pas à tenir en place et me faisais remarquer par mes enseignants, mais bon, rien d’alarmant ! J’avais eu cette année-ci un douloureux épisode. De nature nerveuse, j’avais de grosses douleurs au ventre et n’arrivais plus à aller aux toilettes : j’avais un bouchon intestinal. Je me souviens, à l’hôpital, avoir été à quatre pattes sur la table d’opération pendant qu’un médecin me rentrait une espèce de tube là où vous le pensez ! Ça a été beaucoup mieux après (j’espère que vous ne me lisez pas en mangeant).

Cette année avait été riche en sport, car le club de tennis de table dans lequel je jouais venait de recruter un nouvel entraîneur. Je l’aimais beaucoup et il fut l’un des meilleurs entraîneurs à m’avoir coaché. Avec lui, cette année-là, j’avais terminé 28e au Championnat d’Europe pour les jeunes ; une des compétitions dont je suis le plus fier encore aujourd’hui.

Comme beaucoup de gamins, j’étais bien plus calme chez mes grands-parents. Je me souviens que quand ma mère venait me chercher, elle demandait « j’imagine que c’était une tornade aujourd’hui » ; ma grand-mère répondait que non, tout s’était très bien passé (je devais esquisser un léger sourire narquois). Ma mamie, Mary, est une femme forte qui a toujours su se battre pour ses enfants, ma mère et son frère. Trompée par son mari alors qu’elle seule l’ignorait, elle s’est toujours relevée et a toujours assuré avec brio son rôle de mère puis de grand-mère. Elle a poursuivi le cheminement de sa vie pour rencontrer celui que je considère comme mon vrai grand-père : mon papi Carl ! La vie ne l’a pas épargné non plus. J’ai toujours été proche de mes grands-parents. De ma famille d’une manière générale.

Chapitre II

Le prédateur insoupçonné

Tout se passa donc bien quand j’arrivais au collège. Plutôt réservé avec les filles, je m’étais trouvé une petite amie, je n’avais plus de suivi psychologique et je faisais toujours partie des meilleurs joueurs français au tennis de table. J’enchaînais les stages de préparation et les compétitions qui venaient. Des championnats de Meurthe-et-Moselle, au championnat de Lorraine, en passant par les championnats de France individuels et par équipe, j’étais sur tous les fronts. Je m’entraînais près de quatre jours par semaine et je commençais à participer à des compétitions internationales en Belgique et au Luxembourg. Tout se passait à merveille.

À 13 ans, je gagnai pour la première fois les championnats de Lorraine après avoir perdu cinq finales où je démarrais pourtant favori. Les anecdotes et les souvenirs que je garde de cette période resteront à jamais gravés dans ma mémoire. J’ai joué au plus haut niveau français pendant près de sept ans. J’ai côtoyé les plus grands ; certains d’entre eux préparent même les JO 2024. Il ne faut pas croire non plus que j’étais un ange au tennis de table, loin de là. J’avais mon caractère et je détestais perdre, mais vous savez, la frustration fait grandir.

Des bêtises, j’en faisais aussi. Généralement, lors des compétitions qui se déroulaient assez loin, nous dormions dans un hôtel. Même si nous ne pouvions pas manger ce que l’on voulait ou dormir à l’heure que l’on souhaitait, une fois réunis entre potes dans une chambre, je ne vous raconte pas le bordel… De la bataille d’oreillers à la discussion jusqu’à tard le soir, on ne trouvait jamais le temps long. Une fois, nous avions ramené plein de biscuits, des bonbons et des gâteaux apéritifs. On les cachait dans des vêtements ou dans d’autres sacs. Nous avions ouvert un paquet de Chipster par le mauvais côté ; il y en avait au large, dans le lit et sur le sol. Il fallait tout nettoyer avant que les coachs ne le voient. Si les entraîneurs, logés le plus souvent dans la chambre voisine, nous entendaient, alors la sanction serait immédiate. Qu’il soit deux heures du matin ou qu’il fasse trois degrés dehors, c’était un tarif de groupe : tout le monde prenait une paire de running et allait courir dehors pendant un certain temps délimité selon le bon vouloir des coachs. Et même dans ces périodes, nous trouvions le moyen d’en rire. Nous étions de petits cons promis à une belle carrière sportive si nous continuions sur notre lancée.

À ce moment, je ne pensais pas à l’après, je vivais au jour le jour sans me soucier du lendemain. Je n’aurais jamais pensé vivre la suite.

À bientôt 14 ans, je faisais toujours partie des cadors français. Le président de mon club me proposait chaque week-end d’aller jouer avec lui. C’était essentiellement les samedis, aux alentours de dix heures et demie du matin. J’étais très heureux de jouer avec lui, je me sentais fort, car cet homme avait une certaine prestance et un rôle important dans ce sport. Il était aussi le président de la Ligue de Lorraine et était en chemin pour être président de la Fédération française de tennis de table. C’est à cette époque que ses plans de pédophilie allaient se renfermer sur moi. Oui, je parle bien de plans, car aucune spontanéité ne se dégageait de cette personne, tout était prévu au millimètre. Nous jouions dans une grande salle sur un sol en revêtement teraflex rouge. Il y avait des plaques chauffantes au plafond qui surplombaient des néons très lumineux. Nous n’en allumions que deux, car l’espace occupé n’était pas conséquent. On installait à chaque fois une table directement à la droite de l’entrée non loin des gradins. Généralement, on s’échauffait puis on enchaînait avec un exercice. On terminait la séance par un match. Lui et moi avions presque le même classement, mais je gagnais quasiment à chaque fois, et quand il nous restait du temps, nous faisions une revanche que je gagnais encore pour la plupart du temps. Je ne me souviens que d’une défaite. Mais ce n’est qu’après ces matchs de fin de séance que ça allait devenir une torture.

La douche ! On se douchait dans le vestiaire des filles, question de propreté (une phrase à faire rougir les féministes). Me doucher nu en présence de quelqu’un ne me gênait pas, car j’y avais été habitué par le passé ayant participé à toutes sortes de compétitions. Une fois sous la douche, je ne lui prêtais pas forcément attention, même si je sentais une certaine excitation en lui, qu’il parvenait néanmoins à contrôler avec maîtrise. Au fil des séances, son excitation s’ajoutait aux regards incessants qu’il lançait au niveau de mon sexe. Une fixation qu’il essayait de dissimuler en me parlant du développement sexuel des adolescents et des tas d’autres sujets troublants. Il me disait que mon sexe allait continuer de grandir et tout un tas de remarques gênantes et glauques. Une fois, il m’a même montré une « technique » pour que le savon ne mousse pas trop en passant sa main sur le bas de mon dos, presque à hauteur de mes fesses, et en la remontant jusqu’à ma nuque. Je n’étais présent que physiquement. Je ne comptais plus ses gestes déplacés. Je me disais tout de même que je devais me faire des films ou que j’interprétais mal ce qui se déroulait devant moi. Un jour, je réussis à prendre mon courage à deux mains et je dis à ma mère :

— Maman, je me sens regardé sous la douche, il faut porter plainte !
— On ne porte pas plainte pour des regards, Ben, est-ce qu’il y a plus que des regards ?
— Non (vous comprenez que je mentais, car je mourais de honte).

Ma mère poursuivit :

— Ne va plus jouer avec lui si tu sens qu’il t’épie.
— Mais je veux jouer avec lui, juste ne plus prendre de douche !
— OK ! Je vais aller le voir.

Avant mon prochain entraînement, ma mère tint sa promesse en allant lui parler :

— Ben ne sent pas à l’aise sous la douche, il n’en prendra plus !
— D’accord, pas de souci.

Rien ne se passa de particulier à cette séance. Peut-être parce qu’il n’avait pas prévu la venue de ma mère, ce qui avait dû chambouler ses plans. Mais il n’allait pas en rester là. Deux ou trois semaines s’écoulèrent avant que je ne rejoue avec lui. Puis, quand je me décidai à recommencer ces séances, il avait trouvé un autre moyen de prendre sa douche avec moi. On s’échauffa comme d’habitude, puis quand l’heure du match arriva, il me dit :

— Je te propose un truc ; si c’est moi qui gagne ce match, c’est douche obligatoire, mais si tu gagnes, je te paye un kebab !

Évidemment, le stress était à son comble. Qu’allait-il se passer si je perdais ? Je n’en saurais rien, puisque je ne perdis pas cette journée. Mais une fois, une seule fois, je perdis, car j’avais extrêmement mal joué. J’éclatai en sanglots, car je savais ce qui allait se passer. Mais, en bon Samaritain, ce dernier me proposa une revanche que je remportai. Il avait fait cela pour servir ses propres intérêts de manipulateur pervers narcissique, car à la fin de chaque entraînement il me ramenait chez moi avec mon kebab et prenait l’apéritif avec mes parents. Il agissait de la sorte pour se rapprocher de mes parents et ainsi ne pas éveiller leurs soupçons. Il n’était guère violent et savait quand il devait s’arrêter : c’est à ce moment qu’on comprend de quel genre de sale type il était, maîtrisant ses abominables pulsions sexuelles déviantes. Il n’aurait au grand jamais agi en perdant le contrôle et en se laissant guider par des pulsions incontrôlables ; non.

Les entraînements particuliers s’enchaînaient ; il faisait toujours ses « paris ». En plus de tout cela, s’ajoutaient les trajets en voiture dans sa Volvo V40. Elle avait une spécialité : des sièges chauffants. Pour me montrer comment fonctionnait le mien, il passait ses mains entre mes cuisses. Bien sûr, je ne disais rien, je regardais à travers la fenêtre pour tenter de fuir cet étouffoir à huis clos. Je me liquéfiais.

Plus tard, une des psychologues, spécialisée en trauma, m’expliqua la raison. C’était l’effet opossum : lorsque nous sommes confrontés à une situation de danger, nous réagissons comme des animaux. Si nous pensons gagner contre la personne qui représente le danger, nous nous battons, si nous pensons perdre, nous fuyons et si nous pensons mourir, nous faisons « le mort », paralysé, incapable de bouger. Je ne vous cache pas que j’aurai préféré me battre, mais que pouvait faire un enfant de 14 ans face à une figure de son sport ? Absolument rien. Cela dura encore quelque temps, puis j’arrêtai définitivement. Je me sentais sali, il avait ruiné toute confiance en moi par sa pédophilie.

Deux années s’écoulèrent. En apparence, je pensais avoir oublié ce qui s’était produit. L’attention de ma famille s’est alors dirigée vers mon frère qui avait des problèmes d’eczémas. Après avoir passé une batterie de tests à l’hôpital le plus proche, on ne lui trouva aucune allergie. L’origine de ses boutons d’acné était beaucoup plus sombre. Mes parents soupçonnaient mon frère de fumer des cigarettes. Comme deux bons enquêteurs, ils investirent sa chambre et ne tardèrent pas à trouver dans une boîte d’iPhone, plutôt bien cachées, des cigarettes. Ils le lui firent remarquer un jour qu’il rentrait de l’entraînement. Il s’effondra dans leur chambre. Il avoua qu’il fumait depuis qu’il avait été abusé sexuellement (il ne le savait pas encore pour moi).

Il leur expliqua tout : les évènements s’étaient produits quand il avait 15 ans, en 2013. Il était allé à Paris pour les Championnats du monde de tennis de table à Bercy. Il y allait pour voir les plus grands joueurs de la planète s’affronter (bien qu’il fût bon, ça n’était pas pour jouer). C’est un bus de la Ligue qui nous emmenait, car oui, j’y étais aussi. Nous étions une bonne dizaine. Le spectacle était au rendez-vous. Deux sportifs et amoureux de ce sport au Championnat du monde, que demander de mieux ? On devait y rester une journée, en clair, on repartait au moment le plus intéressant où allaient se dérouler les matchs du carré final. C’est là qu’apparut un homme qui proposa tout bonnement à mon frère de rester pour la deuxième journée. Il ne proposa qu’à lui, car j’étais trop jeune, Dieu merci ! Mon frère, tout excité, appela notre mère pour lui demander s’il pouvait y rester, car il s’agissait de dormir dans la chambre d’hôtel avec cet homme, dans le même lit. Elle lui donna sa permission si toutefois ça ne le dérangeait pas, lui. Il la remercia puis raccrocha. Moi, je pris le bus pour retourner chez moi, accompagné des autres plus jeunes.

À ce moment précis, j’étais envieux d’Adri et je me disais qu’il avait de la chance. De son côté, il dîna dans un bel hôtel et alla se coucher tôt, car l’homme était cadre (un membre du staff si vous préférez) et s’occupait de l’organisation. Mon frère dormait paisiblement, quand il se réveilla brusquement dans la nuit vers deux heures du matin, la main de l’homme posée sur son sexe. Il cherchait à entretenir une relation sexuelle avec lui. Il le repoussa de manière expéditive, mais il ne parvint plus à fermer l’œil de la nuit. Il garda ce lourd secret jusqu’à ce qu’il soit démasqué pour les cigarettes. Dans un premier temps, il supplia nos parents de ne le dire à personne. Ce qu’ils firent durant deux jours, car j’étais en compétition où je finis troisième alors que je partais favori. Une mauvaise compétition quoi ! Le soir qui suivit, je jouais tranquillement à la console, à GTA 5 précisément, lorsque j’entendis ma mère me dire :

— Ben, descends !

Je me suis dit que je n’avais pas dû descendre mes fringues ou ranger mes chaussures, mais il en était tout autre. Je descendis rapidement les escaliers, car j’avais ressenti une certaine inquiétude inhabituelle dans la voix de ma mère. Je la rejoignis. Elle était dans la chambre de mon frère avec celui-ci et mon père. Elle me dit d’une voix qu’elle essayait de rendre naturelle :

— Il faut que l’on te parle de quelque chose.

J’écoutais le sinistre récit de ma mère que je viens de vous conter. Je ne comprenais pas. Je ne l’admettais pas. Mon frère de presque un mètre quatre-vingt-dix qui avait subi ça. C’était impossible. Mais qui ça pouvait être ? Souvenez-vous ; un homme avec un statut important dans le tennis de table, qui en plus se chargeait de l’organisation des Championnats du monde. Ça ne vous dit toujours rien ? C’était le président de mon club ! Sous le choc, je demandais à mon frère pourquoi il n’avait rien fait, qu’il était grand, fort et qu’il aurait pu se défendre. Quel paradoxe de demander ça. Il me rétorqua seulement : « et toi ? ». Je ne répondis pas. Je tombais littéralement des nues.

J’éprouvais un profond dégoût et me demandais pourquoi la vie était ainsi. Je ne comprenais pas pourquoi on pouvait faire une chose pareille, aussi machiavélique. Je me souvenais de ma mère qui nous disait qu’elle était contente de ne pas avoir de fille pour éviter de penser à ce genre de chose et que si elle en avait eu une, elle aurait été plus à l’affût, plus vigilante, car dans la mentalité de beaucoup de personnes (et je ne les blâme pas), un homme ne se fait pas agresser ou ne peut être victime. C’est même la figure d’autorité et de virilité ; c’est lui qui agresse. Beaucoup oublient que l’agresseur de mon frère et moi n’a pas agressé des hommes, mais des enfants de 14/15 ans. Il a volé une partie de nos adolescences, il a volé une partie de nos sexualités, il a volé une partie de nos vies.

L’année où il m’avait abusé fut étonnamment la plus prolifique de ma jeune carrière. Celle où j’ai le plus progressé, celle où j’ai le plus gagné : mais ce n’était pas progresser et pour m’améliorer dans mon sport. Non. C’était pour surpasser mon agresseur en termes de niveau, prendre une certaine revanche sur lui et surtout avoir un tel écart de classement que m’entraîner avec lui ne servirait plus. La nature humaine pouvait être abjecte, répugnante, infâme, à vomir… et j’en passe. C’est précisément à partir de ce moment que j’allais vaciller psychologiquement.