Jean Véfour - Carole Montier - E-Book

Jean Véfour E-Book

Carole Montier

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Beschreibung

Jean Véfour, né à St-Just-en-Bas (Loire), le cinq mai 1784, dans une famille paysanne de treize enfants, s’est très vite passionné pour la cuisine. Après quelques années d’apprentissage chez son oncle aubergiste, puis de pratique à Lyon, à Paris, il rêve d’avoir son propre restaurant au Palais Royal. De caractère jovial, optimiste, il va réussir à devenir un chef remarquable, admiré et respecté.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Poussée par le désir de connaître le passé des êtres humains de toutes époques, Carole Montier se sert de sa passion pour rentre hommage à J. Véfour, un homme qu’elle admire pour sa ténacité et sa réussite.

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Seitenzahl: 221

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Carole Montier

Jean Véfour

Un grand cuisinier

Roman

© Lys Bleu Éditions – Carole Montier

ISBN :979-10-377-5257-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Une femme du peuple au XXe siècle, les quatre vies de Josépha, paru à L’Harmattan, en 2006 ;

– La Disparition de Mathieu X, édité par Publibook, en 2008.

Une trilogie, Les Trois « Emilienne » :

– Milia de Chateroyne, en 2013 (XVIe siècle) ;

– Milie de Saint-Georges-Haute-Ville, en 2014 (XIXe siècle) ;

– Lia de Montbrison, en 2015 (XXe siècle).

– Une tribu celte : Les Séguzes de Sail, en mai 2017 (VIe siècle av. J.-C.) ;

– Les Roches qui dansent : suite du précédent, 15 ans plus tard. En novembre 2018.

I

Jeunesse et révolution

de mai 1789 à mai 1799

Nous sommes en Forez1, à Saint-Just-en Bas, en 1789.

« La province de Forez, sous la tutelle de la généralité de Lyon, se trouvait sous la domination de l’Intendant de police. Les impôts pesaient plus sur elle que dans bien d’autres régions. Aussi, le tiers état et surtout les paysans étaient-ils misérables. En 1788, l’avocat Detours dénonçait cette situation :

Jusques à présent, le tiers état qui fait seul fleurir le royaume, et en est le fondement solide, a été dans l’avilissement et l’opprobre… L’artisan et le laboureur payaient les impôts en retranchant de leur nécessaire, tandis que le clergé et la noblesse fermaient tranquillement les yeux sur les maux sans nombre que causait cette injustice. »

Alors, la préparation des États généraux se fit avec soin. Elle a été longue et complexe, à partir de fin février 1789. Le 16 mars 1789, à 8 heures, l’Assemblée générale des trois ordres eut lieu à 8 heures à Montbrison, en la chapelle des Pénitents. Le marquis de Rostaing présida, avec, à sa droite le clergé, à sa gauche la noblesse et, en face de lui, le tiers état. Ils regroupèrent en un seul document les 292 cahiers de doléance des bailliages du Forez et de Bourg-Argental.

– 5 mai 1789 : Réunion des États généraux, début de la Révolution ;

– 5 mai 1789 : Cinquième anniversaire d’un jeune garçon nommé Jean Véfour.

Un immense espoir s’était levé dans l’esprit des Français. Les cahiers de doléance en témoignent.

Le père et la mère de Jean, Jean-Marie et Marie-Anne Véfour2, modestes paysans dans les monts du Forez, à Saint-Just-en-Bas, captivés par la rédaction des cahiers de doléance en avaient beaucoup parlé. Les quelques personnes instruites, dont le curé Perrin, avaient demandé à tous quelles améliorations ils aimeraient dans leur vie. Aussi, les villageois se rencontrèrent-ils plus souvent.

Des réunions eurent lieu, à Saint-Just-en-Bas, dans une maison libre, seulement occupée parfois pour les rencontres nécessaires entre habitants, pour parler des diverses redevances et de tous les problèmes. Jean-Marie Véfour, comme habitant du centre du village, y fut convié.

Le curé Perrin était persuadé que les États Généraux aboutiraient à une amélioration des conditions de vie. Il prit la parole :

— Quels changements aimeriez-vous ?

— Moins d’impôts ! s’écrièrent tous les présents.

— C’est évident, mais nous devrons détailler plus précisément vos souhaits. Et encore ?

— Des chemins, des routes, des ponts en meilleur état. Nous avons trop de difficultés pour circuler avec nos charrettes pleines de foin, nos chars transportant le fumier…

— Oui, on se demande à quoi servent les sommes importantes que nous versons chaque année.

— Nous trouvons très injuste que le sel, le tabac, les vins soient taxés aussi cher, dans notre région. Étant donné que celle-ci est proche de l’Auvergne, nous savons que le sel y est bien moins cher qu’en Forez. D’ailleurs, la contrebande est active.

— Nous aimerions qu’un seul impôt soit levé, que les collecteurs d’impôts soient moins nombreux, et contrôlés par l’État. Certains s’enrichissent sur notre dos, de façon scandaleuse.

Il y eut encore d’autres réunions. Les habitants du gros bourg comportant 16003 membres s’étaient réjouis à l’idée de donner enfin leur opinion. Les chefs de famille participèrent à ces rassemblements.

Le cahier de doléances de leur village témoigna de tous les souhaits. Ceux-ci ressemblaient fort à ceux des 291 autres.

Article Ier :

« Qu’il sera fait des très humbles remerciements au roi en ce qu’il a daigné appeler près de lui et à la tenue des États généraux de son royaume le tiers État dans les vues de prêter une oreille favorable à nos doléances et remontrances et y remédier comme aussi d’y avoir appelé Mrs les curés, nos pasteurs et seuls instituteurs et les témoins des maux qui nous accablent chaque jour, seuls en état et bien disposés d’exprimer et faire connaître à Sa Majesté nos doléances et besoins. »

Aussi, le jeune Jeannot fêta-t-il son anniversaire dans une atmosphère de joie, d’exaltation même. Cela lui convenait très bien car c’était une nature heureuse, toujours en train de rire, de faire des farces, de pousser les autres à se réjouir.

Marguerite, dite la Guite, Jean-Marie le jeune, dit Marou, Jean-Baptiste, dit Tistou, les trois aînés observaient leur jeune frère. Avec sa frimousse toute ronde, toute rose, l’air ravi, les yeux marron grands ouverts, malicieux, la mine éveillée, on se demandait souvent quelle bêtise il allait inventer. Mais on avait toujours envie de lui « biquer lous viailles4 »

La famille célébra l’ouverture des États généraux par un repas plus copieux que d’habitude. Pour ses 5 ans, Jeannot eut droit à une fine tranche de jambon cru qu’il dégusta avec délice, en mâchant lentement petite bouchée après l’autre. La mère, Marie-Anne, dite Marianne le regardait avec tendresse. Il apportait de la drôlerie, de la détente dans la maison.

Elle était toujours « au lait et aux œufs », c’est-à-dire allaitante ou enceinte, peu disponible, bien que forte et courageuse.

Les enfants participèrent, très jeunes, aux travaux de la ferme.

Jeannot était tout heureux car un autre petit frère était né, Antoine, dit Toinou. Ayant à peine 17 mois de différence, tous les deux allaient être complices pour les travaux comme pour les sottises. Jeannot traîna Toinou partout. Il lui apprit très vite à marcher. Leur sœur, Pierrette-Anne, dite la Pianne, née un an plus tard serait plus proche de la Guite. Quant aux enfants qui naîtront ensuite (sept enfants entre 1788 et 1798), ils seront les fervents admirateurs et imitateurs, surtout de Jeannot.

Les deux garçons aînés, 10 et 8 ans en 1789, suivaient leur père, sur les terres. Ce dernier, laboureur et petit propriétaire comme plus des trois quarts des habitants, cultivait quelques terres céréalières. Mais c’est surtout le seigle qui poussait bien sûr ces pauvres terres de montagnes. Encore devait-il faire reposer la terre une année sur deux. Il avait aussi des pasquiers (prés à pâturage) pour faire paître le bétail. De petits bois de pins ou de pinateaux servaient de bois de chauffage. Quelques terres étaient utilisées pour la culture du chanvre.

Jeannot et Toinou, eux, menaient les bêtes aux champs, les gardaient, ne mangeant qu’une portion à midi, et ramenant le troupeau le soir. La Guite les accompagnait, s’occupant à filer avec sa quenouille une petite quantité de laine de leurs moutons, toute préparée : lavée, cardée. Parfois, elle tricotait pour faire des vêtements. Elle n’avait que 12 ans, mais très habile de ses mains, elle avait vite appris à filer et à tricoter.

Un jour, Jeannot, l’étourdi laissa ouvert le passage vers le grand pré. Un violent fracas provoqué par la chute d’un arbre tombé sous la hache d’un bûcheron leur fit peur. Tous les moutons suivant le gros bélier prirent le chemin du retour. La Guite rit, donna une tape sur les fesses rebondies de son petit frère et fit revenir le troupeau. Cela lui donna l’occasion de raconter l’histoire des moutons de Panurge, un récit emprunté à un auteur5, qu’on lui avait raconté à l’école des sœurs (religieuses enseignantes) où elle allait parfois.

« Un certain Panurge avait acheté fort cher un mouton au marchand de moutons, Dindenault, riche et très fier. Mais c’était le bélier-chef, meneur du troupeau. Pour se venger du vendeur qui avait été désagréable, Panurge jeta l’animal à la mer, car ils se trouvaient sur un bateau. Tous les autres moutons suivirent. Le marchand, en s’efforçant de les retenir se noya ainsi que tout son troupeau. »

— Cela montre qu’il faut réfléchir et ne pas faire n’importe quoi, ajouta la Guite.

— C’est très méchant, en réalité, s’insurgea Jeannot.

— Tu as raison, mon gentil petit frère !

— La vengeance a été terrible. Le marchand a perdu ses bêtes et sa vie. Même s’il était sot et prétentieux, Dindenault l’a payé très cher. Panurge est un criminel. Or, on apprend : « Tu ne tueras pas. »

La Guite regarda son frère avec tendresse. Il cherchait essentiellement le bonheur. Toute souffrance, même infligée à d’autres, lui était pénible.

— Heureusement que tu as ri au lieu de te fâcher très fort. Mon oubli n’a pas été trop grave.

Pour nourrir toute sa marmaille, le père élevait et tuait un cochon tous les ans. Aussi, la mère préparait-elle de grandes platées de pommes de terre, et de son pour le « caillon6 ». Cela faisait toujours de la peine aux petits de voir le saigneur de cochons sacrifier l’animal. Mais tous (et surtout Jeannot) aimaient manger saucisses, jambons… Quel plaisir de déguster ces morceaux si savoureux, si goûteux ! Jeannot ne le savait pas, mais c’est ce qui lui donnerait envie de faire de la cuisine, plus tard.

En effet, souvent, ils avaient faim, mangeant un pain lourd qui pesait sur l’estomac et ne nourrissait guère. Aussi, le jour où on tuait l’animal était attendu, on pensait longtemps à l’avance au « festin » qu’on allait faire. C’était une fête.

Pendant trois ans environ, la révolution donna de grands espoirs à tous.

La rédaction des cahiers de doléances en mettant l’accent sur les réformes souhaitées, principalement sur les impôts, traduit bien ceci :

Article 3 :

Qu’il n’y ait qu’un seul et unique impôt proportionnellement réparti sur tous les sujets et citoyens du royaume.

Article 4 :

Qu’il n’y ait dans tout le ressort de Montbrison qu’un bureau des finances, qu’un seul receveur, dont les honoraires seraient bien inférieurs, ce qui apportera un profit réel et considérable à l’état.

Article 5.

Que nous soyons affranchis des cens et servis des seigneurs, en les dédommageant, ce qui est une source et une pépinière d’une infinité de procès très ruineux.

Article 6.

Que nous soyons aussi affranchis du casuel et que pour cet effet, les portions congrues de messieurs les curés soient augmentées aux dépens des dîmes qui sont leur patrimoine et celui des pauvres…

La réunion des États Généraux se transforma en Assemblée Nationale Constituante, le 9 juillet 1789.

La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, donna lieu à des réjouissances. Un TE DEUM fut chanté dans les églises. La ville de Montbrison organisa des Illuminations. Les villageois se rassemblèrent pour commenter l’événement.

Les habitants de Saint-Just-en-Bas, aussi, furent heureux. La Bastille était le symbole de l’autoritarisme royal : des gens pouvaient y être enfermés, car « tel était le bon plaisir du roi ». On ne leur avait pas précisé qu’on n’y avait trouvé que très peu de prisonniers.

Les choses se gâtèrent assez vite. Les excès et la Grande Peur de la fin juillet poussèrent les citoyens à s’armer. La révolte paysanne aboutit à l’abolition des Privilèges, lors de la nuit du 4 août. Le tiers état devint euphorique. Cette égalité devant l’impôt que tous avaient réclamée dans leur cahier de doléances, ils l’avaient obtenue, enfin !

Les députés foréziens des 3 ordres s’entendaient bien. Ils espéraient vraiment que les impôts allaient diminuer. Les naïfs pensaient même qu’ils seraient supprimés. Le père protestait :

« Vous vous faites des illusions. L’État a besoin d’argent pour gérer le pays. »

Et puis, la France dut se défendre contre une coalition étrangère. Il lui fallut demander de l’argent aux villes responsables de la collecte des impôts. Et chercher des soldats pour défendre la patrie en danger. À Saint-Just-en-Bas, trente jeunes s’enrôlèrent spontanément pour aller faire la guerre.

Les aînés des Véfour, trop jeunes regrettaient de ne pouvoir s’engager.

— Mais réfléchissez un peu, dirent les parents. Vous risqueriez d’être tués. La guerre, ce n’est pas un jeu !

La « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » leur parut remarquable.

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Les femmes, réunies sur la place devant l’église disaient : les hommes, oui, mais les femmes ?

Le curé Perrin leur affirmait qu’elles seraient considérées comme les égales des hommes. Mais elles savaient bien que, vouées à la procréation, elles n’auraient pas les mêmes droits. Le curé Perrin, chargé de répéter : « Croissez et multipliez », connaissait trop bien, hélas, la misère engendrée par un trop grand nombre de naissances. Aussi était-il partisan de changements, d’améliorations dans la vie des paysans.

Les enfants grandissaient dans une atmosphère heureuse. Jeannot en profitait pour faire des farces. Ce jour-là, il avait mis des plumes dans le châlit où dormaient les aînés. Ceux-ci n’arrivaient pas à s’en débarrasser, car elles s’accrochaient à leur chemise, voletaient partout. La Guite éclata de rire.

— Tu vas recevoir une fessée ! s’exclamèrent Marou et Tistou ! On sait bien que ce n’est pas Toinou qui a eu cette idée.

— Une volée de plumes ! Mais non, vous êtes trop drôles, ainsi. Allons, riez aussi !

— Ce gamin, on ne peut pas le gronder tant il est gai et vif. C’est sûr qu’il met de l’animation dans la maison !

Ils se regroupèrent tous autour de la Bretagne7 en prenant une sella8 ou s’asseyant sur le banc du cantou9 pour manger la soupe de pain et d’oignon. Les bûches de bois crépitaient, chauffant l’espace environnant. Une grande marmite suspendue par une crémaillère10 au-dessus du foyer contenait une potée qui mijotait, pour le repas du soir.

La Guite regardait les membres de sa famille : le père, tranquille taiseux11, la face burinée par le soleil et les intempéries, vêtu d’une culotte, d’une chemise, d’une paire de bas, coiffé d’un chapeau qu’il quittait seulement la nuit, ses frères, Marou et Tistou, habillés d’une sorte de grande blouse bleue. Elle admirait sa mère, qui malgré ses nombreux enfants était restée mince, pour ne pas dire maigre. Elle portait une chemise-brassière enfilée dans une vaste jupe sombre, un tablier, et une devancière pour protéger les habits. Surtout, elle avait la coquetterie de mettre une jolie coiffe blanche, toujours impeccable, au-dessus de son petit visage aux traits fins. Marguerite, elle, arborait une semblable tenue, très simple, même si sa jupe était plus colorée que celle de sa mère.

Tous avaient aux pieds des sabots bourrés de foin, les petaoto (onomatopée imitant le bruit des sabots).

Jeannot, ayant découvert que le rire apportait détente et bonheur, ne se priva pas. En septembre, il s’enduisit le visage de jus de « ricanbolla12 ». Tout barbouillé, il bondit dans la salle en hurlant.

La Guite fit tomber le plat (heureusement métallique) qu’elle tenait. Tous les autres sursautèrent violemment au bruit, le père bondit.

— Hein ! Je vous ai fait peur ! Vous vous êtes demandé ce que c’était que cet être bizarre ! Ah ! Ah ! Ah !

— Ce petit diable va nous faire devenir chèvres !

— Vous ne ressemblez pourtant pas à la chiora13 !

La mère rit à en perdre le souffle et dit au petit plaisantin d’aller se nettoyer dans le bacha.

Un autre jour, on chercha Jeannot partout. Toinou errait comme une âme en peine, fouillant la grange, le fenil.

On le trouva endormi dans le poulailler, blotti contre une poule. Il y avait passé la nuit.

— Pour le coup, on va te surnommer le pillot14, s’esclaffèrent tous les membres de la famille.

— Jeannot, c’était un pitre né.

Les aînés, maigres, élancés formaient un contraste étonnant avec lui. Jeannot, c’étaient les rondeurs, le teint frais, les yeux rieurs. Il attirait d’emblée la sympathie. Ses joues se creusaient de jolies fossettes. Il semblait réfléchir sans arrêt à de nouveaux jeux.

La Guite emmenait souvent Jeannot et Toinou dans les champs et les bois. Il était indispensable de leur faire connaître les plantes et les champignons comestibles. En effet, ils n’avaient pas toujours beaucoup à manger, et les compléments donnés par la nature étaient précieux.

Elle leur faisait cueillir de jeunes « barabans15 » pour la salade, des feuilles d’oseille sauvage qui donnaient un peu d’acidité à la soupe. Jeannot se plaisait à en mâchouiller car elles étaient salées.

Elle leur montra les pulmonaires ou « herbes de la Vierge ». Elle expliqua que les petites taches blanches des feuilles seraient les gouttes de lait que la Sainte Vierge aurait laissé tomber en allaitant l’enfant Jésus. Cela leur semblait possible, ayant vu souvent leur mère allaiter un de ses bébés.

La chélidoine, surnommée l’herbe aux hirondelles leur plaisait bien. Elle était bonne pour les maux d’yeux. Ils s’en servaient surtout pour mettre le jus jaune qui en coulait sur les verrues qui, parfois, les gênaient sur leurs doigts.

Dans le bas de la prairie, du cresson des fontaines poussait à la surface de petites mares.

On pouvait découvrir aussi une herbe magique : l’herbe à matagot. Elle était réputée rendre fort, mais il ne fallait pas la faucher, sous peine de subir différents malheurs. C’était sans doute le droséra, plante carnivore, abondante sur les hauts plateaux.

Beaucoup de fruits mûrissent naturellement à cette altitude. Les myrtilles cueillies en août avaient permis de faire des confitures au miel. Les framboises et les fraises sauvages, les « migodes » ont un goût inégalable. Jeannot en mangeait plus qu’il n’en cueillait, savourant chaque fruit avec délice. Il se gavait de dravouannes, des prunes sauvages, souvent encore vertes qui lui donnaient de terribles coliques.

Plus tard, quand il avait gelé, les pialousses (prunelles) un peu amères remplissaient son petit ventre éternellement affamé. Toinou, lui, n’avait jamais bien faim.

Les graines du genévrier étaient récoltées pour donner du goût aux plats, ainsi que l’ail des ours.

Jeannot et Toinou cueillaient des fleurs pour la Guite et pour leur mère : des violettes au printemps, des épilobes et des digitales pourpres, des reines des prés crème, des coquelicots, des bleuets en été, ou des centaurées sauvages.

Jeannot apportait un énorme bouquet de marguerites à sa sœur en s’écriant :

— Voilà les fleurs qui te représentent. Voyons, en quoi tu ressembles à l’une d’elles ? Chemisier blanc à manches gonflantes, ce sont les pétales. Quant au cœur d’or, il te convient très bien. Tu es notre grande sœur adorée.

Tout émue, la Guite serrait ses frères contre elle.

La mère faisait sécher quelques reines des prés pour en faire des tisanes, en toutes saisons.

Les petits cherchaient aussi des grillons dont ils entendaient le cri-cri dans les prés au printemps. Ils trouvaient leur chant gai et plaisant.

Marguerite les avait bien prévenus :

— Vous ne devez pas faire de mal à ces insectes. L’hiver, ils dorment près de l’âtre. Ce sont les grillons du foyer. Ils protègent les maisons et portent bonheur aux habitants.

En automne, la Guite emmenait les petits dans les bois, pour y cueillir des champignons. Ils trouvaient diverses sortes de bolets, des canaris, des charbonniers. Elle leur expliquait bien les caractéristiques de chaque espèce et les leur montrait. Aussi, très vite, les jeunes surent trouver les bons. Marguerite goûtait un morceau de champignon cru si elle avait un doute, mais interdisait à ses frères d’en faire autant. S’il était amer, elle le recrachait bien vite.

Elle les avait mis en garde contre les amanites tue-mouches, si jolies avec leurs petits points blancs sur fond rouge, pourtant toxiques ; et contre les amanites phalloïdes qui pourraient être confondues jeunes avec des rosés des prés, car elles ont alors la forme d’un œuf. Mais leur chapeau devient vert-jaune pâle lorsque les champignons grandissent. Et ils sont très vénéneux, pouvant causer la mort de ceux qui les mangent.

Jeannot adorait les cèpes marron, ronds. Mais il y en avait plusieurs sortes, du bolet bai, en passant par le bolet orangé, le bolet des pins…

La Guite leur faisait cueillir les plus connus, les plus sûrs.

Parfois, au printemps, ils trouvaient des ronds de mousserons. Il fallait les sentir : ils ont une odeur bien spéciale. Il était important d’examiner les lamelles sous le chapeau. Elles devaient être serrées, avec un filament long, un filament court, ceci tout en rond.

Tous se régalaient avec l’omelette aux mousserons cuite dans la cheminée, dans une poêle en fonte.

Mais Jeannot dégustait aussi avec plaisir les cèpes, coupés en tranchettes et sautés ou fricassés à la peylat (la poêle) avec divers légumes.

La mère faisait des fromages avec le lait, utilisait la baratte pour avoir du beurre. Cela permettait de compléter leurs ressources alimentaires. Mais le bétail de la famille était peu nombreux, le nombre de prés peu important ne permettant pas d’en nourrir beaucoup.

Les jeunes aimaient beaucoup aussi les arbres. Ils grimpaient sur le grand chêne du pâturage, se glissaient sous son feuillage, observaient les oiseaux qui y nichaient, ou qui cherchaient des vers et des chenilles pour se nourrir : les moineaux, les mésanges, les queues rousses, etc.

Les glands nourrissaient le cochon. Les frênes étaient très utiles car on cueillait leurs feuilles pour nourrir les bêtes à l’étable. Le père faisait tremper des feuilles pour préparer de la frênette, boisson un peu fermentée. Quant aux hêtres, leurs feuilles permettaient de garnir des matelas. Quand on se couchait dessus, cela bruissait et une délicieuse odeur de forêt s’exhalait. Les cônes des pins donnaient des amandes grandement appréciées par les écureuils, et les gros becs.

De plus, ils admiraient la toile des épeires16 construite entre des buissons.

Marianne, notre mère nous a bien expliqué, s’exclamait Jeannot.

« Les épeires montent des œuvres d’art, verticales et en spirales avec des rayons. Faites bien attention à ne pas les détruire. Imaginez le temps et la patience qu’il leur a fallu pour les réaliser. Les araignées sont utiles, elles mangent les mites, les moucherons. Et elles ne sont pas cruelles : elles endorment leur proie avant de les consommer. Et regardez donc comme elles sont belles, avec des dessins colorés sur leur dos. »

La mère laisse aussi les « faucheux » à grandes pattes circuler dans toute la maison.

« Ces araignées ne piquent pas, elles nous débarrassent de toutes les bêtes minuscules. »

Les araignées ne leur firent jamais peur, ils les regardèrent plutôt avec intérêt et attention.

Toutefois, ils n’aimaient pas les grosses araignées noires aux pattes velues, dont la piqûre provoque de grosses cloques.

Saint-Just était un village important comprenant un certain nombre d’artisans : des tissiers de toile, charpentiers, tailleurs d’habits, maréchaux-ferrants et tisserands. Aussi, les enfants allaient-ils souvent chez l’un ou l’autre pour admirer les objets réservés à chaque métier et l’habileté de ceux qui les utilisaient. En fait, ils accompagnaient leur père surtout chez les charrons quand une roue de char nécessitait une réparation, ou un remplacement ; chez un maréchal-ferrant quand il était nécessaire de ferrer les bœufs ou les chevaux de labour ; ou chez un sabotier.

Le cabaretier ne voyait le père que les jours de foire, soit les 3 février, 12 mai et 2 novembre, lorsqu’il vendait des bêtes et offrait à boire au maquignon.

Le clergé, nombreux, comprenait le curé, un vicaire, un prêtre sociétaire et prébendier. Un maître d’école, des religieuses complétaient cette société, avec les paysans, bien sûr Les écoliers étaient des enfants d’artisans et de bourgeois, accompagnés de quelques enfants de paysans très doués.

Les jeunes s’intéressaient beaucoup aux animaux, côtoyant les chèvres, les moutons, les vaches, les chevaux de trait, les ânes, tous les jours. À ce sujet, Jeannot s’amusait toujours de la ressemblance de sons entre âne et Anne.

« La mère, Marie-Anne va au marché, montée sur un âne ».

« Toinou, tu n’as pas compris ? Tu as la comprenote17 lente ».

Ils caressaient les longues oreilles de l’animal. Les chiens, gardiens de troupeaux étaient aussi leurs amis.

— Bergère, Noiraud, Gitane, Roquet, braves chiens-bergers ! Maintenez les bêtes sur le chemin qui mène au pâturage ! Allez, mordillez la Brunette, elle veut paître dans le champ du voisin. Et ils les accompagnaient de leur bâton.

— Piqua-la, piqua-la.

Les loups, les renards ne s’approchaient guère du village, mais il arriva aux enfants d’apercevoir une fouine. Même, en se retournant soudain, Jeannot, ébahi, n’eut que le temps de distinguer une taupe entre les dents de Bergère, une chienne très vive qui avait saisi la petite bête malencontreusement trop éloignée de son refuge.

Pourtant, il aimait bien en découvrir sous une taupinière, s’étonnant des pattes en forme de pelle de ces animaux, de leur museau pointu, de leur fourrure noire. On disait que c’étaient des fées transformées à cause d’un sort, et que leurs pattes ressemblaient à de petites mains.

Les oiseaux leur semblaient légers, et gais : les merles sifflotant au plus haut des bouleaux, les rossignols et leurs trilles, les buses ou les éperviers fonçant à une vitesse incroyable sur un souriceau repéré au sol et l’enlevant dans les airs.

Jeannot et Toinou regardaient avec plaisir les coccinelles ou prinpirioles sur leurs mains et chantaient :

« Coccinelle, demoiselle, bête à bon Dieu,

Coccinelle, demoiselle, vole jusqu’aux cieux.

Petit point blanc, elle attend,

Petit point rouge, elle bouge,

Petit point noir,

Coccinelle au revoir. »

La Guite leur avait dit qu’il fallait se garder de tuer les scarabées, bêtes de la Saint-Jean.

Aux champs, ils entendaient le coucou pour la première fois de l’année, fin mars. Mais il ne chantait plus dès que le colza commençait à fleurir.

Dans l’étable, les hirondelles arrivaient aussi au printemps pour occuper leurs nids. Elles étaient réputées porter chance aux bêtes et à leurs propriétaires.

Marianne, leur mère, connaissait de nombreux dictons ou préceptes en rapport avec le temps ou la culture :

– Sème les pommes de terre le 100e jour de l’année ;

– En taillant les arbres en vieille lune, on tempère leur pousse et on obtient plus de fruits. Abattre le bois en lune nouvelle et par la bise favorisera sa conservation ;

– Il faut semer les salades le jour de la Sainte Agathe, ou de la Saint-Antoine. Les graines de fleurs et les graines potagères, semées le Vendredi Saint profiteront ;

– À la Saint-Pancrace, gare les saints de glace (12 mai).

Une expression faisait rire Jeannot : le diable marie ses filles. On disait ceci lorsqu’il pleuvait et faisait soleil en même temps.

Ce qui plaisait le plus aux enfants, c’étaient les diverses fêtes agricoles.

À la Saint-Marc, le 25 avril, le curé bénissait les fruits de la terre. Après la sérieuse cérémonie, les jeunes rejoignaient leurs camarades du même âge pour des parties de chat perché.

À la Saint-Isidore, le 15 mai, c’était la fête des laboureurs.