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Appelé aujourd'hui Vanuatu, autrefois Nouvelles-Hébrides, ce chapelet d'une douzaine d'îles situées dans le Pacifique Sud, au nord-est de la Nouvelle-Calédonie, a une longue histoire de colonisation par l'Angleterre et la France. A l'époque du missionnaire écossais John Paton (1824-1907) le cannibalisme s'y pratiquait couramment, et c'est sous le titre de « John G. Paton, le grand apôtre des cannibales » que parut en 1898 la traduction française et abrégée de son autobiographie, que reproduit ici ThéoTeX. On y admire l'extraordinaire persévérance et la foi invincible de ce disciple de Jésus-Christ, venu apporter en son nom le message évangélique de salut et de liberté, à des frères humains prisonniers de la superstition, et livrés à la sauvagerie. Paton a principalement travaillé sur deux petites îles, Tanna et Aniwa, mais ses tournées en Australie et en Écosse permirent de lever les fonds nécessaires à la construction d'un navire et au soutien des missionnaires qui allaient se consacrer à la poursuite de l'évangélisation de Vanuatu. A la fin du dix-neuvième siècle, John G. Paton était devenu une figure éminente du monde protestant anglo-saxon, notamment connue de Charles Spurgeon et de George Müller.
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Seitenzahl: 552
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322241712
Auteur John Gibson Paton. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Le missionnaire Paton naquit dans un cottage situé sur la ferme de Braehead, dans la paroisse de Kirkmahoe aux environs de Dumfries, dans le sud de l'Écosse, le 24 mai 1824, nous dit son biographe. L'habitation qui abritait la famille était des plus modestes et des mieux tenues ; c'était une solide construction au toit de chaume, entourée d'un jardin, au sein d'un charmant paysage encadré de montagnes.
Son père, James Paton, fabriquant de bas et de caleçons, avait épousé Janet Jardine Rogerson, et le couple vivait en excellents termes avec le gentleman propriétaire de la ferme ; c'est d'ailleurs pour marquer cette amitié que les parents de John ajoutèrent le deuxième prénom Gibson, qui était celui de son fils.
Entre la cuisine et l'atelier se trouvait une petite chambre ; « c'était, dit Paton, le sanctuaire de la maison. Plusieurs fois par jour, généralement après chaque repas, mon père s'y rendait et fermait la porte. Nous comprenions alors, par une sorte d'instinct spirituel, que des prières montaient au ciel en notre faveur. Parfois nous entendions une voie émue, suppliant comme pour obtenir la vie, et nous passions sur la pointe des pieds pour ne pas troubler le saint colloque. Si les étrangers l'ignoraient, nous savions, nous, d'où venait ce doux sourire, cet éclat céleste qui illuminait constamment le visage de mon bienheureux père. C'était le reflet de la présence divine dans laquelle il vivait. le reflet de la Présence divine dans laquelle il vivait. Quand, par impossible, toute autre vérité religieuse disparaîtrait de ma mémoire, mon âme se reporterait vers ces premières scènes de mon enfance, vers ce sanctuaire dont elle entend encore les cris qui montaient à Dieu, et triomphant de tout obstacle, elle s'écrierait : « Il marcha avec Dieu, pourquoi ne pourrais-tu faire de même ? »
La mère de Paton était une femme au cœur chaud, pleine de courage et d'ardeur, patiente, laborieuse, vraiment héroïque. Pendant quarante-trois ans, elle entoura ses onze enfants d'une atmosphère de piété si saine, si joyeuse et si profonde, qu'ils en concevaient pour elle une vénération tout à fait extraordinaire. « Quand je repense à elle, à la lumière de tout ce que j'ai vu chez d'autres plus favorisés des biens de ce monde, nous dit son fils, je suis contraint de presque adorer sa mémoire. »
A dix-sept ans le père de Paton passa par une crise religieuse à dater de laquelle il se déclara hautement disciple de Jésus-Christ et suivit son Maître d'une manière très décidée. Ses parents avaient appartenu à l'Église Presbytérienne Unie, mais après avoir fait une sérieuse étude des Scotch Worthies, du Cloud of Witnesses, des Testimoniesa et de la Confession de foi, il se rattacha à l'Église Réformée Presbytérienne. Ses parents n'avaient de culte de famille que le dimanche ; dès ce moment, il leur persuade d'avoir ce culte, chaque jour matin et soir : chants, prières, lectures de la Bible, qui se poursuivent facilement vu que le jeune homme y prend régulièrement une grande part. Et, matin et soir, jusqu'à l'âge de soixante-dix-sept ans le père de notre missionnaire continua dans sa propre maison ce culte de famille qui était la joie de sa vie. « Ni le marché, ni les affaires, ni les visites, ni les joies, ni les chagrins, dit Paton, n'ont jamais pu nous empêcher de nous agenouiller tous ensemble autour de notre grand sacrificateur s'offrant lui et ses enfants et conduisant à Dieu la prière de tous. »
La pire créature du village, femme de mauvaise vie changée par la grâce de Dieu, déclarait que la seule chose qui l'avait gardée du désespoir et du suicide, était le spectacle qu'elle avait et les paroles qu'elle entendait alors que, dans les froides nuits d'hiver, elle se glissait jusqu'à la fenêtre des Paton à l'heure de leur culte domestique. J'entendis, un soir, dit cette femme, le père de famille demander à Dieu qu'il « convertît le pécheur, le ramenât de sa mauvaise voie et le polît comme un joyau pour la couronne du Rédempteur ; » et je sentis que j'étais un fardeau sur le cœur de cet homme excellent ; je compris que Dieu ne le désappointerait pas, et cette pensée me sauva de l'enfer et m'amena aux pieds du Sauveur. »
« Je ne pourrais dire à quel point les prières de mon père m'impressionnaient, dit Paton lui-même, et aucun étranger ne peut le comprendre. Quand, au culte de famille, à genoux, et nous tous à genoux autour de lui, il répandait devant Dieu toute son âme avec larmes pour la conversion des païens et pour les besoins de chacun de ceux qui l'entouraient, nous nous sentions tous en la présence du Sauveur que nous apprenions à connaître et à aimer comme notre Ami divin. Quand nous nous relevions, j'avais l'habitude de regarder à la lumière la figure de mon père ; j'étais alors pris du désir d'être rempli du même esprit que lui et j'espérais qu'en réponse à ses prières, Dieu m'accorderait le privilège de porter l'Évangile à quelque portion du monde païen. »
Le père de Paton avait un grand désir d'être ministre de l'Évangile, mais quand il avait vu que Dieu lui réservait un autre lot, il avait fait ce vœu solennel : « Si Dieu me donne des fils, je les consacrerai sans réserve au service de Jésus-Christ ; pour le ministère, si Dieu veut bien leur en ouvrir le chemin. » Et il vécut assez pour voir trois de ses fils dans le ministère, comblés des plus grandes bénédictions : John, l'aîné, notre missionnaire, Walter, et James, le plus jeune, actuellement pasteur à Glasgow.
Si quelque faute sérieuse exigeait la punition d'un des enfants, le père se retirait dans son cabinet. « Et, dit Paton, nous comprenions aussitôt qu'il exposait à Dieu toute l'affaire. J'aurais pu braver tous les châtiments, mais cet entretien avec Dieu parlait à ma conscience ; c'était pour moi la plus sévère des punitions, et la décision de mon père m'arrivait comme un message de Dieu. Quand nous voyions combien il en coûtait à notre père de nous punir, nous concevions pour lui le plus grand amour. Il n'eut, du reste, pas beaucoup à le faire avec aucun de ses onze enfants : nous étions gouvernés par l'amour bien plus que par la crainte. »
Le père de Paton était un vrai pasteur pour toute la contrée ; on l'appelait auprès du lit des malades, dans les maisons de deuil et partout où l'on soupirait après la visite d'un homme de Dieu. Il fut de plus en plus apprécié de sorte que, pendant les douze dernières années de sa vie, il fut nommé « Missionnaire rural » des quatre paroisses de la contrée. Dès lors, comme colporteur évangéliste, il visita tout le pays, de maison en maison. Il mourut en 1868. Sa femme l'avait précédé de trois ans dans la tombe.
Paton fit ses premières études à l'école de son village tenue par un excellent instituteur. On y étudiait la Bible et le catéchisme avec autant de soin que la grammaire, la géographie, le latin, le grec et les mathématiques ; et l'on passait de là directement à l'Université. Les punitions de l'instituteur étaient sévères, brutales même, surtout lorsqu'il s'agissait de travaux mal faits. La brutalité alla si loin que Paton fut obligé de quitter l'école à l'âge de douze ans. Il se mit alors à apprendre le métier de son père et y fit de rapides progrès. Comme son père, il travaillait à l'atelier de six heures du matin à dix heures du soir, avec une heure d'interruption au dîner, une demi-heure au déjeuner et une demi-heure au souper. Ces interruptions étaient consacrées à l'étude, principalement à celle du grec et du latin, « car, dit Paton, je m'étais donné à Dieu pour être ministre de l'Évangile, missionnaire ou pasteur. » L'apprentissage du rude métier paternel ne fut pas cependant du temps perdu ; le jeune garçon apprit à se servir des outils, à tenir les machines en ordre, etc., ce qui ne lui fut pas inutile pendant sa carrière missionnaire.
Un incident appartenant à cette époque fit une impression ineffaçable sur Paton. « Notre famille, dit celui-ci, était plongée, comme tous les paysans de la contrée, dans la plus profonde détresse, par suite des récoltes manquées et de la cherté des vivres. Mon père était allé à Hawick porter son ouvrage et devait en rapporter de l'argent et des vivres ; mais pendant son absence le pain vint à manquer. Notre mère ayant trop de fierté ou trop de délicatesse pour en parler à personne, nous exhorta au calme, nous assurant que Dieu auquel elle avait tout dit, nous enverrait, le matin suivant, tout ce qu'il nous fallait. Or, le matin suivant, arriva un don de son père qui ne savait rien de nos circonstances, mais que Dieu avait admirablement inspiré : c'était un panier de pommes de terre nouvelles, un baril de farine et un fromage, denrées qui suppléèrent largement à tous nos besoins. Ma mère voyant notre surprise à la vue d'un tel exaucement, nous prit autour d'elle, remercia Dieu pour sa bonté et nous dit : « Oh ! mes enfants, aimez votre Père céleste, exposez-lui avec foi tous vos besoins, il y pourvoira autant que cela sera nécessaire pour votre bien et pour sa gloire. »
Paton parvint à économiser assez sur le produit de son travail pour aller passer six semaines à l'Académie de Dumfries. Sa soif d'instruction ne faisait que grandir. Il s'engagea auprès des officiers du génie qui dressaient la carte du comté. Il faisait 13 kilomètres aller et retour pour se rendre de chez lui à Dumfries où il travaillait au bureau des ingénieurs de 9 h à 4 h. Quant à ses études particulières, il les faisait le matin de bonne heure, le soir pendant ses courses, et à l'heure du dîner pendant que les autres jeunes gens jouaient au football. Il s'établissait à cette heure-là au bord de la rivière et ses yeux ne se détachaient plus de son livre d'étude. Un officier qui l'avait observé de sa maison située de l'autre côté de la rivière, le fit venir et lui demanda ce qu'il étudiait. Paton le mit au courant de sa situation. L'officier, après en avoir conféré avec ses collègues, promit au jeune homme de l'avancement et l'entrée gratuite à l'école de Woolwich, avec entretien aux frais du gouvernement, à condition de signer un engagement de sept ans. Paton remercia chaleureusement, mais ne voulut se lier que pour trois ou quatre ans.
— « Quoi ! répondit vivement l'officier, vous refusez une offre que bien des fils de gentilhommes seraient fiers d'accepter ! »
— « Ma vie appartient à un autre Maître, répondit Paton, c'est pourquoi je ne puis m'engager pour sept ans. »
— « A qui donc appartient-elle ? »
— « Au Seigneur Jésus, car je dois être prêt aussi tôt que possible à proclamer son Évangile. »
L'officier en colère bondit vers la porte, appela le payeur, et se tournant vers Paton : « Acceptez mon offre, sinon vous êtes congédié à l'instant ! »
Notre ami répondit qu'il était extrêmement peiné de devoir refuser, mais qu'il ne pouvait autrement. Il fut donc congédié. La plupart des officiers présents étaient des catholiques romains qui juraient à tout propos, aussi Paton était-il content de quitter leur société ; cependant comme ils avaient toujours été aimables avec lui personnellement, il les remercia tous cordialement pour leur bonté à son égard, ce qui les surprit grandement, car ils n'étaient pas habitués à ce qu'on leur exprimât de la reconnaissance.
Apprenant comment Paton avait été traité, le recteur de l'Académie de Dumfries lui offrit la gratuité de toutes les études, aussi longtemps qu'il voudrait rester dans cet établissement. Mais Paton ne pouvait ni ne voulait rester à la charge de son père, « j'étais au contraire, dit-il, décidé à l'aider à élever mes frères et sœurs. » Il remercia donc et s'engagea dans une ferme de Lockerbie pour le travail des moissons, rude travail auquel il n'était pas habitué. Là, pendant ses heures libres, il aidait avec empressement à la construction de nouveaux jardins et de nouveaux bâtiments. Apprentissage et travaux divers qui lui furent plus tard fort utiles dans le champ de la mission.
A la suite d'un concours, pour lequel il envoya deux longs poèmes sur les Covenantaires, lui qui savait à peine écrire en prose, il fut nommé évangéliste d'une église de Glasgow, avec privilège de suivre pendant une année les cours d'une école de théologie où il devait se préparer au Saint Ministère. Le voilà donc sur la route de Glasgow. « Littéralement sur la route, dit-il, vu que de Torthorwald, notre village, jusqu'à Kilmarnock, — soixante-cinq kilomètres, — je devais aller à pied, puis prendre le chemin de fer. Car il n'y avait encore que peu de chemins de fer ; et quant à la diligence, elle était bien au-dessus de mes moyens. Ma Bible et quelques effets, le tout noué dans un mouchoir de poche : c'était tout mon bagage. Lancé ainsi sur l'océan de la vie, je pensais à Celui qui a dit : « Je connais ta pauvreté, mais tu es riche. »
Mon cher père m'accompagna pendant les dix premiers kilomètres. Ses conseils, ses larmes, sa conversation céleste, pendant cette première étape, tout cela est encore aussi frais dans ma mémoire que si cela s'était passé hier ; et toutes les fois que j'y repense les larmes coulent sur mes joues aussi abondamment qu'alors. Pendant le dernier kilomètre nous marchâmes l'un à côté de l'autre dans un silence à peu près complet, mon père portant, comme il le faisait souvent, son chapeau à la main, sa longue chevelure dorée (plus tard blanche comme neige) flottant sur ses épaules. Ses lèvres ne cessaient de se mouvoir en prière silencieuse pour moi, et ses larmes redoublaient quand nos regards venaient à se rencontrer. Nous arrêtant enfin au lieu fixé pour la séparation, il tint ma main fermement pendant une minute, en silence, puis solennellement et avec affection :
« Dieu te bénisse, mon fils ! dit-il. Que le Dieu de ton père te fasse prospérer et te garde de tout mal ! »
Incapable d'en dire plus, il continua à mouvoir ses lèvres dans la prière silencieuse. Nous nous embrassâmes dans les larmes et nous séparâmes.
Je courus aussi vite que je pouvais et, à un contour de la route, comme mon père allait me perdre de vue, je me retournai et je le vis, la tête découverte, me regardant à la place où je l'avais quitté. Agitant mon chapeau en signe d'adieu, je fis le contour et fus aussitôt hors de vue. Mais mon cœur était trop plein et trop triste pour que je pusse aller plus loin ; je me jetai sur le bord de la route et pleurai pendant un moment. Me levant alors avec précaution, je grimpai tout doucement sur la digue qui bordait la route pour voir si mon père était toujours à la même place ; mais aussitôt je l'aperçus qui grimpait aussi sur la digue pour me voir. Il ne me vit pas, mais il me chercha du regard, puis redescendit et commença à se diriger du côté de la maison. Sa tête était toujours découverte : il priait sans cesse pour moi, j'en suis sûr. Je le suivis des yeux à travers les larmes qui m'aveuglaient, jusqu'à ce qu'il disparut à l'horizon. Pressant alors le pas, je fis vœu de toute mon âme, et bien des fois, de vivre, avec le secours d'En Haut, de manière à ne jamais attrister un père et une mère comme ceux que Dieu m'avait donnés. L'expression de mon père, ses avis, ses prières, ses larmes, — la route, la digue, cette grimpée sur son sommet, ce départ, cette tête découverte, tout cela a toujours été tellement vivant devant mes yeux, à travers toute ma vie, que j'en ai été, par la bonté de Dieu, gardé dans mainte tentation, particulièrement pendant mes jeunes années. Et non seulement gardé, je le dis avec une profonde gratitude, mais encouragé dans toutes mes études et à travers toute ma carrière chrétienne. »
Paton mit trois jours pour atteindre Glasgow. Quand il arriva dans la grande ville, il n'avait dépensé que quinze centimes. Il se procura un logis et se mit bientôt au travail avec une ardeur extraordinaire. Mais avant la fin de l'année, il avait tant travaillé et subi de telles privations qu'il crachait le sang. Le médecin ordonna le repos absolu et Paton revint passer quelque temps chez ses parents. Un peu reposé, il louait une maison et commençait une école, où il recouvra peu à peu la santé.
« Ayant gagné 1500 € par mon enseignement, dit-il, je retournai à Glasgow et entrai dans un collège ; mais avant que les cours fussent finis, ayant prêté de l'argent à un pauvre étudiant qui ne m'avait rien rendu, je me trouvai sans le sou. Je cherchai des leçons à donner, mais je ne pus en trouver. J'écrivis alors à mes parents que je quittais Glasgow en quête d'ouvrage ; qu'ils n'entendraient plus parler de moi jusqu'à ce que j'eusse trouvé une position convenable ; et que si je ne réussissais pas, je reprendrais chez eux mon métier, quelque crainte que j'eusse de tout ce qui pouvait retarder mes études. « Quoi qu'il arrive, ajoutais-je, soyez assurés que je ne ferai jamais rien qui porte atteinte à l'honneur de ma famille et de ma profession de chrétien. » Après avoir relu cette lettre avec beaucoup de larmes : « Je ne puis l'envoyer, me dis-je, elle ferait trop de peine à mes chers parents. » Je pris donc mes précieux livres et me mis à la recherche d'un bouquiniste qui voulût bien les acheter et me fournir ainsi les moyens de prolonger de quelques semaines mon séjour au collège. Mais comme j'hésitais, me demandant si jamais quelqu'un se soucierait de ces livres, ma conscience me reprit comme si je faisais une mauvaise action. Il me semblait qu'on me surveillait comme on surveille un voleur, et je passais d'une rue à l'autre sans savoir où j'allais. Mais Dieu guidait mes pas.
J'aperçus alors à une fenêtre ces mots. « On demande un instituteur pour l'école de l'Église libre de Maryhill. » Je sautai dans un omnibus ; je vis le ministre de l'église en question et m'engageai à prendre l'école. Je retournai à Glasgow, déchirai la lettre que j'avais écrite à mes parents et en refis une autre pleine de courage et d'espérance. Dès le matin suivant j'entreprenais l'école, rude tâche si jamais il en fût. Le ministre me dit que plusieurs instituteurs successivement avaient été maltraités par les mauvais sujets qui envahissaient les classes du soir et qu'on avait dû finalement fermer l'école. Et posant une lourde canne sur le pupitre : « Usez librement de cet engin, me dit-il, autrement vous n'aurez jamais d'ordre dans la salle. » Je mis la canne dans le pupitre, me disant bien que je ne l'emploierais qu'à la dernière extrémité.
La première semaine je n'eus que dix-huit élèves le jour, et vingt le soir. La semaine suivante arrivèrent un jeune homme et une jeune femme qui dès le premier moment montrèrent leurs mauvaises intentions ; ils parlaient à haute voix, jouaient, riaient, rendaient tout travail impossible. Plus je les rappelais à l'ordre, plus ils faisaient de tapage. Finalement je sommai le jeune homme, un grand et fort gaillard, de se tenir tranquille ou de quitter immédiatement la salle, lui signifiant que je voulais un ordre parfait. Mais il se moqua de moi et prit une attitude menaçante. Je fermai la porte, mis la clef dans ma poche et vins prendre la canne dans le pupitre. Je menaçai quiconque aurait la pensée d'intervenir. Nous eûmes alors un rude combat. Le vaurien me jetait grossièrement ses poings à la figure, je parais ses attaques et lui appliquais coup sur coup avec ma terrible canne. Il se coucha enfin, épuisé, sur son banc et je lui ordonnai de retourner à ses livres, ce qu'il fit en silence.
Me rendant alors à mon pupitre, je demandai à mes élèves d'informer tous ceux qui voudraient venir à l'école, que s'ils y venaient pour recevoir instruction, je ferais de tout cœur tout ce qui serait en mon pouvoir ; mais que quiconque serait disposé à faire du désordre, devait s'abstenir de paraître ; que j'étais résolu à rester le maître et que j'obtiendrais ordre et silence, quoi qu'il pût en coûter. J'ajoutai que la canne ne reparaîtrait plus, si je pouvais avoir gain de cause par la bonté, vu que tout mon désir était de gouverner par l'amour et non par la terreur ; que le jeune homme battu savait qu'il avait eu tort, et que c'était là ce qui l'avait rendu faible, lui qui était bien plus fort que moi. Je serai cependant son ami et son aide, leur dis-je, s'il veut être aimable ; et nous ferons comme si la scène de ce soir n'avait pas eu lieu. A ces mots, un profond silence s'établit dans l'école, chacun se mit à l'étude et l'ordre ne fut plus troublé. »
A l'école du jour, les mêmes scènes tentèrent de se produire, mais la fermeté et l'amour du maître y mirent promptement fin. L'école acquit une grande prospérité. Les élèves devinrent si nombreux que les écolages se montèrent à une somme bien supérieure à celle qu'avait prévue le Comité.
Aussi celui-ci se laissa-t-il entraîner à des procédés peu honorables ; et Paton se retira, bien que les parents des enfants eussent protesté, offrant d'ouvrir une nouvelle école afin de garder le maître qui avait toute leur estime. Un cadeau cependant, produit d'une souscription parmi les élèves, fut offert à Paton avant son départ. Ce témoignage de l'affection de tous était présenté par les élèves qui avaient été d'abord les plus indisciplinés et qui maintenant étaient les meilleurs amis du maître regretté.
« Je remis mon sort au Dieu de mon père, dit Paton, bien assuré que je n'avais d'autre désir que de suivre mon Sauveur ; j'étais cependant vivement affecté de l'obscurité profonde qui enveloppait mon sentier. »
« Avant d'aller à Maryhill, j'avais offert mes services à la Mission Intérieure de Glasgow. Aussi quand je quittai mon école, les directeurs de cette mission m'écrivirent-ils qu'ils avaient eu les yeux sur moi et qu'ils me priaient de me présenter devant eux le lendemain pour subir les épreuves qui feraient de moi un Missionnaire de la cité. Bénissant Dieu, je passai avec succès l'examen que le comité me fit subir ; puis en compagnie de deux des directeurs, j'eus à visiter le jour même, ainsi que les jours suivants, et pendant deux heures, chaque maison d'un des plus misérables quartiers de la ville ; je devais ainsi annoncer le salut à tous ceux que je rencontrais. J'eus aussi à faire, le premier dimanche, une prédication d'épreuve ; et le mercredi suivant on devait prononcer sur mon acceptation comme évangéliste.
Tout ceci avait été si prompt et si inattendu, que je craignais un peu un échec ; cependant je regardai à Dieu et le cinquième jour après avoir quitté mon école, le comité de la Mission m'informait qu'il me nommait à l'unanimité Missionnaire de la cité pour deux ans, avec un salaire de 500 € mensuelsa. On m'assignait un des plus misérables quartiers de la ville, poste qui n'avait jamais été occupé, et l'on me priait de commencer immédiatement le travail. Les membres du Comité me donnèrent d'excellents conseils et recommandèrent solennellement à Dieu moi et mon œuvre. Plusieurs d'entre eux furent désignés pour m'accompagner, un jour chacun, et m'introduire dans mon champ de travail. L'œuvre que j'eus dès lors à poursuivre fut hautement profitable à toute la suite de mon ministère.
Un grand nombre des personnes que je visitais n'avaient jamais reçu la visite d'un chrétien et ne fréquentaient aucune église. Dans les cours et les maisons, le vice s'étalait sans honte. Je devais faire chaque jour quatre heures de visites de maison en maison, tenant des réunions de prières dans les cuisines, invitant chacun à prendre part à nos cultes du soir, et travaillant par tous les moyens possibles au bien de ces pauvres gens. Le seul local que nous eussions pour nos cultes du soir était un grenier à foin où l'on parvenait par un mauvais escalier de bois et sous lequel se trouvaient un grand nombre de vaches.
Après une année de rude travail, six ou sept personnes suivaient régulièrement le culte du soir dans le grenier à foin, et j'en réunissais six ou sept autres chaque semaine chez une pauvre Irlandaise usée par la maladie. Cette femme gagnait sa vie en tenant une petite boutique de charbon. Son mari était un ivrogne qui la maltraitait et lui prenait tout ce qu'il pouvait afin d'aller boire. Avec beaucoup de prières et de larmes, elle supportait tout patiemment. C'est ainsi qu'elle réussit à élever sa fille unique dans la crainte de Dieu. Avec la bénédiction d'En Haut, nous exerçâmes par nos réunions une bonne influence sur le mari. Il devint « totalement abstinent, » abandonna le mal et se mit à fréquenter régulièrement l'église avec sa femme. Leur demeure devint un centre d'où le bien se répandait dans tout le quartier. La femme invitait chacun à venir à la réunion qui se tenait chez elle et recevait fort bien tous ceux qui se présentaient. C'est ainsi que mon œuvre fut de plus en plus bénie.
Cependant les directeurs de l'œuvre considérant le petit nombre de ceux qui fréquentaient nos cultes, en conclurent que les gens du quartier étaient à peu près inaccessibles, et proposèrent de m'installer dans un autre district. Comme j'avais gagné la confiance de beaucoup de pauvres gens et que j'avais une foi inébranlable que la semence jetée porterait son fruit, je demandai six mois de plus, ce que les directeurs m'accordèrent. Dès la première réunion, j'informai donc ceux qui étaient présents que si nous ne réussissions pas à amener à nos services un plus grand nombre de ceux qui ne fréquentaient aucune église, je serais transféré dans une autre partie de la ville. Chacun s'engagea alors à amener d'autres personnes aux réunions, et d'emblée nos deux auditoires furent doublés. L'intérêt pour l'œuvre grandit et, après de nouveaux efforts, le nombre des auditeurs fut encore doublé. Nous ne trouvâmes bientôt aucun local assez grand pour nos réunions. Nous établîmes une classe biblique, une classe de chant, une classe de catéchumènes et une société de tempérance. Outre les réunions ordinaires, nous établîmes encore deux réunions de prières pour les agents de police, une pour ceux qui sont de service le jour et une pour ceux qui sont de service la nuit. Ces hommes établirent encore entre eux une réunion d'édification mutuelle et une classe de chant. Mon œuvre me prenait alors toutes mes soirées ; le dimanche, je tenais deux réunions. Il était évident que le Seigneur opérait au milieu de nous.
Le vacher nous informa qu'à son grand chagrin il était obligé de nous retirer bientôt le grenier à foin, et comme je ne trouvais aucun autre local, nous commencions à craindre pour l'existence de notre œuvre. Mais des garçons d'écurie obtinrent un autre grenier à foin, cédé par leur patron, et offrirent d'y établir à leurs frais un escalier extérieur. La joie fut grande dans le quartier et l'intérêt pour l'œuvre s'en accrut. Cependant je comprenais que tout cela ne pouvait être que provisoire ; aussi, après avoir consulté Dieu, j'exposai la chose à mon excellent ami Thomas Binnie qui, ayant tout bien examiné, nous procura tous les bâtiments nécessaires dans le voisinage de notre premier grenier à foin.
D'autres bâtiments encore furent bientôt achetés. Des écoles « déguenillées » pour filles et garçons furent établies ; et l'œuvre prit une grande extension. Le dimanche matin à sept heures, j'avais une classe biblique réunissant une centaine des plus pauvres filles et des plus pauvres garçons du district ; aucun d'eux n'avait de chapeau, quelques-uns étaient sans souliers, leurs vêtements n'étaient guère que des haillons. Mais quelle amélioration dans leur tenue, à mesure qu'ils prenaient intérêt à la parole de Dieu ! Et quel zèle ils mettaient à amener d'autres pauvres gens à la classe biblique ! Cette classe a été une des plus pures joies de ma vie et les résultats en ont été des plus certains et des plus précieux de tout mon ministère ; mais le succès n'était pas obtenu sans peine et prières incessantes. Que penseraient les jeunes ministres de partir à six heures du matin chaque dimanche, de courir de rue en rue pendant une heure, frappant aux portes pour réveiller les insouciants et les oublieux pour les rassembler tous et les amener à une classe biblique ? C'est ce que je fis d'abord, mais plus tard un groupe de volontaires appartenant à la classe, se chargea des irréguliers, des indifférents et des nouveaux venus ; et par là, non seulement je fus assisté, mais l'intérêt que les volontaires portaient à l'œuvre en fut augmenté, ainsi que leur amour les uns pour les autres. »
Le ministère de Paton était vraiment prodigieux. Les centaines de pauvres gens qui suivaient ses réunions allaient s'établir dans d'autres quartiers dès que leur condition s'était améliorée, et il continuait à les visiter régulièrement jusqu'à ce qu'ils se fussent rattachés à une église. Plus tard lorsqu'il revenait de son lointain champ de mission, il n'y avait pas une des nombreuses églises de la ville où il ne rencontrât des personnes qui l'abordaient par ces mots : « Vous souvenez-vous de moi ? »
Il avait formé une dizaine de jeunes gens et une vingtaine de jeunes femmes qui l'aidaient comme visiteurs et distributeurs de traités. Les visiteurs isolément, de même que les visiteuses deux par deux, avaient leur rue ou portion de rue qu'ils devaient visiter deux fois par mois. Ces visiteurs se réunissaient tous les mois avec Paton pour rendre compte de leur activité. Beaucoup de familles s'intéressaient tellement à l'œuvre qu'elles donnaient du travail à toute personne bien recommandée par notre évangéliste.
Les ennemis de Paton étaient surtout les cabaretiers qui ne pouvaient souffrir sa Société d'abstinence ; il devait en être de même des marchands de tabac dont il était loin de recommander la marchandise. Les premiers lui firent une rude opposition, mais ils furent vaincus.
Le ministère de notre ami fut un moyen de salut pour un grand nombre d'âmes, jusque chez les catholiques romains. L'opposition et les persécutions violentes de ceux-ci mirent cependant maintes fois sa vie en danger ; et ce ne fut que par une patience et une énergie indomptables qu'il en vint à bout.
Pendant les dix années que dura ce ministère, Paton poursuivit énergiquement ses études, théologie puis médecine, dans les différentes facultés de la ville ; il y prit beaucoup de peine, vu l'insuffisance de ses premières études ; mais il était grandement soutenu par la pensée du glorieux ministère que Dieu lui réservait encore.
« J'étais heureux et béni dans mon œuvre, dit Paton, cependant le cri d'angoisse montant du cœur des païens des mers du Sud, poursuivait sans cesse mon âme. Peu de gens se préoccupaient d'eux, tandis que nombreux étaient ceux qui m'auraient volontiers remplacé dans l'œuvre que je poursuivais. Je n'en parlais à personne, mais c'était chaque jour mon grand sujet de méditation et de prière. »
L'Église Réformée Presbytérienne d'Écosse demandait un missionnaire pour aller rejoindre le Rév. John Inglis aux Nouvelles-Hébrides. Mais son Synode dont Paton suivait les délibérations, n'avait pu en nommer aucun. Le découragement envahissait l'assemblée, et notre ami eût une peine extrême à ne pas s'écrier de toute sa voix : « Me voici, envoyez-moi ! » Il avait une grande crainte de prendre de pures émotions humaines pour la voix de Dieu ; aussi prit-il la résolution de consacrer encore plusieurs jours à la méditation et à la prière, afin de bien discerner la volonté du Seigneur. Il reçut alors l'assurance que Dieu prendrait soin de son œuvre à Glasgow, et son angoisse au sujet des païens ne fit que grandir. L'évidence fut bientôt complète : c'était Dieu qui l'appelait à partir comme missionnaire. Il s'offrit donc.
Pendant une année encore il fut placé sous la direction d'un comité spécial qui devait lui fournir les moyens de compléter ses études médicales et d'acquérir une connaissance élémentaire des métiers les plus usuels, de façon à pouvoir se rendre aussi utile que possible dans le champ missionnaire qui lui était destiné.
« Quand on sut, dit-il, que je me préparais à être missionnaire, presque tous mes amis se tournèrent contre moi. Cependant mon cher père et ma chère mère, que je consultai, me répondirent qu'ils m'avaient depuis longtemps donné au Seigneur et qu'ils me laissaient entre ses mains. D'autre part, l'opposition était grande. L'un de mes professeurs, un excellent pasteur, me somma plusieurs fois de ne point quitter Glasgow : « Votre église, me disait-il, est certainement celle pour laquelle Dieu vous a qualifié ; il y a grandement béni vos travaux ; si vous laissez vos réunions et vos classes, elles se disperseront, et la plupart de leurs membres probablement s'égareront. Vous laissez le certain pour l'incertain ; vous allez perdre en vain votre vie parmi les cannibales. »
Je répondis : « Je suis décidé. J'aime mon œuvre et mon peuple, je puis cependant les abandonner pour l'amour de Jésus qui peut leur donner un pasteur meilleur que moi. Quant à perdre ma vie au milieu des cannibales, je ne dois mourir qu'une fois et je suis content de laisser le lieu et le moment de ma mort à Dieu qui m'a déjà merveilleusement préservé quand je visitais les malades atteints du choléra. Je n'ai aucun souci et j'ai tout remis entre les mains de mon Sauveur que je veux servir soit par ma vie, soit par ma mort.
On m'offrit la maison contiguë à mon église (Green Street) comme presbytère, avec les appointements que je voudrais, si je voulais bien rester à Glasgow. Je ne puis pas dire que de telles offres m'aient beaucoup tenté, elles me confirmèrent plutôt dans la pensée que je devais partir. Parmi ceux qui cherchaient à me retenir était un vieux gentleman, excellent homme, dont l'argument principal était toujours : « Les Cannibales ! ils vous mangeront ! »
A la fin je répondis : « M. Dickson, vous êtes âgé et vous serez bientôt dans la tombe, mangé par les vers. Que je puisse seulement vivre et mourir servant et glorifiant le Seigneur Jésus, je ne ferai aucune différence entre le fait d'être mangé par les cannibales et celui d'être mangé par les vers. Dans le grand jour de la résurrection, mon corps se relèvera semblable à celui de notre Sauveur, aussi bien que le vôtre. » A ces mots, le vieux monsieur leva les mains au ciel et quitta la chambre en s'écriant : « Après cela, je n'ai plus rien à dire. »
Cependant l'opposition de mon bien-aimé peuple de Green Street devint si forte que je fus grandement tenté de mettre en doute la réalité de ma vocation. Plein d'anxiété, je me réfugiai auprès de Dieu, dans la prière, et bientôt tout doute disparut. Je vis clairement que tous à Glasgow avaient la Bible et tous les moyens de grâce à leur portée, tandis que les pauvres païens périssaient sans avoir aucune possibilité de connaître l'Évangile. Ma conscience me disait chaque jour plus clairement : « Laisse au Seigneur Jésus la responsabilité de ses propres paroles : « Allez par tout le monde prêcher l'Évangile à toute créature ; je suis toujours avec vous. » Et ces paroles résonnaient toujours à mes oreilles ; elles furent mon ordre de marche.
Quand l'opposition fut à son apogée, je consultai de nouveau mes parents, ils me répondirent : « Autrefois nous craignions de t'influencer, mais maintenant nous devons te dire pourquoi nous louons Dieu au sujet de la décision que tu as prise. Ton père avait à cœur d'être un ministre de l'Évangile, mais il dut abandonner cette pensée. Quand Dieu te donna à nous, ton père et ta mère te mirent sur l'autel, toi leur premier-né, pour te consacrer à Dieu, s'il le jugeait bon, comme missionnaire de la croix de Christ. Et leur prière constante a été que tu fusses préparé, qualifié et conduit de façon à ce que tu prisses la décision que tu viens de prendre. Nous prions de tout notre cœur que Dieu accepte notre offrande, qu'il te donne une longue vie et que tu aies pour salaire un grand nombre d'âmes parmi les païens. »
A partir de la réception de ces lignes, toute espèce de doute avait disparu de mon cœur. La main de Dieu était visible pour moi ; je la voyais dans toute la préparation qu'elle m'avait fait subir, et je la voyais me conduisant dans le champ des missions lointaines.
Dans tout le cours de mes études et de mon ministère, mes parents m'ont accompagné de leurs plus ardentes sympathies et de leurs prières ; mais ils ne pouvaient m'aider pécuniairement. Ce fut au contraire mon bonheur et ma gloire de les aider moi-même, car j'étais l'aîné de onze enfants ; et c'est avec joie et reconnaissance que je vis ensuite tous mes frères et sœurs prendre leur part du même privilège, en assistant nos bien-aimés parents de tout leur pouvoir. J'aidai d'abord mon père à acheter une vache sans laquelle notre mère n'eût jamais pu nourrir sa nombreuse famille.
Ensuite je payai le loyer de leur maison et l'herbe nécessaire à la nourriture de la vache, jusqu'au moment où d'autres, de mes frères et sœurs, purent le faire à ma place. Plus tard je payai les écolages et les vêtements de mes plus jeunes frères et sœurs. Je donnais joyeusement tout ce qu'il m'était possible d'épargner sur le traitement de 500 € que me faisait la Mission de la Cité. M'étant ainsi élevé moi-même sans jamais recevoir un schilling de personne, le lecteur comprendra que les difficultés furent grandes parfois et nombreuses, dans le cours si long de mes études, études préparatoires, études d'arts et métiers, études de théologie et de médecine ; mais Dieu m'a tellement conduit et béni que je n'ai jamais contracté la moindre dette.
Pendant tout le cours de mes études cependant j'eus à porter un fardeau des plus accablants. Le propriétaire de Dalswinton avait institué un prix qui consistait à exempter de loyer celui de ses cottages qui était le mieux tenu et qui avait le plus beau jardin. Mon grand-père gagna ce prix pendant bien des années, mais malheureusement aucun acquit n'avait été demandé ni donné pour le loyer ainsi gagné, le propriétaire et le locataire agissant en amis plutôt qu'en hommes d'affaires. Mais l'héritier de ce propriétaire menaça de poursuivre mon père pour ces arrérages. Il fallut emprunter l'argent qu'un usurier prêta à un taux fort élevé, et cette dette demeura comme une pierre de meule au cou de mon père. Quand je quittai le métier paternel pour commencer mes études, l'usurier exigea que ma signature figurât à côté de celle de mon père en garantie de la somme due. Et pendant dix années, tout schilling que nous pouvions épargner était aussitôt mis de côté pour payer les intérêts de cette dette et en réduire graduellement le capital. Entre tous, nous réussîmes. La veille de mon départ pour les mers du Sud, ayant reçu d'avance mon traitement de missionnaire, je pus envoyer à la maison une somme qui libéra mes bien-aimés parents de toute dette. Ce fut là pour moi une des plus pures joies de cette époque. J'avais aussi la joie de voir mes frères et sœurs dorénavant capables de faire pour la maison au delà de ce qui était nécessaire. Tous les membres de la famille ne faisaient qu'un, nous avions « toutes choses en commun, » comme une vraie famille en Christ et je pouvais être assuré que mes chers vieux parents ne manqueraient jamais du confort désirable. J'en bénissais le Seigneur et j'étais consolé au delà de toute expression, en me séparant d'eux probablement pour toujours en ce monde.
Quand je quittai Glasgow, beaucoup de jeunes gens de mes classes, surtout des ouvriers et des ouvrières des fabriques, auraient voulu, si possible, partir avec moi pour vivre et mourir au milieu des païens. Ils se cotisèrent, achetèrent pièce sur pièce d'étoffe et firent toutes sortes de vêtements pour hommes et femmes des Nouvelles-Hébrides. Ces dons se sont renouvelés d'année en année jusqu'à maintenant. Quand nous nous rencontrerons dans la gloire, le temps que nous avons passé ensemble dans les salles de la Mission de la Cité sera certainement le sujet de bienheureux entretiens.
M. Walter Paton, frère de notre missionnaire, quitta, sur l'appel qui lui fut adressé, une position commerciale pleine d'avenir, pour se vouer à l'œuvre de Green Street. Il poursuivit cette œuvre avec une grande énergie, et son ministère fut abondamment béni. Il fit en outre des études de théologie, en dépit d'une longue maladie, et devint un des pasteurs les plus honorés d'Écosse. (T. E.)
« Le premier décembre 1857 mon collègue, M. Copelandb, et moi reçûmes, après examen, la licence de prédicateurs de l'Évangile ; puis nous consacrâmes quatre mois à visiter chaque congrégation et chaque école du dimanche de l'Église Réformée Presbytérienne d'Écosse, afin que chacun pût faire notre connaissance et s'intéresser à notre œuvre. Le 23 mars 1858 nous étions consacrés, à Glasgow, comme ministres de l'Évangile destinés à l'œuvre des Nouvelles-Hébrides ; et le 16 avril, à Greenock, nous mettions à la voile sur le Clutha en partance pour les mers du Sud.
Le capitaine du Clutha fit tout ce qu'il put pour nous être agréable. C'est lui qui conduisait le chant au culte que nous avions chaque jour sur le pont quand il faisait beau, en bas quand le temps était mauvais. Il favorisa de tout son pouvoir les classes bibliques que nous tînmes pour l'équipage et pour les passagers.
A Melbourne nous trouvâmes un navire américain le « Sage » faisant voile pour Penang et dont le capitaine consentit à nous débarquer dans l'île d'Aneityum, Nouvelles-Hébrides, avec nos deux bateaux et nos cinquante caisses, pour 15 000 €. Sur le Clutha l'ordre et la paix régnaient partout ; sur le Sage, ce n'était que tapage, imprécations et disputes. Le capitaine disait que selon lui le Second n'avait d'autre tâche que d'injurier et frapper les hommes de l'équipage. Heureusement que ce second voyage ne dura que douze jours ; le 29 août 1858 nous arrivions en vue d'Aneityum. Mais le capitaine refusa de nous débarquer ; nous pensâmes que ses hommes s'étaient si mal conduits avec les naturels que s'ils avaient abordé l'île, ils n'auraient jamais revu le navire. Toujours est-il que le capitaine avait commencé par encaisser nos 15 000 €.
Heureusement qu'un bateau marchand de passage vint s'informer de nos besoins ; par son moyen nous envoyâmes une lettre au Dr Geddie, un des missionnaires d'Aneityum. Le lendemain matin le docteur arrivait dans son bateau, accompagné de M. Mathieson, missionnaire récemment arrivé de la Nouvelle Écosse ; il amenait aussi le capitaine Anderson avec deux bâtiments : le petit schooner de la Mission, le John Knox, et la Columbia, grand bateau monté par un équipage d'indigènes capables et dévoués. Nos cinquante caisses furent aussitôt transportées sur le Knox, la Columbia et nos propres barques. Madame Paton et moi étions perchés sur les caisses du John Knox et nous avions à nous bien tenir. En nous dégageant du Sage, un des daviers de ce navire vint couper le mât du John Knox à ras du pont, et ma femme faillit être écrasée ; je la sauvai en la tirant brusquement de côtéc. Le John Knox qui était très chargé était complètement désemparé ; aussi fûmes-nous en grand danger pendant les dix milles que nous eûmes à parcourir. Quant au capitaine du Sage, dénué de cœur, il s'éloigna laissant le Knox se tirer d'affaire comme il pouvait.
Nous allions à la dérive dans la direction de Tanna, île peuplée de cannibales qui eussent vite fait de nous dépouiller et de nous manger. Le John Knox était à la remorque du bateau du Dr Geddie et du mien ; M. Copeland avec un équipage d'indigènes luttait vaillamment pour tirer la Columbia dans la direction d'Aneityum. Heureusement que le docteur Inglis qui avait entendu parler de notre arrivée, accourut à notre secours avec plusieurs bateaux montés par des natifs, de sorte qu'après plusieurs heures d'un rude travail, sous les rayons brûlants du soleil des tropiques, nous abordâmes enfin à l'île d'Aneityum à 6 heures du soir le 30 août 1858, quatre mois et quatorze jours après notre départ des côtes d'Écosse. Les femmes des missionnaires et les natifs chrétiens nous firent la plus cordiale réception ; et nous rendîmes grâce de tout cœur à Dieu qui venait de nous tirer du plus grand danger, au terme même de notre voyage, et qui maintenant nous faisait aborder en un lieu de repos et de communion fraternelle au milieu des terribles îles que nous devions évangéliser.
M. Copeland, Mme Paton et moi partîmes pour la station du Dr Inglis où nous fûmes très cordialement reçus par sa femme et par les chrétiens indigènes. Comme le Dr Inglis faisait plusieurs adjonctions à son habitation, nous y fîmes notre premier apprentissage dans l'art de construire les maisons missionnaires. Peu après nous eûmes une réunion pour fixer le lieu des nouvelles stations à créer. Il fut décidé que M. et Mme Mathieson s'établiraient à Kwamera dans le sud de Tanna, que Mme Paton et moi nous nous établirions plus au nord, à Port Resolution, et que M. Copeland résiderait dans l'une ou l'autre de ces stations selon les besoins de l'œuvre. Ce dernier fit d'abord sa demeure du John Knox où il aidait le capitaine Anderson à charger et décharger le bois apporté d'Aneityum à Tanna pour les constructions missionnaires.
Le Dr Inglis avec un bon nombre de vaillants indigènes nous accompagna à Kwamera, Tanna. Nous y achetâmes un terrain pour l'érection de la station de M. et Mme Mathieson. Nous fîmes de même à Port Resolution. Nous traitâmes avec les indigènes pour la préparation de la chaux de corail, à cuire dans les fours, et pour celle des tiges de cannes à sucre, matériaux qui devaient servir à nos constructions. Le prix en fut dûment payé. Mais nous apprîmes ensuite, hélas trop tard, que les deux maisons étaient construites trop près de la mer, exposées aux miasmes qui engendrent ces fièvres qui sont les plus terribles ennemis des Européens dans les mers du Sud.
Aux deux stations, surtout à celle de Port Resolution, nous trouvâmes les indigènes errants et fort excités ; la guerre, guerre entre tribus, entre villages et même entre voisins rapprochés, les tenait dans une constante terreur. Les chefs paraissaient désirer les missionnaires, mais pour obtenir des haches, des couteaux, des hameçons, des tapis, des vêtements, etc. etc., objets qu'ils obtenaient en paiement et qu'ils pensaient s'approprier aussi par la violence. Ils ne voulaient nullement s'engager à protéger les familles des missionnaires et des instituteurs ; ils disaient qu'ils ne leur feraient aucun mal, mais qu'ils ne pouvaient répondre de ce que ferait le peuple ; habile politique qui laissait la porte ouverte à tout événement et qui, après tout, n'était pas plus mauvaise que celle des nations civilisées. A Tanna comme plus tard à Aniwa, les naturels pensaient avoir tenu leur promesse lorsque, ne nous ayant pas frappés eux-mêmes, ils avaient payé d'autres gens pour nous frapper. Aucune conduite, pour ces gens, n'était trop vile ou trop cruelle du moment qu'elle servait leurs intérêts. « Les profondeurs de Satan » dont parlent les premiers chapitres de l'épître aux Romains se montraient à nous journellement sans voile ni excuse.
Je dois confesser que mes premières impressions furent telles que je ne tardai pas à être saisi d'épouvante. En voyant ces sauvages cannibales entièrement nus, peints de la tête aux pieds, l'horreur et la pitié remplissaient mon cœur. Etait-il bien vrai que j'avais abandonné mon œuvre bien-aimée, mon cher peuple de Glasgow et tant de délicieuses relations, pour consacrer ma vie à ces créatures dégradées ? Etait-il possible de leur enseigner la vérité et la justice, de les christianiser ou même de les civiliser ? Mais ce n'était là que des sentiments passagers. Je m'intéressai bientôt à eux et à leur salut autant que j'avais jamais pu le faire pour mes compatriotes.
Nous étions surpris et émerveillés de la transformation produite, en si peu de temps, chez les natifs d'Aneityum par le ministère des Drs Geddie et Inglis et nous espérions qu'avec prière et persévérance, en usant des mêmes moyens, nous obtiendrions les mêmes résultats à Tanna. De même, en voyant l'œuvre merveilleuse accomplie par Mme Geddie et Inglis, nos femmes étaient remplies de l'espérance de voir bientôt les sauvages femmes de Tanna transformées comme leurs sœurs d'Aneityum. Pendant que le Dr Inglis s'occupait avec moi des constructions de Tanna, Mme Paton avait été laissée avec Mmeo Inglis auprès de laquelle elle se formait à l'œuvre qui l'attendait ; pendant ce même temps, M. et Mme Mathieson s'instruisaient auprès du Dr et de Mme Geddie.
Pour les Tannésiens, nous étions, le Dr Inglis et moi, des objets de curiosité et de frayeur ; ils venaient en foule contempler nos maisons de bois et de chaux ; ils ne cessaient de causer entre eux et partaient remplis d'étonnement. Peut-être n'étions-nous que des fous à leurs yeux.
Des troupes d'hommes armés se succédaient sans cesse, elles allaient et venaient dans la plus grande agitation, et l'on nous apprit qu'une guerre générale était commencée. On pria nos instituteurs Aneityumésiens de nous informer que le peuple de Port Resolution était seulement sur la défensive et que personne ne nous ferait de mal.
Un jour deux tribus hostiles se rencontrèrent près de notre station ; les cris et les querelles commencèrent, les gens de l'intérieur reculèrent, et ceux du Port, infidèles à leur promesse, coururent aux armes et, passant à nos côtés, s'élancèrent sur leurs ennemis. Les décharges des mousquets, les cris horribles des sauvages nous informèrent bientôt qu'un combat sanglant était engagé. L'excitation et la terreur étaient dépeintes sur tous les visages ; des hommes armés se précipitaient dans toutes les directions, de grandes plumes dans leurs cheveux, leurs figures peintes en rouge, en noir, en blanc ; quelques-uns une joue noire et l'autre rouge ; d'autres le front blanc et le menton bleu ; bref, toutes les couleurs apparaissaient tour à tour. Rien de plus sauvage et de plus grotesque ! pour eux, c'était là sans doute des manifestations sublimes de l'art. Quelques femmes couraient avec leurs enfants se mettre à l'abri sur le rivage. Nous pouvions alors les voir de près mâchant des cannes à sucre, causant, riant, comme si leurs pères, leurs frères et leurs maris avaient été engagés dans quelque partie de plaisir.
L'après-midi, entendant les détonations des mousquets et les cris des guerriers, le Dr Inglis, se mit en prière et nous dit : « Les murs de Jérusalem ont été bâtis en temps de trouble, pourquoi pas la maison missionnaire de Tanna ? Mais pour aujourd'hui laissons les constructions et prions pour ces pauvres païens ! »
Nous nous retirâmes dans une hutte indigène qui avait été mise à notre disposition et là nous répandîmes nos cœurs en prières pour tous ces pauvres gens. Le bruit et les détonations cessèrent graduellement, comme si les gens de l'intérieur se retiraient, et vers le soir les gens de Port Resolution revinrent à leurs villages. Nous apprîmes plus tard que cinq ou six hommes avaient été tués, que leurs corps avaient été emportés par les vainqueurs, puis cuits et mangés près d'une source d'eau chaude, à moins d'un mille de ma maison en construction. Le matin suivant quand le petit cuisinier du Dr Inglis alla chercher de l'eau pour le thé, ne le voyant pas reparaître nous étions inquiets ; il arriva cependant plus tard en s'écriant : « O missi quel affreux pays ! Ils ont fait la cuisine près de la source d'eau chaude ; ils ont lavé le sang dans l'eau, ils s'y sont baignés et tout y est si dégoûtant que je n'ai point pu trouver d'eau pour le thé. Que faire ? »
Le Dr Inglis lui dit que nous boirions du suc de noix de coco, ce qui le calma entièrement. Se tuer, se manger les uns les autres n'était rien pour cet enfant ; mais qu'ils eussent sali l'eau, c'était horrible. Quelle puissance que l'éducation ! Si tu avais été élevé comme lui, pensais-je, tu jugerais probablement comme lui.
Le même soir, comme nous causions des tristes événements de la journée, le silence de la nuit fut rompu par un cri lamentable qui partait d'un village voisin et qui se prolongea longtemps. Nous apprîmes peu après qu'un des blessés, rapporté de la bataille, venait de mourir et qu'on avait aussitôt étranglé sa femme, afin qu'elle pût l'accompagner dans l'autre monde et l'y servir comme elle l'avait fait ici-bas. Les deux corps furent ensuite mis côte à côte pour être enterrés ensemble. Nous frémîmes en pensant à tout ce qui s'était passé à portée de notre ouïe, sans que nous en eussions connaissance.
Avec quelle ardeur nous soupirions alors après le moment où nous pourrions parler à ces pauvres gens et leur faire connaître l'amour de Jésus-Christ ! Et quand nous entendions parler l'un d'eux, quels efforts nous faisions pour saisir quelques mots de leur langue, afin d'arriver plus vite à ce moment béni !
Ayant terminé nos travaux, nous nous hâtâmes de retourner à Aneityum afin de pouvoir, si possible, nous installer à Tanna avant la saison des pluies, rude saison pour l'Européen dans toutes les îles des Nouvelles-Hébrides !
« Le John Knox ne pouvant suffire, nous traitâmes avec un navire marchand qui voulut bien, pour 750 €, nous transporter, avec nos trente colis, d'Aneityum à Tanna, Port Resolution, où nous abordâmes le 5 novembre 1858. Le Dr Geddie vint passer quinze jours à Kwamera pour aider M. et Mme Mathieson à s'installer. En abordant à Port Resolution, M. Copeland, ma femme et moi, nous constatâmes que nous avions affaire à de vrais sauvages entièrement nus et peints ; à peine les femmes portaient-elles un petit tablier d'herbes.
Ces pauvres gens vinrent en foule vers nous. Ne sachant rien de leur langage, nous ne pouvions leur dire un mot. Nous nous regardions, nous nous faisions des sourires, des signes, et c'était tout. Je vis un homme prendre un de nos objets et dire à un autre : « Nungsi nari enu ? » J'en conclus qu'il disait : « Qu'est-ce que c'est ? » Je pris immédiatement un morceau de bois et je leur dis : « Nungsi nari enu ? » Ils rirent et parlèrent entre eux, sans doute, se disaient-ils : « Il a saisi quelque chose de notre langage ; » puis ils me dirent le mot de leur langue qui désignait l'objet que je leur avais présenté. Je pouvais désormais leur demander le nom en leur langue de tout objet que je leur présenterais ; ce que nous fîmes, notant soigneusement leurs réponses. Un jour je vis deux hommes approcher ; l'un d'eux, un étranger, me montrant du doigt dit à son compagnon : « Se nangin ? » Je compris qu'il demandait le nom par lequel on me désignait. Je montrai aussitôt l'un d'eux de mon doigt et dis à l'autre : « Se nangin ? » Ils sourirent et me donnèrent leurs noms. Etant toujours aux aguets pour saisir quelque chose de leur conversation, nous fîmes de grands progrès dans la connaissance de leur langue. Je louai quelques-uns des plus intelligents pour causer avec nous et répondre à nos questions ; mais il y eut tant de malentendus entre nous, que nous n'apprîmes rien de bien certain jusqu'à ce que nous eûmes acquis quelque connaissance de la construction grammaticale de leur langue et qu'eux-mêmes eurent pris intérêt à notre étude.
Parmi mes aides les plus zélés étaient deux chefs âgés, Nowar et Nouka, à plusieurs égards deux des plus nobles sujets, bons envers tous, et distingués par la dignité de leurs manières. Mais ils étaient dans la dépendance de Miaki, sorte de démon qui régnait sur plusieurs tribus, et qui, avec son frère, était passé maître en fait d'œuvres ténébreuses et criminelles. Ces deux derniers chefs pouvaient toujours prendre les hommes qu'ils désiraient et leur faire faire ce qu'ils voulaient.
Les Tannésiens avaient des armées d'idoles en pierre, de charmes, d'objets sacrés auxquels ils croyaient aveuglément et dont ils avaient peur. Ils étaient adonnés à des superstitions sans nombre, et tenaient fermement à leurs pratiques ténébreuses. Leur culte n'était que celui de la frayeur ; il n'avait d'autre but que d'apaiser quelque mauvais esprit, prévenir quelque malheur, obtenir quelque vengeance. Comme les anciens Romains, ils déifiaient leurs chefs, de sorte que chaque tribu avait ses hommes sacrés ; hommes qui exerçaient une grande et funeste influence, car on croyait que par leurs cérémonies religieuses ils pouvaient disposer de la vie de chacun, dans toute l'étendue des îles. Femmes et hommes sacrés, devins, sorciers, recevaient des présents pour influencer les dieux, obtenir la pluie, etc. Ils pratiquaient aussi le Nahak,