Journal d'un aventurier de Koh Lanta - Javier Rodriguez - E-Book

Journal d'un aventurier de Koh Lanta E-Book

Javier Rodríguez

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Beschreibung

« Je me lève comme un pantin pour chercher mon flambeau, je regarde Denis et les joueurs sans les voir vraiment. Si je n’avais pas insisté pour imposer mon choix de vote, je n’aurais pas été éliminé.
Les quelques secondes seul avec mon flambeau sont horribles.
Je repense à toute l’aventure à mes erreurs de stratégie, à mes choix plus ou moins heureux… puis à mes filles… leur papa ne sera pas le gagnant de Koh Lanta. »
Javier nous décrit son parcours mais surtout le choc, quand tout s’arrête et que le rideau s’abaisse, le retour à la vie quotidienne, en pleine crise de la quarantaine et sous le regard critique des téléspectateurs. Une nouvelle notoriété difficile à gérer face à l’agressivité des réseaux sociaux et de la presse.

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

La Boîte à Pandore est sur Facebook. Venez dialoguer avec nos auteurs, visionner leurs vidéos et partager vos impressions de lecture.

ISBN : 978-2-39009-255-1 – EAN : 9782390092551

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Javier rodriguez

bruno adams

Journal d'un aventurier de koh lanta

il n'en restera qu'un !

À Emma, une jeune fan de Koh Lanta de 14 ans, dont j’ai fait la connaissance au travers d’échanges de messages via Facebook pendant la retransmission de l’émission.

Tout au long de celle-ci, j’ai essayé de suivre avec autant d’assiduité qu’elle vis-à-vis de nos aventures, son combat contre la maladie dont elle souffrait depuis plus d’un an déjà, un sarcome d’Ewing (cancer osseux de l’enfant).

« La guérison d’un cancer, c’est 50% de mental. » C’est ce que les médecins m’avaient expliqué quand mon père a dû suivre un traitement lourd pour guérir d’un cancer déjà métastasé et en sortir sans séquelle.

Découvrant, au travers de ses partages de vidéos, de photos et de commentaires, une jeune fille pleine de vie, incroyablement forte, souriante et optimiste, j’étais confiant dans l’idée qu’elle ne pourrait pas perdre son combat et qu’elle finirait par vaincre cette maladie, qu’avec une telle combativité, elle faisait partie de ces personnes qui en étaient capables.

J’avais promis à sa maman – qui m’avait confié qu’elle nous appréciait plus encore que les autres, Ugo et moi – de passer les voir à l’occasion si je passais dans la région, mais la maladie en a décidé autrement.

Fin novembre 2012, alors qu’elle était en rémission depuis trois mois, on lui diagnostique une leucémie secondaire aiguë myéloïde… Si, après quatre mois de chimiothérapie et une greffe de moelle osseuse de sa sœur, tous les espoirs étaient à nouveau permis, la maladie ne lui a laissé qu’un répit de courte durée.

Moins d’un an plus tard, le 13 décembre 2013, elle écrit elle-même sur sa page personnelle qu’elle s’en va rejoindre les anges.

Elle est décédée le lendemain.

Je m’en veux encore de n’avoir jamais pris le temps d’apporter à cette jeune fille une étincelle de bonheur au cœur de son combat de chaque instant, me cachant honteusement derrière l’excuse que je voulais y croire, parce que je m’étais sincèrement convaincu qu’elle finirait par s’en sortir.

J’ai fini par me rendre chez elle en août dernier, alors que je traversais Bordeaux, en réponse à la promesse que j’avais faite à sa maman. Pour lui dire que je regrettais de ne pas être venu plus tôt et, surtout, que je ne l’avais pas oubliée.

À toi Emma.

@ https://www.facebook.com/pages/Emma-une-FORCE-un-Combat/

Préface

Il y a des aventuriers qui vous marquent très vite, qui accrochent le regard et la caméra comme on dit dans notre jargon télé. Eh bien, Javier, tu en fais partie. D’abord parce que tu es belge et que vous êtes en minorité dans cette émission. Ton petit accent fleuri rajoute à ta malice.

Ensuite parce que tu as été choisi dans les derniers lors de la composition des équipes, ce qui m’a étonné, mais pas autant que toi. Il fallait voir ta tête quand tu constatais que les autres étaient pris avant toi. On aurait dit un personnage de bande dessinée tant ton visage était expressif.

Enfin, j’ai tout de suite senti en toi un candidat joueur, prêt à faire preuve de stratégie dès le départ pour t’assurer une place au soleil, c’est-à-dire au moins après la réunification.

Expressivité, stratégie et humour, voilà les ingrédients indispensables pour marquer une aventure aussi exceptionnelle que Koh Lanta. Bon, c’est vrai qu’il t’en manquait une pour réaliser le cocktail parfait, la survie. Tu n’étais pas le roi pour faire du feu, pêcher ou encore concevoir et fabriquer la cabane la plus confortable et surtout la plus étanche, mais nul n’est parfait.

Maintenant, si je dois un peu rentrer dans le détail, je dois te dire que ton personnage m’a plu. J’ai aimé tes jaillissements verbaux, ton sens de l’autodérision, ton envie de trouver la meilleure tactique pour aller loin sans perdre, jamais ou presque, ta bonne humeur. C’était un plaisir d’engager de vraies joutes verbales avec toi au Conseil. Tu te souviens, cette passe d’armes où je te demandais ce qu’il fallait privilégier, stratégie ou amitié ? Je ne sais pas toi, mais moi après presque quinze ans de Koh Lanta, je n’ai pas encore répondu à cette question.

C’est toujours plaisant de batailler avec quelqu’un comme toi, qui a du répondant.

Tu es un malin, un trublion, un meneur qui manie avant tout l’humour et les bons mots pour fédérer et emporter les autres dans son sillage.

Je ne voudrais pas oublier non plus que, derrière cette joie de vivre, il y avait aussi un valeureux compétiteur qui avait horreur de perdre.

Mais, car il y a un mais, cette aventure te laissera toujours un gout d’inachevé, car ta tactique n’a pas fonctionné comme tu l’espérais, et ton alliance à quatre a explosé beaucoup trop tôt, sans que tu ne t’en rendes compte.

Je me souviens encore, comme si c’était hier, de ta tête, ton regard, ta stupéfaction lorsque tu as compris que tu étais éliminé à la surprise générale. Pour une fois, d’autres avaient été plus forts que toi dans la stratégie à mettre en place.

Ce que je voulais aussi te dire, c’est que j’ai apprécié que tu sois beau joueur ou plutôt beau perdant. Tu es resté fairplay, malgré ton immense déception, tu as gardé ton sens de l’humour, même si je sais qu’encore aujourd’hui, tu rumines ta défaite et rêves de prendre ta revanche.

Mon cher Javier, sache que j’ai pris beaucoup de plaisir à revivre ton aventure de l’intérieur en te lisant.

C’est grâce à des gens truculents comme toi que la légende de Koh Lanta s’écrit année après année.

Avec toute mon amitié,

Denis BROGNIART

Avant-propos

Il m’aura fallu un temps certain pour publier ce livre, marqué comme nous l’étions tous par les évènements qui ont endeuillé le nom de Koh Lanta.

Je l’avais commencé pour partager le vécu d’une aventure extraordinaire, comme le carnet de bord d’un « naufragé volontaire », pour lever un pan du voile du mystère qui l’entoure. Les circonstances m’ont poussé à changer radicalement de position en cours de route, à le percevoir comme un « devoir » de parole, en connaissance de cause, quand le tournage de la treizième saison fut interrompu suite au décès de l’un des candidats, Gérald Babin, mort d’une pathologie cardiaque, puis suite au suicide de Thierry Costa, notre « Doc’ ».

Beaucoup de choses ont été dites, mille et une idées plus ou moins réalistes ou au contraire totalement fantasmagoriques, beaucoup d’éléments aussi qui faisaient partie des a priori dont j’étais pétri avant de vivre l’aventure moi-même.

L’aventure est-elle scénarisée du début à la fin ? Surtout, les participants sont-ils vraiment en danger ?

Au lendemain de la fin de l’aventure, toutes ces questions ont enfin trouvé leur réponse, mais s’accompagnent d’une seule frustration : je ne peux pas en parler librement parce que la participation à ce jeu s’accompagne de clauses de confidentialité. Je ne peux faire taire les rumeurs publiées un peu partout par des personnes qui n’ont pas vécu l’aventure ou qui en sont sorties à ce point déçues qu’elles avaient le besoin de mentir pour la salir.

Il semble aujourd’hui que les règles telles que je les avais comprises ont changé : de nombreuses interviews d’anciens candidats ont été publiées, sur Internet, dans les journaux, dans la « presse people », dévoilant « l’envers du décor ». Dans son livre, Denis Brogniart lui-même parle de certains points que je croyais trop secrets pour être divulgués.

Alors… allons-y ! En espérant que la lecture de ce récit de mon aventure Koh Lanta vous donne envie de vous y lancer vous aussi et vous permette de vous faire votre propre image de « la Prod’ ».

Au départ, ils sont vingt, dans quarante-deux jours, il n’en restera qu’un !

PARTIE 1 : Le casting

J’ai participé à des tas de jeux-concours, plus ou moins hasardeux, parce que j’adore ça. Je suis un joueur, depuis très longtemps. Peut-être pour mettre plus de couleurs encore dans ma vie – je suis peintre en bâtiment, ça aurait tout son sens ! – ou parce que j’ai compris très vite qu’à force de jouer, on finit par gagner des choses inatteignables en temps normal. Le jeu dont il est question ici n’a rien à voir avec les autres, principalement parce que ce n’est pas un « concours » à proprement parler. Il ne se base pas seulement sur la chance, ni sur des compétences précises et mesurables permettant, avant de commencer, de connaître ses possibilités de l’emporter.

C’est une aventure. Une aventure extraordinaire, de celles qu’on vit quand on est enfant, avant que l’âge ne nous rende exigeants à l’extrême en termes de sensationnel ou blasés de tout ce qui ne l’est pas, avant que la peur de nous mettre en danger ne prenne le dessus.

Tout a commencé lors d’un de nos week-ends entre amis, pendant lequel nous avions loué une maison pour quelques jours en avril 2011. Nous parlions jeux télévisés. Je ne sais plus si c’est moi qui ai énoncé l’idée ou l’un d’eux qui m’aurait lancé, en boutade, qu’il ne me restait que ce jeu-là à faire pour avoir fait le tour de la question, mais je me souviens qu’ils m’ont bien « chambré » pour le coup. Moqueurs, mes amis ne m’en croyaient pas capable, même si d’autres candidats plus âgés l’avaient déjà tenté. Du haut de mes 39 ans, avec mon bidon remarquable et une condition physique déclinante, je devais être raisonnable et lui préférer, par exemple, un jeu comme Qui veut gagner des millions ?…

Pour tout dire, Koh Lanta, ça faisait longtemps que j’y pensais, j’avais même déjà envoyé un courrier de candidature, mais bizarrement, à l’heure de l’Europe, ce jeu restait autrefois strictement réservé aux résidents français. Alors, quand un certain Maxime, le fameux « stratège belge au faux collier d’immunité », y participa, je me suis mis en tête que s’il avait pu le faire, je le pourrais aussi ! Vers la fin de cette même année, je me suis lancé. C’était devenu un défi, impossible à ne pas relever. J’ai pris mes renseignements sur la marche à suivre pour le casting et j’ai commencé à rédiger mon dossier de candidature.

Se coucher sur papier

J’imagine très bien les milliers de lettres que le jury doit recevoir et au milieu desquelles il devra dénicher les « perles » qui feront le succès – ou pas – d’une émission télé à gros budget.

C’est la première étape. Si je ne convaincs pas, mes rêves d’aventure prendront fin avant d’avoir pris corps. Considérant que le fond doit avoir autant d’importance que la forme, je joue sur les deux tableaux et tente d’y exceller. Je suis convaincu qu’il faut que je les surprenne, que le visuel de mon courrier donnera envie de le lire et qu’il se démarquera au point d’être incontournable. J’imagine leur envoyer un coffre en bois ou, mieux encore, me rendre sur place, habillé en Robinson, et leur donner ma candidature en main propre. Quelque chose d’assez fou pour leur montrer d’entrée de jeu l’importance de ma motivation.

Finalement, j’opte pour une formule plus raisonnable en mettant en forme un courrier hors format, en A3, imprimé sur un papier épais, en trois pages. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je demande à un ami imprimeur de m’aider pour la forme et à un autre (le rédacteur) pour le fond. Les amis parlent mieux de nous que nous-mêmes, et rien ne vaut la mise en page faite par un professionnel.

Celui qui l’aura entre les mains va sûrement me maudire, puis se demander quel genre d’individu peut bien leur envoyer une enveloppe pareille, qui prend toute la place sur son bureau. J’imagine qu’il voudra la traiter en premier, peut-être pour s’en débarrasser plus vite ensuite… Ou pas. J’ai une pensée toute particulière pour ces deux amis qui vont participer à mon inscription et auxquels je vais devoir mentir si je vais plus loin.

Je ne comprendrai que bien plus tard que ce n’est finalement pas un élément aussi déterminant que je l’imaginais.

Namadia, par exemple, avait rédigé une simple lettre manuscrite sur papier jaune, tandis que Catherine m’a expliqué avoir envoyé un courrier le dernier jour avec de simples photos. C’est en confrontant ces quelques détails bien plus tard que j’ai compris que le jury devait évidemment sentir la motivation dès les premières lignes – ils en ont trop à traiter pour faire autrement –, mais qu’ils cherchent également des profils-types.

Pour ma part, comme tout le monde le sait, j’étais l’archétype du « beau gosse », même si nous dirons que c’est plutôt celui du « père de famille » par humilité.

Au moment d’envoyer mon premier courrier, je sais que je pose un premier pas dans l’engrenage, ce n’est rien de dire que je suis fébrile. Il n’y a rien à faire, quand j’essaye de participer à un jeu, j’y joue déjà. Je nourris ma chance à grand renfort de pensées positives et, d’entrée de jeu, conscient que j’en ai presque autant que de remporter la loterie, je récidive en remplissant le formulaire d’inscription sur Internet.

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment utile, c’est « la Prod’ » qui doit gérer ces candidatures. Si elle est au moins aussi terrible que ce qu’on en dit, ça ne servira probablement à rien, mais je m’en serais voulu de ne pas le faire.

La semaine qui suit me semble durer des mois : je reste sans nouvelle – l’attente nécessaire au premier tri. Chaque jour, mes sœurs m’appellent. Leur cœur bat presque aussi fort que le mien. Rien que pour elles, j’ai envie d’être sélectionné et de confirmer mon statut de super-héros à leurs yeux…

De la poule… à l’île ?

Confortablement assis derrière mon volant, je roule en direction d’un chantier pour lequel je devrai faire un devis : remise en état des murs, peinture, couche de blanc primaire, puis une autre, au choix de la propriétaire sur la base d’une palette de propositions ; une belle superficie, un bon petit contrat. La radio brise le silence si rare dans ma voiture. Mon truc, c’est d’y chanter avec mes filles, à tue-tête, comme ça, juste pour le plaisir. Ça vous efface la grisaille de la ville, les tracas du quotidien, c’est du bonheur à l’état pur, le plaisir d’être ensemble.

Ma famille est ma plus grande force et ma plus grande faiblesse. Elle représente tant pour moi qu’elle me pousserait à me surpasser pour qu’elle soit fière de moi. Je sais aussi qu’elle me manquerait cruellement si j’étais choisi. Voilà le genre de pensée qui me traverse l’esprit. C’est comme si j’y étais déjà.

Il me faut deux secondes pour me rendre compte qu’à la musique se mêle la sonnerie de mon téléphone. Coup d’œil, c’est un numéro français. Mon cœur bat la chamade… Et si c’était eux ? En un clignement de paupières, je trouve une échappatoire à la circulation, une sortie du rond-point dans lequel je venais de m’engager. Je ne peux pas prendre le risque qu’ils mettent ma candidature de côté juste parce que je n’aurais pas décroché à temps ! Depuis une semaine, à chaque coup de fil, j’ai cette même idée en tête et à chaque fois, ce sont sueurs froides, mains moites, poussée d’adrénaline et arythmie cardiaque qui pourraient m’envoyer dans un mur ou une autre voiture quand je suis au volant. Je me gare de travers et décroche :

—Allo ?

—C’est Adventure Line Productions au sujet de votre candidature pour la participation à l’édition 2012 de Koh Lanta.

Enfin. L’appel que j’attendais. « La Prod’ », Adventure Line Productions. Je comprends tout de suite que je suis en train de vivre une véritable phase de casting. Aujourd’hui, avec le recul, je m’étonne moi-même d’avoir su y répondre avec tant de calme malgré la tempête qui sévissait dans mon cerveau.

À un échange de banalités succède la phrase d’importance :

—Voilà, vous avez 10 secondes pour m’étonner.

Posez-vous cette question et tentez d’y répondre sans aucune préparation. Bien sûr, j’aurais pu préparer un speech, structurer une réponse me mettant en avant, mais je ne veux pas prendre le risque de sonner faux ! Ils veulent une réponse du tac au tac, je leur en sers une :

—J’ai été sacré champion du monde de l’imitation de la poule, en Irlande, il y a deux mois. Je peux vous en faire une petite démonstration. Vous n’aurez que le son malheureusement, mais la posture a son importance aussi.

—C’est vrai ?

—Non, pas du tout, mais je vous le fais quand même.

N’importe quoi ? En dix secondes d’improvisation totale, je leur sers sur un plateau d’argent une capacité d’autodérision à toute épreuve. Je ne mens pas, je ne triche pas, je n’ai absolument plus peur, je ne cherche pas à me faire passer pour ce que je ne suis pas et ça paie cash. La discussion qui s’ensuit est agréable, pleine de sourires, et le feeling est excellent ! Je me persuade que ça doit leur plaire, que la carte de l’humour peut s’avérer aussi convaincante qu’une autre.

—La nourriture ? Oui, ça risque d’être un de mes points faibles. J’adore manger. Je pourrais faire l’amour à un plat de pâtes.

La conclusion finit par tomber :

—C’est bon, si vous êtes choisi, on vous rappelle.

Quand mon interlocuteur raccroche, l’adrénaline m’abandonne aussitôt. Est-ce qu’ils s’attendaient à ça ou à tout autre chose ? Est-ce que j’aurais dû leur montrer que je comprenais très bien le sérieux de cette aventure ?

Après tout, ce n’était pas le casting du Juste Prix auquel j’ai déjà participé et pour lequel les personnalités les plus fantasques ont le plus de chance d’être choisies. Pas du tout même : c’est Koh Lanta, une aventure à « survivre » plus qu’à « vivre », qui nécessite une force de caractère très éloignée de mes pitreries. J’étais tellement confiant avant de raccrocher, là je ne sais plus du tout…

Je retombe dans l’attente totale, sans aucune autre certitude que celle d’avoir été appelé, que cette chance-là est passée et qu’elle ne se représentera plus.

J’appelle ma femme ; avec elle au moins, je pourrai partager chacune des étapes du casting. Elle m’aidera à les traverser même si je peux bien m’imaginer qu’au fond d’elle-même, elle préfèrerait de loin que je ne les quitte pas pour quarante jours… Je retourne ensuite au monde réel et je me rends sur le chantier pour y faire cette offre de prix : une réalité tellement éloignée de mes pensées du moment, mais elles finissent par s’estomper.

Une semaine plus tard, je reçois un e-mail confirmant mes impressions : le premier appel est positif, je suis attendu pour une nouvelle phase de casting dans un grand hôtel près de la Grand-Place de Bruxelles. Je ne pourrais pas vous décrire l’excitation du moment. C’est intense. Une attraction à sensations qui démarre. Je ne m’étais pas trompé.

Douche froide sur la Grand-Place

Le rendez-vous est extrêmement précis. Sans doute est-ce pour éviter que les candidats potentiels ne se rencontrent dans une salle d’attente et ne scellent des accords. Je me dis aussi que leur machine est bien rôdée et leur organisation juste parfaite.

Il fait déjà nuit quand j’arrive au centre-ville et très froid, mais je suis tellement excité que j’ai presque trop chaud. En jeans et baskets, un col roulé au-dessus du débardeur acheté pour l’occasion, je sors de ma voiture plein d’espoir qu’ils ne me demandent pas d’enlever mon pull. Ils demandaient spécifiquement de porter un débardeur dans leur dernier courrier, probablement pour prendre l’un ou l’autre cliché, mais cette idée ne me plait pas. Je n’ai pas la carrure pour en porter, c’est tout sauf flatteur. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur, et je dois bien reconnaître que c’est pratique pour éviter les auréoles disgracieuses si je venais à transpirer sous le coup du stress.

J’ai eu la chance de trouver assez rapidement une place pas trop loin. Dans le quartier, ça ne peut être qu’un bon signe. Je dois avoir l’air d’être un extra-terrestre alors que je parcours des rues que je connais par cœur, dans ma ville, la tête dans les nuages, le sourire béat et le stress bien évident.

Tout proche, je m’arrête au coin d’une des rues donnant sur la Grand-Place pour respecter la précision exigée du rendez-vous et je téléphone à ma femme pour la rassurer. Voilà bien mon seul aveu, parce que la vérité, c’est qu’avec l’attente, j’ai vraiment besoin qu’elle me booste comme elle seule sait le faire. Avec sa confiance à toute épreuve, elle me donne l’impression d’être Superman.

À l’instant où je franchis la porte de l’établissement, j’ai l’impression de participer à une série policière. Je suis accueilli par un homme qui, derrière une table, me tend un premier contrat à signer et les premières clauses de confidentialité.

À partir de maintenant, plus rien ne pourra être partagé.

Je fais partie des rares personnes qui « en connaissent plus que les autres », de ceux qui sont passés dans l’envers du décor. C’est terriblement excitant !

Parmi tant d’autres, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai envoyé ma candidature. Je comprends ce principe de grand secret et vais le respecter, bien sûr, mais en même temps, c’est comme signer un chèque en blanc, un contrat avec le diable…

Je descends ensuite un escalier et entre dans une véritable salle d’interrogatoire. Je suis presque surpris qu’il n’y ait pas un miroir sans tain sur un des murs latéraux, qui permettrait à des observateurs cachés d’analyser la moindre de mes réactions. Face à moi, derrière une caméra de télévision, se tient « l’interrogateur » et, à côté de lui, une personne qui prend des notes et, à la manière d’un profiler, observe ce que je leur « dis » sans le vouloir. Je suis si bien dans mon rôle que je ne stresse plus du tout, la communication est presque aussi fluide que la première fois au téléphone. Ils me demandent de me présenter, laissant les blancs s’appesantir quand je cherche mes mots, puis enchainent avec une série de questions rapides, auxquelles je dois répondre du tac au tac : est-ce que je m’énerve vite, quelles sont mes cinq plus grandes qualités, mes cinq plus grands défauts ? Qu’importe, d’apparence au moins, si certaines restent sans réponse.

J’ai confiance en moi, je sais ce que je vaux, mon profil doit les intéresser, sinon je ne serais pas là.

Pourtant, comme des flics cherchant à faire craquer un suspect, ils finissent par mettre le doigt sur la faille de ma carapace : mes filles.

Des experts, les gars : ils arrivent à me déstabiliser en une seule phrase.

—Que vont penser vos filles quand elles vous verront là-bas ?

Ils ont tout de suite vu à quel point je suis ému quand je leur parle d’elles. Fort heureusement, ils ne creusent pas à l’excès, et j’arrive à me reprendre. Alors que j’essaie de sonder leurs visages impassibles, n’y trouvant pas la moindre étincelle, je suis persuadé d’avoir foiré mon casting. En les quittant, le moral n’y est plus, je n’ai pas été bon. J’avais pourtant juste à vendre ce que je suis, mais j’ai une terrible impression d’échec… Peut-être de les avoir vus se préparer à la suite et me gratifier d’un « au suivant » quelconque. Peut-être parce qu’ils ne m’ont pas demandé d’enlever mon pull.

Ils vont voir une centaine d’autres candidats et pensent déjà aux prochains. Je ne les ai pas ébahis, j’aurais dû les épater.

Au fur et à mesure que je m’écarte de la salle, remontant à l’étage, quittant l’hôtel, marchant dans la rue, je croise des regards qui devaient ressembler au mien. S’ils ne veulent qu’un Belge, ça ne va pas être si facile… On doit être nombreux à tenter l’aventure. J’en suis au même point qu’après la première interview. Mon assurance, pourtant bien réelle pendant cette entrevue, ne dure pas plus longtemps.

Pendant les semaines qui suivent, la « Prod’ » entretient remarquablement mon impatience par trois appels téléphoniques courts, portant sur des questions précises sur ma famille, mon boulot, mes hobbies. Ça participe peut-être aux dossiers qu’ils constituent sur leurs futurs candidats. Toutefois, je saisis difficilement l’intérêt de savoir si mes parents habitent près de chez moi, quel est l’emploi de ma mère, ou si mes filles vont à la même école, si je ne suis pas encore « choisi » et si je le suis aussi d’ailleurs. À chaque appel, ils me rappellent que je n’ai le droit d’en parler à personne et que leurs questions ne signifient pas que je sois sélectionné.

Malgré tout, noyer le poisson est une technique qui paie : je ne sens pas venir le dernier de leurs coups de fil me convoquant pour le casting final. Une machine bien rôdée, vraiment : même si l’aventure n’a pas encore commencé, je me rends déjà compte à quel point la mise en situation peut nous faire réagir d’une manière ou d’une autre. En quelques phrases, ils m’ont mis en boîte.

LES ÉPREUVES DU CASTING FINAL

On commence par deux épreuves physiques :

• deux longueurs de piscine,

• cinq objets à rechercher sous l’eau.

On passe ensuite chez deux médecins pour :

• un électrocardiogramme,

• l’analyse des résultats,

• un test à l’effort,

• une vérification du dossier médical en insistant sur l’alimentation et les allergies éventuelles.

Puis, a lieu un test psychologique :

• questions / réponses pendant une demi-heure.

Et finalement, c’est le passage devant le jury.

Paris, plus lumineuse que jamais

Le rendez-vous est aussi précis que le premier. J’en reçois les détails dans un courrier me félicitant d’être parvenu à accéder au casting final. Le ton est formel, chargé de règles à suivre et de la liste des documents administratifs à emporter.

Cette fois, c’est à Paris, dans un hôtel luxueux sur les quais de la Seine, pour les tests d’aptitudes physiques et psychologiques. Les épreuves de natation ne m’inspirent pas du tout, et mon endurance est loin d’être à la hauteur de ce à quoi je m’attendais : un entrainement digne de ce nom s’impose, je m’en suis convaincu dès le premier appel. Le programme avec mon coach se déclinait en dix séances intensives de « parcours du combattant » en forêt : course à pied, pompages et exercices divers me donnant volontairement un avant-goût du dépassement de mes limites sous le regard sans pitié de mon coach sportif. À la fin de chacune des séances, je ne suis plus capable que de me mettre au lit. Il me donne l’impression d’être Rocky avant d’affronter Apollo Creed, mais je m’accroche, le jeu en vaut la chandelle. Poursuivant en piscine dans l’idée d’améliorer mes compétences en plongée, je suis remis à ma place par mon entraineur dès la première leçon. J’ai tort de penser ne pas être trop mauvais nageur, je dois désapprendre cette manière inefficace de nager que j’utilise depuis mon enfance pour qu’il puisse m’en transmettre une meilleure. Bien qu’il m’apparaisse au départ frustrant, je ne peux que reconnaitre que son enseignement est payant : au bout du compte, je nage mieux, plus vite et plus longtemps, et je suis enfin capable de rester en apnée plus d’une poignée de secondes. Je ne suis pas un poisson, mais mes progrès m’étonnent moi-même. On ne devient pas un sportif accompli en quelques semaines, c’est évident, mais c’est beaucoup mieux que rien. Grâce à eux deux, je me sens vraiment d’attaque.

La veille du casting, je dors à Paris, à deux cents mètres de l’hôtel dans lequel il se déroule. Je suis seul, et cette solitude me pèse quand je vais manger un morceau dans un petit restaurant. Je m’imagine être entouré de candidats, j’en trouve un dans chaque personne que je croise. Sans savoir que faire, je rejoins ma chambre d’hôtel et me couche dans cette même solitude, ressassant des images, revoyant les visages de tous ces autres candidats possibles.

Le rendez-vous était fixé à 10h.

À 6h, je suis douché et prêt. L’horreur. Quatre heures d’attente. Je m’approche encore plus près, trouvant une place de parking plus proche, à quelques mètres à peine, puis je m’écarte pour faire un jogging pour déstresser un peu. Je cours quarante minutes, bouillonnant d’impatience. Cinq minutes avant l’heure du rendez-vous, je reçois un appel aussi court que possible. Qu’importe si je transpire déjà, je n’ai de toute façon plus le temps de me laver à nouveau.

—Si vous voulez venir maintenant, c’est bon.

J’ai reçu des règles strictes, à respecter scrupuleusement, comme l’ordre de ne jamais prononcer le nom « Koh Lanta ».

C’est le retour de l’agent secret en mission : entrer dans le grand hall, prendre l’escalator sur la droite jusqu’au deuxième étage, demander son chemin à une personne dans les couloirs qui me dirigera vers l’endroit où je devrai aller. Sur mon itinéraire, je croise une hôtesse qui semble curieuse de me voir.

Est-ce ma personne de contact ou pas ? Comment m’en assurer sans prononcer ce fameux « Koh Lanta » ?

—Euh, je viens me présenter, j’ai reçu une convocation.

—C’est à quel sujet ?

—Je ne peux pas vous le dire.

Difficile de faire mieux.

—Ce n’est pas ici, mais je crois que c’est là.

Je comprends bien qu’elle n’est pas celle que je cherchais, c’est une hôtesse d’accueil pour un événement qui aura lieu dans une salle de conférence attenante. Après l’avoir remerciée et m’être excusé pour la curiosité de la situation, je suis ses recommandations et traverse un long couloir au bout duquel trois personnes, chacune sur un banc, remplissent un petit carnet. Personne ne me salue, personne ne parle. Ils n’osent pas lever la tête, comme s’ils étaient punis sur un banc d’école dans l’attente d’être convoqués par le directeur. D’un coup d’œil rapide, je les estime en tant que concurrents pour la place que je souhaite avoir, j’estime leurs chances, leurs avantages par rapport à moi. Ils sont tous les trois plus jeunes, plus beaux, plus musclés…

Passant devant une porte ouverte, un homme bouclé, blond, m’interpelle et m’invite à entrer. Derrière ses lunettes, son regard est souriant, accueillant même. Ça commence. Dans ce premier bureau, je me retrouve face à la personne de la « Prod’ » qui s’occupe de l’administration, de mon dossier. Je lui remets mon passeport, ma carte d’identité, mon dossier médical, ma carte vitale (ndlr : la carte SIS en Belgique) et mon certificat de bonne vie et mœurs.

Une fois encore, je suis plus rassuré qu’inquiété par cette organisation qui ne laisse pas de place au doute ou à l’erreur. En échange de mon dossier complet, je reçois un feuillet de six pages agrafées ensemble, qui devra me servir de fil rouge et que je devrai remplir à chaque moment libre. Je ne peux en parler avec personne, juste le remplir.